Conseil d’État, requête n° 412574 du 1er octobre
2018
Ou comment calculer une provision déductible sur les bons de réduction valable sur un futur achat ?
Hein, pas simple…
Et pourtant je suppose que ça vous arrive tous les
jours qu’à la caisse d’un supermarché on vous refile une « réduc’-à-valoir »
sur un prochain achat (limitée dans le temps et sur telle ou telle référence).
Vous avez acheté du savon à barbe (je n’utilise pas
les pschitt) et on vous colle une réduction sur le paquet de sucralose par
trois (parce qu’une « IA » aura détecté que vous prenez soin de votre
apparence et qu’un intello du groupe d’industriel aura trouvé malin de faire du
marketing croisé : C’est « à la mode »).
Ou carrément l’enseigne qui vous offre une ristourne
ridicule pour récompenser votre fidélité apparente…
Eh bien ce n’est pas si simple avec toutes ces lois
empêchant les promotions, mises en avant, actions de fidélisation et je ne sais
quoi encore qui visent à soutenir votre pouvoir d’achat par des biais
publicitaires (éhontés).
Car si on sait que l’entreprise qui, à l’occasion d’un
premier achat, octroie un bon de réduction utilisable pour l’achat d’un second
produit, peut déduire une provision à la clôture de l’exercice au cours duquel
la première vente a été enregistrée (depuis une décision du Conseil d’État du 2
juin 2006 n° 269997, Sté Lever Fabergé France), on ne sait pas bien comment « compter ».
Je m’explique : Globalement on sait faire. Mais une
décision du Tribunal administratif de Montreuil (1er juin 2015, n° 1311654),
confirmée par la Cour administrative d’appel de Versailles (18 mai 2017, n° 15VE02127 :
Notez, c’est précis !) avait indiqué que, dans le cas d’un chèque-cadeau
de 15 € accordé dans le cadre d’un programme de fidélisation à compter d’un
cumul d’achat de 300 € (un gigantesque effort de 5 % TTC tiens donc, c’est vous
dire s’il en reste…), la provision devait être calculée non pas en fonction de
la valeur faciale du chèque, mais en prenant en compte cette valeur faciale
diminuée de la marge commerciale…
Une ânerie : Je ne te vous raconte même pas
comment on impute la TVA là-dessus quand le ticket de caisse a au moins deux
taux différents…
Mais pourquoi pas, alors passons !
Pour y remettre les points sur les « i » et
les barres aux « t », saisi d’un recours en cassation, le Conseil d’État
vient de considérer que le bon cadeau ne constitue pas une réduction du prix de
vente des articles à l’origine de cette attribution (l’arrêt ci-après
reproduit, Sté Omnium de Participations).
Il faut dire que c’est encore plus compliqué que ça,
puisque « l’Omnium de Participations » est en réalité un pool de
sociétés chargé de promouvoir via le « bon de réduction » les
productions de ses membres…
Marketing croisé de marques…
Et qu’à force, ça fait de gros montants (à déduire de
l’assiette d’IS).
La valeur à provisionner, qui doit tenir compte de la
probabilité d’utilisation effective des chèques-cadeaux (cela va sans dire :
Beaucoup ne reviennent jamais devant les caisses de magasins), est celle de
l’avantage accordé par l’entreprise en échange du chèque-cadeau et ne peut donc
pas inclure le manque à gagner peut-on inversement résumer.
La provision dont la déduction est admise doit donc
correspondre au seul coût de revient de l’avantage accordé par la société pour
les articles dont le prix sera en tout ou partie acquitté au cours d’un
exercice ultérieur au moyen du chèque-cadeau.
Notez que cette analyse est conforme à ce qu’avait
indiqué le comité d’urgence du conseil national de la comptabilité dans son
avis n° 2004-E du 13 octobre 2004 et sur lequel la haute juridiction s’appuie
pour « dire droit ».
On en déduit que la solution serait différente pour
les chèques-cadeaux proposant un remboursement en espèces, la provision
correspondant alors à la valeur faciale du chèque-cadeau.
Des « subtilités mathématiques » de la
fiscalité-appliquée…
Conseil d’État
N° 412574
Mentionné aux tables du recueil Lebon (c’est « du
bon »…)
3ème – 8ème chambres réunies
M. Sylvain Monteillet, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats
Lecture du lundi 1 octobre 2018
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Omnium de Participations a demandé au
tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement de ses
déficits reportables au titre des exercices clos en 2007 et 2008 à hauteur
respectivement de 77 334 945 euros et de 79 111 017 euros.
Par un jugement n° 1311654 du 1er juin
2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15VE02127 du 18 mai 2017, la cour
administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel que la société Omnium de
Participations a formé contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et
un mémoire en réplique, enregistrés les 18 juillet et 18 octobre 2017 et le 29
août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, la société Omnium de
Participations demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son
appel ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 6.000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des
procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes
en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher,
rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les
conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société
Omnium de Participations ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges
du fond qu'à la suite d’une vérification de comptabilité de la société Burton,
filiale du groupe fiscalement intégré Omnium de Participations, l’administration
a remis en cause le montant des provisions comptabilisées au titre d’un
programme de fidélisation en 2007 et 2008 et a réduit par voie de conséquence
les déficits reportables de la société Omnium de Participations. Celle-ci a
demandé au tribunal administratif de Montreuil le rétablissement de ses
déficits reportables au titre des exercices clos en 2007 et 2008, à hauteur
respectivement de 77.334.945 euros et de 79.111.017 euros. Par un jugement du 1er
juin 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par un
arrêt du 18 mai 2017, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel
formé contre ce jugement. La société Omnium de Participations se pourvoit en
cassation contre cet arrêt.
2. Aux termes de l’article 39 du code général des impôts,
applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du
même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes
charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) 5° Les provisions
constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et
que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été
effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Il
résulte de ces dispositions qu’une entreprise peut valablement porter en
provision et déduire des bénéfices imposables d’un exercice des sommes
correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu’ultérieurement
par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées
quant à leur nature et susceptibles d’être évaluées avec une approximation
suffisante, qu’elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances
constatées à la date de clôture de l’exercice et qu’elles se rattachent par un
lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l’entreprise.
En outre, en ce qui concerne les provisions pour charges, elles ne peuvent être
déduites au titre d’un exercice que si se trouvent comptabilisés, au titre du
même exercice, les produits correspondant à ces charges et, en ce qui concerne
les provisions pour pertes, elles ne peuvent être déduites que si la perspective
de cette perte se trouve établie par la comparaison, pour une opération ou un
ensemble d’opérations suffisamment homogènes, entre les coûts à supporter et
les recettes escomptées.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges
du fond que la société Burton a mis en place un programme de fidélisation
consistant à attribuer aux clients ayant effectué des achats d’un montant
supérieur à 300 euros un chèque-cadeau de 15 euros, non remboursable en
espèces, à valoir sur un ou plusieurs achats ultérieurs. Elle a déduit du
résultat de ses exercices clos en 2007 et en 2008 une provision destinée à
faire face à la charge probable relative à l’utilisation des chèques-cadeaux au
cours des exercices suivants. Elle a calculé ces provisions en retenant la
valeur faciale hors taxe des chèques-cadeaux. L’administration a remis en cause
les montants déduits au motif que les chèques correspondants ne pouvaient
donner lieu à un remboursement en espèces.
4. Si un chèque-cadeau n’est utilisable que pour l’achat
d'un autre produit, cette méthode de fidélisation favorise principalement, s’agissant
d’un bien de consommation courante, l’achat des produits donnant droit à l’attribution
de ce chèque-cadeau. De ce fait, la charge probable correspondant à l’utilisation
du chèque-cadeau se rattache à la vente de ce premier produit par un lien
suffisamment direct pour justifier qu’elle fasse l’objet d’une provision
déductible à la clôture de l’exercice au cours duquel cette vente a été
enregistrée.
5. L’attribution au client d’un chèque-cadeau à valoir
sur des ventes ultérieures ne constitue pas une réduction du prix de vente des
articles à l’origine de cette attribution. La valeur à provisionner, qui doit
tenir compte de la probabilité d’utilisation effective des chèques-cadeaux, est
celle de l’avantage accordé par l’entreprise en échange du chèque-cadeau et ne
peut inclure le manque à gagner. Il suit de là que, comme l’a d’ailleurs
indiqué le comité d’urgence du conseil national de la comptabilité dans son
avis n° 2004-E du 13 octobre 2004, s’il s’agit d’un chèque-cadeau à valoir sur
des ventes ultérieures, la provision correspond au seul coût de revient de l’avantage
accordé par la société pour les articles dont le prix sera en tout ou partie
acquitté au cours d’un exercice ultérieur au moyen de chèque-cadeau ; s’il
s'agit d'un remboursement en espèces, la provision correspond à la valeur
faciale du chèque-cadeau. Par suite, en jugeant que le montant de la provision
pour charges relative à l’attribution de chèques-cadeaux devait seulement
prendre en compte le coût de revient de l’avantage accordé pour des articles
dont le prix pourrait être en tout ou partie acquitté par ces chèques, la cour
n’a pas commis d'erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la
société Omnium de Participations doit être rejeté. Les dispositions de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit
mise à ce titre à la charge de l’État qui n'est pas, dans la présente instance,
la partie perdante.
D E C I D E :
---------------
Article 1er : Le pourvoi de la société
Omnium de Participations est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la
société Omnium de Participations et au ministre de l'action et des comptes
publics.
Autrement
dit, « gros-jean-comme-devant ».
Vous me
direz qu’entre la notion de « manque à gagner » sur vente future et « coût
direct » de l’avantage immédiatement accordé, il y a juste un exercice fiscal
(et comptable) de décalage et vous auriez raison : Au bout du bout, si les
calculs sont bien anticipés, ça revient au même (pour la boîte comme pour le
fisc).
Sauf
que justement, l’impôt est « annuel ». On peut se tromper sur l’impact
d’une campagne de promotion (ça arrive tous les jours, sauf chez mon pote « Dédé-le-prince-des-marketeurs »,
même s’il s’est quand même trompé une seule fois en 40 ans de carrière… et qu’il
n’est plus dans le circuit : « Mathem » pour les seuls connaisseurs
d’une génération passée !), mais le fisc n’est pas non plus l’assureur « tous-risques »
des calculs foireux des « amateurs » qui se la pètent (au détriment
de l’ensemble des « Gauloisiens »).
Comme
quoi, vous croyiez jusque-là que les choses sont simples, eh bien non. D’ailleurs,
les « chèques-cadeaux » et les « centrales de promotions »,
ça a tendance à disparaître, surtout les dernières.
Du
coup, pour faire du marketing croisé, les « boutiques d’industriel »
s’obligent à se racheter entre-elles pour « dégager des synergies
commerciales ».
Vous n’imaginez
même pas ce qu’ils inventent pour se faire beau (et soutenir votre pouvoir d’achat) !
Passez
une bonne fin de week-end, toutes et tous : Figurez-vous qu’on entre dans
la féérie des dépenses « noëlesques ».
N’abusez
pas…
I3
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