Parfois le Service s’obstine
Un arrêt du 9 mai 2018 – publié au recueil Lebon :
C’est du bon – pas tout-à-fait en la forme solennelle des « chambres
réunis » marquant un arrêt de principe, mais tout de même des 3ème,
8ème, 9ème et 10ème chambres réunies, celles
du contentieux fiscal.
Il est question de CVAE : Cotisation sur la Valeur
Ajoutée des Entreprises qui, avec la CFE (Cotisation Foncière des Entreprises)
forment la CET (Contribution Économique Territoriale) et aura remplacé la
Taxe Professionnelle (elle-même remplaçant les Patentes de l’Ancien régime qui
avaient survécu) due par les seules entreprises (même si c’est vous qui, finalement, la financez avec vos achats).
La Valeur Ajoutée, tout le monde (sauf la haute
juridiction) cause de chose et d’autres qui n’ont rien à voir.
Je vous rappelle que la Taxe Professionnelle était elle-même
assise sur la valeur des immobilisations (foncières ou non) des entreprises et
de la masse salariale des entreprises (d’où la fortune de communes qui
accueillaient des « hauts-salaires », ainsi que celles qui
hébergeaient des installations techniques « hors de prix » comme une
centrale nucléaire).
Mais il y avait déjà un plafonnement « à la
Valeur Ajoutée » avec une définition qui relevait du Plan Comptable Général
(d’après-guerre) qui n’avait rien à voir avec celle retenue pour la Taxe sur la
Valeur Ajoutée (la TVA).
Le PCG a été transformé par le NPCR (Nouveau Plan
Comptable Révisé) avec pour le premier une loi et pour le second un décret.
Du coup, le plafonnement de la TP en était resté à l’ancienne
version (légale) et on avait donc trois notions sous le même terme de « Valeur
Ajoutée » (celle de la TP, celle de la TVA et l’économique retracée par le
NPCR) dans notre corpus législatif…
D’où des errements successifs auxquels, vaille que
vaille, la Haute juridiction mettait un peu d’ordre.
Depuis, ça s’est arrangée : On n’en a plus que
deux avec la disparition de la TP !
Dernier point en suspens : Où se situe la VA dans
une cascade d’entreprises qui se la refile au titre de la survivance d’un « plafonnement »
de la VA ?
M. Matias de Sainte Lorette, rapporteur
M. Yohann Bénard, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La Caisse régionale du crédit agricole mutuel de
Pyrénées Gascogne a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer
la décharge, en droits et intérêts de retard, des rappels de cotisation
minimale de taxe professionnelle auxquels elle a été assujettie au titre des
années 2007 et 2008. Par un jugement n° 1203111 du 16 septembre 2013, le
tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 13VE03426 du 2 décembre 2014, la cour
administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la Caisse
régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et
deux nouveaux mémoires, enregistrés les 23 février, 26 mai et 8 juin 2015 et le
4 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, la Caisse
régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne demande au Conseil d’État
:
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son
appel ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 4.000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts ;
- le règlement n° 91-01 du 16 janvier 1991 du comité
de la réglementation bancaire ;
- le règlement n° 99-03 du 29 avril 1999 du comité de
la réglementation comptable ;
- le règlement n° 2002-03 du 12 décembre 2002 du
comité de la réglementation comptable ;
- le règlement n° 2005-04 du 3 novembre 2005 du comité
de la réglementation comptable ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des
requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Yohann Bénard, rapporteur
public.
La parole ayant été donnée, avant et après les
conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Caisse régionale du
crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des
pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à l’issue d’une vérification de
comptabilité, la caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées
Gascogne a été assujettie à des suppléments de cotisation minimale de taxe
professionnelle au titre des années 2007 et 2008. Elle se pourvoit en cassation
contre l’arrêt du 2 décembre 2014 par lequel la cour administrative d’appel de
Versailles a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de
Montreuil du 16 septembre 2013 rejetant sa demande en décharge de ces
suppléments d’impôt.
2. Aux termes de
l’article 1647 E du code général des impôts, alors en vigueur : " I. La cotisation de taxe professionnelle des
entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7.600.000 € est au moins
égale à 1,5 % de la valeur ajoutée produite par l’entreprise, telle que définie
au II de l’article 1647 B sexies ". Aux termes du II de l’article 1647
B sexies du même code, dans sa version applicable aux années d’imposition en
litige : " 1. La valeur ajoutée
(...) est égale à l’excédent hors taxe de
la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers
(...). 3. La production des
établissements de crédit (...) est
égale à la différence entre : / d’une part, les produits d’exploitation
bancaires et produits accessoires ; / et, d’autre part, les charges d’exploitation
bancaires (...) ".
3. Les
dispositions de l’article 1647 B sexies du code général des impôts fixent la liste
limitative des catégories d’éléments comptables qui doivent être pris en compte
dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation minimale de
taxe professionnelle. Il y a lieu, pour déterminer si une charge ou un produit
se rattache à l’une de ces catégories, de se reporter aux normes comptables,
dans leur rédaction en vigueur lors de l’année d’imposition concernée, dont l’application
est obligatoire pour l’entreprise en cause. La norme applicable est, pour un
établissement de crédit, le règlement du comité de la réglementation bancaire
du 16 janvier 1991 relatif à l’établissement et à la publication des comptes
des établissements de crédit et le règlement du 12 décembre 2002 du comité de
la réglementation comptable relatif au traitement comptable du risque de
crédit, modifié par le règlement du 3 novembre 2005. Lorsqu’un poste comptable
applicable aux établissements de crédit n’est pas spécifique aux activités de
ces établissements, il y a lieu de l’interpréter à la lumière des dispositions
équivalentes du plan comptable général, tel qu’il est défini par le règlement
du comité de la réglementation comptable du 23 avril 1999.
On ne
peut être plus clair : La loi applicable avait tout prévu, même ce qu’elle
n’avait pas prévue…
Sur les dépenses de mécénat :
4. En l’absence
de dispositions spécifiques pour la comptabilisation des dépenses de mécénat
dans le règlement du 16 janvier 1991 mentionné au point 3 ci-dessus, il y a
lieu de rattacher ces dépenses aux dons, lesquels doivent être enregistrés,
selon le cas, dans un compte de " services
extérieurs " rattaché au compte de classe 15 " charges générales d’exploitation "
ou au compte de classe 22 " charges
exceptionnelles ", comme le prévoit le règlement du 23 avril 1999
également mentionné au point 3, qui prescrit un enregistrement des dons, selon
le cas, dans les charges d’exploitation mentionnées au compte 6238 " divers (pourboires, dons courants...)
" ou dans les charges exceptionnelles mentionnées au compte 6713 " dons, libéralités ". Les dépenses
de mécénat réalisées par une entreprise doivent, ainsi, être comptabilisées en
charges exceptionnelles lorsqu’elles ne peuvent pas être regardées, compte tenu
des circonstances de fait, notamment de leur absence de caractère récurrent,
comme relevant de l’activité habituelle et ordinaire de l’entreprise et en
charges d’exploitation dans le cas contraire. Dès lors, en jugeant que les dépenses
de mécénat exposées par la société requérante, que cette dernière avait
comptabilisées en charges d’exploitation, ne pouvaient pas être déduites pour
le calcul de la valeur ajoutée en application des dispositions de l’article
1647 B sexies du code général des impôts, au motif qu’elles ne correspondaient
à l’acquisition d’aucun bien ou d’aucun service auprès d’un tiers, la cour a
commis une erreur de droit. Il suit de là que la société requérante est fondée
à demander, dans cette mesure et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens du pourvoi relatifs à ces dépenses, l’annulation de l’arrêt qu’elle
attaque.
En
bref, les dépenses de mécénat, c’est de la recette dans les assiettes du récipiendaire
qui vont venir gonfler sa propre Valeur-Ajoutée et pas autre chose.
Or,
selon un principe non-écrit, une même somme (déductible) ne peut pas être
imposée deux fois…
Plus
complexe, la suite :
Sur les produits tirés de la reprise des provisions
pour dépréciations liées à l’actualisation des créances futures :
5. Aux termes de l’article
13 du règlement du 12 décembre 2002 du comité de la réglementation comptable
relatif au traitement comptable du risque de crédit, modifié par le règlement
du 3 novembre 2005 : " L’établissement
assujetti enregistre les dépréciations correspondant, en valeur actualisée, à l’ensemble
de ses pertes prévisionnelles au titre des encours douteux ou douteux
compromis. (...) Les flux
contractuels initiaux, déduction faite des flux déjà encaissés, et les flux
prévisionnels sont actualisés au taux effectif d’origine des encours
correspondants pour les prêts à taux fixe ou au dernier taux effectif déterminé
selon les termes contractuels pour les prêts à taux variable. ". Pour
l’application de ces dispositions, lorsqu’un établissement de crédit
provisionne en valeur actualisée les dépréciations correspondant à des pertes
prévisionnelles au titre des encours douteux ou douteux compromis, il doit
également comptabiliser en valeur actualisée les éventuelles garanties qui
avaient été constituées par les contreparties. L’écoulement du temps conduit l’établissement
de crédit à procéder à des reprises sur les provisions passées.
6. Le règlement
du 16 janvier 1991 relatif à l’établissement et à la publication des comptes
des établissements de crédit prévoit que le poste 18 " coût du risque " comprend les
dotations et reprises de provision pour dépréciation des créances sur la
clientèle. Ce règlement précise toutefois que : " Par exception, sont classés aux postes [intitulés " Intérêts
et produits assimilés "] (...) du
compte de résultat les dotations et reprises sur dépréciations, (...) les intérêts recalculés au taux d’intérêt
effectif d'origine sur les créances restructurées inscrites en encours sains
(...). Sur option, les intérêts
recalculés au taux d’intérêt effectif d’origine des créances restructurées
ayant un caractère douteux et la reprise liée au passage du temps de la
dépréciation des créances douteuses et douteuses compromises, restructurées ou
non (...) ". Il suit de là que le règlement du 16 janvier 1991 permet
aux établissements de crédit d’opter pour l’inscription au compte de résultat
de la reprise, liée au passage du temps, des provisions pour dépréciation des
créances douteuses ou douteuses compromises soit au poste " intérêts et produits assimilés ", qui
entre dans la catégorie des produits d’exploitation bancaire, soit au poste 18
" coût du risque ", qui n’entre
pas dans le calcul du produit net bancaire.
7. En premier
lieu, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour a relevé, par
une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que la société
requérante avait, comme le règlement du 16 janvier 1991 lui en donnait la
faculté, enregistré les intérêts d’actualisation courant sur les flux futurs
des créances douteuses dans un compte de produits d’exploitation intitulé
" intérêts sur solvabilité
actualisée ". En déduisant de ces constatations que ces montants
devaient être inclus dans le calcul de la valeur ajoutée en application de l’article
1647 B sexies du code général des impôts, au titre des " intérêts et produits assimilés " à
comprendre dans la production bancaire, la cour n’a pas commis d’erreur de
droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
8. En second
lieu, si la cour s’est également fondée, pour écarter le moyen tiré de ce que
les produits litigieux ne devaient pas être pris en compte pour le calcul de la
valeur ajoutée, sur le motif que la société requérante n’établissait pas que
ces produits étaient la stricte contrepartie de dotations aux provisions
exclues du calcul de la valeur ajoutée, ce motif doit être regardé comme
présentant un caractère surabondant. Par suite, la société requérante ne peut
utilement soutenir que la cour aurait entaché son arrêt de contradiction de
motifs ou de dénaturation.
9. Il résulte de
ce qui a été dit aux points 5 à 8 que la société requérante n’est pas fondée à
demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il a statué sur l’inclusion
dans la valeur ajoutée des produits tirés de la reprise des provisions pour
dépréciations liées à l’actualisation des créances futures.
10. Il y a lieu,
dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État une somme
de 3.500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative.
D E C I D E :
---------------
Article 1er : L’arrêt du 2 décembre 2014 de
la cour administrative d’appel de Versailles est annulé en tant qu’il a statué
sur la prise en compte des dépenses de mécénat dans le calcul de la valeur
ajoutée au sens de l’article 1647 B sexies du code général des impôts.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure,
à la cour administrative d’appel de Versailles.
Article 3 : L’État versera à la Caisse régionale du
crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne une somme de 3.500 euros au titre
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est
rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la
Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne et au ministre
de l’action et des comptes publics.
Autrement dit, c’est un « choix » de l’entreprise
quand il s’agit de comptabiliser dans ses écritures une « provision pour
risque ».
Choix très encadré, mais avec des conséquences fiscales
différentes.
Solution « éclairée ».
Mais revenons à la question des dépenses de mécénat
dans le calcul de la valeur ajoutée en tant que charges d’exploitation qui fait
l’objet depuis plusieurs années d’un vif contentieux.
L’administration fiscale n’hésite pas en effet à
contester systématiquement dans le cadre des vérifications de comptabilité
diligentées en matière de CVAE la déduction des dépenses de mécénat de la
valeur ajoutée quand bien même celles-ci avaient été comptabilisées par les
entreprises vérifiées au compte 62 « Autres
services extérieurs », lequel est un compte de charges d’exploitation
(déductibles de la valeur ajoutée).
Le Service soutenait que lesdites dépenses de mécénat
étant dépourvues de contrepartie, elles constituaient donc des libéralités…
Selon elle, les entreprises n’apportaient pas la
démonstration probante de l’existence d’une contrepartie tangible auxdites
dépenses de mécénat d’où à son sens la requalification en libéralités. Or, les
libéralités sont toujours comptabilisées en charges exceptionnelles et de ce fait,
étant exclues du résultat courant d’exploitation, sont donc non déductibles de
la valeur ajoutée.
Dans ses conclusions du rapporteur public Yohann
Bénard précise qu’ « ainsi que l’expose
le Mémento comptable Francis Lefebvre, les dépenses de mécénat « sont
assimilables à des dons » et doivent à ce titre être comptabilisées,
conformément au plan comptable général : soit en tant que charges
d’exploitation au compte 6238 « Divers (pourboires, dons courants …), rattaché
au poste comptable 623 « Publicité, publications, relations publiques »
lui-même inclus dans le poste 62 « Autres services extérieurs » ; soit en tant
que charges exceptionnelles au compte 6713 « Dons, libéralités » rattaché au
poste 671 « Charges exceptionnelles ». »
Chez moi, ça va systématiquement en charges (cpt 62) et
on discute après, hors le « mécénat » des particuliers qui reste un
don (ils ne sont pas tenus de tenir une comptabilité, mais ont parfois des crédits d’impôt attachés).
Notez que dans les deux cas, c’est une recette qui « fabrique
de la Valeur-Ajoutée » chez le récipiendaire et que « le don ou
mécénat » est encadré par la loi fiscale qui y attache parfois des crédits
d’impôt (plafonnés, cela va de soi…), même pour les entreprises.
Notez enfin que ce n’est pas vraiment un choix : Le même rapporteur public ajoute que « l’existence de cette alternative ne signifie nullement que les entreprises qui effectuent des dons ou des dépenses de mécénat disposent d’un quelconque choix en termes de comptabilisation : soit les dépenses en cause ont un caractère récurrent et constituent donc des charges courantes ; soit, à l’inverse, elles présentent un caractère non-récurrent, et doivent alors être comptabilisées en charges exceptionnelles ».
Notez enfin que ce n’est pas vraiment un choix : Le même rapporteur public ajoute que « l’existence de cette alternative ne signifie nullement que les entreprises qui effectuent des dons ou des dépenses de mécénat disposent d’un quelconque choix en termes de comptabilisation : soit les dépenses en cause ont un caractère récurrent et constituent donc des charges courantes ; soit, à l’inverse, elles présentent un caractère non-récurrent, et doivent alors être comptabilisées en charges exceptionnelles ».
Et de conclure que d’un point de vue comptable, c’est
donc la distinction entre charge récurrente et charge non-récurrente,
c’est-à-dire entre charge courante et charge exceptionnelle, qui commande la
classification comptable à retenir.
Le Conseil d’État, réuni en assemblée plénière-fiscale,
a pleinement suivi les conclusions de son rapporteur public, jugeant que les
dépenses de mécénat doivent être comptabilisées comme des charges
d’exploitation, et donc au compte 62 « Autres services extérieurs »,
lorsqu’elles s’inscrivent dans l’activité habituelle et ordinaire de
l’entreprise.
Dès lors que lesdites dépenses ont été régulièrement
enregistrées à un compte de charges d’exploitation, c’est-à-dire en conformité
avec les règles comptables, le Conseil d’État, consacrant une nouvelle fois le
principe de la connexion entre comptabilité et fiscalité (foulant aux pieds la « théorie
de l’autonomie du droit fiscal » réservée uniquement aux imbéciles),
conclut que leur déductibilité de la valeur ajoutée ne souffre aucune
discussion.
Néanmoins, si par cette décision le Conseil d’État met
fin à l’analyse soutenue par l’administration consistant à effectuer un
retraitement fiscal des écritures comptables du contribuable, il ne peut être
exclu que cette solution de principe génère de nouvelles problématiques.
À commencer par celle de la distinction à opérer entre
dépenses courantes de mécénat et dépenses exceptionnelles de mécénat…
Comment désormais, et notamment sur la base de quels
critères matériels et factuels, les services fiscaux admettront-ils que des
dépenses de mécénat présentent un caractère récurrent et non occasionnel ?
Jugeront-ils que la notion de récurrence doit
s’apprécier au niveau de l’entreprise mécène et non de chacun des bénéficiaires
ou de chacune des dépenses de mécénat comptabilisées comme il est de coutume ?
Admettront-ils que la qualification récurrente résulte
d’une analyse d’ensemble des actions de mécénat engagées chaque année ou au
titre de chaque exercice par l’entreprise quels qu’en aient été les
bénéficiaires, le montant et le volume, à l’exclusion de toute analyse propre à
chaque dépense ?
Il est à espérer que le Service développe au cas des
dépenses de mécénat, les mêmes raisonnements que ceux qu’elle oppose
actuellement pour la prise en compte ou non dans le chiffre d’affaires et la
valeur ajoutée des plus et moins-values de cessions d’immobilisations
corporelles et incorporelles.
Rappelons en effet que les plus-values de cessions
d’immobilisations impactent le chiffre d’affaires et la valeur ajoutée
lorsqu’elles présentent un caractère normal et courant au regard de l’activité
exercée par l’entreprise redevable, c’est-à-dire lorsqu’elles font partie « du cycle de production de l’entreprise »
comme l’indique elle-même l’administration fiscale dans sa doctrine opposable
au contribuable. Toutefois, il est également fait état dans cette doctrine du
fait que le caractère normal et courant d’une cession résulte de l’appréciation
de chaque situation de fait.
Et au regard de ces commentaires, il est donc plus que
probable que la question du caractère courant ou exceptionnel des dépenses de
mécénat donnera lieu à une analyse individuelle propre à chaque entreprise
vérifiée.
Par ailleurs et puisqu’il est à espérer que cette
solution de principe sur les dépenses de mécénat incite de nouvelles
entreprises à engager, sur un rythme récurrent, des actions de mécénat, la
question se pose de savoir à partir de quelle imposition à la CVAE et donc de
quel exercice comptable les services fiscaux admettront-ils l’effectivité du
caractère récurrent et donc la déductibilité de la dépense ?
Sera-t-il ainsi possible d’exclure de la valeur
ajoutée dès le premier exercice de leur comptabilisation lesdites dépenses de
mécénat ?
Probablement, mais c’est à confirmer.
À ce titre et dès lors que la comptabilisation des
dépenses de mécénat en résultat courant est déterminante, il est primordial,
comme de nombreux auteurs s’accordent déjà à le dire, que les entreprises se
constituent une documentation circonstanciée démontrant leur engagement
récurrent et non seulement occasionnel en matière de mécénat.
Mais quid des entreprises qui y succombent « occasionnellement » ?
Au nombre des éléments de cette documentation, on
recommande généralement d’y faire figurer un état récapitulatif par année ou
par exercice social si celui-ci ne coïncide pas avec l’année civile (comme aux
USA où le mécénat reste beaucoup plus développé : J’ai eu ainsi à recevoir
un « don » d’Eurodisney à une époque éloignée), recensant l’ensemble
des actions de mécénat menées par l’entreprise depuis sa première dépense,
lequel état mentionnerait également l’identité des bénéficiaires, le montant
des dépenses, les motifs qui ont présidé au choix de ce bénéficiaire
(visibilité de l’entreprise au regard du bénéficiaire concerné, défense de
l’image de marque, association de l’entreprise à une action de communication
etc.). Figureraient encore les décisions internes relatives à la politique de
communication de l’entreprise ainsi que les divers écrits d’engagement envers
des bénéficiaires identifiés, les diverses correspondances échangées, les
diverses recherches effectuées sur les objectifs et les cibles envisagés, etc.
Comme quoi, la matière va nous réserver quelques
surprises et précisions dans les prochaines années, jusqu’à ce que la loi ou la
doctrine administrative fixe les choses une bonne fois pour toute au lieu de
laisser faire le juge, qui pour une fois (et la décision rapportée) s’est
montré pour le moins « très fin ».
On peut apprécier… l’obstination du Service
qui pousse les juges à dire le droit et ceux-là qui le font avec acuité !
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