Les emprunts familiaux
Il arrive qu’on se prête de l’argent en famille :
C’est même ce qui a fait la fortune de la famille « Mule-liée »
(groupe « Au-champ »). D’un côté, une usine à cash disponible à la recherche de « placements
reproductifs » (les hypermarchés) de l’autre des projets multiples des « gamins »
et cousins de la génération suivante en recherche de financements. Et c’est le
conseil de famille qui décide, mais chacun à sa chance pour des projets bien
ficelés.
« Fiscaliste-né », je préconise systématiquement de joindre à la déclaration d’IR de l’année suivante le formulaire n° 2062 pour éviter la surprise, en cas de contrôle (et ils contrôlent tout dans votre dos avec leur « fiches de recoupement »), de se voir réintégrer la « recette » que cela représente pour l’emprunteur dans la base imposable.
« Fiscaliste-né », je préconise systématiquement de joindre à la déclaration d’IR de l’année suivante le formulaire n° 2062 pour éviter la surprise, en cas de contrôle (et ils contrôlent tout dans votre dos avec leur « fiches de recoupement »), de se voir réintégrer la « recette » que cela représente pour l’emprunteur dans la base imposable.
Pour le prêteur, c’est neutre : Il se dessaisit d’une
somme d’argent, mais garde une créance dans son patrimoine et ce n’est pas
déductible de son « IR » (voire de son « IS »), tout juste
pourra-t-on en dire que le taux d’intérêt stipulé, s’il est faible ou nul,
serait une donation déguisée. Mais comme personne n’est jamais obligé de
maximiser ses gains aux yeux du fisc, ça ne va pas chercher midi à 14 heures (heure
d’été).
Toutefois, la loi se veut « pas neutre » en
matière d’ISF et de succession. Même si c’est nettement plus compliqué
en matière de financement de biens immobiliers pour l’IFI. Mais les solutions
restent légalement transposables.
En effet, il résulte de la combinaison des articles
773, 2° et 885 D du CGI que, pour le calcul de l’ISF, les dettes consenties par
le redevable au profit de ses héritiers sont réputées fictives. La preuve
contraire n’est admise que si ces dettes résultent d’un acte antérieur au 1er
janvier de l’année d’imposition (règle de l’annualité de l’impôt et de ses
assiettes).
Par conséquent, il existe donc une différence de
traitement entre les redevables selon que l’emprunt est souscrit auprès d’un
proche ou auprès d’un tiers, les conditions de déduction de la dette étant plus
strictes dans le premier cas.
Évidemment, mes « petits-collègues »
juristes n’ont pas manqué de s’interroger ouvertement sur la conformité de
l’article 773, 2° du CGI (Cass. com. QPC 21-9-2017 n° 17-40.049).
Décision n° 2017-676 QPC du 1er décembre
2017
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 21 septembre
2017 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 1330 du même
jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une
question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme
Élise D. par Maîtres Pierre Le Roux et André Loup, avocats au barreau des
Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil
constitutionnel sous le n° 2017-676 QPC. Elle est relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 773 du code
général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- la loi du 25 février 1901 portant fixation du budget
général des dépenses et des recettes de l’exercice 1901 ;
- le décret n° 81-866 du 15 septembre 1981 portant
incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et
complétant certaines dispositions de ce code, à compter du 1er juillet
1981 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure
suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de
constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la requérante par
la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation,
enregistrées les 13 et 30 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre,
enregistrées le 13 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jacques Molinié, avocat au
Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la requérante, et M. Philippe
Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 22 novembre
2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT
:
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit
être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion
duquel elle a été posée. La présente question a été soulevée à l’occasion d’un
litige relatif à l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre des années
2008 à 2011. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l’article 773 du
code général des impôts dans sa rédaction résultant du décret du 15 septembre
1981 mentionné ci-dessus.
2. L’article 773 du code général des impôts, dans
cette rédaction, prévoit, en ce qui concerne la déductibilité des dettes du
défunt pour l’établissement des droits de mutation par décès :
« Toutefois ne
sont pas déductibles :
« 1°
Les dettes échues depuis plus de trois mois avant l'ouverture de la succession,
à moins qu'il ne soit produit une attestation du créancier en certifiant l’existence
à cette époque, dans la forme et suivant les règles déterminées à l'article L.
20 du livre des procédures fiscales ;
« 2°
Les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de personnes
interposées. Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans
les articles 911, dernier alinéa, et 1100 du code civil.
«
Néanmoins, lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un
acte sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession
autrement que par le décès d’une des parties contractantes, les héritiers,
donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de
prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l’ouverture de
la succession ;
« 3°
Les dettes reconnues par testament ;
« 4°
Les dettes hypothécaires garanties par une inscription périmée depuis plus de
trois mois, à moins qu’il ne s’agisse d’une dette non échue et que l’existence
n’en soit attestée par le créancier dans les formes prévues à l'article L. 20
du livre des procédures fiscales ; si l’inscription n’est pas périmée, mais si
le chiffre en a été réduit, l’excédent est seul déduit, s’il y a lieu ;
« 5°
Les dettes en capital et intérêts pour lesquelles le délai de prescription est
accompli, à moins qu’il ne soit justifié que la prescription a été interrompue ».
3. Selon la requérante, les dispositions du 2° de cet
article, rendues applicables à l’impôt de solidarité sur la fortune par l’article
885 D du code général des impôts, institueraient une différence de traitement
injustifiée entre les redevables de cet impôt. En effet, selon que le redevable
a contracté une dette auprès d’un membre de sa famille ou auprès d’un tiers,
cette dette n’est pas déductible de son patrimoine dans les mêmes conditions.
Cette différence de traitement, qui n’est pas en lien avec l’objectif poursuivi
par la loi, serait contraire au principe d’égalité devant la loi. Par ailleurs,
cette différence ne serait pas non plus fondée sur des critères objectifs et
rationnels et ferait peser sur une catégorie de contribuables une charge
excessive au regard de leurs facultés contributives. Il en résulterait une
méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques. Enfin, ces
dispositions ne permettraient au redevable de l’impôt de solidarité sur la
fortune de prouver l’existence et la sincérité de la dette contractée auprès d’un
membre de sa famille qu’à la condition qu’elle ait été consentie par un acte
authentique ou un acte sous seing privé ayant date certaine avant le fait
générateur de l’impôt. En faisant ainsi peser sur certains contribuables une
charge excessive, ces dispositions méconnaîtraient l’article 17 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
4. Par conséquent, la question prioritaire de
constitutionnalité porte sur le 2° de l'article 773 du code général des impôts.
5. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi
« doit être la même pour tous, soit qu’elle
protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à
ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni
à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que,
dans l’un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
6. Selon l’article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et
pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable
: elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs
facultés ». En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au
législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et
compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles
doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour
assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur
des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose.
Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité
devant les charges publiques.
7. Par exception au principe, fixé à l’article 768 du
code général des impôts, suivant lequel les dettes du défunt au jour de l’ouverture
de la succession sont déductibles de l’actif successoral pour l’établissement
des droits de mutation à titre gratuit, le premier alinéa du 2° de l’article
773 exclut la déduction des dettes contractées par le défunt à l’égard de ses
héritiers ou de personnes interposées. Sont notamment réputées personnes
interposées, en application du dernier alinéa de l’article 911 du code civil,
les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne
incapable. Le second alinéa de ce 2° prévoit un tempérament à cette exclusion,
en permettant aux héritiers et aux personnes interposées de prouver la
sincérité et l’existence de la dette à condition que celle-ci ait fait l’objet
d'un acte authentique ou d’un acte sous seing privé ayant date certaine avant l’ouverture
de la succession.
8. En premier lieu, s’il existe une différence de
traitement entre les redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune selon
la personne auprès de laquelle ils ont souscrit ou non une dette, cette
différence ne résulte pas du 2° de l'article 773 du code général des impôts,
relatif aux droits de mutation à titre gratuit pour cause de décès, mais de l’article
885 D du même code, selon lequel l’impôt de solidarité sur la fortune est assis
selon les mêmes règles que ces droits de mutation. Dès lors, il n’y a pas lieu
pour le Conseil constitutionnel d’examiner l'argument tiré de cette différence
de traitement, ni les autres arguments portant sur l’impôt de solidarité sur la
fortune développés par la requérante à l’appui de ses griefs dirigés contre le
2° de l'article 773.
9. En second lieu, le législateur a subordonné la déduction
des dettes du défunt à l’égard de ses héritiers ou à l’égard de personnes
interposées à l’établissement de ces dettes par acte authentique ou par un acte
sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession. Il a
ainsi institué, pour l’établissement des droits de mutation à titre gratuit
pour cause de décès, une différence de traitement entre les successions selon
que les dettes du défunt ont été contractées, d’une part, à l’égard de ses
héritiers ou de personnes interposées ou, d’autre part, à l’égard de tiers.
10. En adoptant les dispositions contestées, le
législateur a entendu permettre le contrôle de la sincérité de ces dettes et
ainsi réduire les risques de minoration de l’impôt qu'il a jugés plus élevés
dans le premier cas compte tenu des liens entre une personne et ses héritiers. Le
législateur a donc poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte
contre la fraude et l’évasion fiscales.
11. Par conséquent, la différence de traitement opérée
par les dispositions contestées repose sur des critères objectifs et rationnels
en rapport direct avec l’objet de la loi. Dès lors, les griefs tirés de la
méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 doivent être
écartés.
12. Le 2° de l'article 773 du code général des impôts,
qui ne méconnaît ni le droit de propriété, ni aucun autre droit ou liberté que
la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le 2° de l’article 773 du
code général des impôts, dans sa rédaction résultant du décret n° 81-866 du 15
septembre 1981 portant incorporation au code général des impôts de divers
textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code, à compter du
1er juillet 1981, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal
officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article
23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du
30 novembre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY
MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes
Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Une décision remarquablement fondée : D’une part
le Conseil constitutionnel refuse d’examiner l’argument tiré de cette
différence de traitement entre redevables de l’ISF, dès lors que cette
différence résulte non des dispositions en cause (qui visent les droits de
succession) mais de l’article 885 D du CGI (relatif à l’assiette de l’ISF) dont
la conformité n’était pas ici en question.
Quant à la différence de traitement opérée par les
dispositions contestées pour le calcul des droits de succession, d’autre part, le
Conseil constitutionnel considère qu’elle est justifiée par l’objectif de lutte
contre la fraude et l’évasion fiscales. L’article 773, 2 ° du CGI est donc jugé
conforme à la Constitution.
De vous à moi, il paraît difficile d’en être
autrement. Enfin quoi, on demande juste au contribuable décédé de donner « date
certaine » à sa dette. Soit il fait enregistrer son emprunt auprès de l’administration
qui sera ravie d’encaisser le droit d’enregistrement – les banquiers-prêteurs
le font bien de leur côté – soit de tester, soit de joindre à sa déclaration d’IR
le formulaire 2062, pas compliqué tout de même.
D’autant que de toute façon, l’héritier prêteur voit
sa créance s’éteindre – par décès du de
cujus – mais va récupérer (peut-être) son prêt dans la succession
(extinction par voie de compensation).
La prochaine fois, s’il avait lui aussi enregistré ou
déclaré le prêt, il n’aurait pas à payer les droits de succession et l’emprunteur
l’ISF de son vivant sur ces sommes.
Quand même simple, non, quand on ne cherche pas à « frauduler »
l’ensemble des autres citoyens ?
Ceci dit, bonne continuation à toutes et tous !
Et prenez vos précautions.
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