Une de mes « petites-niches » confirmée !
Les « fictions juridiques », j’adore.
Surtout quand le fisc s’en mêle.
Prenez un principe simple : Une personne physique
n’a qu’un seul patrimoine (une seule identité, un seul domicile)… hors
exception que sont notamment les « patrimoines d’affectation » dont
il se dessaisit, notamment au bénéfice d’une « personne-morale » ad hoc : Sociétés, fondations
(impôts et taxes), etc.
Ce n’est plus à lui et parfois on accepte qu’il en
retire les fruits…
Dans les personnes-morales (de pures fiction), il y en
a des quantités phénoménales de type divers, dont le traitement fiscal
peut-être scindé caricaturalement en deux types : Celles qui payent l’impôt
sur leurs résultats et celle qui ne le paye pas. Ce sont les membres « ayant-droit »
qui le paye, que les résultats soient restitués ou non d’ailleurs.
C’est notamment le cas dans les sociétés « fiscalement
translucides », sociétés civiles, immobilières ou non.
Les résultats des sociétés de personnes sont imposés
ou déduits au niveau de leurs associés (on parle de sociétés « translucides
fiscalement »).
Que le Conseil d’État a, à plusieurs reprises redit le
principe de l’article 8 du CGI, notamment en matière de réalisation de
plus-values par la société (CE, 16 février 2000, SA Ets Quemener et CE, 9 mars
2005, Baradé, par exemple).
Et vient de confirmer la solution.
Conseil d’État, requête n° 389990
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
3ème – 8ème chambres réunies
Mme Anne Egerszegi, rapporteur ; M. Vincent
Daumas, rapporteur public ; SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats.
Lecture du mercredi 8 novembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B… A…a demandé au tribunal administratif de
Strasbourg la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et
de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l’année
2004 en tant qu’elles proviennent de l’imposition de la plus-value résultant de
la dissolution de la SCI Joluger, ainsi que des pénalités correspondantes. Par
un jugement n° 0701715 du 17 juin 2000, le tribunal administratif de Strasbourg,
après avoir décidé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de
la demande à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d’instance, a rejeté le
surplus des conclusions de M.A…
Par un arrêt n° 10NC01337 du 8 décembre 2011, la cour
administrative d’appel de Nancy, faisant droit à l’appel de M.A…, a annulé ce
jugement et déchargé le contribuable des suppléments d’impôt en litige.
Par une décision n° 356551 du 30 décembre 2013, le
Conseil d’État, statuant au contentieux, a fait droit au pourvoi présenté par
le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, annulé l’arrêt
de la cour administrative d’appel de Nancy du 8 décembre 2011 et renvoyé l’affaire
devant cette cour.
Par un second arrêt n° 14NC00122 du 5 mars 2015, la
cour administrative d’appel de Nancy n’a que partiellement fait droit à l’appel
de M. A… contre le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 juin
2000 et a seulement ordonné la réduction des suppléments d’impôt restant en
litige.
Procédure devant le Conseil d’État
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et
un mémoire en réplique, enregistrés les 5 mai et 3 août 2015 et le 23 mars 2017
au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, M. A… demande au Conseil d’État
:
1°) d’annuler l'arrêt du 5 mars 2015 en tant qu’il lui
est défavorable ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire entièrement
droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 4.000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre des procédures
fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Egerszegi, maître des
requêtes,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur
public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les
conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. A… ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges
du fond que la SCI Joluger dont M. A… détenait la moitié des parts sociales, a
cédé le 30 décembre 2003 la moitié des biens immobiliers qu’elle détenait et
réalisé à cette occasion une plus-value qui, compte tenu de la durée de
détention des biens cédés, n’a pas donné lieu à imposition conformément à
l'article 150 M alors en vigueur du code général des impôts. La SCI a fait l’objet
d'une dissolution le 8 janvier 2004 et d’une liquidation-partage le lendemain. À
l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a estimé que M. A… avait
cédé ses parts en contrepartie de biens sociaux et réalisé ainsi une plus-value
égale à la différence entre la valeur des biens qui lui ont été attribués suite
à la dissolution de la société et le prix d’acquisition de ses parts, qu’elle a
imposée sur le fondement de l'article 150 UB du code général des impôts.
2. M. A… demande l’annulation de l’arrêt du 5 mars 2015
de la cour administrative d’appel de Nancy, statuant sur renvoi à la suite de
la décision du Conseil d’État statuant au contentieux n°356551 du 30 décembre
2013, en tant qu’il n’a que partiellement fait droit à son appel contre le
jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 juin 2000 et a seulement
ordonné la réduction des suppléments d’impôt sur le revenu et des contributions
sociales auxquels il a été assujetti au titre de l’année 2004 à la suite du
redressement exposé au 1.
3. Aux termes de l’article 150 UB du code général des
impôts, dans sa rédaction applicable à l’année 2004 : " I. - Les gains
nets retirés de cessions à titre onéreux de droits sociaux de sociétés ou
groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter, dont l’actif est
principalement constitué d’immeubles ou de droits portant sur ces biens, sont
soumis exclusivement au régime d’imposition prévu au I et au 1° du II de l’article
150 U. Pour l’application de cette disposition, ne sont pas pris en
considération les immeubles affectés par la société à sa propre exploitation
industrielle, commerciale, agricole ou à l’exercice d’une profession non commerciale
(…) ". Aux termes de l’article 150 V du même code, dans sa rédaction alors
applicable : " La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de
biens ou droits mentionnés aux articles 150 U à 150 UB est égale à la différence
entre le prix de cession et le prix d'acquisition par le cédant ". Aux
termes de l'article 150 VA du même code : " I. - Le prix de cession à retenir
est le prix réel tel qu’il est stipulé dans l’acte. (…) ". Aux termes de l’article
150 VB de ce code : " I. - Le prix d’acquisition est le prix effectivement
acquitté par le cédant, tel qu’il a été stipulé dans l’acte (…) ". Enfin,
l’article 150 M du même code prévoyait : " Les plus-values immobilières
réalisées plus de deux ans après l’acquisition du bien sont réduites de 5 %
pour chaque année de détention au-delà de la deuxième. "
4. Dans le cas où un associé cède les parts qu’il
détient dans une société ou un groupement relevant ou ayant relevé de l’un des
régimes prévus aux articles 8, 8 ter, 239 quater B ou 239 quater C du code
général des impôts, le résultat de cette opération doit être calculé, pour
assurer la neutralité de l’application de la loi fiscale compte tenu du régime
spécifique de ces sociétés, en retenant, comme prix d’acquisition de ces parts,
leur valeur d’acquisition majorée, d’une part, de la quote-part des bénéfices
de cette société ou de ce groupement revenant à l’associé qui a été ajoutée aux
revenus imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période
d’application de ce régime et, d’autre part, des pertes afférentes à des
entreprises exploitées par la société ou le groupement en France et ayant donné
lieu de la part de l’associé à un versement en vue de les combler. Le prix d’acquisition
des parts doit également être majoré de la quote-part des bénéfices de la
société ou du groupement revenant à l’associé, qui n’ont pas fait l’objet d’une
imposition effective en application d’une disposition par laquelle le
législateur a entendu accorder un avantage fiscal définitif. Ce prix d’acquisition
doit être par ailleurs minoré, d’une part, des déficits que l’associé a déduits
pendant cette même période, à l’exclusion de ceux qui trouvent leur origine
dans une disposition par laquelle le législateur a entendu octroyer un avantage
fiscal définitif, et, d’autre part, des bénéfices afférents à des entreprises
exploitées en France par la société ou le groupement et ayant donné lieu à répartition
au profit de l’associé.
5. Pour le calcul de la plus-value réalisée par M. A…
lors de l’annulation de ses parts sociales, consécutive à la
liquidation-partage de la SCI Joluger, la cour a jugé que le prix d’acquisition
des parts sociales qu’il détenait ne pouvait être majoré ni de la quote-part
lui revenant de la plus-value immobilière réalisée par la société à l’occasion
de la cession de la moitié des biens immobiliers qu’elle détenait, intervenue
le 30 décembre 2003, ni de celle réalisée par la même société à l’occasion de
sa dissolution, au motif que ces plus-values n’ayant pas, compte tenu de la
durée de détention des biens par la société, donné lieu à une imposition
effective entre les mains du contribuable, il n’y avait pas lieu de procéder à
la correction demandée.
6. Toutefois, la non-imposition des plus-values
réalisées par la société à raison de l’application de l'abattement pour durée
de détention prévu par l’article 150 M du code général des impôts constituait
un avantage fiscal définitif accordé par le législateur qui ne pouvait être
repris à l’occasion de la répartition, entre les associés, de l’actif social de
la société dissoute. Il y avait donc lieu, pour déterminer le montant imposable
des gains nets retirés à la suite de la dissolution de la société, de majorer
la valeur d’acquisition des parts sociales de la quote-part revenant à l’associé
des plus-values non imposables réalisées par la société.
7. Par suite, en refusant de majorer le prix d’acquisition
des parts sociales par M. A… de la quote-part lui revenant des plus-values
immobilières non imposables réalisées par la SCI Joluger en 2003 et 2004, la
cour a commis une erreur de droit. M. A… est donc fondé, sans qu’il soit besoin
d’examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’article 5
de l’arrêt qu’il attaque.
8. Aux termes du second alinéa de l’article L. 821-2
du code de justice administrative : " Lorsque l’affaire fait l’objet d’un
second pourvoi en cassation, le Conseil d’État statue définitivement sur cette
affaire ". Le Conseil d’État étant saisi, en l’espèce, d’un second pourvoi
en cassation, il lui incombe de régler l’affaire au fond.
9. La dissolution de la SCI Joluger a eu pour effet de
transférer son actif dans le patrimoine de ses associés, dont M.A…, en
contrepartie de l’annulation des parts sociales. Cette annulation constitue une
cession de droits sociaux au sens des dispositions précitées de l’article 150
UB du code général des impôts. Par suite, la plus-value réalisée par M. A... à
la suite de la liquidation-partage de la société et égale à la différence entre
la valeur des biens sociaux qui lui ont été attribués lors de la dissolution de
la société et le prix d’acquisition de ses parts sociales était imposable entre
les mains de celui-ci sur le fondement de ces dispositions.
10. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit
ci-dessus que pour le calcul de la plus-value réalisée par M. A… à la suite de
la dissolution, le prix d’acquisition de ses parts dans la SCI Joluger, d’un
montant de 114.960 euros, devait être majoré des quotes-parts lui revenant, d’une
part, de la plus-value immobilière non imposable réalisée par cette SCI à l’occasion
de la cession de la moitié des biens immobiliers qu’elle détenait, intervenue
le 30 décembre 2003, d’un montant non contesté de 116.502,66 euros, et d’autre
part de celle, d’un même montant, réalisée par cette même société à l’occasion
de la sortie de son actif, consécutivement à sa dissolution, de l’autre moitié
de ces mêmes biens immobiliers, soit un prix d’acquisition majoré s’élevant au
total à 347.965,32 euros.
11. En second lieu, pour le calcul du montant
rétrocédé à M. A… à l’issue de l’opération de répartition de l’actif social, l’administration
a tenu compte non seulement du produit en numéraire de la vente immobilière, à
charge pour le requérant d’acquitter la moitié du solde d’un prêt consenti à la
société, mais également d’une somme de 140.837 euros correspondant à une soulte
due par son associé dans le cadre du partage. Il ressort, toutefois, de l’acte
de liquidation-partage du 9 janvier 2004, dont M. A… a produit une version
intégrale en appel, que cette soulte a fait l’objet, dans le cadre du partage,
d’une compensation avec celle, d’un même montant, dont M. A… était lui-même
débiteur à l’égard de son associé dans le cadre de ce même partage. Par suite,
le prix de cession des parts sociales retenu par l’administration pour le
calcul de la plus-value doit être ramené de 422.512 euros à 281.675 euros.
12. La valeur d’acquisition des parts sociales par M.
A… étant supérieure à la valeur qui lui a été attribuée à l’occasion de la
dissolution de la SCI Joluger, la liquidation de cette société n’a pas donné
lieu à la détermination de gains imposables au nom du contribuable.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A… est fondé à
soutenir que c’est à tort que, par l’article 2 du jugement attaqué, le tribunal
administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des
suppléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales restant en litige
auxquels il a été assigné au titre de l’année 2004.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce,
de mettre à la charge de l’État la somme de 4.500 euros à verser à M.A…, pour
la procédure suivie devant le Conseil d’État et le tribunal administratif, au
titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L’article 5 de l’arrêt du 5
mars 2015 de la cour administrative d’appel de Nancy et l’article 2 du jugement
du 17 juin 2010 du tribunal administratif de Strasbourg sont annulés.
Article 2 : M. A… est déchargé de la totalité des
cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales
en litige auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2004.
Article 3 : L’État versera à M. A… la somme de 4.500
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A…
et au ministre de l’action et des comptes publics.
Rappelons ainsi que lors d’une cession des parts de la
société « translucide », l’application de la loi par le Service se
retrouvait à prendre en compte une seconde fois, dans le calcul de la plus ou
moins-value, des bénéfices ou des déficits sociaux déjà taxés ou déduits au
niveau du contribuable au cours des opérations précédentes.
Pour remédier à cette situation, il a été prévu des
modalités particulières de calcul des plus ou moins-values de cession des
parts, reposant sur un mécanisme de correction de leur prix de revient.
La question dernièrement posée était de savoir si ce
mécanisme de correction devait jouer dans l’hypothèse où la société (une SCI)
avait réalisé, quelques jours avant sa liquidation-partage, une plus-value sur
la cession d’un immeuble, exonérée par le jeu de l’abattement pour durée de
détention.
L’administration soutenait que la plus-value
d’annulation des parts devait être calculée sans correction particulière, par
différence entre la valeur des biens attribués aux associés et le prix
d’acquisition des parts.
Le Conseil d’État confirme là que le mécanisme de
correction doit être appliqué, évitant ainsi que la plus-value immobilière
exonérée au niveau de la SCI ne soit imposée indirectement au niveau des
associés.
Dès lors, la neutralité fiscale de la cession des
titres de sociétés de personnes est garantie même lorsque la société concernée
a réalisé des plus-values exonérées.
Le panard ! C’est la confirmation indirecte de la
validité juridique de mes « doubles-ventes/doubles-exonérations ».
Exonération pour durée de détention des actifs (immobiliers)
d’une société translucide et exonération, pour durée de détention des parts d’une
société translucide (immobilière), notamment quand il reste d’autres actifs (c’est
là l’intérêt quand on trouve un « preneur »).
Logique puisqu’il s’agit toujours de la même chose.
Sauf que « ça marche aussi » quand la vente
de l’actif sert à financer l’achat d’un nouvel actif immobilier tout neuf (qu’il
va falloir attendre 30 ans pour faire une plus-value exonérée) alors qu’on vend
ses parts (détenues depuis plus de 30 ans) quasiment dans la foulée à un repreneur
« accroc ».
On peut même aller plus loin avec les « ventes-à-soi-même » :
J’ai un actif exonéré que je vends à ma société « translucide » (à un
prix à dire d’expert et en payant les droits de mutation et autres actes de
notaires), pour faire rouler une seconde échéance trentenaire exonératoire.
C’est d’ailleurs l’occasion de faire financer le « dédoublement »
de patrimoine (parce qu’un immeuble, ça vaut toujours plus cher après qu’avant
s’il est correctement entretenu) par un banquier qui sera ravi de participer à
l’opération qui va permettre d’en rajouter une nouvelle tranche.
C’est aussi l’occasion de faire entrer « les
gamins » dans la SC, quitte à démembrer les parts sociales elles-mêmes,
leur réservant la nue-propriété quand la société nouvelle créée ne vaut pas
tripette puisqu’elle n’a encore rien dans son patrimoine…
Ce sera l’occasion de faire une succession « hors-droits »,
plus tard.
Attention, s’il s’agit de protéger le conjoint de l’appétit
d’ogre du fisc, on préférera faire des démembrements-croisés avec lui :
Moitié des parts en usufruit, moitié au conjoint en nue-propriété et
réciproquement sur l’autre moitié du capital social.
Toutes choses qui sont impossibles de faire avec une
détention directe d’immeuble…
Bonne fin de journée à toutes et tous !
I3
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