Ah les Corsi…
Si vous ne les aviez pas, il faudrait vous les
inventer ! Une affaire toute récente vient de vous le rappeler, car traitée
par la Cour de Cassation alors qu’elle nous vient directement de Calacuccia
après être passée par le Cours d’appel de Bastia.
Calacuccia, vous ne connaissez pas nécessairement :
Une large vallée au pied du Monte-Cinto (le plus haut sommet de l’île, que je
voyais depuis mon village, enfin celui de mes ancêtres…, pour un versant et
depuis la fenêtre de ma salle-à-manger calvaise pour l’autre versant).
Je vous te le jure, les levers de soleil d’un côté,
les couchers de l’autre, sur les « neiges-éternelles » disparues
depuis quelques années, c’est à couper le souffle.
On y accède soit par la côte occidentale, via le col
de Vergio, ses pins arasés, torturés par les rafales et la route d’Évisa/Porto
(elle-même une splendeur, quelle que soit l’heure et la saison) et ses légendes
démoniaques, ou par la « Scala-de-la-Santa-Regina » et Francardo qui
débouche sur le barrage d’EDF et sa retenue d’eau, une route toute en rocailles
elle-même à couper le souffle (avec d’autres légendes toutes autant
terrifiantes). Tous les charmes de la « Corsica-Bella-Tchi-Tchi » de
l’intérieur, sa végétation et ses reliefs qui forment les caractères les mieux trempés.
Voilà donc l’histoire de ces deux voisins qui se crêpent
le chignon à propos d’une ouverture dans le mur d’une de leur maison.
Juste un petit balconnet pour y poser quelques fleurs
et quelques bouts de carreaux vitrés qui donnent un peu de lumière pour l’un,
une nuisance insupportable pour l’autre qui ne peut plus baiser sa Germaine
sans être sournoisement épié…
Hein, ousce-queue-ça-va-se-nicher-là-dites-donc ?
C’est que le Code Napoléon précise en son article 678
(créé par Loi N° 1804-01-31 promulguée le 10 février 1804, modifié par Loi n° 67-1253
du 30 décembre 1967 - art. 35 JORF 3 janvier 1968 rectificatif JORF 12 janvier
1968) et toujours en vigueur que : « On ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d’aspect, ni balcons ou autres
semblables saillies sur l’héritage clos ou non clos de son voisin, s’il n'y a
dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit
héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue
ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de
passage faisant obstacle à l’édification de constructions. »
19 centimètres, ce n’est même pas la moitié la
longueur de ma godasse…
Je ne vous raconte même pas l’épaisseur du « droit
de passage ».
Tout ça pour devoir se tordre le cou si on veut mater
la chambre à coucher ou la douche du voisin. C’est probablement la raison
originelle.
Ceci dit, la Cour d’appel de Bastia avait condamné le
propriétaire incriminé à supprimer les ouvertures de sa maison donnant sur la
propriété de son voisin, car ne respectant pas les distances prévues par le
code civil, alors même qu’une bande de terrain ne leur appartenant pas séparait
leurs biens.
Paf, l’arrêt est cassé !
Pour la Cour de cassation, les distances prescrites
par le code civil ne s’appliquent que lorsque les propriétés sont contiguës
(hors l’exception de l’hypothèse du « droit de passage »), ce qui n’était
manifestement pas le cas dans cette affaire puisqu’il y avait bien une bande de
terrain de 19 cm entre les deux bâtiments.
Et pour se faire, de préciser qu’il importe peu qu’il
y ait ou non un usage commun de la bande de terrain.
« Arrêt n° 1301 du 23 novembre 2017 (15-26.240 ;
15-26.761) – Cour de cassation – Troisième chambre civile.
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
Demandeur : Commune de Calacuccia, agissant en la
personne de son maire en exercice ;
Défendeurs : M. M… X… ; et autres.
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bastia, 17 juin 2015),
rendu sur renvoi après cassation (3ème Civ., 3 octobre 2012, pourvoi
n° 11-13.152), que les consorts Y… sont propriétaires d’une parcelle, voisine
de celle de M. et Mme X…, dont la propriété leur a été reconnue par un jugement
du 11 janvier 2005 auquel la commune de Calacuccia était intervenue
volontairement ; que, soutenant que M. et Mme X… avaient construit leur balcon
et ouvert des vues sur leur parcelle, les consorts Y… les ont assignés en
démolition et remise en état ; que, sur tierce opposition de M. et Mme X… au
jugement du 11 janvier 2005, les consorts Y… et la commune de Calacuccia ont
été jugés non propriétaires d’une bande de terrain située en bordure du fonds
de M. et Mme X… auxquels il a été enjoint de supprimer les vues ouvrant sur le
fonds Y… ;
Sur le moyen unique du pourvoi de la commune de
Calacuccia :
Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une
décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de
nature à entraîner la cassation ; »
Hein le maire, dégage, c’est pas ton problème, tu pollues
avec tes odeurs de caprins…
« Mais sur le moyen relevé d’office, après avis donné
aux parties en application de l’article 1015 du code de procédure civile :
Vu l’article 678 du code civil ;
Attendu que les distances prescrites par ce texte ne
s’appliquent que lorsque les fonds sont contigus ;
Attendu que, pour condamner M. et Mme X… à supprimer
les vues ouvertes sur le fonds Y…, l’arrêt retient que ni les consorts Y… ni M.
et Mme X ne sont propriétaires de la bande de terrain séparant leurs héritages
;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ces
motifs que les fonds Y… et X… n’étaient pas contigus, de sorte que peu
importait l’usage commun de la bande de terrain, la cour d’appel a violé le
texte susvisé ;
Attendu que la cassation sur le moyen relevé d’office
entraîne la cassation par voie de conséquence de la disposition rejetant la
demande de dommages-intérêts formée par M. et Mme X… ;
Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après
avis donné aux parties en application de l’article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il rejette la demande
de dommages-intérêts formée par les consorts Y…, l’arrêt rendu le 17 juin 2015,
entre les parties, par la cour d’appel de Bastia ;
Président : M. Chauvin
Rapporteur : M. Echappé
Avocat général : M. Salvat, premier avocat général
Avocats : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret - SCP
Spinosi et Sureau - SCP Waquet, Farge et Hazan »
Autrement dit, l’affaire des 19 cm ne vaut bien que
quand les deux bâtiments sont contigus, à « touche-touche », pas
quand je peux y placer la moitié de ma savate.
Et comme la réciproque est vraie, les « balconnets »
(non pas de la dame) et autres « ouvertures » (toujours pas celles de
la dame) doivent être espacés de 2 fois 19 cm (38 cm pour être franc).
Les juristes « Bac +++++ » qui font
cassation dans le civil, à mon sens, ils devraient venir voir du côté de
Calacuccia, ou même au village (celui de mes ancêtres…). Parce que plus jeune,
j’ai souvent vu ma « Môman-à-moi-même » aller récupérer son chat chez
les voisins en passant par les balcons… tellement ils étaient proches.
Elle l’a aussi fait sur son boulevard parigot depuis
son 7ème étage donnant sur le dôme qui protège le septuple cercueil
de « mon cousin » (celui qui a réussi et dort entouré de ses
maréchaux) : Impressionnante d’inconscience.
Pensez, on aurait pu m’accuser de l’avoir poussée pour
hériter plus vite, si elle avait fait un faux-pas ! L’angoisse.
Depuis, son chat, il a un collier et une laisse…
Ce à quoi, les juges de Cassation m’aurait
probablement répondu, et à juste titre, que les fonds parcourus inconsciemment
par ma « Môman-à-moi-même » sont déjà grevés de servitudes diverses,
notamment de voisinage et de « balconnage ».
C’est la création d’une construction ou d’une
ouverture nouvelle qui est visée par le Code Napoléon !
L’intérêt de cet arrêt ne réside pas tant dans la
décision elle-même qui reste de jurisprudence constante (mais rare), mais dans
le moyen soulevé autour de l’article 1015 du Code de procédure civil (modifié
par le décret n° 2017-396 du 24 mars 2017 – art. 1er) :
« Lorsqu’il
est envisagé de relever d’office un ou plusieurs moyens, de rejeter un moyen
par substitution d’un motif de pur droit relevé d’office à un motif erroné ou
de prononcer une cassation sans renvoi, le président de la formation ou le
conseiller rapporteur en avise les parties et les invite à présenter leurs
observations dans le délai qu’il fixe.
Il en
est de même lorsqu’il est envisagé de statuer au fond après cassation. En ce
cas, le président de la formation ou le conseiller rapporteur précise les chefs
du dispositif de la décision attaquée susceptibles d’être atteints par la
cassation et les points sur lesquels il pourrait être statué au fond. Le cas
échéant, il peut demander aux parties de communiquer, dans le respect du
principe de la contradiction et selon les modalités qu'il définit, toute pièce
utile à la décision sur le fond envisagée. »
Autrement dit une façon comme une autre de dire aux
parties et à leurs éminents avocats « au conseil » qu’ils se sont
tous plantés quant à la portée de l’article 678 ci-avant reproduit : Il n’a
de validité que quand les fonds sont contiguës. Or, dans l’espèce, ils ne l’étaient
manifestement pas… puisqu’il y avait une bande de terrain, étroite et
probablement d’écoulement d’eau pluviale, entre les deux maisons.
D’où la cassation sans renvoi (article 627 du Code des
procédure civile).
Bref, Germaine devra s’acheter des rideaux de douche…
C’est vrai, quoi : À la longue, ça devenait vraiment
indécent.
Bonne fin de week-end à toutes et à tous !
I3
On parle de 19 décimètres soit 1,90 mètre et non 19 cm !!!!
RépondreSupprimerExact : Ma chaussure passe.
SupprimerComme quoi je confirme : Je ne sais pas lire => la preuve.
Bon normal aussi : J'ai toujours dit que je suis un "enfant de l'ékole-publique", donc je n'ai pas pu apprendre.
Merci à vous pour ce "détail" (important) et d'être passé jusqu'ici (pour le relever).
Bien à vous !
I-Cube