Il y a des lectures passionnantes pour un juriste.
Par exemple cette décision-là : « L’article 56 TFUE, lu conjointement avec
l’article 58, paragraphe 1, TFUE, ainsi que l’article 2, paragraphe 2, sous d),
de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre
2006, relative aux services dans le marché intérieur, et l’article 1er, point
2, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin
1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et
réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société
de l’information, telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 20 juillet 1998, auquel renvoie l’article 2, sous
a), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin
2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de
l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur
(« directive sur le commerce électronique »), doivent être interprétés en ce
sens qu’un service d’intermédiation, tel que celui en cause au principal, qui a
pour objet, au moyen d’une application pour téléphone intelligent, de mettre en
relation, contre rémunération, des chauffeurs non professionnels utilisant leur
propre véhicule avec des personnes qui souhaitent effectuer un déplacement
urbain, doit être considéré comme étant indissociablement lié à un service de
transport et comme relevant, dès lors, de la qualification de « service dans le
domaine des transports », au sens de l’article 58, paragraphe 1, TFUE. Un tel
service doit, partant, être exclu du champ d’application de l’article 56 TFUE,
de la directive 2006/123 et de la directive 2000/31. »
257 mots pour un seul point, chaque virgule est à sa
place, il n’en manque pas une seule et tout est dit avec une précision
d’horlogerie sub-millimétrique.
J’avoue que c’est du « caviar » pour un
« juriste bien-né » !
Et vous l’avez compris, c’est la conclusion de l’arrêt
(en 50 points) la Cour (grande chambre) de justice de l’Union européenne
n° C-408/01 du 20 décembre 2017 dernier
(2017). Une décision qui met à bas le « modèle-Uber » : Quelle
nouveauté !
Personnellement, j’attendais plutôt une décision de la
chambre sociale de la Cour de Cassation réaffirmant l’existence d’un lien de
subordination (horaire, tâches à accomplir, mise à disposition effective ou
détournée du matériel roulant, paiement « à la tâche ») entre Uber et
ses chauffeurs qui aurait pareillement étrillé le modèle (SMIC-horaire minimum
et toutes charges sociales part patronales en sus) qui n’aurait pas résisté aux
compagnies, type « G7 » & Cie, qui font le même métier dans les
mêmes conditions et avec des applications Internet et mobiles équivalentes.
Mais non, pas encore, pas déjà : Le coup est venu
des Catalans (une fois de plus !).
Car qu’est-ce que l’uberisation – du nom de
l'entreprise éponyme – sinon est un phénomène récent dans le domaine de l’économie
consistant en l’utilisation de services permettant aux professionnels et aux
clients de se mettre en contact direct, de manière quasi-instantanée, grâce à
l’utilisation des nouvelles technologies ?
C’est d’ailleurs le « plus » de cette technologie-là
par rapport à la VAD ou la VPC. La seconde exige un traitement postérieur à la
commande ; la Vente à Distance (VAD) bénéficie en revanche d’un traitement
automatique et « ne ferme jamais ».
L’uberisation, c’est l’immédiateté.
De plus la mutualisation de la gestion administrative
et des infrastructures lourdes permet notamment de réduire le coût de revient
de ce type de service ainsi que les poids des formalités pour les usagers.
Quant aux moyens technologiques permettant l’«
uberisation », ce sont la généralisation du haut débit, de l’internet mobile,
des smartphones et de la géolocalisation, ni plus ni moins.
Mais l’uberisation s’inscrit aussi de manière plus
large dans le cadre de l’économie dite « collaborative ».
Un concept qui s’oppose en fait à celui connu depuis
des générations, le monde fixe et réglementé du salariat.
Pensez bien que je suis ses développements de près,
persuadé qu’hormis une part importante (le fonctionnariat et ses 5,6 millions
d’agents, les services de proximité et ceux dit de « commodité » et
encore… pas tous comme le montre Uber), le salariat va disparaître, lentement
mais sûrement dans les prochaines décennies : La plupart des tâches, même
celles à très hautes valeur-ajoutée, vont être « robotisées », les
salariés se bornant à vérifier et contrôler la bonne exécution du boulot des
machines.
Jeunes-gens, je sais cela pour avoir été un des
premiers à avoir convaincu mon « boss-du-moment » à intégrer des
robots dans son entrepôt de marchandises emballées en carton… À l’époque, j’ai
vu des robots préparateurs de commande de pharmacie tourner à une cadence de
fou 24 heures sur 24, 365 jours par an si nécessaire, sans jamais se tromper.
Délai de livraison depuis la commande : moins de 6 heures ouvrables !
C’était en Bretagne et le volume traité dépendait de l’heure d’arrivée du mek
qui allumait la machine et repartait casser la croûte.
Mon boss-du-moment ne m’a pas suivi jusqu’au bout de
la logique – il livrait à J+2 –, se contentant de mettre des robots pour bouger
des palettes-fournisseurs (même qu’il a fallu que je le traîne jusqu’en Laponie
extérieur pour qu’il voie comment ça marchait), pas les cartons, mais en
revanche j’ai eu carte-blanche pour acheter une logiciel « d’assistance à
l’approvisionnement » à IBM-Solution qui décidait tout seul des
approvisionnements de la boutique et de leur timing auprès des fournisseurs
(livraison J + 8, paiement le 15 à 30 ou 90 jours).
Ça eu été un de mes premiers boulots d’indépendant que
d’aller faire de l’audit d’achat pour aller récupérer les « marges-arrières »
conditionnelles ou non sur facture et selon accord de centrale d’achat : 2
% des factures émises par quiconque (même des notaires) sont fausses (on
atteignait 45 % en matière de taxe professionnelle…).
Fausses, mais dans les deux sens.
Tu prends 98 % (parce que toi aussi tu fais 2 %
d’erreur) de la moitié de 2 % et que tu prends une com’ de 50 % de ce qui de
toute façon aurait été perdu pour ton client si tu ne faisais pas le boulot,
pour des erreurs de l’ordre de 4 à 5 % : Avec un CA-achat milliardaire, ça
te fait quand même 200.000 balles dans la poche pour te payer un séjour dans
les archives de ton client : Du bon boulot (s’il n’y a pas trop de
poussière et un peu de lumière).
Ceci dit, le robot, il devient nettement plus
pertinent que n’importe quel humain et son taux de 2 % d’erreur. Et ce sont ces
2 % qui coûtent une blinde dans la chaîne des décisions et exécutions d’autant
mieux quand ton taux de bénéfice est justement de 2 points de marge brute.
Alors Uber, c’est bien, le serveur ne se trompe pas,
mais il ne faut pas qu’il tombe en panne comme les sondes Pitot du Rio-Paris, car
dès que tu mets un mek derrière un volant, tu es sûr et certain que ça va
merder à un moment ou à un autre : D’où la course actuelle au
développement des « voitures autonomes », voitures, cars, bus,
camions, métros, tram, trolleybus, trains, drones, etc.
Globalement Uber, qui a généralisé à l'échelle
planétaire un service de voiture de tourisme avec chauffeur entrant directement
en concurrence avec les taxis, a voulu être incontournable avant l’heure, prendre
une position de leader. Les caractéristiques de son service sont en premier
lieu les gains financiers importants liés à l'évitement des contraintes
réglementaires et législatives de la concurrence classique (l’acquisition d’une
licence de taxi dans le cadre d’Uber) qui vient de tomber pour cause de
catalans-barcelonais. Mais aussi la quasi-instantanéité, la mutualisation de
ressources et la faible part d’infrastructure lourde (bureaux, services
supports, etc.) dans le coût du service, ainsi que la maîtrise des outils
numériques. Là, la concurrence a du boulot en retard.
« L’Uberisation,
tout le monde en parle aujourd’hui : tous les business models des grands
groupes seraient sur le point d’être disruptés, ubérisés, désintermédiés,
commoditisés, en un mot pulvérisés par une multitude de startups beaucoup plus
agiles et innovantes. »
Pas sûr : C’est la commodité qui fera, demain, la
différence avec l’amplitude horaire d’accès… Le prix, tout le monde sera obligé
de s’aligner à moins de proposer du « haut de gamme » bien
différencié et identifié comme tel.
Parmi les services cités comme initiant l’uberisation
de l’économie, on cite généralement Airbnb, Booking.com ou Amazon, etc. Mais en
fait la SNCF, Opododo, tripavisor, Air-Transe, la FNAC, tous les autres se sont
adaptés et font désormais la même chose. En réalité, le fonctionnement d’un
service ubérisé comprend des éléments caractéristiques communs : Une plateforme
numérique de mise en relation entre client et prestataire ; une réactivité
maximisée par la mise en relation immédiate du client et du prestataire, par
proximité géographique ; le paiement du client à la plateforme qui prélève une
commission ; le paiement du prestataire par la plateforme et l’évaluation
croisée du service : Le client évalue le service reçu et le prestataire évalue
le client.
Il est de toute façon question d’uberiser de nombreux
domaines de l’économie. Après les domaines pionniers de l’hôtellerie (Airbnb,
Booking.com) et des transports de personnes (Uber, Blablacar, Drivy), c’est par
exemple le cas des petits travaux de rénovation et du dépannage en bâtiment (Hellocasa,
Mesdépanneurs, AlloMarcel, Expert-rémunération) mais l’on pressent l’arrivée
proche de grands groupes, par exemple une version Gauloisienne d’Amazon Home
Services, au grand dam des artisans-locaux.
On cite même la lutte antiterroriste pour des actions
de type hackathon ou « incubateur à but non lucratif ». L’ubérisation est un
phénomène prenant tellement d’importance qu’il commence même à toucher les
secteurs économiques les plus traditionnels, et réputés intouchables, comme mon
secteur du droit, où certaines plateformes comme Cma-Justice proposent la mise
en relation entre avocats et justiciables, (la médecine, les laboratoires
d’analyses-biologiques, la pharmacie et j’en passe…) voire même la rénovation
énergétique des bâtiments.
Et c’est probablement une des premières limites :
Tant qu’il s’agit de se contenter d’une « mise en relation » entre un
client et un fournisseur, c’est un métier qui peut s’affranchir des
réglementations existantes agissant comme une sorte de « barrière à l’entrée ».
Mais dès que la vente devient directe, on retombe dans le domaine des activités
réglementées, donc à accès réduit : Votre banquier en ligne reste un
banquier, votre assureur également. Ils s’obligent à avoir des fonds propres
suffisant pour couvrir les risques de leurs métiers, avoir des professionnels
diplômés, toutes choses consacrées par la délivrance d’une « licence »,
une « permission d’exercer ».
Quand Amazon vous vend un bouquin, il est commerçant :
Il achète ce que vous venez de lui commander (que vous lui payez immédiatement
et qu’il ne paiera à son tour que dans 90 ou 120 jours-fin de mois : C’est de la vente à découvert, car il n’a pas le produit), c’est de
la VAD. Mais quand on vous vend un séjour à l’étranger (voyage et hébergement),
il s’agit d’un produit conçu par un voyagiste (avec licence et garanties), la
plateforme ne fait qu’éventuellement sous-traiter via des accords commerciaux
qui tiennent compte des spécificités de la réglementation propres à ces métiers.
Et on est en plein « foutoir » quand les réglementations
se chevauchent : On encourage le covoiturage en « Gauloisie-routière »,
mais « Blablacar » n’est-il qu’un intermédiaire ? Probablement
que oui… Vous avez un statut d’hôtelier qui cohabite avec celui de loueur en
meublé. Et encore, il y a deux statuts fiscaux de « louer en meublé » :
Professionnel et « non-professionnel », avec des obligations
déclaratives différentes. « B&B » fait quoi au milieu ? Si c’est
juste l’intermédiaire, pas de problème (comme pour leboncoin.com), mais s’il
achète pour revendre, il change de métier comme Uber.
C’est le sens de la lecture de la décision de la Cour
Européenne…
Je vois une seconde limite : La logistique. Le
commerce traditionnel d’échange de biens et de services s’organise jusque-là
entre « vendeur-debout » et « vendeur-assis ». Le premier
va au-devant de son client, le second est assis derrière le comptoir de sa
boutique : C’est le client qui vient à lui.
Une vente n’est « parfaite » (au sens
juridique du terme) qu’au moment de la livraison au client (du bien ou service
acheté et payé). Le vendeur debout livre, le vendeur assis laisse emporter.
Mais dans la vente « ubérisée », les deux
acteurs sont « assis » (une façon de parler…). Et qui livre ?
Dans le cas de la VAD l’entreprise a en général un
service en interne qui fait le boulot. Chez Uber, le client attend devant le
point de RDV pour se faire conduire là où il a commandé d’aller. Mais quand il
s’agit de se faire livrer une pizza, un sushi ou un repas (delivreoo), la
plate-forme « achemine » en interne (donc avec des salariés appointés)
ou sous-traite à la poste (ou en messagerie avec coursiers) sa livraison.
Et là ça devient une catastrophe : Il n’y a pas
de RDV qui se respecte (sauf service dédié pour que la pizza n’arrive pas
froide), ou alors vous êtes tenu de rester coincé chez vous toute une demi-journée
comme quand vous attendez le releveur de votre compteur électrique (et
pourtant, Dieu sait si l’électricité reste de la vente dématérialisée par
essence… !).
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