DÉBATS
Audience publique du 21 mai 2015
Délibéré au 7 Septembre 2015,
DÉCISION
contradictoire, susceptible de contredit, rendue le 7
Septembre 2015 par mise à disposition au greffe.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur Maxime Mathieu K. a ouvert en avril 2007 un
compte sur le site internet de la société Priceminister, sous le nom de «
M...82 ».
Par acte d’huissier en date du 6 février 2015,
Monsieur Maxime Mathieu K. a fait assigner la société Priceminister devant le
tribunal d’instance du 2ème arrondissement de PARIS aux fins de voir
ledit tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamner à lui
payer les sommes suivantes :
- 6.221,80 € correspondant au montant qu’il aurait dû
percevoir de Priceminister si cette société avait respecté ses engagements
contractuels ;
- 500 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice
moral ;
- 1.500 € au titre de l’article 700 du code de
procédure civile outre les dépens de l’instance et ordonner le rétablissement
de son compte sous astreinte.
L’affaire est appelée et examinée à l’audience du 21
mai 2015.
Monsieur Maxime Mathieu K. comparaît assisté de son
avocat. La société Priceminister est représentée par Monsieur Benjamin
Moutte-Carruel, responsable des affaires juridiques.
Les parties déposent des conclusions aux termes
desquelles elles se réfèrent oralement à l’audience.
La société Priceminister soulève in limine litis et à titre principal l’incompétence du tribunal
d’instance au profit du tribunal de commerce de Paris.
Vu l’article 455 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions déposées par les parties le 19 mai
2015 ;
DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION
Sur la compétence
L’article L.721-3 du code de commerce dispose : « Les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des
contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements
de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De
celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De
celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes. Toutefois, les
parties peuvent, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à
l’arbitrage les contestations ci-dessus énumérées. »
Quant à la définition de l’acte de commerce, outre
l’énumération non limitative de l’article L.110-1 du code de commerce, il se
définit essentiellement par des critères économiques qui permettent de le
décrire comme « l’acte qui réalise une
entremise dans la circulation des richesses, effectuée dans l’intention de
réaliser une profit pécuniaire ».
En l’espèce, la société Priceminister verse aux débats
un relevé des ventes effectuées sur son site par Monsieur Maxime Mathieu K.
entre le 10 juillet 2009 et le 2 mai 2012, qui fait apparaître la vente en
ligne de plus de 80 produits dits « high tech » tels que des iphones, des
smartphones, des tablettes numériques, des casques audio, des appareils photo
et caméras, des oreillettes bluetooth. En particulier, entre le 15 avril et le
2 mai 2012, Monsieur Maxime Mathieu K. a vendu sur le site Priceminister 7
iphones 4S 16 Go et 4 iPad Apple Wi-Fi +4G 16 Go.
Monsieur Maxime Mathieu K. fait valoir qu’il ne s’est
pas agi d’une activité de revente de biens mais qu’ayant travaillé pour la
société SFR du 5 octobre 2004 au 8 février 2012 en tant que vendeur confirmé,
il a bénéficié de nombreux avantages en nature de la part de son employeur ou
de partenaires commerciaux dans le cadre d’opérations commerciales ou
promotionnelles et que ce sont ces produits qui lui avaient été donnés qu’il a
vendu sur le site Priceminister.
Cependant, outre le fait qu’il ne justifie de ses
allégations par aucune des pièces qu’il produit, ces explications données par
Monsieur Maxime Mathieu K. apparaissent difficilement crédibles eu égard à la
nature et au nombre des produits vendus.
Par ailleurs, Monsieur Maxime Mathieu K. reconnaît
lui-même avoir perçu de ces ventes un revenu mensuel d’environ 222 €, ce qui,
nonobstant l’importance de cette somme qui, en tout état de cause, ne saurait
être considérée comme négligeable, caractérise bien l’existence d’un profit
pécuniaire incontestable.
Il résulte des éléments ci-dessus exposés que les
actes réalisés par Monsieur Maxime Mathieu K. sur le site internet de la
société Priceminister doivent être considérés comme des actes de commerce et
que le présent litige concernant une contestation relative auxdits actes
relève, en vertu de l’article L.721-3 du code de commerce susvisé, de la
compétence du tribunal de commerce.
En conséquence, il convient de relever l’incompétence
matérielle du tribunal d’instance au profit de la celle du tribunal de commerce
de PARIS.
DECISION
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à
disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les
conditions de l’article 450 du code de procédure civile, contradictoire et
susceptible de contredit,
DECLARE le tribunal d’instance incompétent au profit
du tribunal de commerce de PARIS,
ORDONNE qu’en application de l’article 97 du code de
procédure civile et après expiration du délai pour former contredit, le dossier
de l’affaire soit transmis par le greffe avec une copie de la décision de
renvoi, au greffe du tribunal de commerce de PARIS,
Réserve les dépens.
Le Tribunal : Françoise Avram (vice-présidente
déléguée), Marianne Constans (greffier)
Avocats : Me Romain Darrière, Me Benjamin
Moutte-Carruel
Un petit bijou !
Et un cocu de plus !
Qui confirme par ailleurs ce que je vous racontais lundi 28
septembre dernier.
(http://flibustier20260.blogspot.fr/2015/09/je-ny-suis-pour-rien-je-vous-le-jure.html).
(http://flibustier20260.blogspot.fr/2015/09/je-ny-suis-pour-rien-je-vous-le-jure.html).
Pour faire simple, un particulier peut assigner une
société commerciale ou un commerçant individuel devant la juridiction civile,
dite de droit-commun. Idem pour un commerçant contre un civil, mais là, c'est obligatoire pour le demandeur commerçant.
En revanche, entre commerçants, seul le tribunal de
commerce est seul compétent – quand il existe sur le territoire du défendeur :
C’est une juridiction d’exception – dans les cas cités par l’article L.721-3 du
code de commerce.
Est visé là l’alinéa 3 : « entre toutes personnes », quand il
s’agit d’actes de commerce.
Il faut que les deux parties au litige soient
elles-mêmes commerçantes.
Pour les « anciens » comme moi, je vous
rappelle que nous avons souvent et longtemps disserté en cours et en travaux
dirigés à la fac sur la portée de l’ancien article 632 de l’ancien Code de commerce : Était réputé
commerçant « toute personne qui
faisait des actes de commerce », plus quelques assimilés.
Fastoche : Et c’est quoi un acte de commerce ?
C’était le fait d’acheter en vue de revendre (donc
l’intention initiale, pas facile à présumer) ;
Sauf si c’est « de façon habituelle » rajoutait la flopée de jurisprudence qui
va avec.
Et c’est quoi « de façon habituelle » ?
Bien sûr, le fait d’en faire profession, d’en tirer l’essentiel
de ses revenus et-cætera.
Mais aussi la répétition des actes, telle que l’habitude
est présumée.
Mais ça commence quand ?
À la deuxième revente « intentionnelle ».
Je ne vous raconte pas les conséquences : Tu
achètes un terrain en vue d’y bâtir ton castel et d’y nicher ta belle et « ta
nichée ».
C’est un acte civil qui n’est donc pas commercial.
Finalement, tu ne l’habites pas ou peu et tu le
revends. Si c’est la première fois, c’est de la plus-value personnelle et
immobilière.
Par malchance, tu recommences la même erreur avec la
même ou une autre, et tu deviens, au moins aux yeux du fisc, un commerçant,
marchand de biens.
Pire quand par hasard tu construis sans habiter :
Tu es promoteur immobilier.
Idem quand le terrain est trop grand pour toi et que
tu le revends en l’état par petits-bouts : Tu deviens « lotisseur »
si tu en fais trop, donc commerçant.
Avec la cascade de TVA à suivre, les impôts,
comptabilité et formalisme habituels au titre des BIC (Bénéfices Industriels
& Commerciaux).
Les gens ne le savent pas, mais c’est pareil pour des « meubles ».
Tu revends trop souvent tes voitures, voire tu en as plusieurs que tu ne gardes
pas trop longtemps, et tu es réputé commerçant par le fisc.
Qui y va dare-dare, parce que ne te sachant devenu « professionnel »,
tu n’as évidemment pas gardé tes factures et tout autre justificatif.
Idem quand, dans ta cuisine avec une connexion
internet branché à ton ordinateur tu spécules sur « les marchés » d’actions,
pire quand ce sont sur des « options » ou des matières-premières par
bateaux entiers et que tu en fais tous les soirs ou presque : On n’est
plus dans l’activité « civile » de gestion de patrimoine du « bon
père de famille », mais dans une véritable activité commerciale de trader.
Bon, depuis quelques années, on n’est plus sous l’empire
de l’article 632 mais de celui de l’article L.110-1 du Code de commerce, où il
est prévu que l’acte de commerce est « l’acte
qui réalise une entremise dans la circulation des richesses, effectuée dans l’intention
de réaliser une profit pécuniaire ».
Autrement dit, c’est pareil, mais c’est mieux dit.
Et dans le cas qui nous occupe, le tribunal d'instance
note que 222 euros n'est pas « une
somme négligeable », même si on ne peut décemment pas vivre que de ça,
et « caractérise bien l'existence
d'un profit pécuniaire incontestable ».
À mon sens, plus que le montant du profit, c’est la durée et la
répétition qui font le commerçant, dans cette décision : 80 ventes « tombées
du camion » quand même !
Et de rappeler que l'article L.721-3 du code de
commerce prévoit que les tribunaux de commerce sont compétents notamment des
contestations relatives aux actes de commerce entre toutes personnes de même
qualité. Par conséquent, le Tribunal d'instance en ayant déduit qu'il
s'agissait d'actes de commerce, s'est déclaré incompétent.
Cette décision rappelle ainsi qu'un vendeur « amateur »,
uber et autres, en effectuant un volume de ventes avec des montants trop
importants, peut être qualifié de commerçant en ce qu'il effectue des actes de
commerce.
Par conséquent, il est soumis aux règles, plus
contraignantes, des professionnels du commerce électronique qui exercent une
activité régulière ou habituelle et à titre lucratif.
À titre d'exemples, le vendeur devra inscrire son
activité au registre de commerce et des sociétés (RCS) – idem pour un loueur en
meublé, fiscalement réputé commerçant quand il dépasse les seuils permis même
pour louer sa chambre de bonne à l’étage – et devra respecter le devoir
d'information du client (sur son identité, sur la marchandise et son prix, le
délai de rétractation…), et toutes les mesures de protection sises dans le Code
de la consommation (garantie, rétractation, etc.).
Une décision logique.
Et comme vous êtes des lecteurs assidus, vous aurez
fait le rapprochement d’avec le billet de lundi dernier, qui vous signalait qu’au-delà
de 5.000 €/an, vous serez bientôt fiscalement fliqué un max par Bercy,
éventuellement sur délation de votre plateforme « d’échanges collaboratifs ».
Or, 222 €/mois, c’est déjà 2.664 €/an…
Quand je vous dis qu’ils vont jusqu’à cerner les « petits »,
obligés de se déclarer, je n’ai donc pas « tout-faux ».
Bonne journée quand même à toutes et à tous !
I3
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