Ou quand la science avance !
Chaque année depuis 1991 a lieu un bien étrange ballet
autour de la science la plus sérieuse, mais s’intéressant aux objets les plus
incongrus. Il s’agit des Ig Nobel, qui récompensent les équipes ayant sué sang,
eau, budgets et neurones sur des sujets qui semblent absurdes mais qui, comme
les autres et parfois plus qu’eux, font avancer l’humanité sur le chemin de la
connaissance.
Les lauréats récompensés en 2022 permettent de revenir
sur ces drôles de prix, qui récompensent des « réussites qui font d’abord
rire les gens, puis qui les font réfléchir », à savoir :
― Cardiologie appliquée : Eliska Prochazkova, Elio
Sjak-Shie, Friederike Behrens, Daniel Lindh, et Mariska Kret, pour avoir
cherché et trouvé des preuves que quand de nouveaux partenaires romantiques se
rencontre pour la première fois, et sont attirés l’un et l’autre, leurs
battements de cœur se synchronisent.
― Littérature : Eric Martínez, Francis Mollica, et
Edward Gibson, pour avoir analysé ce qui rend les documents juridiques
inutilement difficiles à comprendre.
― Biologie : Solimary García-Hernández et Glauco
Machado, pour avoir étudié si et comment la constipation affecte les
perspectives d’accouplement des scorpions.
― Medecine : Marcin Jasiński, Martyna Maciejewska,
Anna Brodziak, Michał Górka, Kamila Skwierawska, Wiesław Jędrzejczak, Agnieszka
Tomaszewska, Grzegorz Basak, et Emilian Snarski, pour avoir montré que lorsque
les patients subissent certaines formes de chimiothérapie toxique, ils
souffrent moins d’effets secondaires nocifs lorsque de la crème glacée remplace
un composant traditionnel de la procédure.
― Ingénierie : Gen Matsuzaki, Kazuo Ohuchi, Masaru
Uehara, Yoshiyuki Ueno, et Goro Imura, pour essayer de découvrir le moyen le
plus efficace des gens d’utiliser leurs doigts lorsqu’ils tournent un bouton.
― Histoire de l’art : Peter de Smet et Nicholas
Hellmuth pour leur étude « Une approche multidisciplinaire des scènes
de lavement rectal rituel sur la poterie maya ancienne. »
― Physique : Frank Fish, Zhi-Ming Yuan, Minglu Chen,
Laibing Jia, Chunyan Ji et Atilla Incecik, pour avoir essayé de comprendre
comment les canetons parviennent à nager en formation.
― Paix : Junhui Wu, Szabolcs Számadó, Pat Barclay,
Bianca Beersma, Terence Dores Cruz, Sergio Lo Iacono, Annika Nieper, Kim
Peters, Wojtek Przepiorka, Leo Tiokhin et Paul Van Lange, pour avoir développé
un algorithme pour aider les gens qui rependent les rumeurs à décider quand
dire la vérité et quand mentir.
― Économie : Alessandro Pluchino, Alessio Emanuele
Biondo et Andrea Rapisarda, pour avoir expliqué, mathématiquement, pourquoi le
succès ne revient pas le plus souvent aux personnes les plus talentueuses, mais
plutôt aux plus chanceux.
― Ingénierie de la sécurité : Magnus Gens, pour avoir
développé un mannequin d’essai de choc d’un élan.
Des sujets passionnants s’il en est !
Des lavements sacrificiels ou thérapeutiques des Mayas
au crash test dummy en forme d’élan, des bénéfices de la crème glacée dans le
traitement du cancer à la synchronisation des cœurs lors d’une première
rencontre amoureuse, il y a effectivement de quoi s’amuser et, peut-être
surtout, de quoi s’étonner.
― Des lavements rituels chez les Mayas ?
C’est ce qu’ont étudié Peter de Smet et Nicholas Hellmuth dans un papier de 1986 consacré à la question, écrit après l’étude de poteries témoignant de cette pratique, et après l’étude de la pratique elle-même, ce qui leur a valu l’Ig Nobel d’histoire de l’art de l’année parce que désormais, on en sait nettement plus sur ce sujet de grande importance !
Les lavements rituels auraient été effectués avec des visées thérapeutiques et parfois dans un objectif sacrificiel.
Au cours de ses recherches, Peter de Smet a donné un peu de son corps pour la science en testant (notamment) sur lui-même l’introduction d’une solution alcoolisée dans son anus – les Mayas pratiquant donc, avant tout le monde, ce que l'on appelle désormais « butt chugging » ou « boofing ».
Personnellement, je pratique, mais par les voies naturelles de mon gosier.
J’imagine que les résultats ne sont pas les mêmes…
― En cardiologie appliquée, l’Ig Nobel 2022 a été
remis à Eliska Prochazkova et à son équipe, qui ont étudié, sur cent quarante candidats,
quelques-unes des possibles réactions physiques au petit coup de foudre qui
peut vous saisir le ventre lors d’une première rencontre amoureuse.
Un moment féerique, magique…
La corrélation la plus parlante décrite dans leur article publié par Nature ?
Les scientifiques ont remarqué que si les cœurs des personnes se faisant face se synchronisaient, c’était le signe d’une envie de se revoir et, peut-être, d’un amour naissant.
Notez que ça ne dure en général qu’un temps limité : Il faut autre chose pour générer quelques « petits nains de jardin »…
― En biologie, le prix de l’année a été décerné à
Solimary García-Hernández et Glauco Machado pour une étude des plus curieuse : Celle
de l’effet de la constipation extrême sur la vitesse de course des scorpions et
sur leur capacité à se reproduire.
Voilà qui était important à élucider !
Cette drôle d’idée est venue de l’« autonomie » de certains scorpions qui, comme les lézards avec leur queue, peuvent, dans certains cas et pour se protéger de prédateurs, se séparer de leur appendice.
Malheureusement, dans leur cas, l’anus est arraché par la même occasion, ce qui provoque une constipation totale, au long cours et qui mène à une mort inéluctable.
Mais avant le trépas, pas de changement notable dans l’existence de ces animaux sans anus.
On est rassuré : Sans « trou-duc », tu survis donc un temps !
― En médecine, c’est Marcin Jasiński et son équipe qui
ont reçu l’Ig Nobel de l'année pour une étude des plus précieuses sur l’utilité
de la crème glacée dans le traitement du cancer.
Vous en faisiez un autre usage ? Eh bien ce n’est pas suffisant.
Naturellement, la crème glacée n’a aucun effet sur la maladie elle-même, mais les scientifiques ont prouvé qu’elle permettait aux malades de mieux supporter certains des effets secondaires de leur chimiothérapie ― problèmes de déglutition, douleurs à la bouche, altération du goût, etc.
Notez que c’est un peu valable avec toute sorte de boissons glacées : Le côté anesthésiant du froid, en somme…
― Côté littérature, le prix annuel est revenu à Eric
Martínez, Francis Mollica et Edward Gibson, qui ne se sont attelés à aucun
roman mais ont cherché à comprendre pourquoi les documents légaux étaient en
majorité incompréhensibles.
Ça dépend à qui ils s’adressent.
Leur conclusion ? Le jargon sibyllin du bla-bla juridique n’est pas rendu nécessaire par la technicité desdits textes légaux, mais provient de facteurs psycholinguistiques.
C’est que dans la majorité des cas, il s’agit d’être extrêmement précis.
Il serait donc possible, avec quelques efforts, de rendre le tout bien plus accessible.
Et puis ça éviterait les « phobies administratives ».
― En économie, Alessandro Pluchino, Alessio Emanuele
Biondo et Andrea Rapisarda ont été récompensés « pour avoir expliqué de
manière mathématique pourquoi le succès ne vient pas forcément aux personnes
les plus talentueuses, mais plutôt aux plus chanceuses ».
Ça, on savait déjà depuis Voltaire qui en disait que la réussite c’est du travail, du talent et de la chance…
Pour eux et en clair, la méritocratie, dans la vie réelle, c’est (un peu) du flan et si des gens deviennent millionnaires, ce n’est pas parce qu’ils travaillent un million de fois plus, ou un million de fois mieux, mais parce qu’à côté des facteurs déjà connus, un ingrédient secret (la chance) intervient également dans le destin de chacun.
Notez que c’est plus facile de réunir deux millions que le premier.
C’est vrai également pour les milliards : Je tente l’expérience depuis tout petit !
― Citons également le prix remporté en ingénierie de
la sécurité par Magnus Gens.
Suédois, l’homme s’est intéressé dès 1994 aux collisions régulières des automobiles du pays avec des jeunes élans quittant le giron familial, et à leurs conséquences parfois dramatiques, sur les animaux bien sûr, mais aussi sur lesdites voitures et leurs occupants.
Avec du métal, du caoutchouc, de l’huile de coude et beaucoup de courage pour supporter le regard sans doute quelque peu amusé de ses collègues, Magnus Gens a donc fabriqué un « crash test dummy » (dispositif anthropomorphe d’essai ou DAE en « francilien-natif ») non pas en forme d’humain, mais en forme de jeune élan.
Il a ainsi pu tester en conditions réelles les impacts d’un animal simulé sur des Saab et des Volvo, tout en précisant que sa technique est adaptable à d’autres animaux aux formats et écosystèmes particuliers, comme le kangourou ou le chameau.
En revanche personne ne nous dit si ça marche sur les « Simca 1000-Pigeot ».
― Je n’ai pas de précision sur les travaux de Gen
Matsuzaki, Kazuo Ohuchi, Masaru Uehara, Yoshiyuki Ueno, et Goro Imura, qui ont essayé
de découvrir le moyen le plus efficace des gens d’utiliser leurs doigts lorsqu’ils
tournent un bouton.
À mon sens, ils pincent d’une façon ou d’un autre le bouton à tourner avec deux doigts ou plus ou avec une ou deux mains.
C’est dommage, parce que ça pourrait être utile pour ouvrir un bocal grippé.
Quant à ma vanne d’arrivée d’eau de ville, c’est carrément la pince anglaise et un bon coup de poignet qu’il me faut…
― Pas plus de précision non plus pour l’Ig Nobel de Physique
attribué à Frank Fish, Zhi-Ming Yuan, Minglu Chen, Laibing Jia, Chunyan Ji et
Atilla Incecik, pour avoir essayé de comprendre comment les canetons
parviennent à nager en formation.
En principe, ils nagent de concert derrière leur mère. Mais sans se bousculer.
Plus impressionnant, ce sont les vols d’étourneaux ou les nages de bans de poisson qui prennent des formes changeantes dans un ballet à la moindre alerte sans jamais se percuter.
J’ai pu le vérifier encore cet été avec le vol des hirondelles à l’approche d’un rapace.
― Plus intéressant, l’Ig Nobel de la Paix récompensant
les travaux de Junhui Wu, Szabolcs Számadó, Pat Barclay, Bianca Beersma,
Terence Dores Cruz, Sergio Lo Iacono, Annika Nieper, Kim Peters, Wojtek
Przepiorka, Leo Tiokhin et Paul Van Lange, pour avoir développé un algorithme
pour aider les gens qui rependent les rumeurs à décider quand dire la vérité et
quand mentir.
Mais je ne peux pas vous en dire plus faute d’élément.
J’avoue qu’ils ont des maîtres dans les personnes responsables du Kremlin : Ceux-là mentent comme des arracheurs de dents et parfois glissent un élément de vérité dans leurs discours.
Du coup ― c’est une tactique d’espion du KGB ― il est quasiment impossible de savoir quand ils bluffent ou non.
Du grand art qui les laisse libre de leurs paroles sans jamais ni se couper ni se contredire véritablement.
Mais on peut tout de même « croiser » d’autres éléments d’information qui permettent « ex-post » de trier le bon grain de l’ivraie.
Bref, un menteur, ça finit par se dévoiler.
La science aura donc encore drôlement progressé, et je
m’en réjouis.
Bonne fin de week-end à toutes et tous !
I3
C’est ce qu’ont étudié Peter de Smet et Nicholas Hellmuth dans un papier de 1986 consacré à la question, écrit après l’étude de poteries témoignant de cette pratique, et après l’étude de la pratique elle-même, ce qui leur a valu l’Ig Nobel d’histoire de l’art de l’année parce que désormais, on en sait nettement plus sur ce sujet de grande importance !
Les lavements rituels auraient été effectués avec des visées thérapeutiques et parfois dans un objectif sacrificiel.
Au cours de ses recherches, Peter de Smet a donné un peu de son corps pour la science en testant (notamment) sur lui-même l’introduction d’une solution alcoolisée dans son anus – les Mayas pratiquant donc, avant tout le monde, ce que l'on appelle désormais « butt chugging » ou « boofing ».
Personnellement, je pratique, mais par les voies naturelles de mon gosier.
J’imagine que les résultats ne sont pas les mêmes…
Un moment féerique, magique…
La corrélation la plus parlante décrite dans leur article publié par Nature ?
Les scientifiques ont remarqué que si les cœurs des personnes se faisant face se synchronisaient, c’était le signe d’une envie de se revoir et, peut-être, d’un amour naissant.
Notez que ça ne dure en général qu’un temps limité : Il faut autre chose pour générer quelques « petits nains de jardin »…
Voilà qui était important à élucider !
Cette drôle d’idée est venue de l’« autonomie » de certains scorpions qui, comme les lézards avec leur queue, peuvent, dans certains cas et pour se protéger de prédateurs, se séparer de leur appendice.
Malheureusement, dans leur cas, l’anus est arraché par la même occasion, ce qui provoque une constipation totale, au long cours et qui mène à une mort inéluctable.
Mais avant le trépas, pas de changement notable dans l’existence de ces animaux sans anus.
On est rassuré : Sans « trou-duc », tu survis donc un temps !
Vous en faisiez un autre usage ? Eh bien ce n’est pas suffisant.
Naturellement, la crème glacée n’a aucun effet sur la maladie elle-même, mais les scientifiques ont prouvé qu’elle permettait aux malades de mieux supporter certains des effets secondaires de leur chimiothérapie ― problèmes de déglutition, douleurs à la bouche, altération du goût, etc.
Notez que c’est un peu valable avec toute sorte de boissons glacées : Le côté anesthésiant du froid, en somme…
Ça dépend à qui ils s’adressent.
Leur conclusion ? Le jargon sibyllin du bla-bla juridique n’est pas rendu nécessaire par la technicité desdits textes légaux, mais provient de facteurs psycholinguistiques.
C’est que dans la majorité des cas, il s’agit d’être extrêmement précis.
Il serait donc possible, avec quelques efforts, de rendre le tout bien plus accessible.
Et puis ça éviterait les « phobies administratives ».
Ça, on savait déjà depuis Voltaire qui en disait que la réussite c’est du travail, du talent et de la chance…
Pour eux et en clair, la méritocratie, dans la vie réelle, c’est (un peu) du flan et si des gens deviennent millionnaires, ce n’est pas parce qu’ils travaillent un million de fois plus, ou un million de fois mieux, mais parce qu’à côté des facteurs déjà connus, un ingrédient secret (la chance) intervient également dans le destin de chacun.
Notez que c’est plus facile de réunir deux millions que le premier.
C’est vrai également pour les milliards : Je tente l’expérience depuis tout petit !
Suédois, l’homme s’est intéressé dès 1994 aux collisions régulières des automobiles du pays avec des jeunes élans quittant le giron familial, et à leurs conséquences parfois dramatiques, sur les animaux bien sûr, mais aussi sur lesdites voitures et leurs occupants.
Avec du métal, du caoutchouc, de l’huile de coude et beaucoup de courage pour supporter le regard sans doute quelque peu amusé de ses collègues, Magnus Gens a donc fabriqué un « crash test dummy » (dispositif anthropomorphe d’essai ou DAE en « francilien-natif ») non pas en forme d’humain, mais en forme de jeune élan.
Il a ainsi pu tester en conditions réelles les impacts d’un animal simulé sur des Saab et des Volvo, tout en précisant que sa technique est adaptable à d’autres animaux aux formats et écosystèmes particuliers, comme le kangourou ou le chameau.
En revanche personne ne nous dit si ça marche sur les « Simca 1000-Pigeot ».
À mon sens, ils pincent d’une façon ou d’un autre le bouton à tourner avec deux doigts ou plus ou avec une ou deux mains.
C’est dommage, parce que ça pourrait être utile pour ouvrir un bocal grippé.
Quant à ma vanne d’arrivée d’eau de ville, c’est carrément la pince anglaise et un bon coup de poignet qu’il me faut…
En principe, ils nagent de concert derrière leur mère. Mais sans se bousculer.
Plus impressionnant, ce sont les vols d’étourneaux ou les nages de bans de poisson qui prennent des formes changeantes dans un ballet à la moindre alerte sans jamais se percuter.
J’ai pu le vérifier encore cet été avec le vol des hirondelles à l’approche d’un rapace.
Mais je ne peux pas vous en dire plus faute d’élément.
J’avoue qu’ils ont des maîtres dans les personnes responsables du Kremlin : Ceux-là mentent comme des arracheurs de dents et parfois glissent un élément de vérité dans leurs discours.
Du coup ― c’est une tactique d’espion du KGB ― il est quasiment impossible de savoir quand ils bluffent ou non.
Du grand art qui les laisse libre de leurs paroles sans jamais ni se couper ni se contredire véritablement.
Mais on peut tout de même « croiser » d’autres éléments d’information qui permettent « ex-post » de trier le bon grain de l’ivraie.
Bref, un menteur, ça finit par se dévoiler.
Bonne fin de week-end à toutes et tous !
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