Un
fauteuil-roulant à moteur électrique n’est pas un véhicule… à moteur !
Qu’on se le dise : C’est un dispositif médical
destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap.
Nuance !
Autrement dit, ta Tesla autonome, si elle n’a qu’une place
à bord, elle n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi sur les
accidents de la route.
Elle ne devient que si elle a plusieurs places
disponibles, ce qui change tout !
C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans
un arrêt rendu le 6 mai 2021.
Arrêt n° 382 du 6 mai 2021 (20-14.551)
Cour de cassation - Deuxième chambre civile
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I
S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Président : M. Pireyre
Rapporteur : M. Besson
Avocat général : M. Gaillardot, premier avocat général
Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano - Me Le Prado
Demandeur(s) : Mme A... X...
Défendeur(s) : société Areas dommages, société
d’assurances mutuelles
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 janvier
2020) Mme X..., qui est infirme moteur cérébral et souffre d’une hémiplégie
droite, effectue ses déplacements à l’extérieur en fauteuil roulant électrique.
2. Elle a été victime le 11 février 2015, alors
qu’elle se déplaçait en fauteuil roulant, d’un accident de la circulation
impliquant un véhicule assuré par la société Areas dommages.
3. Elle a assigné cet assureur, qui refusait de
l’indemniser de ses blessures subies à l’occasion de cet accident, au motif
qu’elle aurait commis une faute exclusive de son droit à indemnisation en
réparation de ses préjudices.
4. À l’occasion du pourvoi qu’elle a formé contre l’arrêt
limitant son droit à indemnisation, Mme X... a sollicité le renvoi au Conseil
constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.
5. Par arrêt du 1er octobre 2020 (2ème
Civ., 1er octobre 2020, pourvoi n° 20-14.551), la Cour a rejeté cette
demande.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa
sixième branche, et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après
annexés
6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code
de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement
motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la
cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières
branches
Énoncé du moyen
7. Mme X... fait grief à l’arrêt de dire qu’elle a la
qualité de conducteur d’un véhicule terrestre à moteur et qu’elle a commis une
faute de nature à réduire son droit à indemnisation de moitié, alors :
« 1°/ que les victimes conductrices de véhicules
terrestres à moteur voient leur droit à indemnisation limité ou exclu
lorsqu’elles ont commis une faute, contrairement aux victimes non conductrices
de véhicules terrestres à moteur qui sont indemnisées des dommages résultant
des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être
opposée leur propre faute à l’exception de leur faute volontaire ou de leur
faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident ; que n’est
pas le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur la personne handicapée qui
circule sur un fauteuil roulant électrique ; qu’en l’espèce, pour conclure que
Mme X... était la conductrice d’un véhicule terrestre à moteur au sens de la
loi du 5 juillet 1985, la cour d’appel a retenu que Mme X..., qui était
handicapée, conduisait un fauteuil roulant électrique qui était muni d’un
système de propulsion motorisée, d’une direction, d’un siège et d’un dispositif
d’accélération et de freinage, de sorte qu’il avait vocation à circuler de
manière autonome ; qu’en qualifiant de conductrice d’un véhicule terrestre à
moteur une personne handicapée qui se déplaçait à l’aide d’un fauteuil roulant
électrique, la cour d’appel a violé les articles 3 et 4 de la loi n° 85-677 du
5 juillet 1985 ;
2°/ que la notion de véhicule terrestre à moteur au
sens de la loi du 5 juillet 1985 est autonome de la notion de véhicule
terrestre au sens de l’article L. 211-1 du code des assurances ; qu’en
l’espèce, pour conclure que Mme X... était la conductrice d’un véhicule
terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985, la cour d’appel a
retenu que le fauteuil roulant de Mme X... avait vocation à circuler de manière
autonome et répondait donc à la définition que l’article L. 211-1 du code des
assurances donne du véhicule terrestre à moteur ; qu’en se référant à l’article
L. 211-1 du code des assurances pour apprécier si un fauteuil roulant
électrique était un véhicule terrestre à moteur, la cour d’appel a violé les
articles 3 et 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1er, 3 et 4 de la loi n°
85-677 du 5 juillet 1985 tels qu’interprétés à la lumière des objectifs
assignés aux États par les articles 1, 3 et 4 de la Convention internationale
des droits des personnes handicapées du 30 mars 2007 :
8. Selon ces dispositions, la loi du 5 juillet 1985
s’applique, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux
victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule
terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des
chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.
9. Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules
terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à
leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre
faute, à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive
de l’accident.
10. Enfin, la faute commise par le conducteur du
véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure
l’indemnisation des dommages qu’il a subis.
11. Par l’instauration de ce dispositif
d’indemnisation sans faute, le législateur, prenant en considération les
risques associés à la circulation de véhicules motorisés, a entendu réserver
une protection particulière à certaines catégories d’usagers de la route, à
savoir les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes
âgées, et celles en situation de handicap.
12. Il en résulte qu’un fauteuil roulant électrique,
dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de
handicap, n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5
juillet 1985.
13. Pour dire que Mme X... avait la qualité de
conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, l’arrêt retient que, muni d’un
système de propulsion motorisée, d’une direction, d’un siège et d’un dispositif
d’accélération et de freinage, le fauteuil roulant de Mme X... a vocation à
circuler de manière autonome et répond à la définition que l’article L. 211-1
du code des assurances donne du véhicule terrestre à moteur et qu’à ce titre,
le fauteuil roulant de Mme X... relève bien du champ d’application de la loi du
5 juillet 1985.
14. Il retient enfin que, si l’article R. 412-34 du
code de la route assimile au piéton la personne en situation de handicap se déplaçant
en fauteuil roulant, ce texte ne vise pas les fauteuils roulants motorisés mais
les fauteuils roulants « mus par eux-mêmes », c’est-à-dire dépourvus de
motorisation.
15. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les
trois premiers textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer
sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant
partiellement le jugement du 19 novembre 2018 en ce qu’il a admis que Mme X...
a un droit à l’indemnisation intégrale de son préjudice et quant au montant de
la provision allouée à Mme X..., il dit que Mme X... a la qualité de conducteur
d’un véhicule terrestre à moteur, que Mme X... a commis une faute de nature à
réduire son droit à indemnisation, et que le droit à indemnisation de Mme X...
est réduit de moitié, l’arrêt rendu le 30 janvier 2020, entre les parties, par
la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans
l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour
d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée ;
Donc, voilà qu’une personne handicapée contestait la
décision prise par une Cour d’appel de province de ne l’indemniser qu’à 50 % de
ses blessures, suite à un accident de la circulation en fauteuil roulant et la
rencontre d’un chauffard distrait de son devoir de vigilance.
Ladite Cour d’appel jugeait qu’aux commandes de son
fauteuil électrique, elle avait commis une faute en partie à l’origine de l’accident :
Pour elle, la victime était la conductrice d’un véhicule terrestre à moteur au
sens de la loi du 5 juillet 1985.
En, effet, le fauteuil roulant répond à la définition
du « véhicule terrestre à moteur », puisqu'il est motorisé et dispose d’une
direction, d’un siège, d’un dispositif d’accélération et de freinage.
Pour moâ, ce n’est pas suffisant : Il faut une
carte grise délivrée sur avis du service des Mines qui autorise la mise en
circulation du modèle de fauteuil roulant, des feux de signalisation et une
plaque d’immatriculation (plus une attestation d’assurance, pastille Crit’Air,
etc.).
Et puis ça nécessite le port d’un permis de conduire…
Mais cette interprétation de la loi est contraire à
son esprit de protection, aura tranché la Cour de cassation : Assimiler le
fauteuil roulant à un « véhicule à moteur » serait nier la volonté du
législateur qui a voulu créer, en 1985, une protection particulière pour les
victimes d’accidents de la circulation.
Ces victimes peuvent être les piétons, les passagers de
véhicules, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées.
Cette loi prévoit d’ailleurs un droit d’indemnisation
de tous les dommages occasionnés, sans rechercher les responsabilités.
Par conséquent, à moins que ces personnes protégées
aient commis une faute inexcusable ou volontaire à l’origine exclusive de l’accident,
elles doivent être indemnisées !
Les juges auront rappelé qu’une personne handicapée en
fauteuil roulant est assimilée à un piéton.
Elle ne doit pas être considérée comme un conducteur
de « véhicule à moteur » en cas d’accident de la circulation et doit être
indemnisée.
Seuls les conducteurs de véhicules à moteur peuvent
voir, en cas de faute, leur indemnisation diminuée, voire supprimée.
Bref, éloignez-vous des fauteuils à roue, de près ou
de loin, quand vous circulez avec votre « tas-de-boue-à-roulettes »
sur la chaussée (et encore plus sur les trottoirs) !
Ceci dit, en l’espèce, il s’agissait de faire
application de la protection particulière dont bénéficie les personnes handicapées
« à mobilité réduite ».
Mais pas du type du véhicule.
Car qu’en est-il des trottinettes électriques, voire
seulement des bicyclettes motorisées mais sans plaque et parfois sans feu,
conduites par des fous du guidon avec un QI de pétoncle (handicap insurmontable
s’il en est) ?
Pour peu qu’il y ait une selle (ça existe, j’en ai vu)
et que le pilote soit armé d’un sigle GIC (pire, j’imagine, de GIG, Grand Invalide
de Guerre !) mais se déplace en dépit du bon sens, qu’en sera-t-il quand
il heurtera un peu brutalement un obstacle « roulant » un peu
plus volumineux que lui ?
Notez que les cyclistes ont des couloirs réservés un
peu partout en ville et même ailleurs pour éviter ce type d’écueil…
Et là, ils tombent tout seul pris dans le courant d’air
du sillage de votre chignole, vous êtes présumé indéfiniment responsable…
Peut-être verra-t-on un jour des couloirs réservés aux
fauteuils-roulants pour éviter ces tristes histoires de « délinquance-routière ».
S’attaquer à une handicapée, quelle honte, tout de
même, pire pour la compagnie d’assurance qui aura fait de la rétention et de la
procédure pour des prunes…
Mais ça aura permis au « droit positif » d’avancer :
On ne va pas se plaindre !
Bon week-end déconfiné à toutes et à tous : Vous
l’avez bien mérité !
I3
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