Conseil d’État, n° 395983 du vendredi 24 février 2017
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres
réunies
M. Jean-Marc Anton, rapporteur M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les
8 janvier et 15 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, M.
et Mme B… A… demandent au Conseil d’État :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 160
de l’instruction fiscale BOI-RFPI-BASE-20-80-20120912 publiée au bulletin
officiel des finances publiques le 12 septembre 2012 et la décision implicite
du ministre de l’économie et des finances rejetant leur demande d'abrogation de
ce paragraphe ;
2°) de mettre à la charge de l’État la somme de 5.000
euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des
procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Anton, maître des
requêtes,
- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur
public.
La parole ayant été donnée, avant et après les
conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. et MmeA....
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du 1 de l’article 13 du code général des
impôts : « Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l’excédent du
produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses
effectuées en vue de l’acquisition et de la conservation du revenu ». Aux
termes de l’article 14 du même code : « (…) sont compris dans la catégorie
des revenus fonciers, lorsqu’ils ne sont pas inclus dans les bénéfices d’une
entreprise industrielle, commerciale ou artisanale, d’une exploitation agricole
ou d’une profession non commerciale : 1° Les revenus des propriétés bâties (…) ».
Aux termes de l’article 28 du même code : « Le revenu net foncier est
égal à la différence entre le montant du revenu brut et le total des charges de
la propriété ». Aux termes de l'article 31 du code : « I. Les charges
de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent :
1° Pour les propriétés urbaines : (…) d) Les intérêts de dettes contractées
pour la conservation, l’acquisition, la construction, la réparation ou l’amélioration
des propriétés (…) ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions
que, sauf disposition législative spécifique, seuls les intérêts des emprunts
contractés pour l’acquisition de biens ou droits immobiliers destinés à
procurer des revenus fonciers sont déductibles du revenu brut foncier.
2. En vertu de l’article 8 du code général des impôts,
en cas de démembrement de la propriété de parts d’une société de personnes
détenant un immeuble donné en location, seul l’usufruitier de ces parts est
soumis à l’impôt sur le revenu à raison de la quote-part correspondante des
revenus fonciers perçus par la société, le nu-propriétaire n’étant pas regardé
comme disposant d’un revenu à ce titre. Par suite, les intérêts des emprunts
contractés personnellement par le nu-propriétaire pour financer l’acquisition
de la nue-propriété de ces parts ne peuvent être regardés comme une charge
exposée en vue de l’acquisition ou la conservation d’un revenu foncier. Dès
lors, ces intérêts ne sont pas déductibles des revenus fonciers que l’intéressé
percevrait à raison d’autres biens ou droits immobiliers.
3. Il résulte de ce qui précède qu’en énonçant au
paragraphe 160 de l’instruction fiscale publiée au bulletin officiel des finances
publiques le 12 septembre 2012, intitulée « Revenus fonciers – Charges
déductibles – Intérêts et frais d’emprunts », que « les intérêts des
emprunts contractés personnellement par le nu-propriétaire de parts d’une
société détenant un immeuble loué, pour financer l’acquisition de la
nue-propriété de ces parts, ne sont pas déductibles dès lors que ces dépenses
ne peuvent être considérées comme engagées en vue de l’acquisition ou la
conservation d’un revenu ou de la propriété de l’immeuble donné en location »,
le ministre n’a ni incompétemment ajouté à la loi, ni méconnu les articles 8,
13, 28 et 31 du code général des impôts.
4. Les requérants ne peuvent en outre utilement se
prévaloir, pour contester la légalité de l’interprétation donnée de la loi par le
paragraphe 160 précité de l’instruction qu’ils attaquent, de ce qu’en vertu d’un
rescrit n° 2007/53 (FP) du 11 décembre 2007, mentionné au paragraphe 170 de
cette même instruction, il est admis que les intérêts d’emprunt effectivement
versés par les nu-propriétaires d’immeubles loués et destinés à financer soit l’acquisition
de la nue-propriété, soit les dépenses de réparation, d’entretien ou d’amélioration
de ces immeubles, sont déductibles des revenus fonciers provenant, le cas
échéant, de leurs autres propriétés.
5. Il résulte de ce qui précède que la requête de M.
et Mme A… doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. et Mme A… est
rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et
Mme B… A… et au ministre de l’économie et des finances.
Au premier abord, il s’agit donc de la confirmation
par le Conseil d’État de la doctrine administrative selon laquelle le
nu-propriétaire des parts d’une société détenant un immeuble loué nu ne peut
déduire les intérêts des emprunts contractés pour acquérir cette
nue-propriété.
Et de rappeler que lorsqu’un bien immobilier donné en
location nue fait l’objet d’un démembrement de propriété, les loyers sont
imposables, dans la catégorie des revenus fonciers, au nom du seul usufruitier,
qui peut déduire de ces revenus les charges foncières effectivement supportées
sur l’immeuble démembré.
Bien qu’il n’ait pas de revenus à déclarer au titre de
l’immeuble démembré, le nu-propriétaire est, de son côté, autorisé à déduire
des revenus fonciers provenant de ses autres propriétés les dépenses qu’il a,
le cas échéant, lui-même supportées sur l’immeuble démembré (en ce sens, par
exemple, CE 21-2-1979 n° 4896).
Il peut de même déduire les intérêts des emprunts
qu’il a contractés pour financer l’acquisition de la nue-propriété des
immeubles loués ou les dépenses de réparation, d’entretien ou d’amélioration de
ces immeubles (BOI-RFPI-BASE-20-80 no 170).
Ces solutions sont logiques : Dès lors que le bien est
productif de revenus fonciers, les charges de nature foncière exposées sur le
bien doivent être admises en déduction ; le droit de propriété du bien étant
démembré, ces charges sont déductibles par celui, usufruitier ou
nu-propriétaire, qui les a effectivement payées.
Lorsque le démembrement porte, non pas sur l’immeuble
loué, mais sur les parts de la société détenant l’immeuble, le revenu net
foncier constaté par la société, déterminé par différence entre les loyers
perçus et les charges de nature foncière exposées, est en principe imposable au
nom de l’usufruitier des parts.
Celui-ci peut par ailleurs déduire du bénéfice foncier
imposable en son nom les intérêts des emprunts ayant financé l’acquisition de
l’usufruit des parts (BOI-RFPI-BASE-20-80 n° 150).
En revanche, pour l’administration, les intérêts des
emprunts contractés personnellement par le nu-propriétaire des parts, pour financer
l’acquisition de la nue-propriété de ces parts, ne sont pas déductibles « dès lors que ces dépenses ne peuvent être
considérées comme engagées en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un
revenu ou de la propriété de l’immeuble donné en location »
(BOI-RFPI-BASE-20-80 n° 160).
Saisi d’une demande d’annulation de ces dernières
dispositions pour excès de pouvoir, le Conseil d’État confirme la doctrine
administrative. Il relève que seul l’usufruitier des parts étant soumis à
l’impôt sur le revenu à raison de la quote-part correspondante des revenus
fonciers perçus par la société, le nu-propriétaire ne peut être regardé comme
disposant d’un revenu à ce titre.
Par suite, les intérêts des emprunts contractés
personnellement par le nu-propriétaire pour financer l’acquisition de la
nue-propriété des parts ne peuvent être regardés comme une charge exposée en
vue de l’acquisition ou de la conservation d’un revenu foncier.
Dès lors, ces intérêts ne sont pas déductibles des
revenus fonciers que l’intéressé percevrait à raison d’autres biens ou droits
immobiliers.
L’usage d’une SCI en vue d’acquérir, de détenir, de gérer
et/ou de vendre un bien immobilier permet bien des « optimisations ».
Une pleine propriété directe des personnes physiques
est archi-balisée par le CGI.
Le code civil permet même de démembrer cette propriété
entre usufruit et nue-propriété et la loi fiscale sait s’adapter.
Mais l’avantage que le même immeuble, démembré,
indivis, en copropriété ou non, soit détenu par une SCI permet les mêmes effets
mais dédoublés.
À savoir, la SCI vend son bien, le calcul des
éventuelles plus-values et les exonérations conséquentes à la durée de
détention du bien, sont réalisés au niveau de la SCI et répercuté ensuite aux
associés chacun au prorata de ses parts dans le capital social.
Autrement dit, un bien acquis depuis plus de 30 ans
par une SCI est exonéré de plus-value pour chacun des associés, fussent-ils
dans le capital social que depuis 1 ou 2 ans…
Et inversement, un bien acquis l’année dernière par
une SCI détenue par des associés « trentenaires », et dont ceux-là se
séparent de leurs parts dans l’année, en supposant qu’ils fassent alors une
plus-value conséquente, est elle-même exonérée.
Donc, double délai…
Idem pour les moins-values, mais c’est moins rigolo,
qui s’imputent sur des plus-values de même nature dans les délais requis par le
législateur !
En revanche, plus drôle encore, vous empruntez à votre
banquier (qui vous le fait payer cher) pour acquérir des parts de SCI au
capital disons élevé, et vous allez voir un second banquier au nom de ladite
SCI en vue d’emprunter une somme conséquente pour acquérir un immeuble dont
vous allez tirer des revenus fonciers, le fisc sera forcé d’admettre la
déductibilité des intérêts des deux emprunts.
Et on peut même démultiplier le schéma avec des parts
de SCI détenues par d’autres SCI, et ainsi de suite…
À vous de vous démerder pour les rembourser ensuite,
là, c’est neutre fiscalement, sauf à payer l’IR sur les montants des loyers
encaissés qui servent au remboursement du principal (l’emprunt).
Ce qui, soit-dit en passant permet d’affirmer que,
économiquement, vous payez de l’impôt sur des remboursements, mais passons…
Là où le bât blesse, c’est que si vous passez par la
case « démembrement », eh bien naturellement, n’ayant pas de revenus
sur lesquels imputer le coûts des intérêts payés en cas d’emprunt, fume mon
gars, le fisc ne veut rien savoir : Logique (comme on vient de le dire),
et ce, immeuble par immeuble.
C’est une faculté réservée à l’usufruit.
Attention pareillement, la même manip, avec ou sans
démembrement de propriété, avec ou sans SCI intermédiaire, ne fonctionne pas si
vous vous réservez l’usage de l’immeuble, donc a priori sans revenu.
Même si c’est possible, par intermittence, parfois
sous forme de crédit-d’impôt, en fonctions de lois fiscales successives, et
surtout de la nature des travaux ainsi financés, dans cette hypothèse :
Mais c’est un autre sujet.
Peut-être qu’un jour il en ira différemment, dès lors
que des rigolos-politiques imaginent d’imposer aussi à l’IR l’usage personnel
de son bien.
Vous savez, « taxer les loyers fictifs ».
Là, je serai « Gauloisien-de-Gauloisie-hérétique »,
bé je monte une SCI détenue par une autre société « exilée », et fort
de moi-même, ma résidence principale, elle va te générer un « déficit-foncier »
maximal, parce qu’évidemment, occupant de mon bien au titre d’un bail d’habitation
consenti à moi-même, je vais pouvoir ne pas payer mon loyer sans risque d’expulsion
de moi-même, et imputer les pertes ainsi créées sur d’autre revenus-fonciers
jusque-là imposables sur le dos de locataire(s) « in bonis ».
Bref, le schéma est près, dès que « Pique-éty »
devient ministre du logement ou de l’économie et de la phynance…
Bonne fin de week-end à vous toutes et tous !
I3
Vos articles juridiques sont toujours extrêmement intéressants : on apprend qu'il faut faire SIMPLE et on se convainc que, pour conduire une réforme fiscale, il suffit d'abroger des textes par...milliers! Nul besoin de s'emmerder à finasser!
RépondreSupprimer1. Tous les revenus sans chercher à savoir d'où ils viennent ni quels en sont les montants ...
2. Tous les patrimoines sans chercher à savoir comment ils ont été acquis. Nul besoin de permettre le démembrement de la nue-propriété et de l'usufruit. La propriété, un point, c'est tout! Pas de déduction des emprunts, des intérêts et de je ne sais quoi d'autre ...
3. Toute infraction est punie, nécessairement, d'une peine de prison FERME (non susceptible de "remise", "réduction" et je ne sais quoi d'autre! En outre, ajout systématique des sanctions civiles au bénéfice de l'Etat (qui a subi un dommage qui doit être réparé y compris par le truchement du "pretium doloris").
Le but du "jeu" n'est pas de faire chier les gens mais seulement de leur faire comprendre qu'il ne faut pas faire chier la République ... (autrement dit, mieux vaut ne pas commettre d'infraction ni même prendre le risque d'en commettre plutôt que de se faire "gauler" sévèrement!).
Décidément, en fréquentant ce blog, et même cette rubrique, vous n'aurez pas appris grand-chose !
SupprimerJ'en suis désolé...
1 - Le fisc, contrairement à la SS, taxe les revenus nets, pas bruts.
Et encore, la CSG et la CRDS sont parfois assises sur des revenus bruts moins un forfait "pour charge"...
Passons.
Et tout cela est logique, vous allez voir.
2 - Les patrimoines, quand ils sont taxés, le sont soit sur des forfaits (impôts locaux) soit sur des montants nets (ISF par exemple, mais tous).
Pourquoi donc ?
Vous empruntez 100 K€ pour faire des travaux de réparation de votre toit.
Pas de toit, pas de "clos et couvert", pas de maison, on est d'accord... ?
Votre maison valait 1 M€ avant dégâts et elle vaut toujours un 1 M€ après travaux.
En revanche, vous vous êtes appauvri de 100 K€...
Et suivez le raisonnement : Vous avez emprunté 1 M€ pour acquérir votre maison 1 M€.
Vous vous n'êtes jamais ni enrichi ni appauvri et vous voulez taxer votre seul actif brut ?
Mais restez donc dans votre taudis, vous n'avez rien compris à la vie !
De quel droit respirez-vous mon air si précieux à mes délicates alvéoles pulmonaires, s'il vous plait, si vous ne réfléchissez pas une seconde ?
Don, réalisme du droit fiscal, on taxe toujours le net, y compris votre salaire ou votre retraite (qui paye les remboursements qui ont payé votre maison) sur du net : Brut moins frais & charges (même s'il s'agit, par option, d'un forfait pour vous simplifier la vie...
(Vous, à mon avis, on a tord de vous la simplifier puisque vous voulez....)
.... 3 - Mettre en prison dès qu'ils dérogent à vos diktats !
Vous êtes vraiment un cinglé à qui il faut d'urgence retirer son droit de vote : Tout le monde en prison, c'est qui qui fait tourner la boutique si plus personne ne peut vivre autour de la notion de "réalisme du droit fiscal" ?
C'est pas que vous vouliez ou non "faire chier les gens", c'est que vous tuez le pays tout entier.
Il y a des règles, on les respecte, OK.
Et ces règles sont faites pas des gens moins radicaux que vous, c'est ce qui permet encore de survivre (mal il est vrai), mais de ne pas en mourir...
Merci d'être passé !
I-Cube
Ah! Ah! Ah!
RépondreSupprimerVous êtes tellement conservateur que l'idée même de pouvoir changer les règles vous parait incongrue!
Moi, je préfère une assiette de taxation large à laquelle on applique des taux faibles plutôt qu'une assiette étroite à laquelle à applique des taux élevés ...
Donc, je maintiens fermement :
1. Tous les revenus sans aucune exclusive
2. Tous les patrimoines sans aucune exclusive ...
Et, à la fin, c'est moi qu'on va gagner! ... (et tant pis pour l'Académie Française!).
Détrompez-vous (une fois de plus).
SupprimerCa fait longtemps que je fais des propositions, jusqu'ici sur ce blog, et depuis des années et des années sur l'ancien que vous fréquentiez également.
Vous êtes donc particulièrement mal placé pour l'ignorer.
Passons : Il y a des fois où vous apparaissez franc "comme un âne qui recule".
Les réformes, j'en ai un paquet à vous proposer, mais pas n'importe lesquelles, pas n'importe comment, et pas avec n'importe qui : La preuve !
Votre caricature "simplissime" qui touche à l'ignorance la plus crasse (à mon sens volontaire et provocatrice) aurait des conséquences (connues, archi-connues et étudiées depuis des années in vivo et dans les meilleurs ékoles également) destructrices parfois considérables.
Que vous soyez suicidaire pour les ignorer, ça vous regarde.
Que vous vouliez suicider le pays tout entier avec vous, c'est totalement irresponsable et criminel!
Ceci dit, je reste un "grand démocrate" et vous restez avoir le droit d'aller voter.
Mais on devrait songer à réduire la capacité de nuisances des dingues !
Bien à vous !
I-Cube