La
Cour de Cassation et monopole de la Sécu
L’arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de cassation en
date du 7 mars dernier semble vouloir enfoncer, sans s’en rendre compte, un
coin dans le monopole de la Sécu.
En particulier, dans le combat que mènent ceux qui se font
appeler « Les Libérés de la sécu » face au monopole de la Sécurité sociale dont
ils tentent de s’affranchir, l’attaque frontale reste depuis plus de 20 ans
sans issue, comme en témoigne le récent arrêt du 23 février 2017, non encore
publié, de la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation relatif à la décision
de la Cour d’appel de Limoges du 23 mars 2015, qui déboute finalement un contestataire
du monopole, en l’empêchant d’escalader la procédure auprès de la CJUE.
En l’espèce, c’est un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour
de cassation. Cet arrêt dont je n’ai pas réussi à me procurer le texte, mais
juste le communiqué, concerne la désignation unilatérale par la branche
professionnelle de la boulangerie de confier le monopole de la mutuelle
complémentaire obligatoire pour toutes les entreprises de cette branche au
bénéfice d’un seul assureur.
Désignation jugée illégale, non au motif d’absence de mise
en concurrence préalable (conformément à l’arrêt du 3 mars 2011 C-437/09 de la
CJUE qui ne rend pas obligatoire ce procédé de mise en concurrence) mais pour
absence de publicité préalable permettant aux assureurs intéressés de se
manifester.
En conséquence de quoi les boulangers qui sont assurés
auprès d’un autre organisme ne sont pas contraints d’en changer pour celui
désigné par la branche.
Et il en irait de même pour les nouveaux boulangers qui
s’installent et qui sont donc libres de choisir leur assureur pour la
complémentaire santé et la prévoyance.
Note explicative relative à l’arrêt n° 349
Demandeur : M. Pascal X…
Défendeur : AG2R Réunica prévoyance
Résumé : La Cour de justice de l’Union
européenne dans son arrêt du 17 décembre 2015 (C-25/14 et C-26/14) a dit pour
droit que c’est l’arrêté d’extension de l’accord collectif confiant à un unique
opérateur, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d’un régime de
prévoyance complémentaire obligatoire au profit des salariés, qui a un effet
d’exclusion à l’égard des opérateurs établis dans d’autres États membres et qui
seraient potentiellement intéressés par l’exercice de cette activité de
gestion. Il apparaît que dans un mécanisme tel que celui en cause, c’est
l’intervention de l’autorité publique qui est à l’origine de la création d’un
droit exclusif et qui doit ainsi avoir lieu dans le respect de l’obligation de
transparence découlant de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne.
S’agissant du droit de l’Union européenne, dont le respect
constitue une obligation, tant en vertu du Traité sur l’Union européenne et du
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’en application de
l’article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe d’effectivité issu
des dispositions de ces Traités, telles qu’elles ont été interprétées par la
Cour de justice de l’Union européenne, que le juge national chargé d’appliquer
les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’en assurer le plein effet
en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition
contraire. À cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d’interprétation
de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice de l’Union européenne à
titre préjudiciel ou, lorsqu’il s’estime en état de le faire, appliquer le
droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction
administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause
devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte administratif au droit de
l’Union européenne.
Il en résulte que l’arrêté du 16 octobre 2006 simplement
précédé de la publicité prévue à l’article L. 133-14 du code du travail, alors
applicable, qui ne peut être regardée comme ayant permis aux opérateurs
intéressés de manifester leur intérêt pour la gestion des régimes de prévoyance
concernés avant l’adoption de la décision d’extension, incompatible avec les
règles issues du droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour de justice de
l’Union européenne, doit voir son application écartée en l’espèce.
Sur le moyen unique, soulevé d’office après avis donné aux
parties conformément aux dispositions de l’article 1015 du code de procédure
civile :
Vu l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les représentants des
employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du
secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la
convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de
ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette convention
collective par lequel ils ont décidé de mettre en œuvre un régime de
remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés
entrant dans le champ d’application de ce secteur ; qu’AG2R prévoyance a été
désignée aux termes de l’article 13 de cet avenant pour gérer ce régime et
l’article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ
d’application de l’avenant n° 83 de souscrire les garanties qu’il prévoit à
compter du 1er janvier 2007 ; que l’accord a été étendu au plan
national, par arrêté ministériel du 16 octobre 2006, à toute la branche de la
boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie ; qu’AG2R prévoyance a été désignée
par les partenaires sociaux, pour une nouvelle durée de cinq ans, comme unique
gestionnaire du régime, aux termes d’un avenant n° 100 du 27 mai 2011 étendu
par arrêté du 23 décembre 2011 ; que M. X…, non adhérent d’une organisation
d’employeurs signataire de l’avenant, ayant refusé de s’affilier au régime géré
par AG2R prévoyance, cette dernière a, par acte du 20 janvier 2012, saisi un
tribunal de grande instance pour obtenir la régularisation de l’adhésion de cet
artisan et le paiement des cotisations dues pour l’ensemble de ses salariés
depuis le 1er janvier 2007 ; que par décision du 8 juillet 2016, le
Conseil d’État a annulé l’article 6 de l’arrêté du 23 décembre 2011 ; que
l’institution AG2R prévoyance est devenue AG2R Réunica prévoyance ;
Attendu que pour condamner M. X… à régulariser son adhésion
et ordonner le règlement des cotisations dues à l’institution AG2R prévoyance
depuis le 1er janvier 2007, l’arrêt retient que les conditions de la
désignation de l’organisme chargé du régime mis en place dans le cadre d’un
accord professionnel de mutualisation des risques, par les partenaires sociaux,
en l’absence de disposition légale les obligeant à réaliser un appel d’offres,
doivent être analysées à la lumière des contraintes particulières imposées aux
entreprises susceptibles d’être mises en concurrence et de la situation du secteur
d’activité concerné, qu’à cet égard, il n’est pas contestable que
l’appartenance de AG2R Prévoyance, institution de prévoyance faisant partie du
groupe qui gérait le régime de retraite complémentaire obligatoire des
boulangers (ISICA) et le régime de prévoyance des risques
décès-incapacité-invalidité dans la même branche (ISICA Prévoyance) constitue
un critère objectif de choix pour la gestion du régime complémentaire du risque
santé, que de plus l’État a exercé un contrôle suffisant, d’une part, en prenant
un arrêté d’extension précédé d’une demande d’avis à la commission nationale de
la négociation collective, d’autre part, à travers l’arrêt du Conseil d’État en
date du 19 mai 2008 qui avait rejeté le recours en excès de pouvoir formé à
l’encontre de l’arrêté d’extension, qu’il n’y a pas lieu en conséquence de
faire droit à la demande de renvoi préjudiciel formulée par M. X... ;
Attendu cependant, que la Cour de justice de l’Union
européenne, dans son arrêt du 17 décembre 2015 (C-25/14 et C-26/14), a dit pour
droit que c’est l’arrêté d’extension de l’accord collectif confiant à un unique
opérateur, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d’un régime de
prévoyance complémentaire obligatoire au profit des salariés, qui a un effet
d’exclusion à l’égard des opérateurs établis dans d’autres États membres et qui
seraient potentiellement intéressés par l’exercice de cette activité de gestion
; qu’il apparaît que dans un mécanisme tel que celui en cause, c’est
l’intervention de l’autorité publique qui est à l’origine de la création d’un
droit exclusif et qui doit ainsi avoir lieu dans le respect de l’obligation de
transparence découlant de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne ; que s’agissant du droit de l’Union européenne, dont le
respect constitue une obligation, tant en vertu du Traité sur l’Union
européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’en
application de l’article 88-1 de la Constitution, il résulte du principe
d’effectivité issu des dispositions de ces Traités, telles qu’elles ont été
interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne, que le juge national
chargé d’appliquer les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’en
assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre
autorité, toute disposition contraire ; qu’à cet effet, il doit pouvoir, en cas
de difficulté d’interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de
justice à titre préjudiciel ou, lorsqu’il s’estime en état de le faire,
appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la
juridiction administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait
en cause devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte administratif au
droit de l’Union européenne ; qu’il en résulte que l’arrêté du 16 octobre 2006
simplement précédé de la publicité prévue à l’article L. 133-14 du code du
travail, alors applicable, qui ne peut être regardée comme ayant permis aux
opérateurs intéressés de manifester leur intérêt pour la gestion des régimes de
prévoyance concernés avant l’adoption de la décision d’extension, incompatible
avec les règles issues du droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour de
justice de l’Union européenne, doit voir son application écartée en l’espèce ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé
le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu
le 18 juin 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en
conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant
ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de
Paris ;
Président : M. Frouin
Rapporteur : Mme Sabotier, conseiller référendaire
rapporteur
Avocat général : Mme Berriat
Avocats : SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre - Me Le
Prado
Explications : À la première lecture, les attendus de
cet arrêt pourraient être également applicables aux organismes de Sécurité
sociale se prévalant d’un monopole comme le RSI, la MSA, ou les caisses
primaires d’assurance maladie pour les salariés, qui sont tous, rappelons-le,
des organismes de droit privé, investis certes d’une mission de service public,
mais sans aucune mise en concurrence ni publicité préalable, contrairement à ce
que juge la Cour de Cassation ce 7 mars :
« L’intervention
de l’autorité publique qui est à l’origine de la création d’un droit exclusif
doit avoir lieu dans le respect de l’obligation de transparence découlant de
l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », et ne doit
pas avoir « un effet d’exclusion à l’égard des opérateurs établis dans d’autres
États membres et qui seraient potentiellement intéressés par l’exercice de
cette activité de gestion. »
Formidable, non ?
Ne doutons pas que les défendeurs de la liberté de choix de
leur protection sociale, comme « Les Libérés de la Sécu », sauront présenter ce
nouvel argument face à leurs juges.
La règle veut en effet que l’affiliation à un régime de sécu
reste obligatoire dans l’espace économique européen. Les autres, on s’en fout :
« MacDonald-Trompe » peut décider ce qu’il veut pour les citoyens qui
ont voté ou non pour lui…
L’obligation s’impose à l’employeur qui applique la règle
territoriale de la loi transposée.
La loi applicable reste la loi locale. Et le salarié suit d’emblée
le régime de l’employeur qui l’emploie (puisque c’est lui le redevable officiel,
alors que les cotisations sont dues sur le salaire brut de référence).
Les problèmes surgissent quand l’employeur est aussi son
propre salarié et, deuxième cas, quand ce dernier passe une frontière (en
détachement, provisoire ou non).
Les problèmes de détachement sont pris en charge par les règlements
européens : Pas de souci.
C’est d’ailleurs l’occasion pour le salarié (et son
employeur) de changer de régime.
Les problèmes de trans-frontièralité aussi, mais avec des
solutions parfois différentes (et ça emporte également le régime spécifique de
la CSG et de la CRDS qui restent des « charges sociales » recouvrées
par le fisc et non les régimes sociaux eux-mêmes : Une invention de feu « Roro-card »…
quand on peut faire compliqué, pourquoi s’en priver ?)
Et globalement, les « Libérés de la sécu » (régime
général, RSI, MSA et régimes particuliers) s’en tiennent obligatoirement à une
affiliation gauloisienne.
Or, dans l’arrêt ci-dessus communiqué, la Cour de cassation
vient nous expliquer que justement, pour les régimes complémentaires, qui sont
de même nature que les autres régimes obligatoires puisqu’une complémentaire
est désormais « obligatoire », l’arrêté d’extension ne peut pas être
contraire aux principes supérieurs des traités et doit, avant toute chose être
ouvert à d’autres régimes complémentaires « intéressés »…
Ceci étant, il n’y a pas de légalité à statuer en droit
interne, par une juridiction de droit interne, tant que la CJUE n’a pas rendu
de décision.
Notez que ça ne changera pas grand-chose au bout du bout.
Mais dans l’intervalle, les opérateurs (et cotisants et
affiliés font ce qu’ils veulent) : C’est là que ça devient passionnant…
Bonne fin de week-end à toutes et tous.
Pour plus d’information,
suivre le lien :
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