Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une
fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de
l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Paul jette un œil sur sa montre bracelet : « On va arriver d’ici un quart d’heure.
D’autres questions ? » interroge-t-il son vis-à-vis.
« Moi ! »
s’interpose Alexis.
« Pourquoi vous dites tout ça à
un espion russe ? »
Parce que ce sont des informations « ouvertes ».
« Elles sont accessibles sur
Internet en quelques clics. Et si vous aviez lu le blog de l’autre
« ice-cube », vous en sauriez même beaucoup plus… »
« Mais ce sont des romans »
s’interpose le capitaine Igor. « Vous
venez de le dire ! »
Et heureusement que ce sont des romans !
« Comme ça ils ne sont pas pris
très au sérieux… Et pourtant ! »
« En attendant, je vais vous
dire comment j’ai rencontré Lady Joan. C’est sur l’indication d’un directeur de
la CIA. J’avais alors la mission de récupérer des fonds perdus par la République
depuis quelques années. Personne ne savait s’ils existaient, sauf les
présidents américains, père et fils[1],
parce qu’eux aussi en ont vu passer par conteneurs entiers de billets à l’effigie
de l’oncle Sam à l’occasion d’une guerre à laquelle votre pays n’a pas
participé. »
Paul parle de la guerre Irako-koweïtienne[2]…
Et il faut dire qu’à ce moment-là, entre la retraite d’Afghanistan et la chute
du mur de Berlin, le tout entre deux « révolutions de velours », sans
effusion de sang, les Russes n’en avaient pas vraiment les moyens de faire
autrement.
« Il se trouve que c’est elle
qui gérait très honnêtement cet argent malhonnêtement acquis sur le dos des
Irakiens pour le compte du président français d’alors.
J’ai eu du mal à l’identifier, mais
elle n’a pas fait de difficulté : le plan originel conçu par ce président-là
avait été éventé par la réforme du quinquennat. »
De quoi Paul parle-t-il ?
« Peu importe. Nous avons remis
de l’ordre dans le dispositif et ça a financé au total les trois Plans
d’Investissement pour l’Avenir successifs de mon pays[3].
Cela dit, pour que vous ne soyez pas
complétement stupides en sa compagnie, cette femme-là m’a fait faire une bonne
affaire, en même temps qu’elle a pu récupérer les fonds investis dans les
affaires de Lord McShiant, le savant aux machines surnuméraires qui ne fonctionnent
pas.
Et puis j’ai continué sur ma lancée.
Vous devez avoir ça dans vos dossiers sur moi dans votre service capitaine. »
Igor voit à peu-près et seulement pour partie de quoi veut parler Paul de
Bréveuil.
Alexis, pas du tout.
À la descente du convoi, le capitaine Igor s’éclipse juste un instant pour
rejoindre les agents du service qui doivent l’escorter. Il leur précise ses
instructions et rejoint ses compagnons de voyage en accélérant le pas.
Ils poursuivent dans le taxi qui roule vers Saint-Paul’s Cathedral.
« Une femme remarquable à
laquelle j’ai confié récemment la gestion de mes avoirs. Je vous explique en
deux mots. Mes « séjours insolites » ne sont pas que vers le futur
d’où je peux « lire » le présent. Ils ont été aussi vers le passé.
J’ai eu deux fois l’occasion à ce jour de me jeter dans le passé. En fait pas
vraiment la première fois[4],
mais tout de même.
En revanche, la seconde fois[5],
j’ai puisé dans « ma cagnotte » résiduelle pour faire un « bon
coup » sur le dos du marché et depuis, mon « agent traitant » de
la DRM a réussi à démultiplier dans mon dos ces valeurs en vendant le logiciel
« BBR ».
Et parce que j’ai souvenir des cours
délirant des cryptomonnaies, Lady Joan a encore multiplié ces avoirs et une
nouvelle fois en jouant en bourse sur mes indications[6].
Vous suivez ? »
Pas du tout…
Aucun des deux d’ailleurs.
« Aujourd’hui, je signe un
chèque de 6 milliards de Livres-Sterling pour acquérir une petite compagnie
navires de croisière un peu en difficulté en vue de la remonter pour quelle me fasse
un peu de rentes.
Je vais en avoir besoin pour assurer
mon quotidien. »
Lady Joan est censée expliquer le détail de l’opération, sans pour autant
en connaître la destination finale.
« Vous allez être des témoins
privilégiés… »
6 milliards, c’est une somme s’étonne Alexis.
« Presque 10 milliards d’euros
en comptant les frais de remise à niveau des navires. De la menue monnaie, mais
qui va permettre de loger mon personnel aux Chagos dans des conditions acceptables.
On n’attire pas les mouches avec du vinaigre et pas plus les compétences
indispensables. »
Et puis s’adressant au capitaine Igor : « Je sais que vous allez vouloir m’envoyer des ingénieurs-espions, comme
les chinois et les américains. Je préviens tout de suite, je filtre
impitoyablement… »
Mais pourquoi les faire assister à cette comédie qui peut se réaliser sans
témoin ?
« Pour Alexis, ma biographe
officielle, ça fait partie de son boulot. Pour vous, capitaine, c’est pour que
vous rentriez avec des biscuits à proposer à vos chefs, mais surtout pour
envoyer un troisième message à vos autorités : vous me foutez la paix. Je
peux faire tout seul au moins dans cette phase préparatoire. J’en ai les
moyens.
Si après, vous vous êtes comportés
comme des partenaires respectueux de cette injonction personnelle, alors une
fenêtre peut s’ouvrir pour vos autorités.
Compris ? »
Riche, comme échange en juge Igor…
« Vous évoquez quoi, au
juste ? »
Les prochaines échéances électorales concernant la France…
Noté.
« Si je comprends bien, je me laisse
guider… »
C’est exactement ça.
« Il y a une carotte, mais
souvenez-vous, il y a deux coups de bâton à venir. Et il peut y en avoir
d’autres si vous recommencez des opérations délirantes comme celle visant faussement
les Skripal.
Vous le constatez : pas la peine
d’être tordu pour obtenir ce que vous vouliez savoir. »
Et il voulait savoir quoi, demande Alexis ?
« Vous suivez,
jeune-fille ou quoi ? Ils voulaient savoir ce que je mijote aux Chagos. Je
mijote, mais ils me foutent une paix royale – d’autant que c’est un territoire
royal de sa Majesté très britannique – jusqu’au moment où ce sera en voie
d’être ouvert à tout le monde. »
Paul redoute quoi ?
« De perdre du temps en
foutaiseries, style l’affaire Skripal, l’enlèvement de Charlotte et d’Aurélie,
en sabotages et divers empêchements. On aura notre lot de retards, comme tout
projet « hors normes », pas la peine d’en rajouter.
Et je vais vous dire, Capitaine, ça
vaut aussi pour les autorités britanniques, les américains et même mes
compatriotes. Mais tous ceux-là, exceptée la CIA, sont moins
« tordus » que vous et votre paranoïa congénitale ! »
Ils arrivent, suivis de voitures de plusieurs véhicules banalisés.
Forcément des agents russes, filochés eux-mêmes et naturellement par des agents
du MI6 qui scrute « leur agent » en territoire britannique, surtout
quand il se promène avec un espion russe qui ne se cache même pas et vont
rendre visite à une Lady, membre des Lloyd’s…
« Je vais vous dire, le
principal emmerdeur que je vais devoir remettre sur les rails, c’est Elon Musk
à travers son Hyperloop. Mais celui-là se cassera les dents, lui aussi,
moyennant quelques concessions. »
Le gars des fusées et des voitures électriques ?
« Exactement. Je vais devenir
un concurrent de ses fusées et de quelques milliardaires qui œuvrent dans le
même secteur un peu en amateur, et ça ne va pas leur plaire.
Forcément. »
La bâtisse est cossue, posée entre plusieurs tours de bureaux et Lady Joan
est toujours aussi délicieuse avec sa crinière toute blanche qu’elle agite en de
savants coups de tête, sûre de ses charmes, ignorant presque la pauvrette en
quasi-guenille qui accompagne les deux hommes.
« How do you do ! Ainsi
c’est vous l’espion de la grande Russie qui empoisonne nos exilés
jusqu’ici ? Ravie de faire votre connaissance ! » fait-elle
en tendant sa main pour y recevoir un baise-main qui ne viendra pas.
Une façon comme une autre de mettre mal à l’aise ceux qu’elle considère
comme des importuns, pas de son monde à elle…
Paul, quant à lui, a droit à une paire de bises sonnantes et presque
trébuchantes sur les joues : « Ravie
de te revoir, my dear french stalion ! Tu es superbe dans ton bel
uniforme… Nos visiteurs vous ont précédé de quelques minutes et leurs
solicitors relisent les contrats. »
Alors allons-y…
Tout le monde se présente dans la grande salle de réunion décorée en style
victorien flamboyant, lourds lustres au plafond élevé, meubles en chêne et en
tek, bibelots assortis, toiles de maître aux murs, et on se demande ce que fait
ce civil russe aux yeux bleus qui annone à peine l’anglais, assis en face d’un
type âgé qui est venu lui aussi en uniforme de la marine britannique, mais avec
trois étoiles aux épaulettes et sur les manches…
« C’est mon témoin, »
précise Paul en anglais pour détendre l’atmosphère.
Ce qui en soi n’est pas faux.
Mais la langue de Shakespeare n’est pas d’un usage très courant pour
Alexis qui est rapidement larguée alors que la capitaine Igor à l’air de suivre
sans intervenir.
Et puis, pour faire durer le plaisir, alors que les parapheurs circulent
déjà pour signature, les dernières ergoteries du moment commencent, comme pour
meubler une réunion où tout a été millimétré.
Quid des affrètements en cours ?
Ils vont continuer selon le calendrier prévu en annexe.
Et les contrats de fournitures en cours ?
Idem, même s’il n’est pas certain que leur courtier restera le même aux
prochaines échéances.
Quid du personnel ?
« Vous le savez bien, il est
repris dans son intégralité. Seulement vous constatez dans le calendrier
prévisionnel que nous allons devoir « remettre à niveau » l’ensemble
de la flotte. Ce qui va demander des immobilisations en chantier naval. À cette
occasion, la plupart des personnels navigants seront mis en disponibilité, avec
offre de réembauche à l’occasion.
Forcément, le personnel administratif
au sol verra son activité se réduire au fil des mises en chantier. Mais ça
devrait bien se passer : ils seront reclassés.
Tout ce que je veux, c’est que les
saisons prévues soient assurées. »
Et après ?
« Je l’ai déjà affirmé :
les ferrys vont être transformés les premiers. Les petites unités de croisières
ensuite pour terminer par les deux grosses unités des Caraïbes, par roulement. »
Quel chantier ?
« Pas d’a priori. Au mieux disant. »
Et l’architecte ?
« Les plans sont déjà
quasi-dessinés. En réalité, ils vont servir de cahier des charges. Après, ce
sera au plus… « motivé » pour faire au mieux. »
Paul n’est pourtant pas du métier… mais ça paraît raisonnable.
« Je suis bien entouré… »
rassure-t-il.
De toute façon, ces gars-là, représentant quelques familles d’actionnaires
affréteurs historiques de la compagnie cédée, se croient encore les héritiers
d’une tradition séculaire d’armateur, très attachée au
« savoir-faire » du pays dans le domaine maritime.
Alors qu’ils ne sont que la ruine de leur glorieux passé, sans avoir
jamais été capables de rivaliser avec la Cunard, l’INC, Sun Cruises ou quelques
autres survivantes dans ce monde si étroit : ils sont en fait ravis de se
séparer de leur petite flotte et des embarras qu’elle procure au quotidien,
pour se partager le pactole qu’ils en retirent après plusieurs générations, la
leur étant devenue trop nombreuse pour faire vivre tout le monde.
Les signatures sont échangées, le chèque que signe Lady Joan sur son
compte des Lloyd’s est remis au juriste du groupe cédant et tout le monde se sépare
après quelques poignées de mains et autres salutations.
« Well, tu restes dîner ? »
demande Lady Joan en français.
Non, Paul repart à Heathrow avec Alexis.
Ah, dommage…
« J’ai du travail qui m’attend
aux Chagos. Merci pour cette courte halte et tout le travail que cela
représente. D’autant que c’est toi qui demeures ma gérante commanditée pour le
reste à suivre de cette branche d’activité-là : tu as de quoi faire pour
plusieurs mois. On se revoit d’ici quelques semaines. Mais je reste toujours en
ligne à ta disposition pour ce qui est de l’intendance… »
Déçue, la belle.
« Alors, capitaine, des
questions ? » demande Paul une fois sur le trottoir.
« Plusieurs, parce que je ne
comprends pas ce que je faisais là à vous regarder faire le pingouin au milieu de
ces dinosaures d’un empire maritime révolu… »
Eux venaient de tourner la dernière page de leur aventure familiale
commencée dans un autre siècle, refermant définitivement leur livre.
« Vous, vous êtes venus voir
une partie du commencement d’une autre aventure, très loin de vos
préoccupations d’espion aux aguets : je fais des affaires à mille lieues
des délires géopolitiques de ce monde en furie. Vous avez vu concrètement l’un
des aspects, je vous ai dit l’essentiel et pas plus sur un autre aspect.
Franc-jeu, camarade ! À vous d’en
faire autant, de passer mes messages et d’en tirer le meilleur ! »
Il manque un détail.
Lequel ?
« Pour quelle raison le Novichok
n’a-t-il pas tué toute la ville ? »
Mais parce que ça n’en était pas…
[1] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Opération Juliette-Siéra » aux éditions
I3
[2] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Laudato sì… aux éditions I3
[3] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Ultime récit – suite » aux éditions
I3
[4] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Mains invisibles » (tome II) aux
éditions I3
[5] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Laudato sì… aux éditions I3
[6] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Ultime récit – suite » aux éditions
I3
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