Pour faire plaisir à notre ami «
Jacques » !
PREMIER AVOCAT GÉNÉRAL : M. Didier BOCCON-GIBOD
POURVOI N ° : N 14-84.339
Monsieur Meshal X... (SCP Spinosi et Sureau )
et
Monsieur Abdelgrani Y...
ARRÊT ATTAQUÉ : Arrêt rendu sur renvoi après cassation le 5
juin 2014 par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris (1ère
section) - Pourvois formés le 6 juin 2014 et le 19 juin 2014
AVIS de Monsieur le premier avocat général Didier
BOCCON-GIBOD
La Cour de cassation est saisie des recours exercés par MM.
Meshal X... et Abdelgrani Y... contre l’arrêt rappelé en tête de cet avis.
S’agissant de pourvois dirigés contre un arrêt prononcé par une chambre de
l’instruction saisie d’une requête en nullité des pièces d’une information
judiciaire, leur examen immédiat a été ordonné suivant décision du 9 juillet
2014 du président de la Chambre criminelle.
Le pourvoi régulièrement inscrit par M. Meshal X... est
recevable. L’intéressé a constitué avocat, soit la SCP Spinosi et Sureau qui a
déposé un mémoire, également recevable.
La recevabilité du pourvoi inscrit par M. Y... mérite en
revanche d’être vérifiée. En effet, l’intéressé n’était, par définition, pas
partie dans la procédure initiale, ayant été mis en examen le 20 septembre
2013, soit après le prononcé de la décision ayant statué (le 4 juillet 2013)
sur la requête de M. Meshal X... qui a donné lieu au contentieux ici examiné.
Il a cependant un intérêt indiscutable à exercer un recours
contre une décision lui faisant grief, prise après une audience à laquelle il
est intervenu par l’intermédiaire de son avocat qui a déposé un mémoire. Il
reste cependant, en tout état de cause, qu’il n’a pas constitué avocat devant
la Cour de cassation et n’a pas déposé de mémoire personnel. Aussi, bien que
recevable en la forme, son pourvoi pourrait donner lieu à une décision de
non-admission, faute de moyen développé pour son soutien.
À Titre préliminaire : rappel succinct des faits et de la
procédure
Il paraît suffisant de rappeler que M. Z... (identifié par
son ADN) et M. X... ont été soupçonnés d’être les auteurs d’un vol aggravé par
le port d’une arme, le 16 février 2012, au Vesinet (78) au préjudice d’une
bijouterie.
M. X... a été interpellé à son domicile le 24 septembre
2012. Il se trouve qu’à cette date, M. Z... était en détention provisoire à la
maison d’arrêt de Nanterre pour infraction à la législation sur les
stupéfiants.
Les enquêteurs ont alors pris la décision, après avoir
extrait M. Z... de l’établissement pénitentiaire où il se trouvait, de placer
les deux suspects en garde à vue dans des cellules contiguës. Les intéressés
pouvant se parler, leurs conversations étaient enregistrées.
En effet, sur avis conforme du parquet, sous la réserve
expresse que les deux suspects ne soient pas placés dans la même cellule, le
magistrat instructeur a autorisé la sonorisation de deux geôles de garde à vue
au commissariat de Fontenay-le-Fleury, du 24 au 28 septembre 2012, opération
consistant en la pose d’un dispositif permettant l’écoute et l’enregistrement
des conversations.
On remarquera que l’ordonnance a été prise à une date (17
septembre 2012) antérieure à l’arrestation de M. X... le 24 septembre 2012 et
au placement en garde à vue, le même jour, de l’intéressé en même temps que M.
Z....
Cette décision était rédigée en ces termes :
Vu les articles 706-96 et 706-102 du code de procédure
pénale :
❖ Attendu que l’information porte
notamment sur des faits de vol avec arme en bande organisée, association de
malfaiteurs, crime et délit entrant dans le champ d’application de l’article
706-73 du code de procédure pénale ;
❖ Attendu que l’ADN de Fayçal Z... a été
retrouvé sur les lieux de commission de l’infraction, que, néanmoins, les
témoins de la scène ont décrit trois agresseurs, que les deux co-auteurs
restent à identifier ;
❖ Attendu que des écoutes téléphoniques
ont permis de mettre en évidence des relations très fréquentes entre Fayçal
Z... et Meshal X..., que, de plus, ceux-ci paraissent évoquer les faits lors de
l’une des conversations enregistrées; qu’eu égard à la difficulté, pour les
enquêteurs, de rassembler de nouveaux éléments de preuve, il apparaît
indispensable à la manifestation de la vérité de procéder à la sonorisation de
l’intérieur des cellules de garde à vue que les personnes soupçonnées vont
occuper;
❖ Attendu que la sonorisation de ces
geôles permettra en effet aux enquêteurs de recueillir des informations sur les
faits visés aux réquisitoires introductif et supplétifs et de déterminer le
rôle de chacun des mis en cause, leurs relations et le déroulement des faits si
les gardés à vue tentent de communiquer entre eux malgré l’interdiction qui
leur en sera faite, que cette sonorisation devra être mise en place durant tout
le temps de la garde à vue soit pour une durée de quatre jours.
Cette opération a porté ses fruits puisque M. X... a tenu à
M. Z... - lequel avait, pour sa part, reconnu les faits -, des propos qui, non
seulement l’incriminaient très nettement, mais aussi permettaient d’identifier
deux coauteurs ou complices.
MM. Z... et M. X... étaient mis en examen le 27 septembre
2012, notamment, des chefs d’association de malfaiteurs et de vol aggravé en
bande organisée. Ils étaient placés en détention provisoire.
Le conseil de M. X... a, le 7 mars 2013, soit dans le délai
de six mois prévu par l’article 173-1 du code de procédure pénale, saisi la
chambre de l’instruction d’une requête en annulation d’actes de la procédure,
parmi lesquels les pièces relatives à sa garde à vue et la sonorisation des
cellules de garde à vue.
La requête, concernant plus particulièrement ladite
sonorisation, était rédigée en ces termes :
❖ Le placement en garde à vue de
Monsieur X... a en effet été opéré dans le cadre d'un détournement de
procédure, accompli en violation des droits garantis par les dispositions
légales et conventionnelles à toute personne mise en cause dans le cadre de
poursuites engagées contre lui, notamment de son droit à garder le silence et
de ne pas participer à sa propre incrimination.
❖ Or, la mise en place d'un dispositif
de sonorisation dans les geôles de garde à vue constitue une violation patente
de ces droits, en particulier le droit au respect de sa vie privée qui prend
une dimension particulière au cours des temps de repos dont bénéficie la
personne gardée à vue.
❖ De surcroît le droit de la preuve en
matière pénale est régi par le principe de loyauté, principe manifestement
violé par l'ordonnance autorisant la captation de paroles dans les geôles de
garde a vue dès lors qu'elle autorisait implicitement la mise en œuvre d'une
mesure coercitive pour les seules nécessitées de la sonorisation.
Les arguments qui précèdent ne sont, dans la requête, que
l’annonce de développements plus complets non reproduits dans le présent avis.
Par arrêt du 4 juillet 2013, la chambre de l’instruction de
la cour d’appel de Versailles a, conformément aux réquisitions du ministère
public, rejeté la requête.
Toutefois, sur le pourvoi de M. X..., la Chambre criminelle
a, par arrêt (Crim. 7 janvier 2014, pourvoi n° 13-85.246, Bull. n° 1. Cette
décision a été abondamment commentée : S. Detraz, Sonorisation d'une cellule de
garde à vue : un stratagème qui vicie la recherche de la preuve, D. 2014 n° 4,
p. 26 ; E. Vergès : Loyauté et licéité, deux apports majeurs à la théorie de la
preuve pénale, D. 2014 n° 6, p.407 et s. ; O. Bachelet : Sonorisation de
cellules de garde à vue : loyauté versus légalité GP, n° 38-39, 7-8 février
2014 ; A. Maron et M. Haas, Un stratagème couvert d'une feuille de vigne
légale, Droit pénal, n° 2, février 2014 ; A. Gallois, Loyauté des preuves pénales
: la Cour de cassation est-elle allée trop loin ? JCP G n° 9, 3 mars 2014,
Jurisprudence, n° 272, p. 434 à 437) du 7 janvier 2014, conforme aux
conclusions de M. l’avocat général Cordier, censuré cette décision et renvoyé
l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.
Elle s’est prononcée en ces termes :
❖ Vu l'article 6 de la Convention
européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure
pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves ;
❖ Attendu que porte atteinte au droit à
un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en
vicie la recherche par un agent de l'autorité publique ;
[...]
❖ Attendu que, pour écarter les moyens
de nullité des procès-verbaux de placement et d'auditions en garde à vue, des
pièces d'exécution de la commission rogatoire technique relative à la
sonorisation des cellules de garde à vue et de la mise en examen, pris de la
violation du droit de se taire, du droit au respect de la vie privée et de la
déloyauté dans la recherche de la preuve, la chambre de l'instruction énonce
que le mode de recueil de la preuve associant la garde à vue et la sonorisation
des cellules de la garde à vue ne doit pas être considéré comme déloyal ou
susceptible de porter atteinte aux droits de la défense, dès lors que les
règles relatives à la garde à vue et les droits inhérents à cette mesure ont
été respectés et que la sonorisation a été menée conformément aux restrictions
et aux règles procédurales protectrices des droits fondamentaux posées
expressément par la commission rogatoire du juge d'instruction et qu'il peut
être discuté tout au long de la procédure ;
❖ Mais attendu qu'en statuant ainsi,
alors que la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement de MM. Z...
et X... dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux
participait d'un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des
preuves, lequel a amené M. X... à s'incriminer lui-même au cours de sa garde à
vue, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe
ci-dessus énoncé
Par arrêt du 5 juin 2014, la chambre de l’instruction de
Paris, résistant à la Chambre criminelle, a, derechef, rejeté la requête en
nullité par des motifs qui peuvent être synthétisés comme suit :
- aucune disposition
légale n'interdit de mettre en œuvre simultanément deux moyens d'investigation
; la garde à vue est une mesure destinée à faciliter les investigations ; il en
est de même pour la sonorisation ;
- la concertation à
éviter, selon la lettre de l’article 62-2 5° du code de procédure pénale, n’est
pas nécessairement celle qui peut exister entre deux personnes gardées à vue ;
- il était au demeurant
interdit aux intéressés, placés dans deux cellules distinctes, de communiquer (On ne peut que relever immédiatement
le caractère spécieux de ce motif, par ailleurs surabondant, dès lors que
l’interdiction évoquée est en contradiction complète avec les dispositions
prises pour que les intéressés se parlent, et pour enregistrer leurs
discussions : si l’interdiction était réelle, il n’était pas difficile de les
placer dans des geôles éloignées, voire dans des locaux de police différents,
interdisant tout échange.) ;
- aucune disposition
légale n’interdit la sonorisation des locaux de garde à vue ;
- Il n’est en rien
démontré qu’il a été porté atteinte aux droits des intéressés de se taire ;
- les faits reprochés aux
intéressés sont de ceux qui autorisent une ingérence dans la vie privée telle
que la sonorisation, étant rappelé que la Chambre criminelle, par arrêt du 1er
mars 2006, a estimé que l'interception des conversations échangées entre une
personne mise en examen détenue et ses visiteurs à l'occasion d'un parloir ne
constituait pas une violation de l'article 8 de la Convention européenne des
droits de l'homme (Crim. 1er mars
2006, Bull. n° 59. 5).
- la gravité des faits répondait aux critères de proportionnalité
et de nécessité, la notion de protection de la vie privée n’étant par ailleurs
pas compatible avec la garde à vue ;
- les gardés à vue n’ont pas été incités à parler entre eux
(Ce motif appelle les mêmes observations que celles figurant plus haut : dès
lors que le placement dans des cellules contiguës sonorisées traduisait une
volonté de surprendre les propos échangés, les dispositions prises relèvent
plus de la permission, sinon de l’incitation, que de l’interdiction.).
* * *
En l’état de la divergence existant entre sa décision
précitée du 7 janvier 2014 et l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction de
la cour d’appel de Paris statuant comme cour de renvoi, en l’état également des
conclusions de M. l’avocat général Le Baut qui, contrairement aux premières
écritures du parquet général sous l’arrêt de cassation, tendaient au rejet du
pourvoi et donc à la validation de la sonorisation contestée, la Chambre
criminelle a, par arrêt du 15 octobre 2014, ordonné le renvoi de la procédure
devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.
Le mémoire ampliatif déposé par la SCP Spinosi et Sureau
contient deux moyens de cassation. Leur exposé sera suivi de leur discussion.
I. Premier moyen
1. Exposé du moyen
Le moyen, en quatre branches, excipe d’une violation du
principe de loyauté des preuves, des articles 6 de la Convention européenne des
droits de l’homme, préliminaire, 62-2, 63-1, 70696, 591 et 593 du Code de
procédure pénale, en ce que la Chambre de l’instruction a dit n’y avoir lieu à
annulation des procès-verbaux relatifs à la sonorisation des cellules de garde
à vue du mis en examen.
Première branche : porte atteinte au droit à un procès
équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la
recherche par un agent de l'autorité publique ; [...] en l’espèce, la
conjugaison des mesures de garde à vue, du placement de deux personnes
suspectées dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux a
participé d’un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des
preuves, lequel a amené l’une d’elle, mise en examen, à s’incriminer elle-même
au cours de sa garde à vue ;
Deuxième branche : la procédure pénale doit être équitable
et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ; [...] si la
sonorisation de lieux privés ou publics est légalement prévue par l’article
706-96 du Code de procédure pénale en matière de criminalité organisée, elle ne
saurait être mise en œuvre durant le repos d’un gardé à vue dans sa cellule ;
[...] en effet, la combinaison de ces deux mesures coercitives destinées à la
manifestation de la vérité porte une atteinte intolérable aux droits de la
défense qui commandait à la Chambre de l’instruction de prononcer leur
annulation.
Troisième branche : la garde à vue est une mesure de
contrainte judiciaire qui ne peut se dérouler que lorsqu’elle constitue
l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs précisément fixés par l’article
62-2 du Code de procédure pénale ; [....] en l’espèce, tant la garde à vue que
la mesure de sonorisation ont été planifiées à l’avance en vue d’une
sonorisation de la cellule de l’exposant ainsi que de celle d’une autre
personne impliquée dans l’affaire ; [...] la chambre de l’instruction ne
pouvait se retrancher derrière les autres objectifs mentionnés sur le
procès-verbal par les enquêteurs pour refuser d’annuler cette mesure dont le
but a été illégalement détourné
Dernière branche : l’article 63-1 du Code de procédure
pénale impose la notification au gardé à vue, dès le début de la mesure, de son
droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées,
ou de se taire ; [...] tel qu’il est garanti par l’article 6 de la Convention
européenne, le droit de ne pas s'incriminer soi-même concerne le respect de la
détermination d'un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une
affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à
des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de
la volonté de l'accusé; [...] la sonorisation des cellules de garde à vue visant
à surprendre les propos de la personne durant son temps de repos est
manifestement contraire aux textes précités
Sont ainsi invoqués les principes qui commandent la loyauté
de l’enquête, qui président à la garantie des droits de la défense, qui justifient
la garde à vue et qui protègent le droit de ne pas s’auto-incriminer.
A ce stade, la question posée par le moyen peut donc
s’énoncer comme suit : la sonorisation prévue par l’article 706-96 du code de
procédure pénale peut-elle servir à surprendre, pendant leur temps de repos,
les conversations de personnes placées en garde à vue ?
2. Discussion
C’est au premier chef au regard de l’obligation de loyauté
pesant sur le juge, sur les enquêteurs et, en définitive, sur la procédure, que
doit être examiné le moyen, étant observé qu’il existe une étroite relation
entre cette obligation et la protection des droits de la défense. On n’imagine
pas, en effet, que l’administration d’une preuve déloyale ne soit pas
constitutive d’une violation caractérisée des droits de la défense, dont la
valeur constitutionnelle est bien établie (Conseil constitutionnel, décision
2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 24 : le principe des droits de la défense
résulte de l'article 16 de la Déclaration de 1789.)
Il ne paraît pas utile d’approfondir outre mesure le concept
de loyauté, tant sa signification première s’impose avec évidence : devoir de
l’état contenu dans le serment que tout magistrat prête lors de son entrée en
fonction, la loyauté est, selon le Recueil des obligations déontologiques
élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature, une obligation d’exercer
ses pouvoirs sans les outrepasser, de respecter le principe contradictoire et
les droits de la défense.
Observons seulement que la définition proposée par le Doyen
Bouzat dans une étude remarquée (Pierre Bouzat, La loyauté dans la recherche
des preuves. Mélanges Hugueney, Sirey 1964.) conserve toute son actualité : « la loyauté est une manière d’être de la
recherche des preuves, conforme au respect des droits de l’individu et à la
dignité de la Justice ».
En l’espèce, c’est bien de la loyauté de l’enquête conduite
par le juge d’instruction qu’il s’agit, plutôt que de celle, stricto sensu, des enquêteurs eux-mêmes,
ceux-ci ayant agi par délégation du magistrat, conformément aux ordres contenus
dans la décision motivée prescrivant la sonorisation.
2.1 Repères historiques
La doctrine, en des temps anciens, s’est divisée sur le
point de savoir si le juge pouvait recourir à tous les artifices dans le but,
louable en soi, de faire éclater la vérité. Faustin-Hélie (Faustin-Hélie,
Traité de l’instruction criminelle, 1866, T. 4 p. n° 1930 et s.) note qu’il « était de jurisprudence dans notre ancienne
pratique criminelle, que le juge d’instruction pouvait, pour ainsi dire, tendre
des pièges au prévenu pour le faire tomber dans quelque aveu ».
Il cite Laroche-Flavin, premier président au Parlement de
Toulouse, qui écrivait dans un livre publié en 1607 : « il est permis et loisible au juge de mentir quelquefois pour rechercher
et découvrir la vérité des crimes et forfaits ... ».
Ce point de vue était cependant plus tard combattu par
Daniel Jousse, conseiller au Présidial d’Orléans qui, dans son Traité de la
justice criminelle de France, écrivait en 1771 que le juge « doit surtout éviter de se servir de ruses et
de discours captieux pour surprendre l’accusé. Outre que cette voie ne convient
point à la dignité d’un magistrat, c’est qu’en usant de ce moyen, il paraîtrait
plutôt agir avec passion qu’animé du zèle et du bien de la justice ».
À une époque plus récente, en 1887, l’un des exemples les
plus célèbres et souvent cité (Par exemple : Desportes et Lazerges-Cousquer,
Traité de procédure pénale, n° 569, Economica, 3ème Ed.) du recours
à un procédé déloyal portant gravement atteinte aux droits de la défense est
celui de ce juge en charge de l’instruction de l’affaire dite des décorations
dans laquelle était compromis Daniel Wilson, gendre de Jules Grévy, Président
de la République : il avait appelé un suspect au téléphone en se faisant passer
pour un ami du gendre en question et avait ainsi obtenu de lui des déclarations
compromettantes (Cf. Marcel Rousselet dans la Revue de sciences criminelles de
1946, p. 50 : Les ruses et les artifices dans l’instruction criminelle.). Cette
manœuvre a valu à son auteur de comparaître devant la Cour de cassation toutes
chambres réunies (Cass., Ch. réun., 31 janv. 1888, S. 1889. 1. 241.) en Conseil
supérieur de la magistrature qui, le 31 janvier 1888, a prononcé contre lui une
décision de censure simple, jugeant qu’il avait employé « un procédé s’écartant des règles de la loyauté que doit observer toute
information judiciaire et constituant par cela même un acte contraire aux
devoirs et à la dignité de magistrat ». L’exemple le plus topique, au plan
historique autant que judiciaire, reste cependant lié à l’affaire Dreyfus, où
l’on voit, en décembre 1894, le général Mercier, ministre de la guerre, faire
porter aux juges, pendant qu’ils délibèrent, un dossier secret, censé contenir
des preuves accablantes contre l’accusé mais non soumises à la contradiction,
et en réalité composé de pièces falsifiées. On sait le sort que, par son arrêt
du 12 juillet 1906, la Cour de cassation constituée en chambres réunies a
réservé à ce honteux procédé.
2.2 État de la question à l’époque contemporaine
Par son arrêt Imbert (11 du 12 juin 1952, la Chambre
criminelle s’est prononcée dans le droit fil de sa décision concernant
l’affaire Wilson évoquée plus haut. Elle a en effet invalidé la pratique
consistant, pour un enquêteur, à faire téléphoner à un suspect par un tiers
chargé de lui poser une série de questions dont les réponses pouvaient
l’incriminer, réponses qu’il a actées par procès-verbal. La Cour juge « que
l’opération exécutée dans de telles conditions doit être considérée comme nulle
; qu’en effet, elle a eu pour résultat d’éluder les dispositions légales et les
règles générales de procédure que le juge d’instruction ou son délégué ne
sauraient méconnaître sans compromettre les droits de la défense ». Cet arrêt
présente également l’intérêt de ne pas créer de distinction, quant à l’exigence
de loyauté, entre le juge et les enquêteurs. Il énonce en effet que «
l’officier de police judiciaire commis rogatoirement exerce, dans les limites
de la commission, tous les pouvoirs du juge d’instruction ; il se trouve par
là-même soumis à toutes les obligations incombant à ce magistrat ».
Il est intéressant de noter que la Chambre criminelle a été
regardée à l’époque comme faisant preuve d’une «grande hardiesse », dans la
mesure où elle avait pris sa décision non pas au motif de la violation d’une
obligation prévue par les textes à peine de nullité, mais seulement par
référence à des règles générales et aux droits de la défense (Crim. 12 juin
1952, Bull. n° 153).
Il est maintenant admis qu’aucune déloyauté n’est tolérée de
la part des agents chargés de l’enquête, voire d’autres agents publics
sollicités pour les besoins d’une enquête, sous certaines réserves qui restent
à préciser, concernant les procédés secrets auxquels il est permis de recourir.
En effet, la liberté de la preuve, affirmée à l’article 427
du code de procédure pénale, n’autorise pas les services d’enquête à toutes les
licences. Aux termes tant de l’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’Homme que de l’article préliminaire du code de procédure pénale (Le
principe de loyauté de la preuve n’a pas été introduit en tant que tel dans
l’article préliminaire créé par la loi du 15 juin 2000, en raison, selon les
travaux préparatoires de cette loi, de l’impossibilité de le concilier de
manière certaine avec celui de la liberté de la preuve inscrit à l’article 427),
il reste cependant que la notion de loyauté n’est pas dissociable de celle de
procès équitable respectant de manière égale procédure pénale, la procédure
pénale doit être équitable et préserver l’équilibre des droits des parties.
Si l’on s’en tient à des principes généraux, il semble
relativement facile de tracer une ligne de partage : si les agents publics
n’ont pas droit à la déloyauté, les parties privées, sur lesquelles ne pèsent
pas d’obligations déontologiques ou procédurales peuvent, en matière pénale,
user de moyens déloyaux pour rapporter la preuve des faits dont elles
s’estiment victimes. La difficulté est cependant, comme on le verra, de définir,
pour les agents publics, une exacte limite entre ce qui est un procédé déloyal
et une ruse admissible.
2.2.1 Les agents publics n’ont pas droit à la déloyauté
Il existe un principe et des exceptions
2.2.1.1 Le principe
La Chambre criminelle censure tout acte non autorisé par la
loi s’analysant en un manque de loyauté, qu’il relève de la provocation, du
détournement ou du contournement de procédure. Elle qualifie, pour l’invalider,
« d’artifice ou stratagème » tout
procédé par lequel un enquêteur tenterait d’obtenir une preuve en
s’affranchissant des règles de la procédure (Crim. 13 juin 1989, Bull. n° 254 ;
23 juillet 1985, Bull. n° 275.).
Elle sanctionne (Arrêt Schuller - Maréchal, Crim 27 février
1996, Bull. n° 93) bien évidemment ce qui ressemble à un archétype de
provocation lorsque « les fonctionnaires
de police ont prêté, de manière active, leur assistance à une provocation,
organisée par le plaignant, ayant pour objet, non pas de constater un délit sur
le point de se commettre, mais d'inciter un délinquant en puissance, inactif
depuis deux mois, contre lequel il n'avait pas cru devoir à l'époque porter
plainte, à commettre des faits pénalement répréhensibles [...] ».
Elle juge (Crim. 11 mai 2006, Bull n° 132) de même, en 2006,
dans la ligne de son arrêt Imbert de 1952, que « porte atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un
procès équitable la provocation à la commission d’une infraction par un agent
de l’autorité publique ou par son intermédiaire ; que la déloyauté de pareil
procédé rend irrecevable en justice les éléments de preuve ainsi obtenus ».
En l’espèce, elle sanctionnait un stratagème consistant, de la part d’un
service de police, à demander à un informateur de se faire passer pour un
mineur de 14 ans sur des sites de rencontres homosexuels, afin de confondre des
pédophiles et de permettre leur identification.
Elle va également regarder comme une provocation par des
agents publics, fussent-ils étrangers, le site internet créé par un service de
police new-yorkais proposant des images à caractère pédopornographique, dans le
seul but d’identifier les clients se connectant (Crim. 7 février 2007, Bull. n°
37 ; 4 juin 2008, Bull. n° 141.10).
La Cour de Strasbourg condamne de même la provocation comme
contraire aux droits garantis par l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’Homme. Elle juge ainsi les droits des parties, que n’est pas
conforme au premier paragraphe de cet article une condamnation pour infraction
à la législation sur les stupéfiants fondée essentiellement sur les
déclarations de deux policiers dont l'intervention a provoqué l'infraction (Cedh
9 juin 1998, Texeira de Castro c. Portugal ; RSC 1999. 401, obs. Koering-Joulin).
Quant au détournement de procédure, il est constitué, ainsi
que l’a jugé, en substance, la première Chambre civile de la Cour de cassation,
lorsque le placement en garde-à-vue d’un étranger en situation irrégulière est
ordonné à seule fin de conduire à son terme la procédure administrative de
reconduite à la frontière (Cass. 1ère civ. 5 juillet 2012 (3
arrêts), Bull. Civ I, n° 158.).
Au titre du contournement de procédure, la Chambre
criminelle juge déloyale la transcription par des officiers de police
judiciaire des confidences d’une personne mise en examen au cours de son
transfert vers la maison d'arrêt, dans un procès-verbal de renseignements relatant
et transmettant au juge d'instruction les propos tenus devant eux (Crim. 5 mars
2013, Bull. n° 56.) :
« Attendu que, pour
rejeter la requête, l'arrêt retient que les officiers de police judiciaire
n'ont pas procédé à un interrogatoire de M. D... mais ont seulement retranscrit
ses confidences au cours du transfert vers la maison d'arrêt, dans un
procès-verbal de renseignements relatant et transmettant au juge d'instruction
les propos tenus devant eux ; Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le
recueil, dans ces conditions, des propos par lesquels le mis en examen
s'incriminait lui-même, avait pour effet d'éluder les droits de la défense et
que les officiers de police judiciaire auraient dû se borner, constatant la
volonté du mis en examen de s'exprimer plus amplement sur les faits, à en faire
rapport au juge d'instruction, seul habilité à procéder à un interrogatoire
dans les formes légales [...]. »
De même un officier de police judiciaire agissant dans
l’exercice de ses fonctions ne saurait procéder à l’enregistrement clandestin
de sa conversation avec un suspect et doit être regardé comme usant d’un
stratagème déloyal (Crim. 16 décembre 1997, Bull. n° 427.), ce qui ne serait
pas le cas si, bien que policier, il agissait en dehors du service, comme
particulier victime d’une infraction (Crim. 19 janvier 1999, Bull. n° 9.).
La déloyauté est de même retenue lorsqu’un enquêteur établit
et joint à la procédure un procès-verbal de renseignement reproduisant les
propos tenus pas un suspect en marge de son audition et qui mentionnait
expressément que celui-ci refusait que les déclarations qu'il contenait soient
consignées dans son audition (Crim. 3 avril 2007, Bull. n° 102. 11).
La cause serait donc
entendue ?
Pas vraiment, car il y a
des exceptions à suivre…
Pour dimanche prochain,
jour de victoire, alors que là, on fêtait le travail de cet homme manifestement
très érudit !
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