Pour faire plaisir à notre ami «
Jacques » !
Persistons à reprendre le
mémoire du premier avocat général auprès de la cour de cassation, M. Didier
BOCCON-GIBOD, dans cette « petite-affaire » d’écoute en cellule de
garde-à-vue de deux voyous :
2.2.1.2 Les exceptions
a) La ruse n’est pas interdite, dans certaines limites.
Il est bien évident que toute enquête policière requiert un
minimum de discrétion, de confidentialité à l’égard de ceux-là mêmes qui en
sont l’objet. Certains procédés d’enquête, alors même qu’ils ne sont pas
accomplis par des enquêteurs agissant au grand jour, appartiennent au registre
classique des moyens par lesquels doivent être constatées les infractions, d’en
rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, selon la formule de
l’article 14 du code de procédure pénale et conformément aux dispositions des
articles 41 et 81 de ce code. Nul ne songerait sérieusement à qualifier de
déloyale une filature (Crim. 23 août 1994, Bull. n° 291 ; 11 mai 1993, n°
93-80.932 ; 4 juin 1991, n° 91-81.682 ; 4 février 1991, n° 90-81.370.), ou
l’emploi d’indicateurs (Crim. 15 février 1988, Bull. n° 73.),
b) La loi autorise, dans certaines circonstances, de
recourir à la dissimulation.
Afin, selon une expression parfois employée, de ne pas « désarmer la répression », le législateur
autorise les services d’enquête, sous le contrôle du juge, à recourir à
différents procédés qui pourraient être regardés, s’ils n’étaient pas
autorisés, comme des actes présentant un certain caractère de déloyauté, ce qui
n’est pas le cas lorsque les procédés en question sont prévisibles et
proportionnés au but légitime poursuivi. Les techniques auxquelles il est le
plus communément recouru étant, en ce domaine, les interceptions téléphoniques,
la géolocalisation, et la sonorisation des lieux publics ou privés, toutes
prévues par un texte et mises en œuvre sous le contrôle d’un juge.
Un autre exemple caractéristique est certainement celui de
l’infiltration, prévue par l’article 706-81 du code de procédure pénale et qui
permet à des enquêteurs de s’introduire sous la couverture d’une fausse
identité dans un réseau criminel. Est de même permis le « coup d’achat » par lequel un enquêteur peut se faire passer pour
acquéreur de stupéfiants dans le seul but de révéler l’existence d’un trafic, à
la condition naturellement que l’opération ne s’analyse pas en une provocation
à l’infraction (Crim., 30 oct. 2006, n° 06-86.175 et n° 06-86.176. 27Cf.
Desportes et Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, n° 575, Economica,
3ème Ed. 12).
De même, les articles 706-35-1 et 706-47-3 du code de
procédure pénale permettent à des enquêteurs de participer à des échanges
électroniques en usant d’un pseudonyme, dans le cadre d’enquêtes en matière de
traite des êtres humains (articles 225-4-1 et s. du code pénal), de
proxénétisme (articles 225-5 et s. du code pénal), de prostitution des mineurs
ou de personnes particulièrement vulnérables (articles 225-12-1 et s. du code
pénal), ou d’incitation de mineurs à la consommation de stupéfiants ou d’alcool
(articles 227-18 et s. du code pénal).
L’article 706-25-2 du code de procédure pénale permet de
même d’agir et même participer à des échanges électroniques pour rassembler les
preuves d’infractions d’apologie du terrorisme.
La loi récente n° 2014-1453 du 13 novembre 2014 prévoit,
pour lutter contre l’accès ou le maintien frauduleux dans un système traitement
automatisé de données (article 323-1 du code pénal), que les enquêteurs
pourront pour constater l’infraction, participer sous un pseudonyme à des
échanges électroniques et se trouver par ce moyen, en contact avec les auteurs
soupçonnés de l’infraction (nouvel article 706-87-1 du code de procédure
pénale).
Ces différents procédés mettent en évidence la différence
habituellement faite entre la provocation à l’infraction, toujours censurée, et
la provocation à la preuve27, par laquelle les services d’enquête révèlent
l’existence d’une infraction en recourant par exemple à l’infiltration ou au
coup d’achat ou à tout autre procédé a priori non critiquable, sauf déloyauté
non autorisée par la loi (C’est ainsi que n’est pas un stratagème déloyal
l’intervention des gendarmes ayant pour seul objet de permettre le constat d’un
trafic d’influence dont ils n’ont pas déterminé la commission, Crim. 16 janvier
2008. Bull. n° 14.).
c) Le cas particulier de la sonorisation (Cf. mémoire de
master 2 de Maxime Tessier, Les procédures de la criminalité organisée devant
la Cour de cassation, p. 59 et s. Publié aux éditions L’Harmattan.)
(Petite parenthèse :
Les éditions L’Harmattan, sise 5-7 Rue de l'École Polytechnique, 75005 – Paris –
où l’X n’a plus ses locaux – ne publie quasiment qu’à compte d’auteur… Et lui,
il a été acheter ce mémoire d’anté-thésard ? Chapeau !)
La sonorisation a d’abord été pratiquée sans législation
particulière, au seul visa de l’article 81 du code de procédure pénale, ce qui
a valu à la France d’être condamnée par la Cour de Strasbourg pour cause de
défaut de clarté de la loi et d’absence de précision quant au contrôle exercé
par l’autorité judiciaire (Cedh 31 mai 2005 Vetter c. France; 20 décembre 2005,
Wisse c. France.). La loi Perben 2 du 9 mars 2004 a remédié à cette carence en
introduisant dans le code de procédure pénale les articles 706-96 à 706-102
organisant le régime juridique de la sonorisation des lieux ou véhicules privés
ou publics et de la captation d’image de personnes se trouvant dans des lieux
privés. Ces dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel (Décision
2004-492 DC du 2 mars 2004).
Aux termes des articles précités, une sonorisation est
permise lorsque l’enquête porte sur une infraction relevant de la criminalité
organisée au sens des articles 706-73 et suivants du code de procédure pénale.
Les faits reprochés à M. Meshal X... sont de ceux qui permettent de recourir à
cette technique.
Il paraît utile de reproduire l’article 706-96 al. 1 du code
de procédure pénale, étant précisé que le dispositif entier de la sonorisation
est quasi-inchangé depuis son adoption en 2004 (La seule modification ensuite
apportée à la loi Perben 2 vient de la loi du 12 décembre 2005 relative au
traitement de la récidive des infractions pénales qui a précisé que les
opérations de désinstallation d’un dispositif de sonorisation dans un lieu
d’habitation obéissait aux mêmes règle que pour l’installation) :
Lorsque les nécessités de
l'information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ
d'application de l'article 706-73 l'exigent, le juge d'instruction peut, après
avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les
officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à
mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement
des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement
de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou
confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l'image
d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. Ces opérations
sont effectuées sous l'autorité et le contrôle du juge d'instruction.
Comme précisé plus haut, cette disposition a été déclarée
conforme par le Conseil constitutionnel qui, eu égard aux conditions et aux
garanties prévues, a validé la sonorisation dès lors que les séquences de la
vie privée étrangères aux infractions en cause ne puissent en aucun cas être
conservées dans le dossier de la procédure.
On constate ainsi que la sonorisation est ordonnée par le
juge d’instruction, après avis du procureur de la République. Certaines
garanties sont prévues quant aux personnes et aux lieux « non éligibles » à ce
type de mesure, selon les articles 56-1 à 56-3 et 100-7 du code de procédure
pénale (domiciles, véhicules et bureaux ou cabinets d’avocats, de notaires, de
médecins, de parlementaires, de magistrats, entreprises de presse). La
sonorisation ne peut enfin être ordonnée que pour une durée maximum de quatre
mois renouvelables.
La Chambre criminelle veille au respect de ces dispositions.
C’est ainsi qu’elle approuve (Crim. 9 juillet 2008, Bull. n° 170.) une chambre
de l’instruction qui annule la procédure par laquelle est ordonnée et exploitée
la sonorisation du parloir d'un détenu au cours d'une information ne portant pas
sur un crime ou délit entrant dans le champ d'application de l'article 706-73,
alors qu’elle valide une procédure de sonorisation ordonnée dans une procédure
d’information portant sur une infraction entrant dans le champ de cet article (Crim.
1er mars 2006, Bull. n° 59.).
Elle attache une importance particulière au strict respect
des dispositions de l’article 706-96 en ce qu’elles prévoient une justification
de la sonorisation par les nécessités de l’enquête : elle valide un arrêt de
chambre de l’instruction qui annule les pièces afférentes à la mise en place
d’un dispositif de sonorisation au motif qu’en se référant aux seules « nécessités de l’information » sans autre
précision, le juge d’instruction n’a pas suffisamment motivé sa décision
d’ordonner ce type de mesure (Crim. 6 janvier 2015, n° 14-85.448, publié.).
* * *
Il apparaît donc, en première analyse, que la sonorisation
de geôles de garde à vue ne contrevient en rien aux dispositions de l’article
706-96 du code de procédure pénale, sauf à s’interroger sur le fait que les services de police sonorisent
en l’espèce leurs propres locaux, dans lesquels ils sont censés disposer de
moyens plus traditionnels pour entendre ce qui peut s’y dire, en procédant par
la voie d’interrogatoires.
Le constat opéré à ce stade reste cependant que les
enquêteurs ont mis en œuvre une procédure prévue par la loi et applicable au
type d’infraction objet de leur enquête.
Mais, comme il a déjà été dit plus haut, il serait illusoire
de penser que la frontière est parfaitement nette entre ce que la loi autorise
et ce que des principes plus généraux interdisent. F. Desportes observe avec
justesse, dans une chronique (F. Desportes, La loyauté dans l’enquête, Revue
annuelle des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Dalloz, 2014,
p.25 et s 36 : Intuitivement, chacun est convaincu qu’une enquête ne
saurait être menée d’une façon déloyale. Mais dès qu’il s’agit de déterminer la
signification et la portée de l’exigence, les lignes se brouillent [...]. C’est
que le principe ne peut être affirmé sans réserves ni nuances. Il doit en effet
se concilier avec celui de la liberté des preuves et avec le pouvoir conféré
par la loi aux enquêteurs de mettre en œuvre toutes sortes de procédés
permettant de suivre, écouter ou observer les personnes à leur insu) parue en
2014, que le principe de loyauté clairement affirmé présente des contours
difficiles à tracer.
C’est dans cet espace mal délimité que vient se placer la
question objet du présent pourvoi.
De ce point de vue, la situation paraît plus claire pour ce
qui concerne les parties privées.
2.2.2 Les parties privées ont droit à la déloyauté
Il n’est pas inintéressant, et non hors-sujet, de rappeler
que les parties privées ne sont pas soumises, en matière pénale, aux mêmes
obligations de stricte loyauté que les agents publics : la liberté reconnue aux
particuliers pour se constituer des preuves (Cette liberté découle directement
de l’article 427 du code de procédure pénale.), fait ressortir, en contrepoint,
la rigueur qui pèse sur les enquêteurs, agents de la procédure et comme tels
soumis à ses règles.
En effet, lorsque la déloyauté est le fait d’une personne
qui n’est soumise à aucune des obligations que le code de procédure pénale fait
peser sur les agents publics en général et les officiers de police judiciaire
en particulier, la Chambre criminelle n’élève aucune critique.
La Chambre criminelle, au visa de l’article 427 du code de
procédure pénale, applique aux preuves obtenue par une partie privée au moyen
de procédés que l’on ne tolérerait pas de la part d’enquêteurs, une formule
toujours identique (Crim.15 juin 1993, Bull n° 210 ; 27 janvier 2010, Bull. n°
16 . 31 janvier 2012, Bull. n° 27 ; 7 mars 2012, Bull. n° 34 ) : « aucune disposition légale ne permet aux
juges répressifs d'écarter des moyens de preuve remis par un particulier aux
services d'enquête, au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite
ou déloyale et il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du
code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante, après les avoir
soumis à la discussion contradictoire ».
On constate ici une nette différence avec le régime de la
preuve en procédure civile, infiniment moins libéral à l’égard des parties
privées.
2.2.3 La liberté de la preuve apportée par les parties
privées en matière pénale n’a pas d’équivalent en matière civile.
En matière civile, l’article 9 du code de procédure civile dispose
qu’il « incombe à chaque partie de
prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention
», tandis que les articles 1341 à 1369 du code civil organisent les modes de
preuves admissibles et leur force probante.
En matière de contentieux de la concurrence, la Cour de
cassation a ainsi jugé, par un arrêt d’autant plus important qu’il émane de
l’assemblée plénière (Cass. AP 7 janvier 2011, Bull. AP n° 1), « que l'enregistrement d'une communication
téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé
déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ». Cette
décision a été rendue au visa de l’article 9 précité du code de procédure
civile (Ainsi qu’au visa de l’article 6 §1 de la convention européenne des
droits de l’homme, ce qui peut constituer un argument, il est vrai, pour les
tenants d’un rapprochement de la preuve civile et de la preuve pénale dès lors
que la procédure pénale est éminemment concernée par l’article 6 de la Convention.),
en retenant que « sauf disposition
contraire du code de commerce, les règles de procédure civile s’appliquent au
contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l’Autorité de la
concurrence ».
La Chambre commerciale a de même jugé (Cass. Com. 31 janvier
2012, n° 11-13.097, publié.) que doit être annulée l’autorisation de visite
domiciliaire délivrée aux services fiscaux sur la foi de documents provenant
d’un vol.
Cette dichotomie constatée entre les procédures civiles et
pénales se justifie très largement si l’on veut bien considérer que les
criminels ne procèdent pas comme pour des actes de la vie civile ou commerciale
: pas de contrat, pas de constat d’huissier, pas d’état des lieux, pas de
présomption de bonne foi, pas de preuve préconstituée en matière pénale, mais
reconstituée au prix d’enquêtes parfois très complexes (Le doyen Bouzat
l’exprime en ces termes : « la liberté de la preuve résulte de ce que la
preuve, en droit pénal, porte le plus souvent sur des faits matériels et
psychologiques, alors qu’en droit civil, elle porte généralement sur des faits
ou des actes juridiques » (op. cit).).
2.2.4 Le pragmatisme de la jurisprudence administrative
Par un arrêt récent du 16 juillet 2014, le Conseil d’État a
jugé ce qui suit au visa du code civil et de la Convention européenne des
droits de l’Homme : « Considérant, en
premier lieu, qu'en l'absence de disposition législative contraire, l'autorité
investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits
sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut
apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen ;
que toutefois, tout employeur public est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une
obligation de loyauté; qu'il ne saurait, par suite, fonder une sanction
disciplinaire à l'encontre de l'un de ses agents sur des pièces ou documents
qu'il a obtenus en méconnaissance de cette obligation, sauf si un intérêt
public majeur le justifie (CE 16 juillet 2014, 3ème s. section,
Freddy G c. Maire de Jouy-en-Josas, n° 355201. Mme Guinamant, magistrate et
chargée d’enseignement, commente cet arrêt dans la Semaine juridique n° 42 de
2014, p. 1058. Elle observe que, par rapport à l’arrêt du 7 janvier 2014 de la
Chambre criminelle, le juge administratif fait preuve de pragmatisme.) ».
Ainsi, selon la Haute juridiction administrative, dans
certains cas, la fin peut justifier les moyens, fussent-ils déloyaux, dès lors
que se trouve en cause un « intérêt
public majeur ». Cette question se pose aussi en droit pénal.
* * *
La faculté de recourir à des procédés emprunts d’une
quelconque déloyauté paraît donc, en définitive, étroitement encadrée : elle est
réservée aux particuliers, à la condition que la procédure soit pénale, et
n’est envisageable pour les agents publics qu’à la condition expresse d’être
prévue par la loi.
Mais suffit-il que tel ou tel procédé soit autorisé par la
loi pour que son emploi ne soit pas empreint de déloyauté ? C’est ce que le
pourvoi invite à vérifier en introduisant cette donnée supplémentaire : la
sonorisation a été ici pratiquée à l’égard de personnes gardées à vue.
C’est en effet sur la compatibilité de la sonorisation avec
le régime de garde à vue qu’invite à se pencher le pourvoi. La confrontation
des deux dispositifs suppose de rappeler brièvement les règles, bien connues,
qui encadrent la garde à vue.
2.3. Données essentielles gouvernant la garde à vue.
2.3.1 Les motifs du placement en garde à vue
La garde à vue, selon l'article 62-2 du code de procédure
pénale, est une mesure de contrainte décidée par un officier de police
judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une
personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles
de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni
d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs.
Cette mesure doit constituer l'unique moyen de parvenir à l'un
au moins des objectifs suivants :
1° Permettre l'exécution des investigations impliquant la
présence ou la participation de la personne ;
2° Garantir la présentation de la personne devant le
procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à
donner à l'enquête ;
3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou
indices matériels ;
4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les
témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres
personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ;
6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire
cesser le crime ou le délit.
L’article 154 du code de procédure pénale prévoit que
lorsqu’une information judiciaire est ouverte, les dispositions de l’article
62-2 s’appliquent aux personnes gardées à vue dans le cadre de l’exécution
d’une commission rogatoire.
Observons par ailleurs que si aucune disposition relative à
la garde à vue ou la sonorisation ne paraît interdire la sonorisation des
locaux de garde à vue, l’idée de tout enregistrement audiovisuel des personnes
gardées à vue n’est pas absente du code de procédure pénale.
Son article 64-1 dispose en effet que « Les auditions des
personnes placées en garde à vue pour crime, réalisées dans les locaux d'un
service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de
police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel », dispositif
prévu pour la garantie tant des
personnes gardées à vue que des enquêteurs dont les pratiques pourraient être
mises en cause, et non étendu aux temps de repos qui, par définition, ne sont
pas des temps d’audition.
Il n’est pas douteux, pour ce qui concerne M. Meshal X...,
que la mesure de garde à vue prise à son encontre répondait aux critères de
l’article 62-2 précité : non seulement il existait des raisons plausibles de soupçonner
que celui-ci avait commis les faits objets de l’enquête mais encore il se
justifiait, dans le cas d’espèce, de permettre l'exécution des investigations
impliquant sa présence, de garantir sa présentation devant le juge
d’instruction et de l’empêcher de se concerter avec d'éventuels coauteurs ou
complices.
Il s’ensuit que, regardée en tant que telle, la garde à vue
était amplement justifiée.
Il convient cependant de s’intéresser aux droits de la
personne gardée à vue.
2.3.2 Les droits de la personne gardée à vue
Aux termes de l’article 63-1 du code de procédure pénale,
toute personne gardée à vue est immédiatement informée qu’elle bénéficie, entre
autres, des droits suivants :
1° Être assistée d’un avocat ; l’avocat choisi ou commis
d’office peut communiquer avec la personne (article 63-4) et assister aux
auditions et confrontations (article 63-4-2) ;
2° Faire des déclarations, répondre aux questions, ou se
taire. C’est ainsi le droit au silence qui est consacré, d’abord introduit dans
le code de procédure pénale par la loi du 15 juin 2000 avant d’en être retiré
par la loi 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure dont le projet
émanait du ministère de l’intérieur, puis réintroduit par la loi du 14 avril
2011 dont la proposition est due au
garde des sceaux.
Ce droit traduit concrètement le droit de ne pas
s’auto-incriminer, ainsi qu’y veille la Cour de Strasbourg (Cedh (Grande
Chambre) 8 février 1996, Murray c. Royaume Uni , (Grande Chambre) 27 novembre
2008, Salduz c. Turquie ; 14 octobre 2010, Brusco c. France), (alors même qu’il
n’a pas pour corollaire l’obligation de dire la vérité comme aux États-Unis).
Il est également garanti par l’article 14. 3 g) du Pacte international relatifs
aux droits civils et politiques.
De ces dispositions, il résulte que la personne gardée à vue
dispose de deux droits fondamentaux en
vertu desquels elle est en droit, d’abord, de ne pas répondre aux questions qui
lui sont posées par les enquêteurs et ensuite, si elle répond, de le faire en
présence d’un avocat.
Il paraît dès lors à tout le moins contradictoire de laisser
cette personne dans l’ignorance que, dans les lieux où elle se trouve, sous le
statut qui est le sien, ses paroles vont être surprises contre sa volonté alors
même qu’il vient de lui être notifié qu’elle était en droit de ne s’exprimer
qu’à la condition de le vouloir, le cas échéant en présence de son avocat.
Une telle situation mérite un examen particulier.
2.3.3 La compatibilité de la sonorisation avec le statut de
la garde à vue
L’examen de cette question peut être utilement précédé du
rappel de jurisprudences étrangères (Canada et Australie), de la Cour de
Strasbourg et de la Cour de cassation, au sujet de l’utilisation de procédés
d’interception et d’enregistrement des conversations de personnes que seul un
juge est censé pouvoir interroger, eu égard à leur statut de suspect ou de mis
en examen selon les législations concernées.
2.3.3.1 Jurisprudences étrangères
Les cas présentés ici sont tirés de l’arrêt de la Cour de
Strasbourg Allan c. Royaume-Uni dont il sera question infra dans les
développements consacrés à la jurisprudence de cette cour.
Canada : Dans une affaire R. c. Hebert, le prévenu, qui
avait invoqué devant la police son droit de garder le silence, avait été placé
dans une cellule avec un policier « banalisé » (c’est-à-dire habillé en civil et se
faisant passer pour une autre personne gardée à vue)» auquel il avait tenu des
propos incriminants. La Cour suprême du Canada a estimé que les déclarations du
policier banalisé auraient dû être exclues au procès.
Dans une affaire R. c. Broyles, le prévenu avait revendiqué
son droit au silence. La police avait alors organisé la visite d'un ami muni
d'un microémetteur de poche. La Cour suprême du Canada a jugé qu'il n'aurait
pas fallu admettre la preuve obtenue par l'ami en question.
Dans une affaire R. c. Liew, l'accusé avait été arrêté pour
trafic de stupéfiants en même temps qu’un policier banalisé se présentant comme
partie prenante au trafic. Le policier banalisé avait été placé dans une salle
d'interrogatoire avec l'accusé. Lorsque la conversation s’est engagée entre le
prévenu et ce policier, le premier a tenu des propos incriminants.
La Cour suprême a jugé, dans cette affaire, que rien
n'étayait la proposition que l'échange entre l'accusé et le policier équivalait
en fait à un interrogatoire : « Il
importait peu que le policier eût usé d'artifices, se laissant prendre pour
quelqu'un d'autre, ou qu'il ait menti, tant que les réponses de l'accusé
n'avaient pas été obtenues de manière active ou n'étaient pas le résultat d'un
interrogatoire. Dans cette affaire, l'accusé avait engagé lui-même la
conversation ; le policier s'était contenté de la continuer, sans la diriger ou
la rediriger sur un sujet délicat. Il n'y avait pas non plus de relation de
confiance entre l'accusé et le policier et il ne semble pas non plus que
l'accusé se soit senti vulnérable face au policier ni obligé envers lui ».
Tout en contrôlant la loyauté des preuves (premier et
deuxième arrêts), la Cour suprême du Canada admet donc l’emploi de la ruse par
les policiers, dès lors que les propos incriminants sont reçus sans artifice
destiné à les provoquer. Cette situation pourrait être regardée comme se
rapprochant de celle de M. Meshal X..., sauf
à observer que le placement des deux intéressés dans une situation leur
permettant de se parler contient une part d’artifice destiné à provoquer
l’échange de propos entre eux.
Australie : Dans une affaire R. v. Swaffield and Pavic,
on voit un policier banalisé engager avec M. Swaffield, accusé d’incendie
volontaire, une conversation au cours de laquelle il prétend que son beau-frère
était soupçonné d'incendie volontaire ; l'accusé lui avoue alors qu'il est lui-même
impliqué dans un incendie. La High Court of Australia estime que ces aveux
n'auraient pas dû être admis au procès car ils avaient été obtenus par un officier
de police en contravention manifeste avec le droit de l'accusé à choisir ou non
de parler.
L'accusé Pavic avait, lui, été interrogé par la police au
sujet d'une personne disparue et avait gardé le silence. Après avoir été
élargi, il avait fait des déclarations l'incriminant à un ami, C., que la
police avait équipé d'un appareil d'écoute. La High Court estime qu'il n'y
avait eu aucune irrégularité, que les aveux étaient dignes de foi et pouvaient
être admis, C. n'étant pas officier de police et n'étant pas en relation
d'autorité avec Pavic. Le fait que C. inspirait confiance à Pavic permettait de
penser que les aveux de celui-ci étaient fiables ; un crime grave avait été
perpétré et le rejet des aveux en question ne servait aucun intérêt général.
On voit ainsi se dessiner une autre appréciation : dès lors
que les aveux n’ont pas été recueillis de manière clandestine par un policier
mais par un particulier, fût-il instrumentalisé par la police, il n’y pas de
motifs d’écarter, au mépris de l’intérêt général, le moyen de preuve ainsi
obtenu.
2.3.3.2 La jurisprudence de la Cour de Strasbourg à l’égard
de la sonorisation
Pour la Cour européenne des droits de l’homme, tout procédé
d’interception ou d’enregistrement de conversations entre des particuliers est
une ingérence dans l’exercice du droit à la vie privée, garanti par l’article 8
de la Convention (Cedh 2 août 1984, Malone c. Royaume-Uni ; 25 juin 1997,
Halford c. Royaume Uni.). Toute ingérence exercée par une autorité publique
doit donc être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire
dans une société démocratique pour atteindre ce but.
La Cour européenne ne s’immisce en revanche pas dans ce qui
relève de l’administration de la preuve, mot dont on ne trouvera d’ailleurs pas
la trace dans la Convention. Elle juge régulièrement (Par exemple, Cedh 12
juillet 1988 Schenk c. Suisse.) qu’il n’y a pas lieu “d’exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve
recueillie de manière illégale [...]. Il
lui incombe seulement de rechercher si le procès [...] a présenté dans l’ensemble un caractère équitable”. En d’autres
termes, les seules preuves qui devraient être écartées aux yeux des juges de
Strasbourg, sont celles qui in concreto, priveraient le procès de son caractère
équitable.
Elle condamne ainsi le Royaume-Uni, au visa de l’article 6 §
1 de la Convention, à raison du subterfuge employé par les services de police,
consistant à incarcérer dans la même prison l’auteur soupçonné d’un meurtre et
un autre détenu équipé d’un appareil d’enregistrement, chargé de poser au
premier des questions inspirées par les enquêteurs (Cedh, 5 novembre 2002,
Allan c. Royaume-Uni.).
Elle ne trouve, en revanche, aucune violation du même
article 6 dans le fait d’introduire clandestinement un dispositif
d’enregistrement dans un appartement pour surprendre les propos échangés entre
une personne soupçonnée de trafic de stupéfiants et un tiers, observant que les
aveux contenus dans les enregistrements étaient spontanés, en l’absence de tout
« guet-apens » (Cedh 12 mai 2000,
Kahn c. Royaume Uni.). Cette dernière espèce n’est pas éloignée du dispositif
introduit en France par la loi du 9 mars 2004.
2.3.3.3 Une
personne mise en examen peut
faire l’objet d’écoutes téléphoniques
Selon une jurisprudence ancienne de la Cour de
cassation, une personne mise en examen peut être écoutée au téléphone (Crim. 9
octobre 1980, Bull. n° 255 ; 15 mars 1989, n° 88-84.253.). La loi n° 91-646 du
10 juillet 1991 (Cette loi fait suite, la chose est connue, à la condamnation
de la France par la Cour de Strasbourg, arrêt Kruslin et Huvig c. France du 24
avril 1990, alors que les écoutes téléphoniques avaient pour seul support légal
le très général article 81 du code de procédure pénale.) ayant introduit dans
le code de procédure pénale l’article 100 régissant expressément les
interceptions téléphoniques n’a pas apporté de modification notable, ledit
article ne définissant pas les personnes susceptibles d’être écoutées dès lors
que les conditions légales de l’interception sont par ailleurs remplies.
La Chambre criminelle a apporté en 2003 une précision (Crim.
1er octobre 2003, Bull. n° 177.) en indiquant que « le juge d'instruction tient des articles 81
et 100 du Code de procédure pénale le pouvoir de prescrire, lorsque les
nécessités de l'information l'exigent, l'interception, l'enregistrement et la
transcription des correspondances émises par la voie des télécommunications par
une personne mise en examen, dès lors que n'est pas en cause l'exercice des
droits de la défense », cela même si l’interception porte sur une
conversation entre le mis en examen et son avocat « dès lors qu'il est établi que [la conversation écoutée ] est de nature
à faire présumer la participation de cet avocat à des faits constitutifs d'une
infraction, fussent-ils étrangers à la saisine du juge d'instruction ».
L’interception, pour être régulière, doit bien évidemment
être ordonnée par un juge, conformément aux dispositions de l’article 100 du
code de procédure pénale, faute de quoi la censure serait inévitable (Arrêt
précité du 27 février 1996, Bull. n° 96.).
On admet en conséquence qu’une personne dont le statut
juridique est tel, en vertu de l’article 152 alinéa 2 du code de procédure
pénale, qu’elle ne doit plus être interrogée que par un juge, son avocat dûment
convoqué, puisse être écoutée clandestinement par des enquêteurs par le moyen
d’une interception de ses communications téléphoniques.
2.3.3.4 Une personne en détention provisoire peut être
écoutée au parloir de la maison d’arrêt
De même qu’un mis en examen peut être écouté au téléphone,
ses conversations peuvent être enregistrées lorsqu’il reçoit, étant détenu, des
visiteurs au parloir de la maison d’arrêt (Un premier arrêt du 12 décembre 2000
(Bull. n° 369) a donné lieu à la condamnation de la France par la Cour de
Strasbourg (Cedh, 20 décembre 2005, Wisse c. France) au motif de l’absence de
texte rendant ce dispositif prévisible ; un second arrêt a été rendu le 1er
mars 2006 (Bull. n° 59), cette fois au visa de l’article 706-96 du code de
procédure pénale issu de la loi du 9 mars 2004, décision qui a donné lieu à un
commentaire approbatif du Pr. Jean Pradel, au Recueil Dalloz 2006, p. 1504.),
son avocat excepté. La condition est ici, depuis l’entrée en vigueur de la loi
Perben 2 du 9 mars 2004, que l’information porte sur une infraction entrant
dans le champ de l’article 706-73 du code de procédure pénale du code de
procédure pénale, faute de quoi la censure est certaine (Crim. 9 juillet 2008,
Bull. n° 170. 21).
* * *
Je vous propose de marquer une pause, histoire de ne
pas vous écœurer définitivement : On se retrouve dimanche prochain pour
découvrir la suite du mémoire du Procureur général…
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