Pour faire plaisir à notre ami «
Jacques » !
On essaye d’en terminer :
Des arrêts qui précèdent, émanant de la Cour de cassation,
il faut déduire qu’en soi, l’enregistrement d’une conversation, pratiqué dans
les conditions prévues par la loi, n’est pas un stratagème dès lors que le
branchement sur la ligne de la personne suspectée, ou la pose d’un micro dans
un lieu qu’elle fréquente peut rester parfaitement négatif, cette personne ou
ceux qui lui parlent « n'étant pas
incités par un artifice quelconque à faire des déclarations compromettantes »
(Ce commentaire est de Jean Dumont, Jcl procédure pénale, art. 100 à 100-7,
fasc. 20 § 57.).
On voit ainsi se dessiner plus précisément une ligne de
partage : l’enregistrement clandestin, dès lors qu’il est pratiqué dans le
respect des règles le prévoyant et n’est associé à aucun stratagème visant à
provoquer des déclarations incriminantes, est irréprochable, que ce soit au
plan de la protection de la vie privée ou de la loyauté de la preuve, les
juridictions françaises pouvant, sur ce dernier point, se référer à la
jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
À la lumière des principes qui se dégagent ainsi, la
question posée par le pourvoi peut-être formulée autrement : il ne s’agit pas
tant de vérifier s’il est possible, d’une manière générale, de sonoriser les
locaux de garde à vue que de savoir, dans l’espèce ici examinée, si la
sonorisation, telle qu’elle a été pratiquée peut s’analyser en un stratagème
incompatible avec les droits de la défense et le principe de loyauté de la
preuve apportée par des agents publics.
Il est intéressant de consulter sur ce point tant la
doctrine que les praticiens de l’enquête, qui ont pu s’exprimer sur le premier arrêt prononcé
par la Cour de cassation dans l’affaire ici examinée.
2.4 Les commentaires : une doctrine et des praticiens
partagés.
Les commentaires qui ont suivi l’arrêt de cassation du 7
janvier 2014, qu’il s’agisse de la doctrine ou des praticiens, sont pour le
moins partagés, signe que la réponse à la question posée par le pourvoi ne
présente aucun caractère d’évidence.
2.4.1 La doctrine
Le professeur Bergeaud-Wetterwald estime que la Chambre
criminelle a fait un pas en direction d’une plus grande exigence de loyauté.
Elle observe (Pr. Aurélie Bergeaud-Wetterwald, Du bon usage du principe de
loyauté des preuves ? - À propos de l'arrêt rendu par la chambre criminelle de
la Cour de cassation le 7 janvier 2014, Droit pénal Avril 2014, n° 4, étude n°
7) que « la Cour de cassation tolère
habituellement une certaine forme de ruse pourvu que celle-ci ne provoque pas
la commission d'une infraction. Par ailleurs, le fait que la jurisprudence
récente de la chambre criminelle offre peu d'exemples de caractérisation d'un
procédé déloyal en dehors des provocations policières, pouvait laisser croire
que le principe de loyauté des preuves n'avait vocation qu'à régir cette
hypothèse ».
Tout en regrettant l’imprécision du terme « stratagème » employé par la Cour de
cassation, elle approuve la solution contenue dans l’arrêt du 7 janvier 2014 :
« […] il est éminemment contestable que
la mesure de garde à vue ait été, en l'espèce, instrumentalisée pour servir une
mise en scène imaginée à l'avance par les enquêteurs. Si la condamnation de la manœuvre
par la Cour de cassation mérite sans doute d'être approuvée, il aurait été plus
opportun de caractériser, non un stratagème, mais un détournement de procédure
dont la prohibition peut d'ailleurs être analysée comme une manifestation du
principe de loyauté ».
Le professeur Detraz approuve quant à lui sans réserve la
cassation intervenue, qualifiant de détournement de procédure la sonorisation
d’une geôle de garde à vue (S. Detraz, Sonorisation d’une cellule de garde à
vue : un stratagème qui vicie la recherche de la preuve. D. 2104, p. 264.),
tandis que d’autres auteurs (A. Maron et M. Haas, Droit pénal, n° 2, février
2014.) désigne l’opération conduite dans les locaux du commissariat de Fontenay-leFleury, de « stratagème couvert d'une feuille de vigne légale ».
La solution contenue dans l’arrêt du 7 janvier 2014 a
également été approuvée, entre autres, par M. Danet (RSC 2014, p. 130. Revue de
sciences criminelles), par le professeur Vergès (D. 6 février 2014, p. 407. Recueil
Dalloz) et par M. Bachelet, magistrat (GP n° 38-39, 7-8 février 2014.).
En contrepoint de ces commentaires approbateurs, M. Gallois,
maître de conférences dénonce (A. Gallois, Loyauté des preuves pénales : la
Cour de cassation est-elle allée trop loin ? JCP G n° 9, 3 mars 2014,
Jurisprudence, n° 272, p. 434 à 437.) le « raisonnement
moralisateur » de la Chambre criminelle, mais recourt curieusement, pour le
démontrer ... à la morale (Il s’exprime ainsi : « [...] la Cour de cassation continue de creuser, avec le principe de loyauté
des preuves, le fossé existant entre les agents publics et les personnes
privées dans la recherche de la preuve pénale. Elle creuse également le fossé
entre la justice et les victimes, du moins certaines d'entre elles. L'actualité
montre que les commerçants victimes de braquages éprouvent le désir, en
succombant parfois à la tentation, de (se) faire justice en temps réel. Voilà
un arrêt qui ne les incitera pas à s'armer de patience et à laisser œuvrer la
justice. Quant aux enquêteurs et aux magistrats qui luttent contre les formes
les plus violentes et organisées de la criminalité, ils pourront trouver le
raisonnement moralisateur de la Cour de cassation … bien démoralisant »).
2.4.2 Les praticiens
À l’évidence, les services d’enquête seront favorables à la
sonorisation de locaux de garde à vue, tandis que les membres du barreau, pour
les motifs développés par le requérant au soutien du présent pourvoi, seront
d’un avis radicalement contraire.
Restent les magistrats chargés d’ordonner ou de contrôler la
mesure. Même s’il est difficile de généraliser, il apparaît, à la lumière de la
procédure ici examinée, que les juridictions du fond sont favorables à un tel
dispositif. Il suffit pour s’en convaincre de constater que la mesure a été
ordonnée par un juge d’instruction sur réquisitions conforme du ministère
public, puis que deux chambres de l’instruction, à chaque fois sur réquisitions
conformes du ministère public, ont écarté la requête en nullité qui a suivi.
La position adoptée par le parquet général de la Cour de
cassation est nettement plus nuancée si l’on considère que le premier arrêt de
la Chambre criminelle (cassation) est intervenu sur conclusions conformes de
l’avocat général tandis que le second (renvoi en assemblée plénière) a été
prononcé au vu de conclusions tendant au contraire à valider le procédé (Aussi
anecdotique que soit l’information, il n’est pas inintéressant de noter que
cette différence d’analyse traduit une réalité au sein du parquet général de la
Cour de cassation près la Chambre criminelle : les avocats généraux favorables
à la sonorisation sont, peu ou prou, en nombre égal à celui de leurs collègues.
considérant au contraire qu’il s’agit d’un procédé manquant à la loyauté.).
2.5 Réponse au moyen, solution du pourvoi
Il apparaît, au vu de la motivation de l’arrêt attaqué et
des arguments présentés pour la justifier, que la sonorisation d’un local de
garde à vue devrait être validée en application d’un raisonnement présentant
toutes les apparences de la rigueur : d’une part, la garde à vue est une
procédure régulière, d’autre part, la sonorisation est, sous réserve
d’exceptions ici non rencontrées, autorisée par la loi, donc la sonorisation
des locaux de garde à vue est autorisée.
À cet argument, s’ajoute un raisonnement utilitaire, soutenu
par M. Gallois dans la chronique citée plus haut mais aussi par l’avocat
général qui, sur le pourvoi ici examiné, a saisi la Chambre criminelle de
conclusions tendant à valider le dispositif critiqué.
Ces deux arguments sont toutefois contestables.
2.5.1 La conjugaison de deux dispositifs réguliers ne
débouche pas nécessairement sur une procédure régulière
Il n’échappe naturellement pas que le problème tient non pas
au recours à l’une des deux mesures en cause – garde à vue et sonorisation –
mais à la conjugaison des deux et aux conditions dans lesquelles celles-ci se
sont surajoutées.
La chronologie des opérations est à cet égard significative.
- L’autorisation est
d’abord donnée de sonoriser les geôles du commissariat ;
- Les geôles choisies
pour être sonorisées sont contiguës, ce qui permet aux personnes s’y trouvant
de communiquer ; il est révélateur à cet égard que le procureur de la République,
prié de faire connaître son avis sur l’opération, ait estimé devoir préciser
qu’il convenait de placer les suspects dans des cellules distinctes, comme si
leur placement dans une même pièce exposait au reproche de déloyauté, et comme
si ce risque était inexistant – on se demande pourquoi –, au cas de placement
dans des cellules séparées mais contiguës.
- Les micros et le
dispositif d’enregistrement ayant été posés dans les geôles qui leur sont
destinées, les suspects sont, l’un, interpellé et l’autre extrait de la maison
d’arrêt où il se trouvait déjà.
- Après leur audition,
ils sont placés dans les cellules en question, disposées de façon telle qu’ils
puissent communiquer, leurs propos étant enregistrés à leur insu. Pourtant, la
règle est plutôt, au cas d’arrestations multiples, de placer les suspects dans
des conditions telles qu’ils ne puissent réellement pas communiquer, soit de la
manière la plus simple en utilisant des geôles éloignées les unes des autres,
soit, éventuellement, en plaçant de manière visible un fonctionnaire qui pourra
entendre, et alors rapporter les conversations, surprises sans stratagème,
qu’ils pourraient se risquer à tenir.
Ces événements ne se sont pas déroulés dans un lieu
ordinaire. Ils se sont produits dans un local de garde à vue, à l’égard de
personnes placées sous ce régime.
Cette circonstance oblige à se souvenir des droits de la
personne gardée à vue : droit au silence, droit de ne pas s’auto-incriminer,
droit à s’exprimer en présence de son avocat, droit au repos.
Un local de garde à vue est donc, géographiquement et
juridiquement, un « lieu de droit ». Il paraît dès lors difficile de regarder
comme régulier un procédé destiné à surprendre, dans le proche moment qui a
suivi la notification de ses droits, et notamment de son droit de se taire, à
la personne gardée à vue, les propos qu’elle tient au cours d’une période de repos.
Procéder ainsi caractérise à la fois un contournement des
droits de la personne gardée à vue (c’est l’analyse du Pr. Detraz) et un
détournement de la procédure de garde à vue proprement dite (analyse de M.
l’avocat général Cordier) utilisée certes en apparence conformément aux
dispositions de l’article 63-1 du code de procédure pénale, mais en réalité en
vue d’un objectif différent consistant à exploiter, non pas les temps
d’interrogatoire, mais les temps de repos.
On ne peut, sur ce point, que souligner le caractère
inopérant de la motivation selon laquelle les
gardés à vue, non seulement n’ont pas été incités à se parler mais
encore ont été placés dans des cellules distinctes et se sont vu notifier une
interdiction de communiquer.
Ces arguments, par lesquels l’opération critiquée n’est que
partiellement assumée, heurtent en réalité la raison, tant il est patent que
toutes les conditions ont été réunies pour que les intéressés se parlent et que
leurs propos soient enregistrés. Les « précautions
» prises pour (soi-disant) empêcher toute communication apparaissent ainsi
comme un habillage dont la seule existence renforce celle du stratagème
constaté par la Cour de cassation dans son arrêt du 7 janvier 2014.
À cet égard, toutes choses égales par ailleurs, la procédure
ici utilisée présente des points communs avec celle ayant consisté à faire
entendre sous hypnose une personne gardée à vue.
L’objectif est en effet, dans les deux cas, d’enregistrer
les paroles qu’un suspect pourrait prononcer contre sa volonté consciente. On
sait que la Cour de cassation a approuvé (Crim. 28 novembre 2001, Bull. n° 248
; dans le même sens : 12 décembre 2000, Bull. n° 369) la chambre de
l’instruction qui a invalidé « le procédé
[qui] viole les dispositions légales
relatives au mode d'administration des preuves et compromet l'exercice des
droits de la défense [...] ». Il est vrai que, dans le premier cas, le
procédé d’audition sous hypnose a été, en tant que tel, écarté, alors qu’il est
recouru dans le second cas à un procédé autorisé par la loi. Mais il demeure
que l’autorisation de la loi ne peut servir à une méthode qu’une autre loi
empêche, s’agissant de la protection des droits des personnes gardées à vue.
On ne saurait enfin suivre les commentateurs qui ne voient
pas de différence entre la sonorisation, admise, d’un parloir de maison d’arrêt
et celle, discutée, d’une geôle de garde à vue (Pr. Bergeaud-Butterwald, op.
cit.) : la personne qui visite un détenu (De même que celle qui converse avec
un mis en examen dont le téléphone est placé sous écoute.) agit de son plein
gré, n’est incitée à aucun comportement particulier et la discussion ne se
tient ni dans un temps ni dans un lieu où la personne mise en examen bénéficie
de droits renforcés. Tout particulièrement, le détenu visité ne bénéficie pas,
en ce lieu, du droit protégé par la loi de garder le silence : il est libre de
discuter avec son visiteur sans être
protégé, comme devant un juge ou un policier l’interrogeant, par le droit de ne
pas s’auto-incriminer.
2.5.2 La fin ne justifie pas les moyens
Il est irrecevable, et en vérité dangereux, de fonder la
légitimité d’un procédé sur son efficacité quand il n’est pas prévu par la loi.
Irrecevable parce qu’un tel principe revient précisément à renier tous les
principes, dangereux parce que le risque de fragilisation de la procédure rend
illusoire l’espoir de parvenir à ce qui pourrait ressembler à une vérité qui,
en définitive, ne pourrait être exploitée en raison des vices de procédures.
L’intérêt public paraît donc mieux protégé quand, au-delà
d’une affaire particulière, les services d’enquêtes et les juges respectent les
lois et règles au nom desquelles ils sont autorisés à agir, sans les contourner
ni les détourner au nom d’une « efficacité
» ne servant qu’à franchir les limites fixées par le législateur et les
principes arrêtés par la jurisprudence.
Dans un registre certes infiniment plus dramatique, faisant
appel à l’article 3 et non à l’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’Homme, s’agissant de traitements inhumains et dégradants infligés par des
enquêteurs à un suspect, la Cour de Strasbourg réfute radicalement la justification
par l’efficacité quand elle condamne l’Allemagne dans l’affaire Gäfgen, à
raison d’une procédure dans laquelle les aveux d’un homme suspecté d’avoir
enlevé un enfant avaient été obtenus sous la menace de la torture (Cedh 1er
juin 2010, Gäfgen c. Allemagne. La Cour écrit (§ 107) « [qu’elle] admet la motivation qui inspirait le
comportement des policiers et l’idée qu’ils ont agi dans le souci de sauver la
vie d’un enfant. Elle se doit néanmoins de souligner que, eu égard à l’article
3 et à sa jurisprudence constante (paragraphe 87 ci-dessus), l’interdiction des
mauvais traitements vaut indépendamment des agissements de la personne
concernée ou de la motivation des autorités. La torture ou un traitement
inhumain ou dégradant ne peuvent être infligés même lorsque la vie d’un
individu se trouve en péril. Il n’existe aucune dérogation, même en cas de
danger public menaçant la vie de la nation »)
En l’occurrence, il apparaît avec tant d’évidence que la
sonorisation opérée dans les conditions
qui ont été rappelées ne répondait pas aux exigences de loyauté de la
procédure, eu égard à ce que la Chambre criminelle a qualifié de stratagème,
qu’il ne paraît pas envisageable d’approuver le dispositif en se référant à
l’indiscutable gravité des faits reprochés à M. Meshal X....
La jurisprudence de la Cour de cassation ne peut s’en tenir,
dans un domaine où sont en cause les libertés publiques de manière bien plus
prégnantes que devant une instance disciplinaire administrative, à l’intérêt
public majeur évoqué par le Conseil d’État dans son arrêt précité du 6 juillet
2014.
Elle ne peut pas plus se revendiquer de l’intérêt général
convoqué par la Haute cour australienne, ni de l’absence de coercition
recherchée par la Cour suprême du Canada, selon les exemples vus plus haut.
La procédure pénale obéit en effet à ses propres règles qui,
aussi complexes qu’elles puissent paraître, ne permettent pas de dire qu’un
procédé est autorisé au seul motif qu’il n’est pas interdit quand il est, dans
les circonstances de sa mise en œuvre, en contradiction complète avec le
principe de loyauté qui domine la procédure, principe selon lequel la déloyauté
n’est autorisée qu’à la condition d’être soit de basse intensité (filatures),
soit autorisée par la loi (interception téléphonique, sonorisation).
En l’espèce, affirmer que la sonorisation ici examinée ne
mérite aucun reproche dès lors qu’elle est prévue par la loi encourt le grief
rédhibitoire d’ignorer que telle qu’elle a été en l’espèce pratiquée, elle a enfreint le principe de
loyauté de l’enquête.
C’est bien au prix du contournement et du détournement de la
loi qu’a pu être opéré ce que la Chambre criminelle qualifie à juste titre de
stratagème dans son arrêt du 7 janvier 2014, de sorte que la cassation est
derechef encourue.
2.5.3 En conclusion sur le premier moyen
De ce qui précède, il résulte que le placement, calculé,
dans des cellules contiguës afin de favoriser des déclarations
auto-accusatrices des gardés à vue est un élément qui s’ajoute à la seule
sonorisation des locaux de garde à vue. Là se trouve caractérisé un stratagème
incompatible avec le cadre procédural.
Il est vrai que les enquêteurs n’ont pas directement
instrumentalisé l'un des protagonistes, ce qui est une différence notable avec
les cas envisagés dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et de la
Chambre criminelle. Il est également vrai que la garde à vue n'a pas nécessairement
pour raison d'être de permettre l'audition par les enquêteurs de la personne
qui en est l'objet, même si c’est en pratique le plus souvent à cet effet
qu'elle est décidée.
Il reste qu’elle est, non seulement comme il a été dit, un «
lieu de droit » mais aussi un « cadre d’audition », ce qui la distingue
d'autres mesures privatives de liberté comme la détention provisoire. Ce « cadre d'audition » est protecteur pour la personne entendue qui
se voit notifier le droit de se taire et qui peut être assistée d'un avocat.
Dans ces conditions, on ne voit pas comment, pendant le temps de la garde à
vue, les garanties instituées par la loi pourraient être contournées par des moyens tendant à
surprendre des propos que la personne concernée n'a pas voulu tenir aux
enquêteurs. C’est le mélange des genres qui caractérise ici la déloyauté.
Cette analyse est certes plus restrictive que celle des
juridictions étrangères citées plus haut, qui admettent l’usage d’artifices par
les services enquêteurs dès lors qu’ils ne reposent pas sur la coercition et
n’ont pas pour objet de faire obstacle au droit de se taire ou de provoquer des
déclarations auto-incriminantes. Elle est également plus restrictive que le
principe paraissant se dégager de l’arrêt du Conseil d’État cité plus haut,
selon lequel un intérêt public majeur pourrait justifier de s’affranchir de
toute obligation de loyauté. C’est la conséquence de la situation particulière
dans laquelle se trouve une personne gardée à vue, bénéficiant du droit de ne
pas s’auto-incriminer et de ne s’exprimer qu’en présence de son conseil. Ce
droit ne peut être d’application variable selon les circonstances.
Observons de surcroît que l'enquête est devenue le cadre
ordinaire de la mise en état des affaires pénales et qu'elle est même peut-être
appelée, à terme, à se substituer à l'instruction. Ce constat doit inciter à
considérer que les exigences de loyauté qui pèsent de manière indiscutable
aujourd'hui sur le juge d'instruction lorsqu'il procède à l'interrogatoire
d'une personne mise en cause pèsent de la même façon sur les enquêteurs : il n'est pas plus envisageable de sonoriser
une cellule de garde à vue qu'il n'est concevable de sonoriser le cabinet du
juge d'instruction pour surprendre des propos tenus par la personne mise en
examen entre deux interrogatoires.
Le procédé auquel il a été en l’espèce recouru ne peut donc
être validé, ce qui doit entraîner, derechef, la cassation.
* * *
II. Second moyen
1. Exposé du moyen
Le moyen, en deux branches, est tiré de la violation des
articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire,
62-2, 63-1, 706-96, 591 et 593 du Code de procédure pénale, en ce que la Chambre de l’instruction a dit n’y avoir
lieu à annulation des procès-verbaux relatifs à la sonorisation des cellules de
garde à vue du mis en examen.
- Alors que d’une part, il résulte de la jurisprudence
européenne que l’enregistrement des voix des requérants lors de leur
inculpation et à l’intérieur de leur cellule au commissariat constitue une
ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée au sens de l’article
8§1 de la Convention européenne; que la Chambre de l’instruction ne pouvait dès
lors, pour exclure toute violation de l’article 8 de la Convention européenne,
considérer que « la notion de même de
garde à vue, mesure privative de liberté, très encadrée par la loi quant à sa
justification, sa durée et aux modalités de son déroulement, est exclusive de
celle de vie privée » (Arrêt p. 13 § 3).
- Alors que d’autre part, l’enregistrement des voix des
requérants lors de leur inculpation et à l’intérieur de leur cellule au
commissariat constituant une ingérence dans leur droit au respect de leur vie
privée, cette possibilité doit impérativement être prévue par la loi ; qu’en
l’espèce, si l’article 706-96 du Code pénal autorise la sonorisation en tous
lieux privés ou publics, en matière de criminalité organisée, aucune
disposition légale ni aucune jurisprudence ne permettait à l’exposant de
prévoir qu’il était susceptible d’être mis sur écoute durant le temps de repos
de sa garde à vue ; qu’à défaut d’une base légale suffisante, il y a eu
violation de l’article 8 de la Convention européenne.
2. Discussion
L’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’Homme dispose :
❖ Toute personne a droit au respect de
sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
❖ Il ne peut y avoir ingérence d'une
autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Il paraît d’abord possible d’approuver la première branche
si elle a pour objet de critiquer la motivation selon laquelle le droit au
respect de la vie privée serait incompatible avec la procédure de garde à vue.
Ce droit est certes, dans de telles circonstances, des plus limités, mais on ne
voit pas ce qui permet d’affirmer qu’il est aboli.
C’est à juste titre que la SCP Spinosi et Sureau cite
l’arrêt du 25 septembre 2001 de la Cour de Strasbourg (P.G. et J.H. c.
Royaume-Uni), dont les paragraphes 59 et 60 se suffisent à eux-mêmes :
59. Dans sa
jurisprudence, la Cour a maintes fois constaté que l’interception secrète de
conversations téléphoniques entrait dans le champ d’application de l’article 8
pour ce qui est du droit au respect tant de la vie privée que de la
correspondance. Certes, les enregistrements sont en général effectués dans le
but d’utiliser le contenu de conversations d’une manière ou d’une autre, mais
la Cour n’est pas convaincue que des enregistrements destinés à servir
d’échantillons de voix puissent passer pour échapper à la protection qu’offre
l’article 8. La voix de la personne concernée a tout de même été enregistrée
sur un support permanent et soumise à un processus d’analyse directement
destiné à identifier cette personne à la lumière d’autres données personnelles.
S’il est vrai que lors de leur inculpation les requérants ont répondu à des
questions formelles dans un lieu où des policiers les écoutaient,
l’enregistrement et l’analyse de leurs voix à cette occasion doivent cependant
être considérés comme relevant des données personnelles les concernant.
60. La Cour conclut dès
lors que l’enregistrement des voix des requérants lors de leur inculpation et à
l’intérieur de leur cellule au commissariat révèle une ingérence dans leur
droit au respect de leur vie privée au sens de l’article 8 § 1 de la
Convention.
C’est au regard de la
seconde branche, invoquant le second paragraphe de l’article 8 de la Convention
que doit être plus précisément examiné le moyen.
La sonorisation d’un local de garde à vue constituant une
ingérence dans le droit au respect de la vie privée, peut-on considérer qu’elle
a été ici exercée par une autorité publique, qu’elle était prévue par la loi,
qu’elle poursuivait un but légitime et répondait à une nécessité dans une
société démocratique pour atteindre ce but ?
C’est la question du support légal qui est ici source
d’interrogation. Il ne fait en effet pas de doute que l’ingérence dénoncée a
été pratiquée par une autorité publique, en l’occurrence une autorité
judiciaire et qu’elle poursuivait un but légitime dans une société démocratique
(on peut classer dans cette catégorie l’identification des auteurs de faits
criminels). En revanche, la question du support légal apparaît avec force si
l’on admet, ainsi qu’il est proposé de conclure sur le premier moyen, que ce
n’est qu’au prix d’un détournement de la loi autorisant la sonorisation que
cette opération a été pratiquée dans un local de garde à vue.
Or, la Chambre criminelle peut se montrer particulièrement
exigeante quant au support légal si l’on se rapporte à son arrêt par lequel
elle a censuré la décision d’une chambre de l’instruction validant une mesure
de géolocalisation ordonnée par le parquet en l’absence de texte spécifique
autorisant une telle mesure (Crim. 22 octobre 2013, Bull. n° 196. Il est vrai
que, dans cette espèce, la
géolocalisation ordonnée par un procureur de la République a été invalidée au
motif que celui-ci n’était pas une autorité judiciaire habilitée à faire
pratiquer une telle mesure, alors même
que l’article 8 de la Convention n’invoque d’ingérence que d’une autorité
publique, mais il est permis de penser qu’en réalité, c’est le défaut de
support légal qui a été sanctionné ; la Chambre criminelle a cependant ensuite
reconsidéré sa position par deux arrêts du 6 janvier 2015 (pourvois n°
14-85.448 et 14-84.822, publiés).)
Pour autant, le support légal, s’il paraît bien faible en
l’état du détournement constaté, est loin d’être inexistant, les dispositions
des articles 706-96 et suivants du code de procédure pénale prévoyant et
réglementant très précisément, comme il a été déjà vu, la sonorisation. Il
n’apparaît donc pas possible de suivre le requérant quand il soutient que les
enquêteurs ont agi en dehors de tout support légal.
C’est donc bien la question du détournement de la loi et non
de son absence qui se pose ici, de sorte que si, par un moyen inopérant et
surabondant, les juges du second degré ont cru pouvoir écrire que le droit à la
protection de la vie privée s’efface en garde à vue, il demeure que la mesure
critiquée ne peut être regardée comme dépourvue de support légal.
Le premier moyen se suffisant à lui-même pour entraîner la
cassation, celle-ci pourra intervenir sans examiner le second moyen qui, sinon,
devrait être écarté.
* * *
Nous avons en conséquence l’honneur de conclure
- à la non-admission du pourvoi, non soutenu, de M.
Abdelgrani Y... ;
- à la cassation de l’arrêt attaqué, sur le premier moyen du
pourvoi inscrit par M. Meshal X....
D. Boccon-Gibod
Bon,
pourquoi tout ce « verbiage », me direz-vous, si tout le monde semble
d’accord ?
La partie
se pourvoyant en cassation, le Procureur général, la jurisprudence formée par
les décisions passées, le tout en conformité avec les textes de lois applicables ?
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