Pour faire plaisir à notre ami «
Jacques » !
Depuis presque deux mois,
je vous ai bassiné(e)s à reproduire les conclusions du rapporteur sur cette
affaire et celles du Premier procureur général auprès de la Cour de cassation
en vous faisant grâce des mémoires des « baveux » qui ne rajoutent
rien, tellement le travail du rapporteur est bien fait.
Celui du proc’ n’est pas
mal non plus. Il touche même à la perfection.
Mais l’un se garde bien
de donner une solution (il en présente trois que je ne vous ai pas non plus,
reproduites) alors que le proc’, après un long exposé, va dans le sens des
demandeurs en cassation (des petites crapules, dois-je vous prévenir :
Allez donc au post du dimanche 3 avril 2016 pour vérifier).
L’ensemble fait plus de
36.600 mots et tient sur 82 pages que se tamponnent tous les magistrats de la
Cour de cassation, dans sa formation la plus solennelle : L’Assemblée
plénière.
Un arrêt d’importance
dans la hiérarchie des décisions…
Que voici :
Demandeur(s) : M. Meshal X... ; M. Abdelgrani Y...
Sur le pourvoi formé par M. Y...
Attendu que le demandeur n’a produit aucun mémoire à l’appui
de son pourvoi ;
Sur le pourvoi formé par M. X... :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après
cassation (chambre criminelle, 7 janvier 2014, n° 13-85.246), qu’à la suite
d’un vol avec arme, une information a été ouverte au cours de laquelle le juge
d’instruction a, par ordonnance motivée prise sur le fondement des articles
706-92 à 706-102 du code de procédure pénale, autorisé la mise en place d’un
dispositif de sonorisation dans deux cellules contiguës d’un commissariat de
police en vue du placement en garde à vue de MM. Z... et X..., soupçonnés
d’avoir participé aux faits ; que ceux-ci ayant communiqué entre eux pendant
leurs périodes de repos, des propos de M. X... par lesquels il s’incriminait
lui-même ont été enregistrés ; que celui-ci, mis en examen et placé en
détention provisoire, a déposé une requête en annulation de pièces de la procédure
;
Sur le premier moyen :
Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles préliminaire et
63-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves
et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ;
Attendu que porte atteinte au droit à un procès équitable et
au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par
un agent de l’autorité publique ;
Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation, présentée
par M. X..., des procès-verbaux de placement et d’auditions en garde à vue, de
l’ordonnance autorisant la captation et l’enregistrement des paroles prononcées
dans les cellules de garde à vue, des pièces d’exécution de la commission
rogatoire technique accompagnant celle-ci et de sa mise en examen, prise de la
violation du droit de se taire, d’un détournement de procédure et de la
déloyauté dans la recherche de la preuve, l’arrêt retient que plusieurs indices
constituant des raisons plausibles de soupçonner que M.X... avait pu participer
aux infractions poursuivies justifient son placement en garde à vue,
conformément aux exigences de l’article 62-2, alinéa 1, du code de procédure
pénale, que l’interception des conversations entre MM. Z... et X... a eu lieu
dans les conditions et formes prévues par les articles 706-96 à 706-102 du code
de procédure pénale, lesquelles n’excluent pas la sonorisation des cellules de
garde à vue contrairement à d’autres lieux visés par l’article 706-96, alinéa
3, du même code, que les intéressés, auxquels a été notifiée l’interdiction de
communiquer entre eux, ont fait des déclarations spontanées, hors toute
provocation des enquêteurs, et que le droit au silence ne s’applique qu’aux
auditions et non aux périodes de repos ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’au cours d’une mesure
de garde à vue, le placement, durant les périodes de repos séparant les
auditions, de deux personnes retenues dans des cellules contiguës préalablement
sonorisées, de manière à susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés
à leur insu pour être utilisés comme preuve, constitue un procédé déloyal
d’enquête mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas s’incriminer
soi-même et portant atteinte au droit à un procès équitable, la chambre de
l’instruction a violé les textes et principes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le
second moyen :
Sur le pourvoi formé par M. Y... :
Le rejette ;
Sur le pourvoi formé par M. X... :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 juin 2014, entre les parties, par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, autrement composée.
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 juin 2014, entre les parties, par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, autrement composée.
Président : M. Terrier, président de chambre le plus ancien
faisant fonction de premier président
Rapporteur : M. Zanoto , assisté de M. Cardini, auditeur au
service de documentation, des études et du rapport
Avocat général : M. Boccon-Gibod, premier avocat général
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau
Ce qu’en disent les « plumitifs »
comme moi quand ils essayent de résumer l’affaire :
« Le principe de loyauté dans la recherche des
preuves est réaffirmé et le droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination est consacré. »
Les faits
Sur ordonnance motivée du
juge d’instruction prise sur le fondement des articles 706-92 à 706-102 du code
de procédure pénale, des enquêteurs ont placé en garde à vue, dans des cellules
contiguës préalablement sonorisées, deux personnes soupçonnées d’avoir
participé à un vol avec armes en bande organisée. Ces deux personnes ayant
communiqué entre elles pendant leurs périodes de repos, des propos par lesquels
l’une d’entre elles s’auto-incriminait ont été enregistrés et versés au
dossier.
Le contexte juridique
Si l’article 427 du code
de procédure pénale prévoit que les infractions peuvent être établies par tous
modes de preuve, la liberté de la preuve en matière pénale qui résulte de ce
texte n’est pas absolue. Elle se trouve nécessairement limitée, dans un État de
droit, par les principes de légalité et de loyauté.
La Cour de cassation a
dégagé très tôt le principe de loyauté, qu’elle applique aussi bien à
l’information judiciaire qu’à l’enquête de police.
De plus, la loi prévoit
expressément le droit de se taire pour une personne placée en garde à vue. Le
droit de se taire et celui de ne pas s’auto-incriminer sont d’ailleurs reconnus
depuis longtemps par le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme.
La question posée à la
Cour
Les conditions dans
lesquelles les enregistrements ont été effectués portaient-elles atteinte au
principe de loyauté des preuves, au droit de se taire et de ne pas
s’auto-incriminer ?
La décision de la Cour
Le placement, durant les
périodes de repos séparant les auditions de deux personnes en garde à vue, dans
des cellules contiguës préalablement sonorisées, de manière à susciter des
échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu pour être utilisés comme
preuve, constitue un stratagème. Ce procédé d’enquête est déloyal : Il met en
échec le droit de se taire, celui de ne pas s’incriminer soi-même, et porte
atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves.
Là s’arrêtent mes revues
juridiques habituelles de synthèse, pour que je ne retienne que l’essentiel
dans un coin de mon « unique-neurone » (celui du nerf honteux de
fiscaliste…)
Et elles ne répondent pas
à deux questions (mais je vais le faire pour elles) :
1 – D’abord la forme de
la Cour qui « réaffirme » un principe, « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination » d’une
crapule.
En fait est visé le
procédé policier entaché de « déloyauté ».
Ce qui vicie, non pas la
procédure, mais la qualité de preuve.
Un peu comme des aveux
ultérieurement rétractés…
Pour « réaffirmer »,
c’est qu’elle a déjà « affirmée » par le passé.
Et c’est exactement ce
qui s’est passé, à deux reprises dans la même affaire, la première Cour d’appel
(en fait la chambre d’accusation en appel des décisions du parquet) ayant vu
son arrêt validant le procédé (pris avec d’infinies précautions par le
personnel judiciaire tout au long de la procédure) cassé et renvoyé par la
chambre criminelle.
Problème, la Cour de
renvoi a fait de la résistance avec un arrêt particulièrement motivé :
« la
cour d’appel retient qu’aucune disposition légale n'interdit de mettre en œuvre
simultanément deux moyens d'investigation. La garde à vue de M. X... n'avait
pas pour unique objet la réalisation de la sonorisation, mais était
juridiquement fondée au regard des éléments déjà réunis à son encontre. Les
enquêteurs n’ont à aucun moment incité les deux suspects à parler entre eux, le
juge d’instruction ayant même précisé dans son ordonnance qu'il devait être
donné l'interdiction aux gardés à vue de communiquer.
La cour d’appel déduit de
l’ensemble de ces éléments que, dans le cas d’espèce, la sonorisation des
cellules de garde à vue ne constitue ni un détournement des dispositions
encadrant la garde à vue, ni une atteinte au principe de la loyauté des
preuves, ni une atteinte à la vie privée. »
D’où la formation exceptionnelle
de la Cour de cass.
Quitte à affirmer un
principe, autant le faire de façon « flamboyante ».
2 – Et puis la réponse à
ma question du billet de dimanche dernier.
Pourquoi ce grand « délire
de mots » pour une chose apparemment toute simple ?
Eh bien, parce que toutes
les questions doivent être soulevées, examinées, analysées, sous toutes les
coutures, en droit interne, européen, parfois international, à la lumière des
décisions similaires ou contradictoires, avant de prendre une décision :
IL N’Y A JAMAIS DE HASARD, ni même d’à-peu-près, contrairement à ce que peut
paraître en penser notre « Ami-Jacques » !
C’est un corpus unique et
toujours cohérent, c’est clair et c’est précis, une vraie science de concepts étrangers au commun des mortels…
Et toujours sans aucun
délayage, ni le moindre superflu, vous aurez pu noter.
Et c’est le cas pour tous
les arrêts rendus par toutes les juridictions de ce pays.
Les unes du premier degré
de juridiction se contentent peut-être des mémoires des avocats et vont y piocher
leurs motivations et les faits & procédures (bon, j’admets que dans l’ex-tribunal
de commerce d’Île-Rousse en « Corsica-Bella-Tchi-tchi », c’était le
greffier qui rédigeait), mais à partir du second degré de juridiction, le
travail des rapporteurs, qui préparent les décisions et éclairent les juges de
façon impartiale et neutre, est le même (en plus ou moins fouillé tout de
même).
Pour conclure, il faut
tout de même saluer le très grand esprit de synthèse de tous ces acteurs de la
machinerie judiciaire d’élite, et la remarquable précision et concision de la
rédaction de l’arrêt rendu, ci-dessus reproduit qui reste « parfait » !
Là, j’en reste toujours
baba…
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