Pour faire plaisir à notre ami «
Jacques » !
Enfin, nous en terminons
avec la synthèse attendue de cette longue étude des sources du droit en matière
de preuve pénale, vue les dimanches derniers.
Je rappelle, la question
est de savoir si une écoute « clandestine » mais encadrée par le juge d’instruction,
en cellule de repos à l’occasion d’une garde-à-vue de suspects, peut être
versée ou non dans le dossier d’accusation !
Un détail, quoi…
4.2.5 Discussion
L’arrêt attaqué relève que la garde à vue était motivée par
la recherche de trois des six objectifs visés par l’article 62-2 du code de
procédure pénale :
- permettre l'exécution
des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne, -
garantir la présentation de la personne devant le magistrat afin que ce dernier
puisse apprécier la suite donnée à l'enquête, - empêcher que la personne ne se
concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses co-auteurs ou
complices.
Par ailleurs, l’arrêt
constate que la sonorisation des cellules de garde à vue a été ordonnée par un
juge d’instruction pour l’une dans infractions prévues par l’article 706-73 du
code de procédure pénale et s’est exécutée sous le contrôle de ce magistrat.
Fondant son analyse sur
le strict contrôle de la légalité des actes litigieux, la chambre de
l’instruction de Paris, comme avant elle celle de Versailles, a rejeté la requête
en annulation, considérant qu’il ne saurait y avoir un détournement de
procédure, la garde à vue des intéressés se justifiant au regard des indices
recueillis et la sonorisation ayant été ordonnée pour l’une des infractions
prévues par la loi.
Mais le respect de la
légalité, pour nécessaire qu’il soit, est-il suffisant ?
Des actes, pris isolément peuvent apparaître licites, quand
envisagée dans son ensemble, l’opération peut se révéler irrégulière.
Il s’agit de la critique soutenue par la première branche du
premier moyen de cassation.
Elle rejoint l’analyse opérée par la chambre criminelle dans
son arrêt du 7 janvier 2014 qui censure la décision de la chambre de
l’instruction de Versailles aux motifs suivants :
“Mais attendu qu’en
statuant ainsi, alors que la conjugaison des mesures de garde à vue, du
placement de MM. Z... et X... dans des cellules contiguës et de la sonorisation
des locaux participait d’un stratagème constituant un procédé déloyal de
recherche des preuves, lequel a amené M. X... à s’incriminer lui-même au cours
de sa garde à vue, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et
le principe ci-dessus énoncé”.
Il ressort clairement de l’ordonnance du juge d’instruction
autorisant la sonorisation des locaux de garde à vue, telle qu’elle est
rapportée dans l’arrêt attaqué, que le placement en garde à vue des deux
suspects avait pour objectif de capter et d’enregistrer leurs éventuelles
conversations et que, pour mieux y parvenir, ceux-ci ont été délibérément
placés dans des cellules proches facilitant les échanges, alors que des
précautions sont habituellement prises par les enquêteurs pour éviter toute
concertation entre les personnes gardées à vue.
Faut-il voir là pour autant un stratagème constituant un
procédé déloyal de recherche des preuves comme l’a retenu l’arrêt rendu par la
chambre criminelle le 7 janvier 2014 ?
En effet :
- Dans le cas
particulier, on n’est pas face à un cas de provocation à l’infraction, mais
dans un schéma de provocation à la preuve. Les enquêteurs ont cherché à prouver
la participation des deux suspects à des faits commis plusieurs mois avant leur
intervention. On pourrait dès lors y voir une simple provocation à la preuve
habituellement tolérée par la jurisprudence de la chambre criminelle.
- Serait-il interdit de
sonoriser des locaux de garde à vue alors que le législateur ne les a pas
inclus dans la liste des lieux ne pouvant faire l’objet d’une telle mesure ? Il
a été rappelé ci-dessus que seuls les domiciles, bureaux et véhicules des
avocats, députés, sénateurs et magistrats, les cabinets des médecins, les
études de notaires et huissiers, ainsi que les entreprises de presse ou de
communication audiovisuelle sont tenus à l’abri de toute possibilité de
sonorisation.
- La planification d’une
mesure de garde à vue et la sonorisation des locaux où elle doit s’exécuter
peut-elle constituer un détournement de procédure comme le soutient le premier
moyen, alors que la garde à vue était, en l’espèce, justifiée par plusieurs
indices et que la sonorisation était prévue par la loi ?
- Serait-il logique
d’interdire de sonoriser des locaux de garde à vue quand la chambre criminelle
valide la sonorisation, par le juge d'instruction, du parloir d'une personne
mise en examen et placée en détention (Crim., 12 décembre 2000, pourvoi n° 00-83.852, Bull. crim.
2000, n° 369 ; Crim., 1er mars 2006, pourvoi n° 05-87.251, Bull. crim. 2006, n°
59.) ?
Comme le fait observer
l’avis de l’avocat général pris en vue de l’audience de la chambre criminelle
du 15 octobre 2014, en quoi l’interception des propos tenus par une personne
gardée à vue, durant ses périodes de repos, serait-elle plus déloyale à son
égard et attentatoire à ses droits qu’à l’égard d’une personne mise en examen,
laquelle ne peut plus être interrogée que par le seul magistrat instructeur et
en présence de son avocat ?
- Peut-il y avoir une
atteinte au droit de se taire lorsque les personnes placées en garde à vue
n’ont pas, comme c’est le cas en l’espèce, manifesté leur intention d’exercer
ce droit qui leur a pourtant été régulièrement notifié ? Il ressort, en effet,
des arrêts rendus par les chambres de l’instruction de Versailles et de Paris
que les deux intéressés ont choisi de s’expliquer sur les faits qui leur sont
reprochés.
- La recherche des auteurs
d’infractions, objectif de valeur constitutionnelle, ne commande-t-elle pas
d’écarter le principe de loyauté dans l’administration de la preuve qui, lui,
n’est pas érigé au rang de principe constitutionnel ?
Le Conseil d’état
n’a-t-il pas prévu d’écarter le principe de loyauté si un intérêt public majeur
le justifie ?
D’un autre côté, les arguments suivants peuvent être mis en
avant :
- N’est-il pas
contradictoire, comme le soutient la quatrième branche du moyen, de reconnaître
à la personne placée en garde à vue le droit de ne pas s’auto-incriminer, mais
d’admettre la possibilité de sonoriser sa cellule afin de recueillir ses aveux
lors de ses périodes de repos ?
- Ne peut-on pas
considérer que le recours à la sonorisation pendant la garde à vue, et tout particulièrement
pendant le temps de repos où la personne n’est pas assistée de son avocat,
contourne le droit à l’assistance d’un avocat lors des auditions et porte, par
conséquence, une atteinte aux droits de la défense ? Certes, la captation de
conversations à l’insu de leurs auteurs ne constitue pas une audition au sens
propre, mais constitue néanmoins le recueil de déclarations sans avocat pendant
la garde à vue. Existerait-il un autre moyen que les auditions strictement réglementées
par le code de procédure pénale pour recueillir les déclarations des personnes
gardées à vue ?
- Le respect du droit au
silence cesse-t-il au cours du temps de repos accordé à la personne gardée à
vue, comme le retient l’arrêt attaqué, ou fait-il partie du statut de celle-ci
comme le soutient le mémoire ampliatif ?
- Faut-il voir dans les
propos échangés par les deux suspects des déclarations spontanées ou, au
contraire, des propos incités découlant de leur placement en garde à vue dans
des cellules contiguës ?
Pour tenter d’apporter
une réponse aux problèmes soulevés par ces questions, il faut se demander si
les conditions dans lesquelles les déclarations de M. Hassan Abdel Meguid ont
été recueillies ne touchent pas à l’équité du procès dans la mesure où elles
aboutissent à son auto-incrimination.
Cette question se pose
avec d’autant plus de force que le législateur n’a cessé ces dernières années
de renforcer les garanties reconnues aux personnes placées en garde à vue.
Notamment, les droits de se taire et d’être assisté par un avocat au cours des
auditions sont censés leur garantir que les conditions de recueil des preuves
ne les amèneront pas à s’auto-incriminer contre leur volonté. Dans ces
conditions, la sonorisation de la cellule de garde à vue ne constituerait-elle
pas un détournement du droit au silence et du droit de ne pas s’auto-incriminer
?
Il ne ressort pas de l’examen des travaux préparatoires de
la loi du 9 mars 2004, sur la sonorisation, et des lois des 14 avril 2011 et 27
mai 2014, sur la garde à vue, que la question de la sonorisation des locaux de
garde à vue ait été évoquée par le législateur. Les débats sont silencieux sur
ce point.
Comme indiqué plus haut, la doctrine, dans sa grande
majorité, a approuvé l’arrêt rendu le 7 janvier 2014 par la chambre criminelle,
voyant dans cette décision une volonté de renforcer l’exigence de loyauté dans
la recherche de la preuve des infractions.
Quels enseignements peut-on tirer de la jurisprudence ?
Jusqu’à l’arrêt rendu le 7 janvier 2014, la chambre
criminelle ne s’était pas prononcée sur la validité d’une sonorisation d’une
cellule de garde à vue. Cet arrêt est le premier en la matière.
On peut, toutefois, signaler un arrêt rendu par la cour
d’appel de Caen, le 28 février 1990, qui a annulé l'enregistrement, réalisé à
l'initiative des officiers de police judiciaire agissant sur commission
rogatoire d’un juge d’instruction, d'une conversation tenue, dans les locaux
d'une brigade de gendarmerie, par une personne placée en garde à vue qui se
refusait à toute déclaration sur les faits par procès-verbal. Les magistrats
ont considéré que ce procédé portait atteinte au principe de loyauté puisque
les officiers de police judiciaire ont utilisé, à l’insu de l’intéressé, un
subterfuge pour obtenir des déclarations qu’il refusait de faire par
procès-verbal.
M. Pradel approuve cette décision fondée sur le principe de loyauté
:
“Le stratagème même
signe la déloyauté et il faut convenir que les magistrats ne pouvaient
qu’annuler le procès-verbal qui a été fait à l’insu et même contre la volonté
de la personne” (“Annulation des procès-verbaux de l’enregistrement d’une
conversation réalisée par un OPJ alors que le mis en cause, placé en garde à
vue, se refuse à toute déclaration”, Recueil Dalloz 1990, p. 378.).
Une revue de la jurisprudence de la chambre criminelle, dans
des affaires voisines, permet de constater qu’ont été reconnus déloyaux :
- l'enregistrement
effectué de manière clandestine, par un policier agissant dans l'exercice de
ses fonctions, des propos qui lui sont tenus, fût-ce spontanément, par une
personne suspecte, hors toute mesure de garde à vue. Il s’agissait, en
l’espèce, d’un policier qui, à l’occasion de l’exécution d’une commission
rogatoire délivrée par un juge d’instruction, a accepté, à la demande d’un
avocat, de rencontrer ce dernier dans un restaurant et, muni d’un magnétophone
dissimulé, a enregistré les propos de son interlocuteur, lesquels ont, ensuite,
été versés en procédure dans le cadre de la commission rogatoire. La chambre
criminelle a considéré que ce procédé
éludait les règles de procédure et compromettait les droits de la
défense (Crim., 16 décembre 1997,
pourvoi n° 96-85.589, Bull. crim. 1997, n° 427.).
- la transcription
effectuée, contre le gré de l'intéressé, par un officier de police judiciaire,
des propos qui lui sont tenus, officieusement, par une personne suspecte placée
en garde à vue. Les enquêteurs avaient retranscrit sur un procès-verbal les
déclarations que le gardé à vue avait accepté de faire à la condition qu’elles
ne soient pas consignées. La manière d’agir de la part de l’enquêteur a été
qualifiée de déloyale en ce qu’elle contournait les règles de procédure
relatives aux auditions des personnes en garde à vue (Crim., 3 avril 2007, pourvoi n° 07-80.807,
Bull. crim. 2007, n° 102.).
- la retranscription sur
procès-verbal des confidences faites, fût-ce spontanément, à un policier par la
personne mise en examen lors de son transfert à la maison d’arrêt. Ici, le
procédé a été qualifié de déloyal en ce qu’il éludait les règles de procédure
relatives aux auditions des personnes mises en examen, lesquelles ne peuvent
plus être interrogées que par le juge d'instruction, son avocat étant présent
ou ayant été dûment convoqué. Le consentement de la personne mise en examen à
son audition par les officiers de police judiciaire est indifférent à
l’interdiction posée par l’article 152, alinéa 2, du code de procédure pénale.
Par ailleurs, il résulte de l’article 114 du code de procédure pénale que le
mis en examen ne peut être entendu hors la présence de son avocat que s’il
renonce expressément à cette assistance, l’avocat étant présent ou dûment
appelé. L’arrêt de la chambre criminelle assimile les propos recueillis
spontanément à une audition (Crim., 5 mars 2013, pourvoi n° 12-87.087, Bull. crim. 2013,
n° 56.).
Inversement, ont été considérés comme loyaux :
- l’écoute, par un
policier, sans recours à un procédé technique particulier, des propos échangés
au téléphone par un suspect lors qu'une perquisition se déroulait au domicile
de ce dernier (Crim., 4 septembre
1991, pourvoi n° 90-86.786, Bull. crim. 1991, n° 312.).
- l’écoute, par un
policier caché dans un placard, d'une conversation entre des personnes
soupçonnées de commettre un acte de corruption. L’arrêt souligne qu’un tel
procédé de la part des enquêteurs, demeurés passifs, qui “ont laissé faire les événements, était
exclusif de toute provocation envers les frères C. à commettre une infraction” (Crim., 22 avril 1992, pourvoi n°
90-85.125, Bull. crim. 1992, n° 169.).
- l’interception de
conversations téléphoniques dès lors qu’elle est intervenue sur l'ordre d'un
juge et sous son contrôle, en vue d'établir la preuve d'un crime ou de toute
autre infraction portant gravement atteinte à l'ordre public, que l'écoute a
été obtenue sans artifice ni stratagème et que sa transcription a été
contradictoirement discutée par les parties concernées, le tout dans le respect
des droits de la défense (Crim.,
17 juillet 1990, pourvoi n° 90-82.614, Bull. crim. 1990, n° 286 ; Crim., 9
décembre 1991, pourvoi n° 90-84.994, Bull. crim. 1991, n° 465 ; Crim., 3 juin
1992, pourvoi n° 91-84.562, Bull. crim. 1992,
n° 219.).
- la sonorisation d’un
parloir de maison d'arrêt par le juge d'instruction pourvu qu'elle ait lieu
sous son contrôle et dans des conditions ne portant pas atteinte aux droits de
la défense, étant précisé que les conversations qui y sont tenues sont soumises
de droit à la surveillance du personnel pénitentiaire. Le moyen soutenait que
l’enregistrement effectué de manière clandestine par un policier agissant sur
commission rogatoire du juge d’instruction éludait les règles de procédure et
compromettait les droits de la défense (Crim., 12 décembre 2000, pourvoi n° 00-83.852, Bull. crim.
2000, n° 369.). La chambre criminelle a
validé à nouveau la sonorisation d’un parloir de maison d'arrêt après l’entrée
en vigueur de la loi du 9 mars 2004, tout en rappelant que cette mesure ne peut
être autorisée par le juge d'instruction qu'au cours d'une information portant
sur un crime ou un délit entrant dans le champ d'application de l'article
706-73 du code de procédure pénale et jamais dans le cadre d'une enquête de
flagrance ou préliminaire (Crim., 1er mars 2006, pourvoi n°
05-87.251, Bull. crim. 2006, n° 59 ; Crim.,9 juillet 2008, pourvoi n°
08-82.091, Bull. crim. 2008, n° 170 ; Crim., 27 mai 2009, pourvoi n° 09-82.115,
Bull. crim. 2009, n° 108)
- le recueil, dans un
procès-verbal de renseignement, de propos tenus par un suspect dès son
placement en garde à vue, malgré l’absence de notification du droit de se
taire, en ce qu’ils permettaient de rechercher une mineure disparue. En
revanche, ont été annulés les propos ultérieurs tenus par la même personne, dès
lors qu’ils n’étaient plus motivés par l’urgence de découvrir la personne en
péril (Crim., 17 janvier 2012,
pourvoi n° 11-86.471, diffusé.).
- le fait, pour un
enquêteur qui, sans détenir le rapport d’autopsie, prend soin de préciser dans
sa question adressée à une personne soupçonnée de meurtre, que les causes de la
mort proviendraient, selon son collègue qui, lui, a assisté à l’autopsie, de
violents coups portés au niveau du crâne et non pas d’une chute (Crim., 29 octobre 2013, pourvoi n°
13-84.226, diffusé.).
- l’enregistrement
réalisé par un officier de la gendarmerie, à l'insu d’un préfet, d'une
conversation échangée entre eux, aux motifs que cette cassette, ayant fait
l'objet d'une expertise qui a authentifié les propos tenus, a été soumise à la
libre discussion des parties et ne constituait que l'un des éléments
probatoires laissés à l'appréciation souveraine des juges (Crim., 13 octobre 2004, pourvois n°
03-81.763, 01-83.943, 01-83.944, 01-83.945, 0086.726, 00-86.727, Bull. crim.
2004, n° 243). Certains auteurs de la
doctrine (J. Pradel, Procédure pénale, Editions Cujas, 17° Ed., n° 413 ; C.
Ambroise-Castérot, “Recherche et administration des preuves en procédure pénale
: la quête du Graal de la Vérité”, AJ Pénal 2005, p. 261.) ont pu voir dans cet arrêt un infléchissement de la jurisprudence de
la chambre criminelle. Il importe, cependant, d’observer que l’enregistrement
clandestin de la conversation tenue entre ces deux personnes n’a pas été
réalisé dans le cadre d’une enquête de police ou d’une information judiciaire,
mais d’un rapport hiérarchique entre un préfet et un officier de gendarmerie,
ce dernier cherchant à se ménager une preuve de l’ordre illégal qu’il recevait.
Il est plus difficile de
tirer, au stade actuel de l’information, un enseignement de la jurisprudence de
la Cour européenne dans la mesure où celle-ci, d’une part, considère que les
questions de recevabilité des modes de preuve relèvent du droit interne des États
et que, d’autre part, son contrôle porte essentiellement sur le caractère
équitable ou non du procès, ce qui suppose, pour être opéré, que la procédure
soit achevée. Les arrêts évoqués plus haut montrent que l’analyse des juges
européens est différente selon que l’élément de preuve recueilli dans des
conditions critiquées a été ou non le seul moyen de preuve retenu pour motiver
la condamnation (CEDH, 12 juill. 1988,
Schenk c. Suisse ; CEDH, 25 mars 1999, Pelissier et Sassi c. France ; CEDH, 12
mai 2000, Khan c. Royaume-Uni, précités).
Néanmoins, il peut d’ores
et déjà être constaté que si la Cour européenne rappelle régulièrement que le
droit de ne pas s’incriminer soi-même est “au cœur de la notion de procès équitable”, le critère déterminant qu’elle retient pour apprécier s’il y a eu ou
non violation de ce droit est le caractère spontané ou non des déclarations
recueillies. Elle recherche également si le requérant a eu la possibilité de
contester la validité de l’enregistrement litigieux.
L’affaire Allan contre Royaume-Uni traduit clairement la
démarche des juges européens. D’un côté, ils considèrent que l’enregistrement
des conversations dans la cellule d’un commissariat où Allan avait été placé
avec son complice ne porte pas atteinte à l’article 6 § 1 de la Convention
européenne aux motifs que rien ne laissait penser que ces aveux “n’étaient pas
spontanés, autrement dit qu’une coercition aurait été exercée sur le requérant
afin de l’y amener ou qu'il y aurait eu guet-apens ou incitation”. D’un autre
côté, ils jugent que les informations recueillies grâce à l’intervention d’un
indicateur de police placé dans la même cellule que celle d’Allan violent les
règles du procès équitable (CEDH, 5 nov. 2002, Allan c. Royaume-Uni, req.
n°48539/99, § 46 et 52.).
Pour écarter toute atteinte au droit de ne pas contribuer à
sa propre incrimination, l’arrêt attaqué retient notamment le caractère
spontané et non provoqué des déclarations des deux gardés à vue.
Ce qui était espéré par le juge d’instruction et les
enquêteurs pouvait, en effet, ne pas se réaliser. En cela, les déclarations
incriminantes ont bien été spontanées, au sens où elles n’ont pas été
directement induites, suscitées ou provoquées par les enquêteurs, sauf à
considérer que leur placement dans des cellules contiguës constitue un stratagème
pour les amener à communiquer entre eux.
L’Assemblée plénière devra donc examiner, dans la recherche
d’un nécessaire équilibre entre la protection des droits fondamentaux des
individus et l’efficacité de l’enquête, dans quelle mesure l’opération,
préparée et mise en œuvre par les policiers avec l’autorisation du juge
d’instruction et l’avis conforme du procureur de la République, a été ou non de
nature à porter atteinte au principe de loyauté dans l’administration de la
preuve.
4.3 Sur le second moyen et le principe de la violation du
droit au respect de l’intimité de la vie privée
4.3.1 Le mémoire ampliatif
S’appuyant sur l’article 8 de la Convention européenne ainsi
que sur l’application qu’en fait la Cour de Strasbourg, le demandeur au pourvoi
reproche à la cour d’appel, pour justifier l’ingérence dans l’intimité de la
privée que constitue une mesure de captation et d’enregistrement des propos
tenus par des personnes placées en garde à vue, de considérer que la notion
même de garde à vue est exclusive de celle de vie privée (première branche).
Par ailleurs, l’article 706-96 du code de procédure pénale,
qui autorise la sonorisation en matière de criminalité organisée, ainsi que les
articles 62 et suivants relatifs à la garde à vue, ne constitueraient pas une
base légale suffisamment précise et prévisible à la sonorisation des geôles de
garde à vue (seconde branche).
4.3.2 La position du ministère public
* Devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2014
Dans son avis, l’avocat général, pour écarter les deux
dernières branches du moyen, écrivait : “La
sonorisation de lieux publics ou privés, telle que définie par le code de
procédure pénale, répond aux exigences de prévisibilité de la loi de l’article
8 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, la nécessité
de la mesure résulte de l’impérieux devoir de rechercher les auteurs d’un crime
portant gravement atteinte à l’ordre public étant précisé qu’il ressort de
l’arrêt que les investigations étaient particulièrement difficiles M. X... se
servait de téléphones portables aux noms de tiers ou des taxiphones, donnait
des rendez-vous dans des lieux difficiles à surveiller et employait un langage
codé”.
* Devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de
Paris
Au regard du principe du respect de l’intimité de la vie
privée, les réquisitions écrites du procureur général objectent que le choix de
la sonorisation répondait aux critères de proportionnalité et de nécessité
justifiant l’ingérence dans la vie privée des personnes mises en garde à vue.
D’une part, la mesure avait pour objectif de permettre la manifestation de la
vérité dans une procédure criminelle à l'occasion de laquelle les auteurs étaient
armés et n'avaient pas hésité à commettre des violences sur une personne âgée
de 87 ans. D’autre part, cette mesure avait été ordonnée après que les
enquêteurs eurent réalisé tous les actes d'enquête possibles. Enfin, les
procès-verbaux contestés ne comportent que les propos relatifs à la procédure
en cours et ne font nullement états de fait concernant la vie privée et
l'intimité des intéressés.
* Devant la Cour de cassation, le 15 octobre 2014
L’avocat général rappelle, tout d’abord, que les mesures de
sonorisation sont expressément prévues par la loi et que les cellules de garde
à vue, comme d’ailleurs les parloirs de maison d’arrêt, ne figurent pas au
nombre des lieux que le législateur a entendu exclure.
Il relève, par ailleurs, que, “dans son arrêt du 7 janvier 2014, la chambre criminelle a cassé l’arrêt
de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles au seul visa de
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors pourtant
qu’était également invoquée la violation des dispositions de son article 8”.
Il en déduit donc qu’il ne peut y avoir violation de
l’article 8 de la Convention européenne.
4.3.3 Droit au respect de l’intimité de la vie privée
Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 8 de la Convention
européenne, “toute personne a droit au
respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance”.
L’alinéa 2 du texte prévoit, cependant, la possibilité d’une
“ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que
cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans
une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui”.
La prévention des infractions pénales et la défense de
l’ordre public constituent donc l'un des buts légitimes pouvant justifier une
atteinte au droit à l'intimité de la vie privée.
La cour de Strasbourg a une conception large de la notion de
vie privée. Elle considère que celle-ci ne se limite pas aux lieux de vie de la
personne et peut s'étendre aux activités relevant de la sphère professionnelle
ou commerciale. Ainsi a-t-elle considéré que l’enregistrement des voix de
suspects dans un commissariat de police ou l’utilisation d’une caméra dans une
salle de garde à vue pour filmer une personne soupçonnée d’avoir commis des
agressions constituaient une ingérence dans la vie privée (CEDH, 25 sept. 2001,
P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, req. n° 44787/98, § 56 à 60 ; CEDH, 17 juill.
2003, Perry c. Royaume-Uni, req. n° 63737/00, § 36 à 43.).
Dans l’affaire Wisse contre France, les juges européens ont
analysé le parloir d’un lieu de détention comme ayant la fonction “de maintenir
une vie privée du détenu”. Ils en ont déduit que “les conversations qui s’y tenaient
pouvaient se trouver comprises dans les notions de vie privée et de
correspondance” (CEDH, 20 déc. 2005, Wisse c. France, req. n° 71611/01, § 24 à
30.).
Par son caractère intrusif, l'utilisation de procédés
permettant l'interception de conversations ou d'images constitue, à l’évidence,
une ingérence dans la vie privée des citoyens. Mais celle-ci peut être légitime
si, d’une part, elle est prévue par la loi et, d’autre part, nécessaire pour
prévenir les infractions ou rechercher leurs auteurs. La Cour européenne a
souvent constaté que l’interception de conversations ou d’images par le biais
d’appareils d’enregistrement audio et vidéo entrait dans le champ d’application
de l’article 8 de la Convention. À défaut de fondement textuel à une telle
ingérence dans la vie privée des citoyens, la Cour a, à plusieurs reprises,
sanctionné les États pour violation de ce texte.
Ainsi, ont été jugés comme constituant une atteinte à
l’intimité de la vie privée pour défaut de base légale :
- l’enregistrement par la
police au moyen d’un système d’écoute de conversations privées tenues dans
l’appartement d’une personne soupçonnée de se livrer à un trafic de stupéfiants
(CEDH, 12 mai 2000, Khan
c. Royaume-Uni, req. n° 35394/97, § 25 à 28.) ;
- l’enregistrement des
voix de suspects dans les cellules d’un commissariat de police (CEDH, 25 sept. 2001, P.G. et J.H. c.
Royaume-Uni, req. n° 44787/98, § 60 à 63.)
;
- l’utilisation d'une
caméra de surveillance dans la salle de garde à vue d'un commissariat pour
filmer une personne suspectée d’avoir commis des agressions afin de réaliser
une vidéo susceptible d’être présentée aux témoins (CEDH, 17 juill. 2003, Perry c.
Royaume-Uni, req. n° 63737/00, § 43 à 49.)
;
- la sonorisation de
l’appartement d’un individu soupçonné d’homicide volontaire (CEDH, 31 mai 2005, Vetter c. France,
req. n° 59842/00, § 26 et 27.) ;
- la mise en place d’un
dispositif de surveillance audio et vidéo dans la cellule d’un détenu et dans
le parloir (CEDH, 5 nov. 2002, Allan
c. Royaume-Uni, req. n° 48539/99, § 35 et 36 ; CEDH, 20 déc. 2005, Wisse c.
France, req. n° 71611/01, § 29 à 34.).
Pour que la condition de légalité soit remplie, selon la
jurisprudence de la Cour européenne, il faut, d’une part, que le dispositif
utilisé ait une base légale, laquelle peut découler de textes législatifs comme
de la jurisprudence.
Il faut, d’autre part, que ce fondement juridique offre des
garanties contre l'arbitraire des pouvoirs publics. Aussi, la loi doit-elle
définir les catégories de personnes susceptibles de faire l’objet d’une telle
mesure et la nature des infractions pouvant y donner lieu. L’exécution de la
mesure doit être enfermée dans une limite de temps. Les conditions
d’établissement des procès-verbaux consignant les conversations enregistrées
doivent être précisées, comme les précautions à prendre pour assurer
l’intégralité des enregistrements réalisés, aux fins de contrôle éventuel par
le juge et par la défense, ainsi que les circonstances dans lesquelles peut ou
doit s’opérer l’effacement ou la destruction des supports, notamment lorsqu’une
décision de non-lieu ou de relaxe est intervenue (CEDH, 24 avril 1990, Kruslin
c. France,req. n° 11801/85, § 27 et s. ;
CEDH, 24 avril 1990, Huvig c. France, req. n° 11105/84, § 26 et s. ; CEDH, 25
mars 1998, Kopp c. Suisse, req. n° 23224/94, § 55 ; CEDH, 29 mars 2005,
Matheron c. France, req. n° 57752/00, § 29 ; CEDH, 20 déc. 2005, Wisse c.
France, req. n° 71611/01, § 32.).
Ainsi, la Cour européenne a-t-elle jugé que le placement
d’un détenu sous surveillance vidéo permanent pendant deux semaines ne
constituait pas une violation de l’article 8 de la Convention européenne dans
la mesure où cette ingérence était prévue par le droit interne des Pays-Bas,
qu’elle était limitée dans le temps et qu’elle était nécessaire à la prévention
des infractions pénales (CEDH, 1er juin 2004, Van der Graaf c. Pays-Bas, req.
n° 8704/03.).
4.3.4 Discussion
La sphère privée ne peut être ni un refuge, ni un sanctuaire
où le citoyen pourrait mettre à l’abri ses secrets (Traité de procédure pénale
F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, déjà cité, n° 581.). Une société a besoin
de pouvoir lutter efficacement contre les différentes formes de criminalité et
de terrorisme qui la menacent.
La sonorisation est, depuis 2004, autorisée en France par
une loi qui en délimite rigoureusement le champ d’application et fixe
précisément ses modalités de mise en œuvre et d’exécution (cf. supra § 4.2.4.2)
.
Il appartiendra à l’Assemblée plénière d’apprécier si les
dispositions issues de la loi du 9 mars 2004 satisfont aux exigences posées par
la Cour européenne.
Comme cela a déjà été indiqué plus haut, la chambre criminelle
a jugé que justifie sa décision, au regard de l'article 8 de la Convention
européenne, la chambre de l'instruction qui, après avoir contrôlé que
l'interception des conversations échangées au parloir de la maison d'arrêt
entre une personne mise en examen et ses visiteurs a répondu aux conditions
prévues par les articles 706-96 à 706-102 du code de procédure pénale, relève
que ces opérations, ordonnées par un juge d'instruction pour une durée limitée,
ont été placées en permanence sous son autorité et son contrôle et qu'elles
étaient nécessaires à la recherche de la manifestation de la vérité,
relativement à des infractions portant gravement atteinte à l'ordre public, les
personnes concernées ayant été en outre en mesure d'en contrôler efficacement l'exécution.
Le demandeur au pourvoi soutenait que les mesures prévues par les articles
706-96 à 706-102 du code de procédure pénale n’étaient pas, à elles seules,
suffisantes pour justifier l'ingérence dans la vie privée d'un détenu et de ses
proches que constituait la sonorisation d'un parloir (Crim., 1er mars
2006, pourvoi n° 05-87.251, Bull. crim. 2006, n° 59).
Pour la chambre criminelle, la loi interne répond aux
exigences conventionnelles qui doivent entourer une telle ingérence.
En revanche, elle a considéré que le fait, pour des
policiers, opérant en enquête préliminaire, de photographier clandestinement,
au moyen d'un téléobjectif, les plaques d'immatriculation des véhicules se
trouvant à l'intérieur d'une propriété privée non visibles de la voie publique,
aux fins d'identification des titulaires des cartes grises, constituait une
ingérence, au sens de l'article 8 de la Convention européenne, dans la mesure
où elle n'était prévue par aucune disposition de procédure pénale (Crim., 21
mars 2007, pourvoi n° 06-89.444, Bull. crim. 2007, n° 89.)
De même, a été jugée irrégulière la mise en place, par des
policiers agissant en enquête préliminaire, d’un dispositif technique aux fins
de capter et de fixer des images dans le parking souterrain clos d'une
résidence privée dont l'accès nécessite l'usage d'une télécommande, l’opération
ne répondant pas aux conditions de l’article 706-96 du code de procédure pénale
(Crim. 27 mai 2009, pourvoi n° 09-82.115, Bull. crim. 2009, n° 108.).
À ce jour, la Cour européenne n’a pas été amenée à se
prononcer sur le dispositif français depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9
mars 2004.
Nombre de projet(s) préparé(s) : Trois projets d’arrêt ont
été préparés.
Très beau travail, bien
léché, complet, propre et qui laisse le soin aux magistrats du siège le soin de
trancher !
Qu’eu-crûtes-vous qu’ils
fassent ?
Eh bien, ils vont d’abord
étudier le réquisitoire de l’avocat-général, magistrat du Parquet qui
représente l’État, autrement dit, vous !
Pour une prochaine séance
à suivre…
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