Pour faire plaisir à notre ami «
Jacques » !
Nous poursuivons l’examen
de l’affaire qui nous préoccupait les deux dimanches précédents.
Tour d’horizon de la
jurisprudence en matière d’administration de la preuve : Après, plus
personne ne pourra dire que les décisions des juges de Cassation sont le fait
du hasard, tellement les paramètres restent nombreux jusqu’à l’épuisement !
4.2.4.5 Le principe de loyauté dans l’administration de la
preuve
“La loyauté de
l’enquête (...) est de ces exigences
qui apparaissent à la fois des plus évidentes et des plus difficiles à cerner.
Intuitivement, chacun est convaincu qu’une enquête ne saurait être menée de
façon déloyale. Mais dès qu’il s’agit de déterminer la signification et la
portée de l’exigence, les lignes se brouillent. Il est révélateur à cet égard
qu’au cours des débats ayant entouré l’élaboration de l’article préliminaire du
code de procédure pénale, les parlementaires aient renoncé à consacrer le
principe de loyauté après l’avoir un temps envisagé. C’est que le principe ne
peut être affirmé sans réserves ni nuances. Il doit en effet se concilier avec
celui de liberté des preuves et avec le pouvoir conféré par la loi aux enquêteurs
de mettre en oeuvre toutes sortes de procédés permettant de suivre, écouter, ou
observer les personnes à leur insu. La jurisprudence de la Cour européenne
n’apporte sur la question qu’un éclairage partiel. On sait en effet que les
juges de Strasbourg se refusent de porter une appréciation sur la recevabilité
de tel ou tel moyen de preuve qui aurait été obtenu selon des procédés
déloyaux. Seule leur importe la question de savoir si l’utilisation de ce moyen
de preuve a affecté l’équité du procès” (F. Desportes, “La loyauté dans
l’enquête”, Revue annuelle des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de
cassation, 2014, p. 25.).
En matière pénale, le principe de la liberté de la preuve,
posé par le premier alinéa de l’article 427 du code de procédure pénale (“hors les cas où la loi en dispose autrement,
les infractions peuvent être établies par tous modes de preuve et le juge
décide d’après son intime conviction”), n’est pas absolu. Il se trouve
nécessairement limité, dans un État de droit, par le principe de légalité et
celui de loyauté. S’il est possible de produire toutes sortes de preuve, encore
faut-il que celles-ci aient été recueillies dans le respect de la loi et sans
recours à des procédés déloyaux.
Ainsi, l’article 81, déjà cité, autorise le juge
d’instruction à procéder à tous les actes d’information qu’il juge utiles, à la
condition toutefois de respecter la légalité (Le texte précise que le juge
d’instruction procède “conformément à la
loi”.) et les règles découlant du statut de la magistrature (L’article 6 de
l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature énonce que
les magistrats, du siège comme du parquet, prêtent serment de se “conduire en
tout comme un digne et loyal magistrat”.).
Le principe de loyauté des preuves n’apparaît explicitement
ni en droit européen ni en droit interne. Il se rattache toutefois à la notion
de procès équitable découlant de l’article 6 § 1 de la Convention européenne et
de l’article préliminaire du code de procédure pénale (Art. préliminaire : “la procédure pénale doit être équitable et
contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties...”).
L’étude de la jurisprudence de la Cour européenne et de la
Cour de cassation permet de tirer plusieurs enseignements de l’application de
ce principe par les deux hautes juridictions.
* Jurisprudence européenne
La Cour européenne des droits de l’homme laisse aux droits
internes des États le soin de fixer les modes de preuve, se bornant à vérifier
que ces derniers ne compromettent pas l’équité du procès au sens de l’article 6
§ 1 de la Convention. Elle rappelle régulièrement que “si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne
réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles,
matière qui relève au premier chef du droit interne”. Elle en déduit
qu’elle “n’a pas à se prononcer, par
principe, sur la recevabilité de certaines sortes de preuve, par exemple des
éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne” (Ex :
CEDH, 12 juillet 1988, Schenk c. Suisse, re. n° 10862/84, § 45-46 ; CEDH, 9
juin 1998, Teixeira de Castro c. Portugal, req. n° 44/1997/828/1034, § 34 ;
CEDH, 25 mars 1999, Pelissier et Sassi c. France req. n° 25444/94 ; CEDH, 12
mai 2000, Khan c. Royaume-Uni, req. n° 35394/97, § 34.)
La Cour européenne retient, cependant, sa compétence au
travers de l’exigence d’équité du procès lorsque la question de la recevabilité
de la preuve affecte le respect de ce principe.
Ainsi, dans l’affaire Schenk contre Suisse, elle a rejeté le
recours, la production et l’admission d’une preuve entachée d’illégalité
n’ayant pas eu d’incidence sur le caractère équitable de la procédure. Il
s’agissait en l’espèce de l’enregistrement d’une conversation téléphonique
entre deux personnes privées, réalisé par l’une d’elles, à la demande des
services de police. Il résulte de cet arrêt que la preuve illicite peut être
admise par la Cour européenne dès lors qu’elle ne compromet pas l’équité du
procès (CEDH, 12 juillet 1988, Schenk c. Suisse, req. n° 10862/84.).
En revanche, dans l’affaire Texeira de Castro contre
Portugal, la Cour européenne a considéré comme contraire à l’article 6 § 1 de
la Convention l’intervention de fonctionnaires de police dont l’action a
provoqué l’infraction (CEDH, 9 juin 1998, req. n° 44/1997/828/1034, § 36.).
Il y a provocation policière pour les juges européens “lorsque les agents impliqués ne se limitent
pas à examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse, mais
exercent sur la personne qui en fait l’objet une influence de nature à
l’inciter à commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise”
(CEDH, 5 févr. 2008, req. n° 74420/01, § 54-55.).
La provocation policière est jugée admissible lorsqu’elle
n’a pas pour effet de déterminer les agissements délictueux, mais seulement
d’en révéler l’existence afin d’en permettre la constatation ou d’en arrêter la
continuation (F. Desportes, et L. Lazerges-Cousquer Traité de procédure pénale,
Economica, 3° Ed., n° 575.)
.
* Jurisprudence du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a notamment utilisé la notion de
loyauté dans sa décision rendue le 18 novembre 2011 à propos de plusieurs
questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la garde à vue. Pour
juger conforme à la Constitution le fait qu’en matière de garde à vue la loi
n’impose aux enquêteurs un délai d’attente de l’avocat que pour la première
audition et non pour les auditions suivantes, le Conseil constitutionnel a
retenu “qu’il appartient en tout état de
cause à l’autorité judiciaire de veiller au respect du principe de loyauté dans
l’administration de la preuve et d’apprécier la valeur probante des
déclarations faites, le cas échéant, par une personne gardée à vue hors la
présence de son avocat” (Cons. const. 18 nov. 2011, décision n°
2011-191/194/195/196/197 QPC § 30.).
Dans un article publié dans la Gazette du Palais, M.
Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel, soulignait que cette
décision “n’érige pas le principe de
loyauté dans l’administration de la preuve au rang de principe constitutionnel”,
mais “s’appuie sur cette garantie légale,
au respect duquel veille l’autorité judiciaire, pour juger conforme à la
Constitution les dispositions contestées” (Gazette du Palais, 24 mai 2012,
n° 145, p. 32.)
* Jurisprudence du Conseil d’État
Pour sa part, le Conseil d’État a consacré le principe de
loyauté en matière de preuve, dans un arrêt du 16 juillet 2014, tout en jugeant
que la commune n’avait pas violé celui-ci en confiant à une agence de
détectives privés le soin de réaliser des investigations dans le but de mettre
en évidence les activités professionnelles d’un agent administratif bénéficiant
d’un congé de longue maladie, puis de longue durée, dès lors que les
surveillances s’étaient déroulées dans des lieux publics (CE, 16 juill. 2014,
n° 355201, publié au Recueil Lebon).
Le Conseil d’État a, toutefois, posé une limite à ce
principe en décidant :
“tout employeur public
est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté ; qu’il ne
saurait, par suite, fonder une sanction disciplinaire à l’encontre de l’un de
ses agents sur des pièces ou des documents qu’il a obtenus en méconnaissance de
cette obligation, sauf si un intérêt public majeur le justifie”.
Dans ses conclusions, le rapporteur public, tout en
encourageant le Conseil d’état à reconnaître le principe de loyauté dans
l’administration de la preuve, l’invitait à prendre en compte les
particularités du procès administratif et notamment à prévoir une exception au
principe afin de permettre aux collectivités publiques de pouvoir faire
prévaloir les intérêts généraux qu’elles défendent sur les exigences de
légalité et de loyauté de la preuve. Il écrivait en substance :
“ À ce titre, il nous
semble indispensable de ménager, ce que n’ont fait jusqu’à présent ni la
jurisprudence judiciaire ni la jurisprudence constitutionnelle, l’hypothèse
dans laquelle une autorité administrative serait détentrice d’informations qui
lui imposeraient d’agir dans un sens déterminé, sauf à méconnaître gravement un
intérêt public. Il faudrait alors admettre qu’elle puisse se prévaloir devant
le juge de ces éléments de preuve, alors qu’elle les aurait recueillis en
méconnaissance des exigences de légalité et de loyauté” (Conclusions de M.
Daumas publiées à la Revue AJDA 2014, 1460.).
* Jurisprudence de la Cour de cassation
La Cour de cassation a dégagé très tôt le principe de
loyauté dans l’administration de la preuve.
En effet, la Cour de cassation, siégeant dans sa formation
solennelle, l’a mis en avant dès la fin du XIXème siècle à propos du
comportement d’un juge d’instruction qui avait appelé au téléphone un complice
en imitant la voie de l’inculpé pour obtenir une preuve de sa participation à
un trafic de décorations. Dans cette affaire, elle a affirmé que le magistrat
avait employé un procédé s’écartant des règles de loyauté que doit observer
toute information judiciaire. Mais, l’arrêt ne tranchait pas une question de
recevabilité de la preuve ; il portait sur la procédure disciplinaire conduite
contre le magistrat (Arrêt Wilson ; Ch. Réunies, 31 janv.1888, Sirey 1889,
1, 241).
La chambre criminelle a, pour la première fois, fait
application du principe de loyauté dans une affaire où les éléments de preuve
avaient été recueillis par un témoin qui, à la demande d’un commissaire de
police agissant sur commission rogatoire du juge d’instruction, avait téléphoné
à une personne suspectée de corruption active pour lui proposer de lui remettre
la somme d’argent sollicitée et lui poser les questions préparées par le
commissaire de police, lequel écoutait et enregistrait la conversation (Crim.,
12 juin 1952, Imbert, Bull. crim. 1952 n° 153.).
– Distinction provocation à l’infraction
- provocation à la preuve
Dans l’arrêt “Schuller-Maréchal” rendu le 27 février 1996,
la chambre criminelle a étendu le principe à l’enquête de police en approuvant
une chambre d’accusation d’avoir retenu que l’interpellation d’une personne,
suspectée de trafic d’influence, découlait d’un “stratagème qui a vicié la recherche et l’établissement de la vérité”
et porté ainsi “atteinte au principe de
loyauté des preuves” (Crim., 12 juin 1952, Imbert, Bull. crim. 1952 n° 153.)
Depuis ce dernier arrêt, la chambre criminelle distingue,
pour les preuves produites par les représentants de l’autorité publique
(enquêteurs, ministère public, juges d’instruction et administrations pouvant
engager l’action publique), la provocation à la preuve, qui est admissible
parce qu’elle se limite à un procédé consistant à rassembler les preuves d’une
infraction déjà commise, en train de se commettre ou sur le point de l’être, et
la provocation à la commission de l’infraction, qui est prohibée parce que,
contrairement à la précédente, elle détermine le passage à l’acte.
Il ressort d’une jurisprudence bien établie de la chambre
criminelle que le recours à la ruse ou à un stratagème, par un représentant de
l’autorité publique, est déloyal s’il a pour objet de pousser à la commission
de l’infraction qui sans cela n’aurait pas été commise.
Dans des affaires concernant la cybercriminalité, la chambre
criminelle a récemment étendu ce critère à l’hypothèse où la provocation à la
commission de l’infraction est réalisée à l’étranger par un agent public étranger
(Crim., 7 février 2007, pourvoi n° 06-87.753, Bull. crim. 2007, n° 37 ; Crim.,
4 juin 2008, pourvoi n° 08-81.045, Bull. crim. 2008, n° 141 ; Crim., 30 avril
2014, pourvoi n° 13-88.162, Bull. crim. 2014, n° 119.)
La provocation à l'infraction a pour conséquence de rendre
irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus.
Il a été jugé que la provocation à l’infraction peut
intervenir par le recours à un tiers agissant sous la direction de la police (Crim.,
1er octobre 2003, pourvoi n° 03-84.142, Bull. crim. 2003, n° 176 ;
Crim., 11 mai 2006, pourvoi n° 05-84.837, Bull. crim. 2006, n° 132 ; Crim., 9
août 2006, pourvoi n° 06-83.219, Bull. crim. 2006, n° 202.) ou par la création
d'un site internet (Crim., 7 février 2007, pourvoi n° 06-87.753, Bull. crim.
2007, n° 37 ; Crim., 4 juin 2008, pourvoi n° 08-81.045, Bull. crim. 2008, n°
141 ; Crim., 30 avril 2014, pourvoi n° 13-88.162, Bull. crim. 2014, n° 119.).
Cette limite dans le recours à la ruse est parfois inclue
dans la loi, celle-ci prenant soin de préciser que les actes qu’elle autorise
ne peuvent, sous peine de nullité, constituer une incitation à commettre ces
infractions (opérations de livraisons contrôlées, investigations sous
pseudonymes sur internet, infiltrations prévues par les articles 706-32, 706-
35-1, 706-47-3 et 706-81 du code de procédure pénale).
En revanche, la provocation à la preuve est jugée conforme
au principe de loyauté si l'intervention policière a eu lieu dans un contexte
où l’infraction préexistait et n’a pas été déterminée par les agissements des
enquêteurs. L’application de cette jurisprudence est fréquente en matière de
lutte contre le trafic de stupéfiants. Le stratagème de l’enquêteur qui se fait
passer pour un consommateur de drogue est licite dès lors que son intervention
“n'a en rien déterminé les agissements
délictueux du prévenu, mais a eu seulement pour effet de permettre la
constatation d'infractions déjà commises et d'en arrêter la continuation” (Crim.,
2 mars 1971, pourvoi n° 70-91.810, Bull. crim. 1971, n° 71 ; Crim., 29 juin
1993, pourvoi n° 93-80.544, Bull. crim. 1993, n° 228 ; Crim., 8 juin 2005,
pourvoi n° 05-82.012, Bull. crim. 2005, n° 173 ; Crim., 16 janv. 2008, pourvoi
n° 07-87.633, Bull. crim. 2008, n° 14. 61Crim., 16 décembre 1997, pourvoi n°
96-85.589, Bull. crim. 1997, n° 427.).
– Distinction contournement et
détournement de procédure
En dehors de la provocation à commettre l’infraction, le
comportement déloyal de la part d’une autorité publique peut résulter d’un
contournement ou d’un détournement de la règle de droit.
Le contournement de procédure consiste, pour un policier, à
se placer hors du cadre procédural prévu pour l'accomplissement d'un acte afin
de recueillir des éléments d'information qu'il n'aurait pu obtenir en
respectant les exigences légales. C’est le cas lorsqu’un policier enregistre de
manière clandestine des propos qui lui sont tenus, fût-ce spontanément, par une
personne suspecte. Ce procédé est jugé déloyal car il élude les règles de
procédure et compromet les droits de la défense61. Il en est de même lorsqu’un suspect
téléphone sur les instructions d’un enquêteur qui lui a préparé les questions à
poser, lequel suit la conversation afin de consigner les réponses sur un
procès-verbal (Crim., 12 juin 1952, Imbert, Bull. crim. 1952, n° 153.).
Il y a détournement des règles de procédure lorsque les enquêteurs
utilisent un cadre procédural à d’autres fins que celles pour lesquelles il a
été conçu. Des éléments de preuve, qui n’auraient pas pu être obtenus en
respectant les exigences légales, sont ainsi recueillis de manière déloyale (F.
Desportes “La loyauté dans l’enquête”, Revue annuelle des avocats au Conseil d’état
et à la Cour de cassation, 2014, p. 25.).
Ainsi, la chambre criminelle a décidé, par un arrêt de 2
juin 1986 (Crim., 2 juin 1986, pourvoi n° 86-90.975, Bull. crim. 1986, n° 187.),
que les textes douaniers ne devaient pas être utilisés pour la recherche
d’infractions fiscales (en l’espèce, fraudes à la TVA et à l’impôt sur le
revenu). Elle a aussi censuré un arrêt de cour d’appel qui avait condamné un
automobiliste pour excès de vitesse et utilisation d’un appareil détectant les
radars de la police car les policiers avaient eu recours aux agents de la
douane pour fouiller le véhicule, ce qu’ils ne pouvaient faire personnellement
(Crim., 18 décembre 1989, pourvoi n° 89-81.659, Bull. crim. 1989, n° 485.). Est
tout aussi irrégulière la commission rogatoire par laquelle le magistrat
instructeur prescrit à l'officier de police judiciaire de procéder, à
l'occasion d'une perquisition, à la captation, la transmission et
l'enregistrement de conversations dans un domicile privé (Crim., 15 février
2000, pourvoi n° 99-86.623, Bull. crim. 2000, n° 68.).
– Preuves produites par des particuliers
La chambre criminelle applique le principe de loyauté
différemment selon que la preuve est constituée par un agent de l'autorité
publique ou par un particulier.
Lorsque les preuves sont réunies par une personne privée, et
non par une autorité publique, la chambre criminelle, contrairement aux
chambres civiles de la Cour de cassation, déduit du principe de la liberté des
preuves en matière pénale, d’une part, qu’il ne s’agit pas formellement d’actes
de procédure au sens de l’article 170 du code de procédure pénale, et comme
tels, susceptibles d'être annulés, mais de pièces appelées à être soumises à
l’appréciation du juge du fond après un débat contradictoire et, d’autre part,
qu’aucun texte n’interdit la production de preuves déloyales ou illicites. Peu
importe dès lors que les preuves soient licites ou illicites ; elles sont
recevables, indépendamment des poursuites qui pourront être exercées contre les
personnes qui les ont produites en transgressant la loi (Crim., 27 janvier
2010, pourvoi n° 09-83.395, Bull. crim. 2010, n° 16 ; Crim., 31 janvier 2012,
pourvoi n° 11-85.464, Bull. crim. 2012, n° 27.)
Il résulte donc de la jurisprudence de la chambre criminelle
que seule la méconnaissance du principe de loyauté par les agents de l’autorité
publique peut constituer une cause de nullité de la procédure.
La jurisprudence des chambres civiles de la Cour de
cassation diverge, sur ce point, de celle de la chambre criminelle. Le principe
de loyauté y est appliqué de manière différente. Les solutions admises, au
double visa de l’article 9 du code de procédure civile (“Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits
nécessaires au succès de sa prétention”) et de l’article 6 §1 de la
Convention européenne, dénient toute valeur aux éléments recueillis dans le
cadre d’une provocation à la preuve, qu’il s’agisse de représentant de
l’autorité publique ou de simples particuliers. De nombreux arrêts des chambres
civiles déclarent irrecevables les enregistrements de conversations
téléphoniques ou les enregistrements vidéo faits à l’insu des personnes, les
filatures de salariés réalisées dans le cadre de la vie privée, les documents
volés ou détournés ou encore le constat dressé par un huissier de justice
reposant sur l'utilisation d'un stratagème consistant à recourir aux services
de tiers au statut non défini (Soc., 18 mars 2008, pourvoi n° 06-45.093, Bull.
2008, V, n° 64 ; Soc., 23 mai 2012, pourvoi n° 10-23.521, Bull. 2012, V, n° 156
; Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-30.266, Bull. 2012, V, n° 208 ; Com., 21
février 2012, pourvoi n° 11-15.162, diffusé ; 2e Civ., 26 septembre 2013,
pourvoi n° 1223.387, diffusé ; 2e Civ., 9 janvier 2014, pourvoi n° 12-17.875,
diffusé.).
Des exceptions admettent cependant que la nécessité des
droits de la défense puisse justifier l’admissibilité de telles preuves (1ère
Civ., 17 juin 2009, pourvoi n° 07-21.796, Bull. 2009, I, n° 132 ; Com., 19
janvier 2010, pourvoi n° 08-19.761, Bull. 2010, IV, n° 8 ; Soc., 30 juin 2004,
pourvois n° 02-41.720 et 02-41.771, Bull. 2009, V, n° 187.).
La position des chambres civiles a été consacrée par un
arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 janvier 2011 qui a
jugé “que l'enregistrement d'une
conversation téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus
constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de
preuve” (Pourvoi n° 09-14.667, Bull. 2011, Ass. Plén. n° 1.).
En visant l’article 9 du code de procédure civile,
l’Assemblée plénière a laissé l’enquête pénale en dehors du champ de la
solution qu’elle a dégagée. Le communiqué publié par la première présidence de
la Cour de cassation, à l’occasion du prononcé de cette décision, est dépourvu
d’équivoque :
“En rappelant que les
règles générales du code de procédure civile s’appliquent au contentieux des
pratiques anticoncurrentielles relevant de l’Autorité de la concurrence, sauf
dispositions expresses contraires du code de commerce, l’Assemblée plénière de
la Cour de cassation clarifie ainsi la nature du recours formé contre les
décisions de celle-ci. En fondant la cassation au visa de l’article 9 du code
de procédure civile, elle affirme aussi sans ambiguïté son attachement au
maintien de la jurisprudence de la chambre criminelle tenant compte de la
spécificité de la procédure pénale”.
Le visa de l’article 9 du code de procédure civile n’est pas
suffisant pour expliquer le défaut de coïncidence entre les jurisprudences des
chambres civiles et de la chambre criminelle, toutes les chambres, y compris la
chambre criminelle, se référant par ailleurs à l’article 6 de la Convention
européenne.
L’explication doit être recherchée dans la spécificité de la
procédure pénale.
Il ressort de la jurisprudence des chambres civiles que le
caractère clandestin du procédé utilisé pour constater des faits est souvent
déterminant pour écarter la preuve des débats.
Or, comme le souligne fort justement le professeur
Bergeaud-Wetterwald, “en procédure
pénale, la seule clandestinité ne peut suffire à caractériser un stratagème
répréhensible. La recherche de la vérité et la nécessité de faire face aux
évolutions de la criminalité font que bon nombre d’actes d’investigation
légalement prévus sont intrinsèquement clandestins” (Revue Droit Pénal,
avril 2014, p. 16.). De nombreuses dispositions légales prévoient et encadrent
l’utilisation de procédés clandestins, voire intrusifs (ex., sonorisation,
interception téléphonique, infiltration, géolocalisation).
Par ailleurs et surtout, la défense de l’ordre public,
auquel portent atteinte les infractions, peut conduire à admettre que soient
pris en considération les éléments de preuve obtenus par des particuliers en
recourant à des procédés déloyaux ou illicites. La recherche des auteurs des
infractions est pour le Conseil constitutionnel un objectif de valeur
constitutionnelle (Cons. const. 18 nov. 2011, n° 2011-191/194/195/196/197 QPC,
§ 14 et 29.).
L’application du principe de loyauté dans l’administration
de la preuve est donc à géométrie variable dans la jurisprudence de la Cour de
cassation.
Oui, c’est long, mais c’est
« complet » : Un vrai cours de droit de la preuve et de sa
portée
Au moins, vous
ressortirez « plus savant » sur ces règles de droit.
Et, après ce brillant
exposé, on se réserve la « discussion » pour la séance suivante.
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