Ce mois hideux
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Dès le lendemain, les choses se gâtent : Paul, levé avant le soleil bout d’impatience
!
Il a entendu le bruit de la turbine de son de Havilland, amarré à la jetée
du port de plaisance de Saint-Florent, en face dans la baie. Pas très naturel,
sans pilote…
C’est d’ailleurs ce qui l’a réveillé et il n’a même pas pu le voir s’envoler.
Qui donc a pu le lui voler comme ça avant les aurores ?
Il lui faut retourner à terre rapidement, avec le petit dinghy. « Lady
Joan » en profite pour se faire amener sur les quais et prendre un café matinal
à regarder le soleil jouer sur la végétation.
Plus d’hydravion, avec lequel il devait rentrer dans quelques jours, et sa
moto à bord… Les gendarmes sont sollicités.
Et après quelques heures de palabres au téléphone, il ressort qu’un plan
de vol a bien été déposé par un équipage militaire, pour ramener l’appareil à
Fox.
Coup de téléphone au chef Rémarde, très ennuyé.
« Qu’est-ce qui se passe ? »
Ils ont un nouveau patron depuis le début de semaine. La fondation
archéologique, qui sert de support juridique, a réuni ce week-end son Conseil
d’administration en urgence et a nommé un nouveau Président.
« Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
J’en fais partie de ce conseil et je n’ai pas été convoqué ! »
Si, mais à Fox, pas à son domicile. De toute façon, d’après les statuts,
un tiers des administrateurs peuvent convoquer et délibérer. Or, ledit conseil
s’est réuni boulevard Saint-Germain, au ministère, là où tous les autres
administrateurs émargent habituellement.
Débarqué et proprement.
Coups de téléphone au ministère, et après avoir été promené de services en
services, il finit par avoir un colonel qui lui explique que l’ordre est venu «
d’en haut ».
« C’était une anomalie. Vous n’étiez
plus à l’effectif depuis des années ! »
Dépité, il rejoint la somptueuse Joan qui se régale des rayons de soleil.
Mais elle a son air des mauvais jours : « Lord
McShiant est décédé cette nuit. Il faut que je file pour les obsèques. Désolée.
»
Au sémaphore, les GSM ne passent pas, mais à Saint-Florent, si.
Et elle a ouvert le sien par réflexe.
Il n’y a plus qu’à refaire la route à l’envers et pour chacun de rentrer
chez soi.
Arrivé à Paris, Paul vérifie une fois de plus que la loi des séries, dite
aussi « loi des emmerdements maximum », existe toujours.
Isabelle est dans son bureau elle aussi avec sa mine des mauvais jours.
« Paul, j’ai un problème »,
commence-t-elle.
Elle aurait pu dire « nous » avons un problème.
Elle a reçu une lettre signée de six des neuf administrateurs de la MAPEA,
les « militaires et les industriels »
partenaires, exigeant la réunion d’urgence d’un Conseil d’administration de la
MAPEA, avec une motion de défiance à l’égard de Paul.
Une sorte d’oukase où son propre mandat est mis en jeu.
La MAPEA est une société de droit privé, qui a pour clients exclusifs des
« grands marchands d’armes » étatiques, ou des sociétés liées à EADS, Safran,
ou Eutelsat. Que des boîtes paraétatiques qui vivent, pour l’essentiel et comme
elle, des marchés publics.
Paul avait acquis, sur ses deniers personnels, 30 % des actions par une cession
de gré à gré auprès de la société portefeuille de l’ex-mari d’Isabelle, celui
qui vendait les petits secrets de fabrique à des puissances étrangères [1].
Isabelle, l’héritière de la famille Nivelle a toujours gardé 45 % des
actions et le reste, le quart, la minorité de blocage statutaire, est porté par
un consortium détenu par la Caisse des Dépôts et le Trésor-public en direct
pour respectivement 18 et 7 % qui y ont nommé leurs propres administrateurs,
inversant la majorité des AG dans la composition du Conseil d’Administration.
Une « maison » suffisamment bien tenue par la famille fondatrice pour un
schéma qui remonte à l’entre-deux-guerres, hors la période d’occupation par les
allemands, et contenter tout le monde.
Paul a remplacé l’ex-mari défunt à la tête de l’usine et a grandement
participé à son redressement, valorisant ainsi les actifs de tout le monde.
L’objectif des uns et des autres étaient de contrôler la boutique pour
éviter une augmentation de capital surprise ou une introduction en bourse.
Ce que peu savent, mais imaginent très bien, c’est que Madame Nivelle,
présidente mais assez peu partie prenante dans les affaires, et Paul ont entre
eux un « gentleman-agreement », un pacte d’actionnaires : En cas de cession de
l’un, l’autre a un droit de préemption à valeur fixée à l’avance, largement
sous-évalué pour être d’un niveau retenu à l’époque de l’ex de madame, mais
c’est comme ça : il aurait pu être surévalué si la boîte plongeait.
Et elle « ne plonge pas » parce qu’elle reste fidèle à ses « minoritaires
» (obligés). Tout est donc lié.
Du coup, plus personne n’a intérêt à vendre, sauf les minoritaires.
En revanche, au Conseil d’administration, la « famille » reste sous
représentée. Il a fallu batailler fermement pour y faire admettre la fille
d’Isabelle.
Trois sur neuf, le Conseil décide de tout, sauf à « l’épurer » par une
Assemblée Générale surprise.
Et l’ensemble fonctionnait assez bien jusque-là.
« Ton avion, ça les a fâché. Ils
veulent des drones, pas des hypersoniques ! »
Bon. On fait quoi ? « Ont-ils déjà
le nom de mon remplaçant ? »
Oui : C’est à l’ordre du jour imposé par la lettre recommandée. Un certain
Éric Schmouller, X-Mines 71, sorti en détachement de chez EADS.
Un vieux au seuil de la retraite…
« Il vient pour pantoufler avec un
bon article 39… »
« À propos, si tu pars, je te dois
ton golden parachute. »
Deux ans de salaire : c’était convenu dès le départ.
Mais de quoi mettre à sec la trésorerie de l’entreprise.
« Il ne faut pas que tu partes. Mais
comment ? »
Si ce n’est qu’une question de sous, le paiement peut-être différé. Paul
n’a pas besoin d’argent.
« Je préfère que tu gardes le cash
pour faire face à une éventuelle tentative d’augmentation de capital initiée
par tes gredins. »
C’est très généreux, fait-elle savoir.
« Tu pars sans te battre ? Et notre
pacte d’actionnaires ? »
Idem. Même cause même effet.
« Je vais te dire, je ne suis pas
sûr que ce soit le « 001 » qui soit la cause de mes destitutions en cours.
Parce qu’on vient de me virer de la fondation de Fox de la même façon. »
Qu’est-ce alors ?
« Un faux-nez qui sert de prétexte.
Je pense que ça vient de plus haut pour être aussi « brutal ». Je veux dire des
conséquences des merdes canadiennes sur lesquelles j’étais ces derniers temps.
»
Quoi ?
« Si je te le dis, tu vas au mieux
te marrer à n’en plus finir, au pire tu vas me prendre pour un cinglé.
Moi-même, je n’y crois pas vraiment, d’ailleurs. »
Il vaut mieux qu’il garde cette information pour lui.
« On fait quoi, alors ? »
On va leur faire acter leur décision, de façon à ce qu’ils la motivent
dans le PV de séance. « Et tu sortiras ma
lettre de démission en fin de séance, comme ça les choses seront réglées « à
l’amiable » en renforçant ton autorité face au vieux con qui va suivre. En
revanche, je reste ton partenaire aux AG, si tu le veux bien ! »
Et comment donc qu’elle le veut. Un « partenaire » de sa qualité, elle
n’en a pas eu beaucoup dans sa vie.
Et le prototype ?
« Je te le rachète avec mes
comptes-courants. Avant ta séance. Ça te va ? »
Mais elle parle du second, l’avion-navette satellitaire.
« Tu abandonnes le projet. Je le
reprends derrière et déposerai les brevets nécessaires. Et toi tu fais ce que
ton nouveau Dégé veut faire. On va voir si un « mine » sait faire voler des
drones… »
Le reprendre, mais avec quels financements, avec quel partenaire ?
« Bé tu vas voir, je sens que
j’aurai des tas de choix très ouverts d’ici peu… Tant pis pour la boutique,
n’est-ce pas ! »
Un pillage organisé et imposé, oui !
« Bon, il va falloir libérer ton
appartement situé au-dessus du siège. »
Ça, Paul n’y avait pas pensé. Ni d’avoir à se retrouver des bureaux
opérationnels.
« Si tu veux, tu viens dormir à la
maison. » Sous-entendu dans l’appartement en bordure du bois de Boulogne…
« Tu as des envies revenues ? »
Paul fait allusion à leurs ébats lointains, d’avant le décès de son mari.
Jeune imbécile, il avait tiré son avantage en période de désarroi, d’où était
née leur « complicité » réciproque, au-delà du simple critère de la confiance
nécessaire.
Si elle avait apprécié son amant, dès qu’il était devenu son Directeur
Général, elle avait fait cesser ses moments de torride intimité, ne voulant
surtout pas mélanger les affaires de business avec les affaires de cœur.
Une dame qui a des principes, ça se respecte.
Isabelle hoche la tête, réfléchit et répond : « Ce ne serait pas opportun… pour le moment, je crois ! »
Encore elle qui a raison.
« Merci pour ton invitation. Je vais
me débrouiller provisoirement avec mon panier de gouines, comme tu les
appelles. »
Histoire de la rendre jalouse, au moins un peu.
La réplique se veut cinglante. « Je
sais que tu n’es pas dépourvu de talents… avec n’importe quelle femme ! »
Pas regardant, veut-elle dire. Mais elle s’est retenue.
« Tu nous débarrasses le plancher de
ta chinetoque, par la même occasion. »
Une coréenne, pas une chinoise. Et du nord. Un transfuge peu fiable, agent
double ou triple qu’il n’est pas très sain de la laisser fouiner dans les
locaux de la MAPEA de toute façon.
Il n’y a aucun secret à voler dans les tiroirs, ni les placards ou
armoires du siège parisien, mais de savoir son œil de Pyongyang fureter ici et
là, y’a de quoi attraper des maladies mentales.
« Je m’en occupe. »
La seule qui finalement marque son désarroi, c’est la secrétaire, toujours
aussi rouge du visage depuis si longtemps, suite à sa réaction allergique à une
crème de beauté, qui en reste bouche bée quand Paul lui demande d’organiser son
déménagement.
Tellement persuadée qu’elle était que, tant que « le patron » est dans
leurs murs, il ne peut rien arriver à la boîte, après les années de tension
générées par le précédent « boss », celui de « Madame ».
Qu’est-ce qu’il va leur tomber dessus ? Une nouvelle tornade ?
Radio-lavabo fonctionne rapidement, au point qu’à la sortie des ateliers à
Aubenas, on ne parle que de ça le soir même.
Isabelle n’aura qu’à les rassurer : Paul reste un « actionnaire de
référence ». Son ombre planera encore entre les murs pendant longtemps.
Le soir, Charlotte voit donc débarquer Miho et Paul chez elle, dans son XXème
pourri.
Ce qui ne fait qu’en rajouter à sa mauvaise humeur : Son habitat n’est pas
si vaste.
Toute la journée, elle et « DD » s’étaient débattues avec un virus qui
avait planté toute l’informatique : plus aucune alarme n’était gérée
automatiquement, tel qu’il avait fallu en passer au « mode natif » en
avertissant tous les clients.
« Je ne comprends pas comment il est
arrivé. Tout est pourtant filtré et archi-contrôlé. La seule alarme qu’on a pu
détecter, c’est une tentative d’intrusion dans nos locaux la nuit dernière.
Mais elle a échoué, semble-t-il. »
Qu’elle ne cherche pas : elle a parfaitement fonctionné et les mémoires
l’ont effacée.
« Charlotte, je ne sais pas ce qui
se passe, mais je crois que c’est moi qui suis visé. »
Quelle connerie a-t-il encore fait ?
« Je ne peux pas te dire. C’est en
rapport avec cette histoire « d’ARRCO ». Et la dissolution de la Fondation Risle.
Je ne vois que ça, mais je ne peux pas t’en dire plus. Pour l’heure, faut que
tu nous accueilles chez toi, le temps que je trouve un toit et une moto. »
Y’a le canapé. « Mais ta niaquewée,
elle dort dans la baignoire. »
Ou l’inverse.
« Tu ne l’as pas essayée, pourtant.
Je suis sûr que si je le lui demande, elle saura faire aussi bien qu’Aurélie.
»
Il n’y pense pas ? « Et si Aurélie
débarque de son escapade à l’improviste ? »
Paul s’en occupera : Ça la changera un peu du train-train quotidien en lui
rappelant de bons souvenirs !
« Mais il n’en est pas question !
Aurélie et moi, c’est l’amour divin ! »
Comme elle veut.
Paul en profite pour passer un coup de fil à Mylène. « Sois prudente ! Il y a des choses bizarres
qui se passent autour de moi. » Et il lui explique la situation nouvelle.
« Paul, t’es vraiment qu’un con.
Mais tu seras le bienvenu. Si tu dois aller pointer au chômage, n’oublie pas
que j’embauche toujours pour la plonge ! »
Mimi, Mylène…
Idem pour Pètros, à Kotor. Pour lui, la saison a été bonne et n’est pas
terminée. Quant à des « dangers », il a son propre réseau d’alerte en soutien :
Pas de problème.
[1] Cf. L’épisode des enquêtes de Charlotte : « Ardéchoise, cœur fidèle »,
à paraître aux éditions I-Cube.
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