Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une
fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de
l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Charlotte (la vraie, celle dont le nez bouge de haut en bas quand elle
parle) se fait secouer par Aurélie pour la réveiller.
« Qu’est-ce qui s’est
passé ? »
Toutes les deux ont la tête lourde, elles gisent sur des bannettes
étroites et inconfortables, dans une semi-obscurité – une seule veilleuse bleue
– dans ce qui ressemble fort à une étroite cellule.
Elles ont été dépouillées de leurs vêtements pour être vêtues d’une sorte
de sac à patate rayé de blanc et de gris-sale, mais auront gardé leurs
sous-vêtements et on leur aura enfilé des chaussettes de laine aux pieds.
« Qu’est-ce qu’on fait
ici ? »
Leur « cube » doit faire deux mètres sur 1,80 m de haut et de
large. Devant elle, sous la veilleuse, une sorte d’écoutille blindée protégée
par une forte grille verrouillée.
Dans un coin, un lavabo microscopique et une tinette en acier, sans abattant
ni lunette. En face, dans l’autre coin, une petite table et deux tabourets
scellés au sol lui-même en métal.
« Mais qu’est-ce que ça veut
dire ? »
Charlotte tambourine sur la grille aux forts barreaux.
Sans succès.
« Tu te souviens de quoi,
toi ? »
Charlotte ? Elle se souvient de leur arrivée à Roissy. De l’attente à
la livraison des bagages. Du contrôle des douanes. De leur sortie. Elles ont
suivi un type, probablement un chauffeur VTC, qui portait une pancarte où
étaient affichés leurs noms.
« Si je me souviens bien, il nous
a fait monter dans sa limousine… »
Pas vraiment…
« Je t’ai vue trébucher pour y
pénétrer et puis plus rien… »
Elle se touche l’arrière du crâne.
« On a dû être assommées. »
Enlevées, plutôt.
« Mais par qui et
pourquoi ! Et nos affaires, le chèque, nos téléphones, même ma montre, nos
cartes bleues, nos papiers… »
Disparus…
« C’est inconcevable !
Appelle à l’aide ! »
Et les voilà qui se relayent à tambouriner la grille et les cloisons.
Sans plus de succès.
« Mais enfin, ce n’est pas
croyable cette histoire-là ! »
Chut ! « Tu entends ? »
Quoi ? Il n’y a rien à entendre.
« Si ! Ce bourdonnement
sourd. »
Charlotte n’entend rien, même pas le chuintement de la ventilation…
« Ma chérie, soyons logiques.
Manifestement, nous somme prisonnières, mais nous sommes en vie. C’est que nous
ne sommes pas en danger de mort imminente ! »
Si ça peut la rassurer de dire de pareilles âneries…
« Oui, mais nous sommes
prisonnières, ce qui n’est pas mieux. Et puis peut-être que nous sommes mortes et
que le bon dieu nous met à l’épreuve comme dans son purgatoire avant de décider
de notre sort… ».
« Ne sois pas conne, s’il te
plait mon chaton ! »
« Je t’assure qu’on entend des
voix, comme de brefs murmures ! »
« Bon qu’est-ce qu’on
fait ? »
Rien. Il n’y a rien à faire, même pas des mots croisés ou un sudoku…
Le temps passe ainsi, interminable, ponctué par des bâillements.
Aurélie se met à fredonner à un moment donné, pour occuper le vide et
couvrir le silence.
Et puis la meilleure chose à faire, quitte à ne rien faire, c’est de dormir.
Elles se font réveiller brutalement par le bruit de clés dans la serrure
de leur écoutille blindée.
On leur glisse un plateau repas sous la grille depuis une coursive
faiblement éclairée, comme d’un tunnel de métro.
Les petites bouteilles d’eau portent des étiquettes en caractère
cyrillique. La « pitance » a un aspect « boueux » et un
goût insipide, mais c’est tiède. La porte se referme sans un mot.
« Tu crois vraiment que la
cantine de ton bon dieu nous fait une faveur maintenant, mon chat ? »
Elles mangent avec une petite-cuillère et boivent au goulot.
« On dirait du goulasch passé à
la moulinette… »
Tant que ça se mange, elles ne crèveront pas de faim.
« Ouais, bé moi j’irais bien
aux cuisines leur apprendre à faire de la tambouille correcte au palais »,
fait Aurélie après avoir fini sa gamelle, plus que d’être une assiette.
Et puis le temps persiste à s’éterniser.
Plus tard, elles se réveillent à nouveau, le plancher a basculé sur le
côté après avoir entendu un bruit sourd inquiétant.
« Qu’est-ce qui se passe ? »
Des raclements de fond résonnent tout du long de la
« structure », comme si elles étaient dans un cloche, puis plus rien.
Un long moment après, Aurélie discerne comme le bruit d’une hélice dans
l’eau. Qui vient puis qui s’en va.
Et toujours ces brefs chuchotements, comme des ordres de quelques mots,
mais elle ne comprend pas ce qui se dit.
Beaucoup, beaucoup plus tard, de nouveau les clés dans la serrure, le même
uniforme noir glisse un second plateau avec une gamelle de ce qui ressemble à
du riz archi-cuit nageant dans une sauce insipide. Sans bouteille d’eau cette
fois-ci…
L’eau, ce n’est pas grave : il y en a un mince filet qui sort de la
robinetterie de leur lavabo. Sauf que l’eau a un goût de fer prononcé…
« Mais où est-ce qu’on
est ? Ce n’est quand même pas normal ce plancher posé en pente. »
Sauf si elles sont dans un sous-marin… « puisque l’eau est puisée dans une citerne mal entretenue… »
« Mais qu’est-ce que tu
racontes, Charlotte ! Elle serait salée ! Et qu’est-ce qu’on ferait
dans un sous-marin ? »
Pour l’heure, rien…
Attendre.
Encore plus tard, beaucoup plus tard, elles sont réveillées : le sol
retrouve un semblant d’horizontalité, dans d’effroyables craquements, puis de
nouveau « une pente » se dessine dans leur cellule, mais dans l’autre
sens, perpendiculairement à la première fois.
Les bruits de ronflement se font plus fort, puis plus rien. Quelques
chuintements de voix seulement accompagnent « la manœuvre », jusqu’à
ce que le sol redevienne parfaitement horizontal.
Tous ces mouvements sont extrêmement lents et silencieux.
Aurélie n’en peut plus : elle tambourine à nouveau contre les
cloisons et la grille qui n’a aucun jeu, fermement verrouillée.
Mais cette fois-ci, ça semble avoir un effet.
On entend nettement des pas précipités dans la coursive voisine, de
nouveaux des raclements de fonds et de nouveau une « assiette » de
travers de leur « cabine grand-luxe ».
Puis de nouveau plus rien.
Un nouveau « repas » est servi. De gros haricots qui semblent
être rouge.
Puis, encore bien plus tard, un homme ouvre la porte et la grille. Tenue
noire également, visage masqué, avec un autre homme derrière lui, dans la pénombre
et dans le même accoutrement : ce n’est pas la triste pitance !
Il tient dans une main un combiné téléphonique manifestement accroché à la
cloison extérieure et dans l’autre un pistolet braqué sur les deux filles.
À l’une il lui fait signe de s’écarter au fond de la bannette et de
s’assoir et à Charlotte d’approcher, sans un seul mot mais en grognant.
« Алло ! Алло ! »
C’est la voix du capitaine Igor !
Mais qu’est-ce qu’il fait au bout du combiné ?
Charlotte s’en saisit et le porte à son visage, la grille se referme.
« Allo ? Capitaine
Igor ! »
L’autre pousse un soupir de soulagement…
« Heureux de vous entendre,
Madame ! Je ne savais pas si vous étiez encore vivante et… »
Elle ne comprend pas la suite de la phrase, coupée par des crachouillis.
« Mais qu’est-ce qui se
passe ? Où sommes-nous ? »
Crachouillis…
« Je n’ai pas entendu. Nous sommes
où ? »
Il se décide à répondre : « Vous
êtes à bord d’un sous-marin nucléaire russe, quelle que part dans l’Atlantique-Nord. »
Crachouillis… « …n’en sais pas plus. »…
« … ma faute : les
militaires se sont … de vous à cause de mon rapport les mettant en cause… en
vie, je répète… c’est parce que nous … que vous étiez nos agents ».
Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ?
« Si … confirmez, leur navire…
surface dans deux mois … rez libres à nouveau ! »
Mais elles ne sont pas agents russes !
« … il faut que vous soyez…
russes sans ça… »
Sans ça quoi ?
« … capables de vous éjecter
par un tube lance-torpille !... prie ! Dites le leur ! »
Et puis la conversation est coupée.
La grille ne s’ouvre même pas : le type avec son flingue aura probablement
débranché la prise jack du combiné dont le fil gît désormais inerte au sol pour
l’avoir jeté en travers de la grille.
Et la porte se referme, lourdement verrouillée.
« Qu’est-ce qu’il a dit ? »
Qu’on est dans la merde !
« Ah bé ça, on savait déjà,
remarque… »
« Attend ! Là, il faut
réfléchir… »
Pas besoin d’avoir fait de hautes études mathématiques d’actuaire pour
comprendre, en pense Aurélie.
Et elle reprend : « Tu as
pigé que nous sommes prisonnières… »
Oui !
« Dans ce qui semble être un
sous-marin… »
Nucléaire !
« Sous l’eau quoi… »
Tapis au fond de l’océan Atlantique. Probablement à attendre un ordre de
tir de missiles balistiques : de la dissuasion appliquée !
« Et ça peut durer deux mois…
Le temps d’une patrouille avant ravitaillement en vivre… »
Oh, les vivres… ce n’est pas de la gastronomie, ici !
« Ce que j’ai du mal à
comprendre, c’est que nous avons collaboré en toute quiétude jusqu’à Moscou.
Nous avons mis en doute la culpabilité des russes sur l’affaire Skripal, Ils nous
ont sous la main et c’est pour nous enlever à Paris et nous plonger en mer.
Y’a-t-il une logique ? »
Plutôt de la schizophrénie…
« Non, non ! Il y a une ou
plusieurs raisons logiques… Je commence à comprendre. Laisse-moi réfléchir. »
Aurélie se tient coite…
« Voilà, voilà… Si le MI6 est
derrière la tentative d’empoisonnement des Skripal avec un produit d’origine
russe, c’est qu’ils ont réussi à piéger les Russes. Exactement ceux du GRU, les
militaires qui ont dû garder des stocks contre toutes les conventions
internationales. »
Les conventions internationales et les russes…
« Or, les sous-marins nucléaires,
c’est l’armée russe. On les a donc fâchés… »
Mais ils n’ont pas encore tenté de savoir comment : « On serait capable de leur expliquer les
détails… »
Aurélie apprécie le « on ».
Des « pings » sonores, lointains et relativement faibles, résonnent
dans leur cellule et interrompent Charlotte dans ses réflexions…
Un sonar en recherche active !
« C’est le moment de faire du
bruit pour se signaler ! »
Sûrement pas !
« Et pourquoi ? Si c’est
un sonar, c’est que c’est un navire militaire. Ils seront bien capables de
décoder un message en morse, non ? »
« Mon chaton adoré, et tu crois
qu’ils vont nous envoyer le GIGN pour nous libérer ?
Tout ce qu’on risque c’est de se
prendre des mines dans la tronche et là, si on remonte, ce sera en plusieurs
morceaux. »
Et pourquoi ils grenaderaient ? « On n’est pas en guerre… »
Effectivement…
Et passant à autre chose alors que les « pings » sont
devenus inaudibles : « S’ils ne nous
pas encore interrogées, ça ne veut pas dire qu’ils ne le feront pas. Mais ils
auraient pu le faire avant de nous enfermer ici. Pourquoi un sous-marin ? »
Pour que même les services secrets russes ne puissent pas avoir de contact
avec nous…
« D’accord, mais pour quelle
raison ? D’autant qu’on vient d’avoir le capitaine Igor. »
C’est qu’il a dû faire le forcing pour s’assurer qu’elles sont toujours
vivantes.
« Ouais… Mais bon, si on est
face à une guerre interne, russo-russe, de services d’espionnage, ils ont quand
même des prisons à disposition où il leur est commode de nous interroger… »
Sauf, qu’une prison, on en sort, de gré ou de force…
« … Et d’un sous-marin
non ! C’est ça ! Ils se donnent le temps de compléter leur dossier
pour se faire une religion sur notre cas. Mais alors pourquoi ont-ils laissé
les « civils » prendre contact avec nous, en pleine plongée
profonde ? »
C’est un aveu !
« Un aveu d’impuissance. Le FSB
nous a localisées. Le GRU s’est probablement fait remonter les bretelles ! »
Oui, c’est ça : « Mon
chaton, ils sont dans une impasse. Et sauf à répondre de notre disparition
« accidentelle » dans un tube lance-torpille, si comme nous le
demande Igor, ça ne passera pas inaperçu si on affirme être des agents du FSB… »
Peut-être, mais peut-être qu’ils sont capables de s’entretuer…
« De toute façon, on en a pour
deux mois à moisir ici ! »
On est prisonnière depuis combien de temps ?
« Aucune idée. Je n’ai plus mon
smartphone… »
Ça va être long, dans ces conditions…
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