Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une
fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de
l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Arrivées dans le sinistre bâtiment du FSB, où la légende dit clairement
qu’on peut encore entendre les plaintes et cris des âmes torturées des victimes
de la Révolution d’Octobre et du régime Stalinien – mais ce n’est qu’une
légende – les deux associées de la « CIA » sont accueillies par le
capitaine Igor, qui aura mis son plus bel uniforme d’officier, casquette large
comme une poêle à paëlla vissée sur le crâne qu’il ôte après un salut militaire
des plus réglementaires.
« Mesdames, nous avons hâte de
vous entendre… »
Elles seront reçues par une poignée d’autres officiers supérieurs, de
haute stature, dans une des salles de réunion du premier étage.
La bâtisse n’a rien d’exceptionnel : juste un style sobre. Ce qui
rend sinistre l’ensemble, c’est la façade : les deux premiers niveaux sont
en granit gris avec de petites fenêtres, alors que le reste est construit en
grès ocre. Une horloge surplombe l’ensemble comme un œil de cyclope qui observe
tout et toutes les ouvertures sont strictement identiques, hors les colonnades centrales
au premier niveau « ocre ».
L’étroite porte à double battants n’a rien de spectaculaire pour être
« aimable comme une porte de prison », apparaissant toutes justes comme
« très solides ». En revanche, une fois passé le contrôle, le hall est
immense et clinquant, et débouche sur un couloir qui part en biais sur la
droite, ceinturé des colonnades symétriques donnant une idée de la profondeur
du bâtiment.
Ce qui reste somme toute impressionnant quant à l’expression de puissance
dégagée, même si ça reste assez commun à Moscou, c’est que le bâtiment est un
trapèze qui s’évase de façon asymétrique sur l’arrière, jusqu’à la rue suivante
qui clos le pâté de maison : un tout (avec piste d’atterrissage
d’hélicoptère…), qui tranche par son austérité sur la vaste place éponyme,
autour de laquelle s’enroulent la circulation routière. Un espace agrémenté
d’un square où le pavement dessine des arabesques quelconques parsemées de
petites pelouses ondoyantes.
En face et sur les côtés, des magasins, des bureaux, une bibliothèque,
visuellement plus agréables et plus loin le musée polytechnique, le tout dans
un style soviétique, c’est-à-dire écrasant le passant qui passe.
Les deux femmes posent leur matériel sur des meubles de bois sans
fioriture inutile, style robuste et sobre, dans un décor lui-même austère hors
la galerie des portraits, jeunes, des anciens patrons du Service : un Barco
portatif, un ordinateur portable où sont stockés leurs PDF à projeter sur un
écran situé derrière elle et les uniformes se posent en face, casquettes
rangées sur leurs tables.
« Messieurs, nous avons rapidement
acquis la conviction que toute cette affaire ne concerne pas vos services… »
La traductrice boudinée dans son uniforme trop étroit traduit.
Et d’expliquer les détails qu’elles ont pu récolter, présentés comme
autant d’éléments impliquant le contre-espionnage britannique, peut-être
aiguillonné par les services américains.
Igor a failli en rire : si elles savaient…
Mais il est le seul à savoir dans la salle, cette fois-là. Son colonel ne
voulait surtout pas se montrer et les officiers présents n’en sont pas :
des figurants qui ont pour rôle, sans en faire trop, de prendre tout ça très au
sérieux, hors la traductrice et le subalterne qui préparera le compte-rendu qui
sont dans leurs fonctions…
« Expliquez-nous : quel
intérêt pour les britanniques de monter une pareille opération ? »
Ils ne l’ont probablement pas préparée : « L’arrivée de la fille de Skripal aura été le déclencheur. Il y a
peut-être une taupe chez vous qui aura indiqué qu’il se préparait quelque
chose, mais sans en dire plus. Ils savaient aussi que la mère de Skripal n’est
pas au meilleur de sa forme et que lui avait très envie de la revoir une
dernière fois. »
C’est de notoriété quasiment publique.
Il aurait pu demander un visa : « Nous ne sommes pas des tortionnaires. On sait rester humain ! »
« C’est probablement le message
qu’apportait sa fille qui, je vous le rappelle, est en lien par son beau-frère avec
vos renseignements militaires dont il est membre… »
Comment sait-elle tout ça, la « boulotte » au nez qui bouge quand
elle parle ?
« Il lui aura peut-être été
fait la promesse d’un sauf-conduit contre quelques renseignements sur les
activités de ses connaissances et les deux agents du GRU qui ont été repérés,
je pense immédiatement depuis leur arrivée au Royaume-Uni, devaient seulement confirmer
cette position de leur service…
Et là, le MI6 aura pris peur ! »
D’autant qu’ils n’auront jamais repéré « l’exécuteur », passé
totalement inaperçu pour tout le monde sous sa fausse identité et ses
déguisement et maquillage…
Ça se tient, notamment compte tenu de tout ce que Charlotte leur avait
exposé précédemment, reconnaît le capitaine Igor.
« Ce qui explique que le
Novichok employé n’était pas létal, malgré tout ce qui a été affirmé durant la
crise diplomatique qui a suivi… »
« Effectivement capitaine :
personne n’a jamais voulu tuer Skripal, ni le GRU, ni les britanniques, juste
lui faire assez peur pour qu’il accepte de s’évanouir sous une fausse identité,
ailleurs, potentiellement aux USA et au soleil ! »
Mais alors, le second flacon et le seul décès, du mois de juillet ?
« Il y a plusieurs hypothèses
possibles, mais je n’ai pas enquêté jusque-là, question de budget… Soit il
s’agit d’une erreur du service. Je ne le crois pas. Soit c’était pour relancer
une enquête ou faire réagir l’opinion en faveur du gouvernement alors empêtré
dans son brexit.
À moins que, moins probablement, un
cinglé l’ait jeté en décharge ne pouvant plus le restituer au service de Porton
Down. Il peut y avoir des deux raisons… »
Par la couronne d’Ivan-le-terrible, où va-t-elle chercher tout ça, se
demande le capitaine Igor ?
Deux flacons, parce que deux munitions, comme dans toute opération d’élimination,
tout simplement !
Elle a encore des choses à apprendre sur les consignes du SVR…
« Mais c’est logique »
proteste-t-elle : « Personne
n’a voulu tuer Skirpal, sans ça il serait déjà mort depuis bien longtemps. Ni
le GRU qui voulait le récupérer, ni le MI6 qui voulait le mettre « à
l’abri » pour qu’il ne retourne pas en Russie. Là encore, s’ils avaient
voulu le faire taire définitivement, c’était assez facile d’installer un
snipper en face de chez lui et de lui tirer une balle à travers ses fenêtres.
Et ils auraient pu décider de leur
opération quand les agents du GRU ont été suivi jusqu’à Salisbury. Ils ont
préféré lui faire peur et l’exfiltrer. »
Logique : c’est bien dans l’éthique des anglo-saxons, finalement.
« Avez-vous des preuves de ce
que vous avancez ? »
Non justement : « C’est
seulement du raisonnement. Et je suis assez douée dans cet aspect de mes
enquêtes… » et Aurélie d’approuver avec de larges mouvements de la
tête.
« Ceci dit, moyennant quelques
efforts financiers de votre part, nous pouvons poursuivre nos investigations
dans ce sens. Mais il me paraissait important de vous faire part de nos
premières conclusions… »
Très bien, très bien : le capitaine pouvait reprendre la main, plan A
et plan B en même temps !
« Je n’ai pas autorité pour en
décider » ment-il sur le moment. « Je vous propose de reprendre contact dès les autorisations reçues. Je
ne vous cache pas que nous allons tenter de raccorder vos conclusions avec
d’autres éléments, comme je vous l’avais déjà indiqué à Paris.
Et enquêter du côté de nos militaires :
après tout, ils ont tenté de retourner une deuxième fois un de leurs hommes et
auront échoué sur le fil. Si c’est bien le cas, ça se saura jusqu’en haut-lieu
figurez-vous.
En attendant, merci infiniment. »
Et puis il lâche une bêtise : « Vous êtes libres de visiter notre belle capitale. »
Elles sont libres ?
Ne l’ont-elles pas toujours été depuis la réception par estafette de
leur visa et sauf-conduit ?
« Mon Dieu ! J’ai cru
qu’ils n’allaient pas nous laisser sortir, figure-toi ! »
fait-elle à Aurélie une fois sur le trottoir en vue de se mettre en route pour
rentrer à leur hôtel !
Et de lui expliquer…
« Mais non ! Tu
déconnes : il voulait simplement dire qu’il n’avait plus de question à te
poser. Tu as été très claire et convaincante ! Bravo ma chérie ! »
tente-t-elle de la rassurer.
« Il n’empêche… Je suis sûre
qu’on est surveillée ! »
Probablement…
« On rentre et on le fait ce
tour de la ville ! On verra bien demain si on se réveille ou non au fin
fond de la Sibérie dans un goulag à casser des cailloux pour le reste de nos
jours ! »
Et de partir dans un éclat de rire irrésistible : « Non mais si tu voyais ta tête en ce
moment ! »
Charlotte a les jambes qui flageolent : il s’est passé quelque chose
qui ne collait pas et ça ne lui saute pas aux yeux immédiatement…
Une fois arrivées dans leur chambre, l’une se change pour être « plus
à l’aise », pendant que Charlotte téléphone à Gustave.
Pour une fois, il est là.
« Quoi ? Vous êtes à
Moscou ! Mais qu’est-ce que vous y faites ? »
Elle allait répondre du « tourisme », mais se ravise tellement
elle reste inquiète et lui raconte rapidement l’entretien de la matinée.
Ce qui rend dingue l’amiral…
« Paul vous avait dit de ne pas
vous occuper de ça, Charlotte ! »
Elle sait, mais l’enveloppe reçue avant de prendre congé du capitaine Igor
vaut le déplacement à elle toute seule.
« Mais vous rendez-compte, je
ne peux même pas assurer une sphère de sécurité autour de vous à Moscou :
je n’ai personne sur place. »
Ce n’est pas grave.
« Toutefois, j’ai comme
« un truc » qui ne passe pas… »
Quoi ?
« Ils ne s’attendaient
manifestement pas à ce que je leur raconte dans le détail ma belle histoire qui
met en cause les MI6. Ça a dû les rassurer, mais justement, rassurer de
quoi ?
Je ne comprends pas. »
Bé, il faudra la lui rapporter dans le détail, sa « belle
histoire », parce que là, l’amiral Morthe-de-l’Argentière n’est au courant
de rien et ne peut donc pas l’aider à avoir les idées claires…
« Et puis il y a eu comme un
lapsus et je ne sais pas s’il est révélateur ou non… »
Lequel ?
« Il a dit à la fin des questions-réponses
qui ont suivi mon exposé, que nous étions libres ! »
Ils en avaient terminé, tout simplement…
« Mais notez qu’aller jusque
dans les locaux de la terrible Loubianka et pouvoir en ressortir libre, ce
n’est pas donné à tout le monde : il faut être des leurs, pour ça !
Et encore… pas toujours ! »
Ah oui, c’est donc ça…
« Ce qui veut logiquement dire
que Paul avait tort et que j’avais raison de faire cette démarche : ils ne
m’ont pas retenue prisonnière, je n’ai donc rien à craindre pour ma santé avec
ces gens-là ! Merci Gustave ! Je suis entièrement rassurée… »
Et elle raccroche pour aller prendre une douche d’avoir sué bêtement, sa
bonne humeur retrouvée, ses inquiétudes envolées…
Gustave n’en revient pas : la gamine collabore avec le FSB sans rien
en dire à personne, comme si de rien n’était, leur raconte son boniment, ils
sont contents et tout passe comme une lettre à la poste ?
Mais ce n’est pas croyable, ça !
Où vit-on et à quelle époque ?
Sitôt tiré de son effarement il empoigne son combiné téléphonique et
appelle Paul de Breveuil jusqu’aux fins fonds de l’océan Indien.
« Ah oui ? C’était
aujourd’hui ? »
Comment ça : il était au courant ?
« Non pas vraiment. Je savais
qu’elle allait faire une connerie, mais je ne savais pas quand. C’est tout. »
Bon on fait quoi, alors ?
« Bé rien ! Qu’est-ce que
vous voulez faire ? Laissez-la rentrer et on avisera ensuite. Vous verrez
bien. À propos de ça, vous savez si ma petite biographe a donné de ses nouvelles ? »
Quelle biographe ?
Oui : Paul se mélange les pinceaux dans ses « souvenirs ».
Il anticipe un peu trop.
« Je vous explique : dans
deux ou trois jours, va se pointer au siège une certaine Alexis. Nathalie la
recevra et me mettra en liaison avec elle, s’il vous plait.
Moi, je suis coincé ici encore quelques
temps, mais je rapplique après qu’elle ait accepté de devenir ma biographe et
puis on la met au turbin avec l’équipe des filles ADN sur le cas de Charlotte… »
Qu’est-ce que c’est encore que cette lubie, se demande Gustave ?
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