Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une
fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de
l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Une enveloppe à l’entête de la CISA, un billet de train pour Londres et un
petit-mot manuscrit rédigé en français.
« Paul de Bréveuil fera le voyage avec vous ».
Pour une surprise, ça, c’est vraiment une surprise…
Et ça rend caduque la décision qu’il vient de prendre : certes il n’a
plus de « moyen de pression » sur le bonhomme, mais il est à Paris
pour le rencontrer, alors adieu le voyage vers Bruxelles et le retour « à
la maison » sur un échec.
Sa carrière pourrait rebondir, alors que dix minutes auparavant, il la
pensait enterrée jusqu’à se retrouver à Vladivostok à surveiller les
Américains, les Japonais et les Chinois du bout du monde pour le reste de sa
vie…
Il en informe sa hiérarchie, via une adresse courrielle de l’ambassade. En
rajoutant, « en attente d’instructions ».
Mais il n’en aura pas – après tout un officier à toute latitude pour
prendre des initiatives – puisque c’est dans sa mission de devenir
« l’agent-traitant » de l’agent « Charlotte », celui qui
étonne d’admiration jusqu’au sommet du Kremlin.
Sauf que si son discours sur les intérêts russes convergents aux siens qu’il
compte lui servir, au fond il ne saisit pas très bien – la Russie est un grand
pays de la Liberté : Snowden et même Depardieu y ont trouvé refuge – était
parfaitement rodé pour « être servi » à un moment donné à Paul de
Bréveuil, et un train, quand ça roule, c’est une prison, sans échappatoire si
ça tourne mal.
Heureusement que ça ne roule pas tout le temps : il faut bien qu’il
s’arrête une fois arrivé.
Il y a tout lieu de penser, compte tenu du silence en retour – absence de
veto de ses chefs et pas de précisions quant à une procédure nouvelle et particulière
– qu’on l’attendra probablement à Londres pour lui offrir une couverture.
Ce n’était pas prévu à l’origine, mais le service sait improviser.
Il ne lui reste plus qu’à faire son bagage et rendre sa voiture à l’agence
la plus proche.
Le passage de la « frontière » à la gare du nord, double
contrôle des douaniers français puis britanniques, double portique de détecteur
de métal, se passe sans problème : ses vrais-faux papiers sont en règle
avec tous les visas qu’il lui faut, sauf pour les USA et les pays du
Moyen-Orient. Il n’avait aucune raison d’y aller en partant…
Et il a laissé son « artillerie » à Moscou.
Il faut redescendre au niveau des quais pour atteindre la rame, non sans
avoir poireauté un long moment en salle d’attente où Igor guette son entourage.
Si « Charlotte » doit prendre le même train, il est peut-être
déjà là.
Dimitri, lui, guette les mouvements du capitaine du FSB depuis ses
consoles : c’est bien le même homme, la même barbe, le même IP en poche, Alexis
qui est également sur place peut même le repérer sur ses indications envoyées
par texto.
En fait Paul est déjà passé depuis une bonne heure – le privilège des
officiers de réserve se signalant en tant que tel – et il a pu grimper dans la
rame non sans avoir repéré au préalable les numéros de la banquette qui les
accueillera.
C’est Igor qui s’assied en premier sur son confortable fauteuil dans le
carré réservé à l’avance.
Alexis le rejoint avant le départ.
Et le train roule sans que « Charlotte » ne les rejoigne.
« Excusez-moi, jeune-homme.
C’est bien le train pour Londres ? »
Quelle question !
Et il répond au second degré : « Je ne sais pas où on va. Je suis invité pour une surprise, mais j’ignore
si je ne me suis pas trompé de rame… »
Ça aurait pu être vrai, à la limite.
Il n’a pas reconnu ce visage de rousse devant lui, même si sa tête lui dit
quelque chose. De toute façon, il attend un homme, pas une femme, même avec des
lunettes.
« Bé moi aussi. Je devais faire
le voyage avec ma copine Charlotte… »
Igor tressaille : c’est bien le bon train qui prend de la vitesse
pour sortir des faubourgs-Nord de Paris, direction la plaine de France.
« Mais peut-être va-t-elle nous
rattraper en cours de route ! »
Un TGV ? À pied ou en hélicoptère ?
Pas bien sûr…
Il est forcément à bord.
Effectivement, le capitaine de frégate Paul de Bréveuil revêtu de son bel uniforme
d’apparat, avec ses cinq barrettes or-&-argent aux épaulettes, se présente
au niveau de Roissy-Charles-de-Gaulle avec un plateau, trois cafés, trois
assiettes de charcuterie, trois pâtisseries et trois verres coiffant des quarts
de bordeaux en bouteille.
« Bonjour ! Je ne sais pas
si vous avez eu le temps de manger quelque chose. Alors je me suis permis de
parer au plus pressé à la voiture-bar de la rame. Méfiez-vous, ce n’est pas
forcément très bon, mais c’est juste pour ne pas avoir d’aigreur à l’estomac.
Capitaine Igor, je présume. Je vous
présente Alexis Dubois, ma biographe. »
Dubois, Alexis, évidemment : la correspondante de l’ambassade qui l’a
fait venir jusqu’à Paris à l’improviste !
« Alexis, je te présente le
fameux capitaine Igor du FSB, en mission spéciale sur le territoire. Il est
juste là pour me poser quelques questions en vue d’une prochaine mission qu’on
va lui confier, celle de devenir mon « officier traitant » officiel. »
Et il s’assied en face d’Igor, à côté d’Alexis.
Le plan A est bien mal embarqué pour être d’emblée éventé…
« Enchanté » répond
Igor avec un sourire crispé.
Pas vraiment enchanté, finalement : une première prise de contact
doit en principe se faire sans témoin qui peuvent devenir gênant par la suite.
« Je vous impose sa présence,
parce que je vais devoir vous raconter une histoire, la mienne, qui intéresse
naturellement ma biographe : ça va me permettre de ne pas la lui répéter
ultérieurement. Un gain de temps.
On commence par quoi, Capitaine ? »
Ces deux-là, ils ne sont pas faits pour s’entendre, en pense Alexis…
Et Igor attaque, à la fois son assiette de charcuterie et son approche.
« Chez moi, vous intriguez jusqu’au
plus niveau, figurez-vous ! »
Ils sont bien les seuls : « Partout
où j’ai mes entrées, je n’impressionne plus personne depuis fort longtemps.
Juste devenu inclassable et qu’on utilise selon les urgences de chaque époque. »
Qu’il raconte…
« Notez Alexis ! »
Elle avait sorti son cahier d’écolier déjà maculé de miette de croissant,
celui des interviews.
« Vous devez probablement
savoir que j’ai commencé ma carrière comme pilote de chasse dans l’aéronavale
de mon pays. Et comme vous le constatez, à la vue des peu d’épingles de mon
plastron, je suis rapidement retourné à la vie civile après seulement deux
campagnes d’active, une en Afghanistan et une autre à Mururoa.
Ceci dit, vous le savez également probablement,
je ne suis pas resté inactif, pour avoir participé de très près à des
opérations d’exfiltration en territoire hostile d’agents en perdition sur
commande de mon ministère de rattachement et de Matignon. Mais je ne vous en
parlerai pas, car elles sont couvertes par le secret-défense. »
Ce point-là était ignoré par le FSB.
Et puis ça n’a plus d’importance : « C’est du passé ! »
« Ceci dit, si je ne porte que
le ruban de la légion d’honneur sur mon uniforme, parce qu’on est en France, je
pourrai porter bien d’autres signes honorifiques qui n’ont pas cours légal en
ce pays. Je cite dans le désordre, la médaille du Congrès US, celle de la
Liberté décernée par le Président du même pays, mais à Londres, je pourrai
porter la rare GCVO, décerné par la Reine pour services rendus à l’occasion des
JO de 2012, et l’ordre suprême de Notre Seigneur Jésus Christ décerné par le
Vatican, exactement pour la même raison.
Ça vous va ?
Je n’en ai pas encore reçu de votre
pays… désolé ! »
Alexis en reste le stylo « en l’air », la bouche bée.
Mais c’est elle qui réagit la première, alors que Igor reste
impassible : « Quoi les jeux
olympiques ? Ceux de Londres ? »
Bé oui, ceux de Paris n’ont pas encore eu lieu.
« J’ai réussi à déjouer un
attentat à la munition nucléaire le soir de la cérémonie d’ouverture ! C’était
presque par hasard[1]… »
Mais il n’y a aucun attentat !
« Justement ! Dites donc,
jeune padawan, vous n’avez pas encore lu mon biographe officieux, vous… »
Comme si elle avait eu le temps.
« J’ai commandé son livre… »
Elle ne sera pas près de l’avoir : c’est « bloqué » par
l’éditeur, comme il le lui avait expliqué à Port-Louis, sur l’île Maurice. Et
le texte a disparu sur son blog.
Le capitaine Igor découvre : il y a donc déjà un biographe
officieux ?
Est-ce que c’est complet ?
« Oui capitaine ! Ça va vous
facilitez les choses pour compléter mon dossier : des information
« ouvertes », même si elles restent heureusement discrètes. Et c’est
à peu près correct. Bon il romance pas mal, il fait de moi un trousseur de
jupon patenté, alors que je vis « rangé » des voitures, mais
l’essentiel y est ! »
Et alors… « Raconte-t-il ce que
vous avez fait lors de votre disparition au-dessus de l’atlantique… qu’on vous
a retrouvé plusieurs mois plus tard à San Diego ? Une mission
« top-secret » également ? »
Pas du tout[2] !
« C’est compliqué à expliquer.
Comment vous dire… Lui et moi, nous ne nous connaissons pas, mais je parviens à
lui faire écrire à peu près ce que je veux, au moins dans les grandes lignes.
C’est une technique un peu… « exotique » d’autosuggestion qui se
traduit par l’envoi anonyme de quelques informations, et qu’il retraduit un an
plus tard dans ses opus d’estives.
L’intérêt du procédé, c’est qu’après
coup, dans très longtemps, je peux prendre connaissance de tout ce qui fait ma
vie à notre époque. Je dis bien de « tout ». Donc même les éléments
qui ne se sont pas encore passés. Donc « par anticipation ». Vous saisissez
l’intérêt du procédé, j’espère. »
Comment ça ?
« C’est un jeu un peu vicieux.
Je lui suggère, il écrit, je lis, plus tard, dans le futur, je reviens à
l’époque présente et je sais ce qui va se passer au moment où ça se passe… »
Mais ce n’est pas possible !
« Effectivement, pas dans l’état
actuel de nos connaissances. Lisez donc ses ouvrages ou son blog, en général
les mois d’août, en commençant par « Mains invisibles[3] »
et vous comprendrez mieux. Le cœur, ça reste « Ultime Récit » et sa
suite[4].
Je crois que ce gars-là restera à
jamais un incompris et c’est tant mieux.
De toute façon, il va mourir et il faut
que je le remplace, d’où votre présence, chère Alexis » fait Paul en se tournant vers elle avec un
large sourire lumineux à la faire fondre.
Igor se demande encore si c’est du lard ou du cochon, comme on dit au-delà
de l’Oural.
Avoir en face de soi un officier supérieur de l’aéronaval en grand
uniforme de marin qui vous raconte un roman à dormir debout avec un
« ticket de logement » en main, il y a de quoi être étonné.
Un gros mythomane ?
C’est la phase où plus personne ne comprend rien à rien aux dires de Paul
de Bréveuil.
Quoique Alexis avait déjà entendu ce discours aberrant, il y a seulement
quelques jours.
« Tout ça pour vous dire,
Capitaine, que je sais depuis le début ce que vous magouilliez depuis plusieurs
mois dans vos services pour que je devienne un de vos agents de renseignements.
C’était donc facile pour ma petite
équipe de retrouver et extraire Charlotte et Aurélie de votre
« baignoire » ! Pas eu besoin d’aller la chercher très loin… »
Igor se sent tout d’un coup très mal à l’aise…
« Et alors, qu’est-ce qui va se
passer, là, dans l’immédiat, puisque le futur vous aura informé de la suite… »
Rien.
« Vous allez arriver à Londres,
vos gusses vous y attendent. Vous repartirez à Moscou sans difficulté et vous
ferez votre rapport. Mais avant, je vous emmène tous les deux chez ma
gestionnaire de fortune, juste pour que vous fassiez une idée de mes moyens et
à quoi je les emploie.
Et puis j’ai plusieurs messages à vous
faire passer. »
Ah, nous y voilà, tout de même !
« Le premier, c’est que vous
aimeriez bien savoir ce que je glande aux Chagos. C’est trop tôt pour que je vous
le dise. À vous et à tous les autres, américains, anglais, français, européens,
coréens, chinois, australiens et japonais.
Globalement, je prépare un lanceur
spatial qui dépasse tout ce que d’autres peuvent anticiper.
Et le pire, c’est que vous viendrez à y
participer, tôt ou tard, dans le cadre d’une organisation internationale, comme
tout le monde, tellement c’est pratique et peu onéreux.
On ouvre l’ère, enfin la première marche,
d’une démocratisation de l’accès à l’espace pour toute l’humanité.
D’accord, ça va prendre un peu de
temps. Donc vous n’en saurez pas plus pour le moment. »
Une information-clé, enfin, celle qui justifie de tout le reste, obtenue
sans aucune difficulté : il est mûr pour « collaborer »… d’après
les livres d’instruction du Service.
Mais des informations à vérifier tout de même au préalable…
Le train vire plein Ouest, les ombres basculent dans le carré.
« Il y a toutefois une
condition ».
Laquelle ?
[1] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Parcours olympique » aux éditions I3
[2] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Ultime récit » aux éditions I3
[3] Cf. « Les
enquêtes de Charlotte », épisode « Mains invisibles » (tome I & II) aux
éditions I3
[4] Cf. «
Les enquêtes de Charlotte », épisode « Ultime récit » et « Ultime récit – suite… » aux éditions I3
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire