Conseil d’État, Req. n° 414489 du 11 avril 2018
En tout cas c’est ce qu’il espère…
Prenons l’exemple de l’IS (Impôt sur les Sociétés) et
le cas particulier des « SIIC (sociétés d’investissements immobiliers
cotées). En principe, celles-ci recueillent des « revenus fonciers »
dont l’imposition est reportée au titre de l’IR (Impôt sur les Revenus) de
chacun des associés, à hauteur de leurs droits dans le capital social, comme s’il
s’agissait d’une SCI classique. Sauf que (cotée ou non d’ailleurs) il s’agit de
sociétés de capitaux (comme une SA – Société Anonyme – et quelques autres du
même type), ce qui les rend « opaques » pour payer l’impôt
directement au fisc et distribuer des dividendes classiques.
Un produit de placement d’épargne, en somme.
Sauf que l’IS a plusieurs taux, le « normal »
et le « réduit », notamment sur les plus-values à long-terme (actuellement
de 19 % sur les biens possédés depuis plus de deux ans, moins la reprise des
amortissements antérieurement pratiqué).
Juste pour rappel, dans le temps, quand mes clients
possédaient de telles-structure de « placement » fiscalement « translucides »
(soumises à l’IR des associés, peu importe la distribution ou non de résultat)
et qu’elles voulaient bénéficier du régime de l’IS alors qu’elles ne rentraient
dans aucune option possible, je leur conseillais d’acheter et de vendre des « cacahuètes »
(en créant un « secteur en TVA, pour éviter de devoir de la TVA,
non-facturée, sur tous les loyers encaissés) : Ca les transformaient de facto et définitivement en société « fiscalement
opaque », soumise à IS et on en parlait plus…
La loi a changé : On peut toujours le faire, mais
il vaut mieux faire une SII.
(Puisque le législateur, dans sa très grande sagesse…
etc. y avait pourvu).
Reste deux difficultés : Quand tu fais des
moins-values à long-terme, tu ne peux évidemment pas les imputer sur des
bénéfices d’exploitation.
Les taux ne sont pas les mêmes et le fisc n’admet pas,
au nom de la défense des intérêts du peuple Gauloisien, d’imputer de l’assiette
« réduite » sur de l’assiette « à taux normal ».
Ok admettons, ça reste « équitable ».
En revanche – et c’est une décision de gestion
opposable – que tu viennes imputer tes plus-values à long terme (à taux réduit)
sur des déficits « à taux normal », perdant donc définitivement le
bénéfice du taux réduit pour plus tard, combien de fois ai-je pu le faire ?
Notamment quand les déficits d’exploitation allaient
être perdus (c’était avant le « carry-back »)…
Jamais eu de problème.
Bé il se trouve que dans l’affaire ci-dessous, le
fisc, rapiat au possible, il a voulu quand même recouvrir l’impôt au « taux
réduit » sur le kontribuable, se foutant éperdument des pertes « à taux
normal » qui allaient être perdues (le « carry-back », ça
fonctionne dans la limite de l’IS payés sur les exercices antérieurs
non-prescrits).
Et le kontribuable de faire réclamation, de payer « par
avance » et au titre de la garantie du fisc (qui n’a rien à perdre même en
cas de contentieux), le montant réclamé, et d’aller plaider devant les
tribunaux jusque devant le Conseil d’État.
C’est ce que nous raconte la belle histoire qui suit :
Conseil d'État
N° 414489
Inédit au recueil Lebon
8ème – 3ème chambres réunies
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX, avocats
Lecture du mercredi 11 avril 2018
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
1° La société Foncière Europe Logistique, aux droits
de laquelle est venue la société anonyme Foncière des régions, a demandé au
tribunal administratif de Montreuil de déclarer que le montant des déficits
fiscaux relevant de son secteur taxable s'élève à 44.814.500 euros au 31
décembre 2008 après imputation d’un montant de 18.778.602 euros correspondant à
des plus-values relevant du régime de l’article 208 C ter du code général des
impôts et d’ordonner la restitution des cotisations supplémentaires d’impôt sur
les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en
2008, pour des montants de 774.617 euros en droits et 34.083 euros d’intérêts
de retard, assorties des intérêts moratoires. Par un jugement n° 1308350 du 3
décembre 2015, le tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 16VE00301 du 20 juillet 2017, la cour
administrative d’appel de Versailles a accordé à la société Foncière des
régions la restitution des impositions en litige et fixé le montant de son
déficit reportable au 31 décembre 2008 à 23.487.170,50 euros.
Sous le n° 414489, par un pourvoi enregistré le 21 septembre
2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le ministre de l’action
et des comptes publics demande au Conseil d’État d’annuler les articles 1er,
2 et 3 de cet arrêt.
2° La société Foncière Europe Logistique, aux droits
de laquelle est venue la société anonyme Foncière des régions, a demandé au
tribunal administratif de Montreuil de lui accorder la restitution des
cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été
assujettie au titre des exercices clos en 2010 et 2011, pour des montants de 3.248.452
euros en droits et 272.870 euros d’intérêts de retard. Par un jugement n°
1500255 du 30 juin 2016, le tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 16VE02435 du 20 juillet 2017, la cour
administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement et accordé à la
société la restitution des impositions en litige.
Sous le n° 414493, par un pourvoi enregistré le 21
septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le ministre de
l’action et des comptes publics demande au Conseil d’État d’annuler les
articles 1er, 2 et 3 de cet arrêt.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des
procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes
;
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur
public.
La parole ayant été donnée, avant et après les
conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Foncière
des régions.
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois du ministre de l’action et des comptes
publics présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour
statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges
du fond que la société Foncière Europe Logistique, aux droits de laquelle est
venue la société Foncière des régions, a opté pour le régime des sociétés d’investissements
immobiliers cotées prévu à l'article 208 C du code général des impôts. Elle a
absorbé diverses sociétés au cours des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 et
fait application des dispositions prévues à l'article 208 C ter du même code.
Dans ce cadre, elle a imputé, sur le bénéfice soumis à l’impôt sur les sociétés
constitué des plus-values latentes sur les actifs des sociétés absorbées, le
déficit de son secteur d’activité imposable. À l’issue de vérifications de
comptabilité, l’administration a remis en cause cette imputation au motif que
ces plus-values latentes devaient faire l’objet d’une imposition séparée. Elle
a en conséquence assujetti la société à des cotisations supplémentaires d’impôt
sur les sociétés, au titre des exercices clos, d’une part, en 2008, d’autre
part, en 2010 et 2011. Le ministre de l’action et des comptes publics se
pourvoit en cassation contre les arrêts du 20 juillet 2017 de la cour
administrative d’appel de Versailles, en tant qu’ils ont accordé à la société
Foncière des régions la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur
les sociétés résultant de ces redressements.
3. Aux termes de l’article 38 du code général des impôts
: « 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et
151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les
résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les
entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif,
soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué
par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture
de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des
suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette
période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent
des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers,
les amortissements et les provisions justifiés (...) ». Aux termes du II
de l'article 208 C du même code : « Les sociétés d’investissements
immobiliers cotées visées au I (...) peuvent opter pour l’exonération d’impôt
sur les sociétés pour la fraction de leur bénéfice provenant de la location des
immeubles, de la sous-location des immeubles pris en crédit-bail (...) et des
plus-values sur la cession à des personnes non liées au sens du 12 de l’article
39 d’immeubles, de droits réels énumérés au sixième alinéa, de droits afférents
à un contrat de crédit-bail portant sur un immeuble et de participations dans
des personnes visées à l’article 8 ou dans des filiales soumises au présent
régime (...) ». Aux termes de l’article 208 C ter du même code : « Lorsque,
postérieurement à l’exercice de l’option prévue au premier alinéa du II de l’article
208 C, des immeubles, des droits réels mentionnés au sixième alinéa du II de ce
même article, des droits afférents à un contrat de crédit-bail portant sur un
immeuble (...) ou des participations dans des personnes visées à l’article 8
deviennent éligibles à l’exonération mentionnée à cet alinéa, la société doit
réintégrer à son résultat fiscal soumis à l’impôt sur les sociétés une somme
correspondant à la plus-value calculée par différence entre la valeur réelle de
ces biens à cette date et leur valeur fiscale. Cette réintégration est
effectuée par parts égales sur une période de quatre ans (...) ». Aux
termes du premier alinéa de l’article 218 du même code : « Sous réserve
des dispositions des a à f du I de l'article 219, l’impôt sur les sociétés est
établi sous une cote unique au nom de la personne morale ou association pour l’ensemble
de ses activités imposables en France ». En vertu du IV de l'article 219
du même code, le taux de l’impôt sur les sociétés est fixé, en ce qui concerne
les plus-values imposables en application de l’article 208 C ter, à 16,5 % au
titre de l’année 2008 et à 19 % au titre des années 2010 et 2011.
4. Il résulte des dispositions de l’article 218 du
code général des impôts que, sous réserve de l’application des dispositions des
a à f du I de l'article 219 du même code, qui prévoient en particulier l’imposition
séparée des plus-values à long terme, l’impôt sur les sociétés est établi
sous une cote unique. En application de l’article 38 du même code, l’assiette
de cet impôt est déterminée en tenant compte des résultats d’ensemble de
l'exploitation. Ces dispositions sont applicables pour l'imposition des plus-values
latentes mentionnées à l’article 208 C ter, dès lors qu’aucune disposition du
code général des impôts ne prévoit leur imposition séparée, l’article 208 C ter
prévoyant explicitement qu’elles sont réintégrées au résultat fiscal de la
société. Enfin, les dispositions du IV de l’article 219 du code général des
impôts, qui concernent le taux de l’impôt sur les sociétés applicable notamment,
à ces plus-values latentes, n’ont ni pour objet, ni pour effet de déroger aux
règles, rappelées ci-dessus, qui déterminent l’assiette de l'impôt sur les
sociétés.
5. La cour administrative d’appel a jugé que les
plus-values latentes en litige ne devaient pas faire l’objet d’une imposition
séparée et qu’aucun principe de non-fongibilité des charges et produits soumis
à des taux d’impôt sur les sociétés différents ne faisait obstacle à ce que ces
plus-values soient compensées par des déficits du secteur imposable. Il résulte
de ce qui est dit au point 4 qu’en statuant ainsi, la cour n’a ni omis de tenir
compte des dispositions du IV de l’article 219 du code général des impôts, ni
méconnu ces dispositions ou celles de l’article 208 C ter du même code. Par
suite, le ministre n’est pas fondé à demander l’annulation des arrêts qu’il
attaque, en tant qu’ils ont fait droit aux conclusions de la société Foncière
des régions.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de
mettre à la charge de l’État le versement à la société Foncière des régions de
la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative.
D E C I D E :
---------------
Article 1er : Les pourvois du ministre de l’action
et des comptes publics sont rejetés.
Article 2 : L’État versera à la société Foncière des
régions la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1
du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au
ministre de l’action et des comptes publics et à la société anonyme Foncière
des régions.
Encore un exemple de « trisomie-appliquée »
des agents contrôleurs-redresseurs…
Le mek qui a signé un redressement de plus de 3,5 M€,
inutile de vous dire qu’il avait fait son « quota-annuel », mais qu’en
plus il a eu une promotion dans l’année qui a suivi…
Tout ça pour du vent (et 3.000 € à la charge du
Gauloisien) !
Car évidemment, la solution tombait sous le sens,
depuis bien avant que je ne sois né môa-même : Comme quoi, il y a un réel
déficit de formation des « polyvalents ».
Passons.
Ce qu’il faut retenir c’est la petite « précision »
du CE, « qu’aucun principe de
non-fongibilité des charges et produits soumis à des taux d’impôt sur les
sociétés différents ne faisait obstacle à ce que ces plus-values soient
compensées par des déficits du secteur imposable ».
Je crois que c’est la première fois depuis longtemps que c’est aussi
clairement énoncé !
Il convient toutefois de préciser que quel que soit le
taux dont ils relèvent, sauf disposition légale contraire, cette solution
retenue présente ainsi un intérêt qui va au-delà du régime particulier des SIIC
puisqu’elle a vocation à s’appliquer dans toutes les hypothèses où un
contribuable dispose d’un secteur taxable au taux normal de l’impôt sur les
sociétés et d’un secteur soumis à un taux réduit.
Après absorption de sa filiale (et donc imposition
immédiate, sur option, des plus-values-latentes), la société faisait valoir que
la solution d’une assimilation de ces dernières au taux de droit commun n’était
pas applicable dès lors que, contrairement aux plus-values et moins-values à
long terme, les plus-values visées à l’article 208 C ter ne font pas l’objet
d’une imposition séparée mais doivent, en application du texte même de cet
article, être réintégrée au résultat fiscal de la société soumis à l’impôt sur
les sociétés.
Pour ce faire, elle se prévalait d’une décision n°
82520 du 13 décembre 1972 (vous n’étiez pas nés non plus, vous ne
pouvez pas vous rappeler) par laquelle le Conseil d’État avait jugé qu’une
société exerçant son activité en métropole, où elle était soumise au taux
normal, et à la Réunion, où elle était soumise au taux réduit, était tenue
d’imputer les bénéfices réalisés à la Réunion sur ses déficits constatés en
métropole…
Astucieux, n’est-ce pas ?
Le Conseil d’Etat avait en effet rappelé à cette
occasion qu’il résulte des dispositions de l’article 218 du CGI que « sous réserve des dispositions des a à f du I
de l’article 219 », qui prévoient en particulier l’imposition séparée des
plus-values à long terme, « l’impôt sur
les sociétés est établi sous une cote unique au nom de la personne morale ou
association pour l’ensemble de ses activités imposables en France », si
bien que l’assiette de l’impôt sur les sociétés doit être déterminée « en tenant compte des résultats d’ensemble
» de l’exploitation d’une entreprise (art. 38 du CGI), quels que soient les
taux auxquels ces résultats sont soumis.
Le Conseil d’État souligne cette fois-ci que « les dispositions du IV de l’article 219 du
CGI qui concernent le taux de l’impôt sur les sociétés applicable notamment, à
ces plus-values latentes, n’ont ni pour objet, ni pour effet de déroger aux
règles, rappelées ci-dessus, qui déterminent l’assiette de l’impôt sur les
sociétés ».
Et de conclure qu’« aucun principe de non-fongibilité des charges et produits soumis à des
taux d’impôt sur les sociétés différents ne faisait obstacle à ce que ces
plus-values soient compensées par des déficits du secteur imposable ».
Pan dans les ratiches : Un euro, ça reste un euro…
D’où qu’il vienne.
En pratique, la portée de cette décision devrait donc s’appliquer
aux plus-values relevant du taux réduit constatées en cas de transformation
d’une société soumise à l’IS en SPPICAV. Plus généralement, cette solution
serait transposable chaque fois qu’une société réalise des bénéfices et des
pertes relevant de taux d’imposition différents, sauf disposition légale
prévoyant explicitement leur imposition séparée.
La compensation se fait alors « à l’euro-l’euro ».
Et moi je me sens « plus léger ».
Pour constater avec vous, à la fois la constance de la
Loi, son unicité et sa très grande logique, même… fiscale.
Force reste à la loi régulièrement établie et tant pis
si les tentatives de rapine de ses « merveilleux-fonctionnaires »
(tant dévoués à la défense du « service-public ») échouent lamentablement
de temps-à-autres : Se faire racketter, d’accord, mais alors en conformité
avec le droit (à racketter).
Réjoussif !
Bonne fin de journée à toutes et à tous !
I3
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