Cour de cassation – Première chambre civile
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Orléans, 22 mars 2016), que D...,
né le [...], a été inscrit à l’état civil comme étant de sexe masculin ; que,
par requête du 12 janvier 2015, il a saisi le président du tribunal de grande
instance d’une demande de rectification de son acte de naissance, afin que soit
substituée, à l’indication “sexe masculin”, celle de “sexe neutre” ou, à
défaut, “intersexe” ;
Attendu qu’il fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande,
alors, selon le moyen :
1°/ que le respect de la vie privée suppose en particulier
le respect de l’identité personnelle, dont l’identité sexuée est l’une des
composantes ; que l’identité sexuée résulte de façon prépondérante du sexe
psychologique, c’est-à-dire de la perception qu’a l’individu de son propre sexe
; qu’au cas présent, D... faisait valoir, au soutien de sa demande de
rectification de son acte de naissance, qu’il était biologiquement intersexué
et ne se considérait, psychologiquement, ni comme un homme ni comme une femme ;
qu’en retenant, pour rejeter la demande de rectification d’état civil présentée
par D..., que cette demande était « en contradiction avec son apparence
physique et son comportement social », sans rechercher, ainsi qu’elle y était
invitée, si la mention « de sexe masculin » figurant sur l’acte de naissance de
D... n’était pas en contradiction avec le sexe psychologique de D..., la cour
d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et
99 du code civil ;
2°/ qu’en subordonnant la modification de la mention du sexe
portée sur l’état civil à la condition que le sexe mentionné ne soit pas en
correspondance avec l’apparence physique et le comportement social de
l’intéressé, quand la circonstance que la mention du sexe corresponde à
l’apparence physique et au comportement social de l’intéressé ne suffit pas à
exclure que son maintien porte atteinte à son identité sexuée et donc à sa vie
privée, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants en violation des
articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et 99 du code civil ;
3°/ que la cour d’appel a elle-même constaté « qu’en
l’absence de production d’hormone sexuelle, aucun caractère sexuel secondaire
n’est apparu, ni de type masculin ni de type féminin, le bourgeon génital
embryonnaire ne s’étant jamais développé, ni dans un sens ni dans l’autre, de
sorte que si D... dispose d’un caryotype XY c’est-à-dire masculin, il présente
indiscutablement et encore aujourd’hui une ambiguïté sexuelle » ; qu’en
retenant, pour rejeter la demande de rectification d’état civil présentée par
D..., que « D... présente une apparence physique masculine », la cour d’appel
n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation des
articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales et 99 du code civil ;
4°/ que, devant les juges du fond, D... faisait valoir que
ses éléments d’apparence masculine (barbe, voix grave) étaient uniquement la
conséquence d’un traitement médical destiné à lutter contre l’ostéoporose et ne
pouvaient donc « être pris en considération pour déterminer son ressenti »
quant à son identité sexuée ; qu’en retenant, pour rejeter la demande de
rectification d’état civil présentée par D..., que « D... présente une
apparence physique masculine », sans répondre à ce moyen d’où il résultait que
cette apparence était purement artificielle et ne relevait pas d’un choix de
D..., de sorte qu’elle ne pouvait lui être opposée pour écarter sa demande de rectification
d’état civil, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile
;
5°/ qu’il résulte des articles 143 et 6-1 du code civil,
dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, que la
différence de sexe n’est pas une condition du mariage et de l’adoption ; qu’en
affirmant, pour rejeter la demande de rectification d’état civil présentée par
D..., que celui-ci s’était marié et avait, avec son épouse, adopté un enfant,
motif impropre à exclure que le maintien de la mention « de sexe masculin »
porte atteinte au droit de D... au respect de sa vie privée, la cour d’appel
s’est déterminée par un motif inopérant en violation des articles 8 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et
99 du code civil ;
6°/ que, devant les juges du fond, D... produisait de
nombreuses attestations certifiant que son comportement social n’était ni celui
d’un homme ni celui d’une femme ; qu’en se bornant à énoncer, pour retenir que
D... aurait eu un « comportement social » masculin, qu’il s’était marié et
avait, avec son épouse, adopté un enfant, sans analyser, même sommairement, les
attestations ainsi produites, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de
procédure civile ;
7°/ que l’article 57 du code civil impose seulement que
l’acte de naissance énonce « le sexe de l’enfant » ; que cette disposition ne
prévoit aucune liste limitative des sexes pouvant être mentionnés pour son
application ; qu’en affirmant « qu’en l’état des dispositions législatives et
réglementaires en vigueur, il n’est pas envisagé la possibilité de faire
figurer, à titre définitif, sur les actes d’état civil une autre mention que
sexe masculin ou sexe féminin, même en cas d’ambiguïté sexuelle », la cour
d’appel a violé l’article 57 du code civil, ensemble le point 55 de la
circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes
d’état civil ;
8°/ qu’il appartient au juge de garantir le respect effectif
des droits et libertés fondamentaux reconnus à chacun, en particulier par les
conventions internationales auxquelles la France est partie, lesquelles ont,
dans les conditions posées par l’article 55 de la Constitution, une valeur
supérieure à celle des lois ; que, saisi au cas d’espèce de la situation d’une
personne intersexuée biologiquement et psychologiquement, il lui appartenait
d’assurer le respect du droit de cette personne au respect de sa vie privée, et
notamment de son identité sexuée, lequel implique la mise en concordance de son
état civil avec sa situation personnelle ; qu’il disposait pour ce faire, en
application de l’article 99 du code civil, du pouvoir d’ordonner toute
modification de l’acte de naissance nécessaire au respect du droit de la
personne qui l’avait saisi à sa vie privée ; que le juge ne pouvait, pour
refuser de faire droit à cette requête, affirmer que la demande présentée par
D... posait des questions délicates relevant de la seule appréciation du
législateur ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles 5 et,
99 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales ;
Mais attendu que la loi française ne permet pas de faire
figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que
masculin ou féminin ;
Et attendu que, si l’identité sexuelle relève de la sphère
protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe
dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est
nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un
élément fondateur ; que la reconnaissance par le juge d’un “sexe neutre” aurait
des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir
de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications
législatives de coordination ;
Que la cour d’appel, qui a constaté que D... avait, aux yeux
des tiers, l’apparence et le comportement social d’une personne de sexe
masculin, conformément à l’indication portée dans son acte de naissance, a pu
en déduire, sans être tenue de le suivre dans le détail de son argumentation,
que l’atteinte au droit au respect de sa vie privée n’était pas
disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses
branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Président : Mme Batut
Rapporteur : Mme Le Cotty, conseiller référendaire
rapporteur
Avocat général : M. Ingall-Montagnier, premier avocat général
Avocat : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer
Par conséquent, la loi ne prévoyant que deux sexes qui constituent un
élément fondateur de l’organisation sociale et juridique, le juge ne peut
reconnaître l’existence d’un sexe neutre.
Et d’énoncer que si l’identité sexuelle relève bien de la sphère protégée
qu’est la vie privée et familiale (CEDH art. 8), la dualité des énonciations
relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce
qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle
constitue un élément fondateur.
La reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des
répercussions profondes sur les règles du droit gauloisien construites à partir
de la binarité sexuelle et impliquerait de nombreuses modifications
législatives de coordination.
En l’espèce, l’intéressé avait, aux yeux des tiers, l’apparence et le
comportement social d’une personne de sexe masculin, conformément à
l’indication portée dans son acte de naissance. En conséquence, l’atteinte au
droit au respect de sa vie privée n’est pas disproportionnée au regard du but
légitime poursuivi.
À noter que la solution est rendue conformément aux recommandations de
l’avocat général. Celui-ci souligne notamment que s’il incombe au juge de
statuer en regard du droit existant ou de principes supérieurs qu’il met en
évidence, il ne lui appartient pas de créer de nouvelles catégories juridiques
de personnes ; ce faisant, il excéderait ses pouvoirs.
La balle est donc dans le camp du législateur : Une des priorités urgentes de nos nouveaux-gouvernants que de mobiliser la représentation parlementaire en son entier pendant plusieurs mois de débats pour quelques minorités-sensibles qui se compteront peut-être sur les doigts d’une seule main d’ici la fin du siècle, à n’en pas douter naturellement.
À bon entendeur…dans tous les cas, force reste à la loi votée régulièrement !
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