Cinquante-troisième
chapitre : Funérailles.
Avertissement : Vous l’aviez compris,
ceci n’est qu’un roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle »,
sortie tout droit de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des
personnages, des lieux, des actions, des situations ayant existé ou existant
par ailleurs dans la voie lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète
Terre, y est donc purement, totalement et parfaitement fortuite !
Curieusement, ni au soir ni même le lendemain, la
presse ne fera d’allusion à l’explosion dans le métro ni à l’alerte incendie du
« Talkie-walkie » : absolument rien !
Nada ! Ensemble vide ! Black-out
total !…
Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir fait du bruit, ni
d’avoir dérangé sinon traumatisé quelques vaillants citoyennes et citoyens de
passage, c’est le moins qu’on puisse dire !
Les hélicoptères de la police à Londres ne sont
pourtant pas équipés de silencieux au bout des turbines et de chacune de leurs
pales !
Et la vie aura repris dans l’immeuble attaqué, qui est
une vraie fourmilière et « les marchés » n’attendent pas, au moins aussi vite que le trafic du métropolitain.
De toute façon, sitôt les quais inspectés par les
spécialistes du déminage de Scotland Yard, la station et la ligne ont repris très
normalement leur activité, les autres accès n’ayant jamais été fermés plus de
quelques minutes, tout juste une poignée.
On ne parle que des inondations du nord du pays et le
lendemain de l’attaque au couteau d’un taré d’islamiste se revendiquant de
Daech qui aura fait plusieurs victimes avant d’être maîtrisé et arrêté.
Là, toute la presse européenne en sera plein les
écrans et les pages des journaux dès le dimanche suivant : pensez, trois
semaines après les attentats de Paris, ça valait la peine de mettre en exergue
la menace islamiste en Une jusqu’à Londres !
Il faut dire aussi qu’on avait des images de vidéo-surveillance
à montrer…
Il faudra en retenir que trois jours après le vote du
Parlement britannique autorisant des frappes aériennes en Syrie et trois de
semaines après les attentats à Paris et à Saint-Denis, la police a qualifié d’«
acte terroriste » cette agression au
couteau survenue le samedi 5 décembre, vers 19 heures dans la salle des billets
de la station Leytonstone du métro de Londres, située sur la Central line, dans
le nord-est de la capitale britannique.
On parle tout d’abord d’un homme de 56 ans grièvement
blessé, même si ses jours ne seraient pas en danger.
Et de deux autres blessés légers.
Selon un témoin complaisamment interviewé,
l’agresseur, un homme de 29 ans, aurait crié « C’est pour la Syrie ». Un autre passant dit l’avoir entendu crier «
Voilà ce qui arrive quand vous baisez
avec la mère Syrie, votre sang va couler ». Une vidéo postée sur Internet
montre un homme apparemment menaçant des voyageurs, alors qu’une flaque de sang
est visible sur le sol, non loin des portiques de contrôle.
« Lâche-le
(couteau), imbécile ! », lui lance un
homme alors que des voyageurs paniqués fuient la salle des billets de la
station tandis que d’autres passent devant la scène comme si de rien n’était.
La police, qui loge juste à côté, est alertée à 19 h
06 et dit avoir interpellé l’agresseur huit minutes plus tard.
Sur une autre vidéo, on peut voir des policiers tenter
de maîtriser l’agresseur à l’aide d’un pistolet à impulsion électrique de type
Taser. Ils y échouent à plusieurs reprises avant d’y parvenir. Alors que
l’homme est maintenu à terre, il continue à crier, ce qui conduit une personne,
peut-être un policier, à répéter en criant : « Tu n’es pas un vrai musulman, mec ! »
« Nous traitons
ceci comme un acte terroriste », a déclaré le commandant Richard
Walton, chef de l’unité antiterroriste de la police de Londres. « J’appelle le public à rester calme mais en
alerte et vigilant. Le niveau d’alerte terroriste reste au niveau
« grave », ce qui signifie qu’un attentat terroriste est hautement
probable », a-t-il ajouté avant de lancer un appel à témoins.
Des propos confirmés par la suite par le chef de la
police de Londres, Sir Bernard Hogan-Howe.
Une première pour ce type d’agression depuis
l’assassinat au couteau, le 22 mai 2013, du soldat Lee Rigby, par deux jeunes
Londoniens convertis à l’islam radical…
Il y en aura d’autres plus tard, mais ce qui reste
curieux, c’est que par la suite, le nombre des victimes pour ce samedi est
porté à 5 dont un mort.
Qui se trouve être d’abord une américaine, puis un
américain, tiens donc !
Paul se dit, en lisant tout cela, que le « compte
est bon »…
« Caméléon » aura tout juste été oublié dans
cet inventaire de bric et de broc, à moins que ce soit « Junior n°4 ».
Toutes ces péripéties font cogiter Paul sur son
avenir.
Il ne peut toujours pas s’enfermer, ni disparaître de
la surface de la planète, ni s’échapper au fond d’un trou, pour des tas de
raisons.
Et il est impuissant à prévoir les attaques des
triades ou d’un troisième assassin.
Il faut faire quelque chose…
De plus, est-ce que les « petiots » sont
bien à l’abri en Californie ?
Il n’a pas l’occasion de le vérifier pour un
« saut-de-puce » en Californie où se tiennent les obsèques de
« n° 4 » : il va recroiser son fils, c’est une certitude qui le
fâche, mais il ne peut pas ne pas y aller.
Florence ne s’y trouvera pas, paraît-il restée avec
leurs enfants à Los Angeles, Paul ne saura pas où.
Pour le coup, Paul se fait accompagner par José
Gabriel, le curé qui obtiendra in
extremis un visa touristique, lui l’agent actif pas très discret du SIV, sa
longue soutane, ses pompes et ses chaussettes noires repérables à des
kilomètres.
Black sur black, sauf le col, les pupilles et les
dents… blanc-immaculé.
C’est l’occasion pour lui de découvrir le nouveau
continent et pour tous les deux le rituel maçonnique d’outre-Atlantique.
Les francs-maçons ne sont pas en principe dans
l'obligation de tenir des funérailles maçonniques à leurs décès. Le but d'un
enterrement maçonnique est seulement de permettre aux frères maçons de montrer
leur respect et leur amour pour leur frère disparu ainsi que pour sa famille et
ses proches, la « veuve et l’orphelin ». Bien que la plupart des
funérailles maçonniques soient entièrement menées par les francs-maçons, le
défunt franc-maçon peut aussi avoir droit à un service funèbre plus classique à
l'extérieur de la loge.
Ce qui est le cas pour « Junior n°4 » :
le rendez-vous est fixé dans le temple où il avait ses habitudes de chrétien,
réformé certes, plus personne n’est « parfait » depuis la disparition
des Cathares, trop petite pour accueillir tout le monde, car il y a un monde
fou, puis au cimetière national ou presque tout le monde se retrouve, sur le
boulevard Lincoln, planté face à la baie, côté Golden-Gate-Bridge, à environ un
kilomètre du San Francis-Yacht-Club où reste amarré son yacht, pour porter la
dépouille en terre.
Ils sont nombreux, des loges maçonniques, à venir
rendre hommage au défunt et offrir son soutien à la famille. Paul reconnaît
l’un des membres de la dernière réunion, dans le ranch de la famille. Il doit y
en avoir d’autres. Comme de loin en loin il vise Bill Gates et Paul Allen,
peut-être aussi ce qui ressemble à Elon Musk, et même Zuckerberg, mais il n’en
est pas sûr.
Et le tout est mélangé entre civil, maçons et
uniformes de l’armée : plein « d’étoilés » qu’il en fait presque
« minable » avec son grand-uniforme de capitaine de frégate et ses 5
sardines or-&-argent, sa casquette ourlée et ornée des ailes entrelacées
d’une ancre surmontée d’une étoile des
pilotes, le même insigne sur le veston surplombant ses barrettes d’engagement
opérationnel, un emblème de parachutiste de l’autre sur le veston et
« toutes ses médailles ».
Un véritable arbre de noël !
De toutes les façons, c’est fait pour ça : en
jeter plein la vue…
Même que ça attire ostensiblement l’œil (c’est
l’objectif), comme d’un ultime hommage : la légion d’honneur,
naturellement, les médailles de la liberté et du Congrès américain, la CGVO
britannique et ce qui étonne le plus, même si c’est déjà pas mal pour un seul
et même poitrail, le médaillon de l’Ordre du Christ…
Les trois dernières font lever les sourcils, mais le
dernier fait ouvrir les yeux d’étonnement, notamment de la part des militaires
présents qui ne le connaissent pas.
Mais pas vraiment des francs-maçons, parfaitement au
courant de ce que ça représente pour la plupart. Tout juste, quelques-uns
viendront se présenter à Paul alors qu’il fera la queue pour présenter, en
vain, ses condoléances à la famille.
Pendant ce service funèbre, les frères et sœurs enfilent
tous des gants et des tabliers blancs. C’est comme ça qu’on les reconnaît et
ils forment un bon tiers du plus du millier de personnes qui a fait le
déplacement sous le soleil voilé d’hiver.
Chaque franc-maçon vous y parlera en principe des
symboles de la maçonnerie, de l'importance de la branche d'acacia, symbole de
la vie éternelle, qui y est fortement soulignée, le tablier blanc en cuir
d'agneau dénotant quant à eux une âme pure.
Chaque maçon dit une prière pour son frère défunt et
pour le bien-être de sa famille. Le Maître maçonnique lit des extraits du
parchemin sacré des maçons pour rendre hommage au défunt. L'aumônier maçonnique
dit une prière et les frères francs-maçons se joignent à la litanie.
La branche d'acacia, un arbre à épines persistantes,
est tenue par le Maître maçon face à la congrégation. Elle symbolise la
croyance maçonnique en l'âme éternelle ainsi que leur foi inébranlable : quelle
que soit la saison, ces arbres ne perdent jamais leurs épines, ce qui symbolise
le fait que les francs-maçons ne perdent jamais leur foi en l'âme impérissable.
En fait, il n’y a rien de particulier hors les
« tenues ». Certes, l’équerre et le compas sont présents, mais au
même titre que la croix. C’est surtout sur le cercueil qu’apparaît
l’appartenance à la grande famille maçonnique : celui « d’Harry
Junior n° 4 » est recouvert d’un drapeau américain, de celui de l’État de
Californie sur lequel on a posé divers symboles de son appartenance – le
tablier du défunt qui est à la fois un « décor », un symbole et un
outil – le tout surmonté d’un coussin de velours rouge, brodé d’un liseré d’or
où sont épinglées une dizaine de médailles, porté jusque-là par des militaires
au crâne rasé et à l’uniforme d’apparat impeccablement repassé. Sans doute des
Marines se dit Paul…
L’hommage de la Loge se fera plus tard, dans les ateliers
d’une « Tenue funèbre » en l’absence du corps. La franc-maçonnerie
est aussi une société « de mémoire ».
Dans toutes les Loges, il est fait régulièrement
mémoire des frères ou des sœurs décédés.
Il y a un vrai devoir « de mémoire » : les
cœurs ne doivent pas être le tombeau des frères. D’une certaine manière, les
maçons survivent au travers de leurs frères.
L’Orient éternel évoqué lors de la lecture du
parchemin sacré maçonnique n’est qu’une métaphore pour exprimer un au-delà de
l’existence individuelle. La formule n’induit aucune croyance, ni aucune
négation d’une quelconque croyance. Ce n’est pas cela qui est en cause dans la
mort maçonnique. Ce dont il est question, c’est d’une chaîne d’union qui est
brisée.
Or, à la fin de leurs travaux, pour exprimer leur
solidarité et leur fraternité, les maçons forment une chaîne d’union en se
donnant la main. Si un des leurs meurt, cette belle fraternité est en deuil,
comme n’importe quelle famille. Le rituel veut qu’au décès d’un frère la chaîne
d’union se fasse de manière ouverte, sans se donner la main.
Mieux : le plus jeune apprenti prend la place du frère
disparu !
Ainsi, la vie continue, les maçons se remettent à
l’ouvrage avec dans leur cœur le souvenir de ceux qui se trouvent à l’Orient
éternel, en pleine lumière.
À une batterie de deuil (« Gémissons ! ») succède alors une batterie d’allégresse (« Espérons ! »). Car la maçonnerie
cultive le bon vivre, qui est en définitive l’apprentissage du bien mourir. Et
d’en conclure que peut-être la franc-maçonnerie propose une propédeutique de la
mort.
Ainsi le maçon devrait-il, mieux que d’autres
peut-être, être préparé à la mort.
La sienne s’entend…
La famille, qui a organisé cet éloge funèbre, laisse
un « ami » le prononcer, mais c’est « n° 5 » qui achève cet
hommage avant que le pasteur ne la clôt par un Notre-père (que le Padre Romain
récite bruyamment en latin…) et une dernière prière des défunts avant que ne se
forme le long cortège des condoléances à la famille : Paul repère
« n° 5 », une blonde et deux fillettes à sa gauche, et ce qui doit
être l’épouse de « n° 4 » à sa droite, une autre blonde presqu’aussi
jeune que la première.
Et de l’autre côté de « n° 5 » se tient une femme
plus âgée, au port du cou étonnant d’élégance, qui se révélera être la mère de
n° 5…
Paul entraîne le curé vaticinais, qui espère pérorer
en ce milieu protestant, vers la sortie, tellement ça promet d’être long :
ils ont un avion à reprendre et finalement il n’a nullement envie d’aller
saluer Junior ni s’éterniser au bord de l’océan, des fois qu’il recroise
« par mégarde » Gorge, son MIB.
Les dégâts qu’il a causés sont déjà assez lourds à
supporter comme ça…
Il suffit de laisser une griffure sur un des registres
mis à la disposition des fidèles qui ont fait le déplacement.
Mais ils sont retenus par des agents du FBI qui
convergent vers Paul à travers les allées et les pelouses.
« On
voudrait vous entretenir de notre enquête… »
Qu’y-a-t-il à en savoir de plus : n° 4 a été
abattu par « Caméléon », non ?
Bien sûr. « Mais
il avait un complice, à Londres, celui qui a tiré une roquette contre ses
locaux … »
C’est vrai ! Et alors ?
« Malgré
vos indications ce jour-là, nos collègues britanniques n’ont pas été assez
rapides pour lui mettre la main dessus. Il est dans la nature. Pis que ça, il
n’a pas été possible de l’identifier. Pas une seule empreinte, pas une seule
trace d’ADN exploitable. En revanche on sait que l’engin a été volé au Kosovo
il y a quelques dizaines d’années et qu’il aurait transité par la Belgique.
Mais au-delà, la piste s’épuise à être plus précise. »
Qu’est-ce qu’ils veulent savoir en plus qui n’a pas
été déjà dit ?
Rien, « juste
vous faire savoir que vous êtes sous notre protection tant que vous voyagerez
sur le territoire de l’Union. Que ce serait bien, à cet effet, que nous soyons
prévenus de vos séjours dans notre pays avec un peu d’avance… »
Et ses gosses ?
C’est là qu’il apprend qu’ils résident avec leur mère
à Los Angeles, là encore sous protection policière : « Des instructions du juge Goldberg chargé de toute cette affaire. »
Bien : « Vous
le remercierez de ma part. Mais je ne compte pas rester très longtemps ici. Je
venais juste rendre un dernier hommage à mon ami Harry Harrison. Je repars par
le premier avion. Mais si vous avez des questions à me poser, sur les événements
de Londres ou tout autre aspect de cette enquête, n’hésitez pas à me téléphoner
ou à venir me rendre visite », et il leur tend une carte de visite.
« – Je
serai ravi de vous être utile.
– Et pour
ce complice, auriez-vous par hasard quelques indications, même anodines, à nous
proposer ?
– Désolé,
mais là où il était vraisemblablement posté, je n’ai rien vu : j’ai une
bonne vue, mais à plus d’un kilomètre, il ne faut pas me demander l’impossible
sans jumelle. Et je n’en disposais pas. En revanche, vous pourriez réduire
votre champ de recherche : c’est un excellent tireur, parce que pour faire
mouche du premier coup, il faut de l’entraînement à cette distance. Moi-même
qui suis pourtant classé « tireur d’élite », dans l’aviation
française je précise, c’est-à-dire être capable de mettre au moins un obus sur
un drap de 25 m² étalé au sol dans un passage à 300 km/h en rafalant au canon,
je ne me sens pas capable d’en faire autant.–
Intéressant, effectivement. Nous pensions déjà qu’ils sont deux. Je veux dire
deux « Caméléon » qui opèrent de concert.
– Comment
ça ?
– L’homme
abattu par la police anglaise était connu de nos services. Il a été interpelé à
deux reprises aux USA et au moins une fois en Birmanie et une autre fois en
Roumanie. Mais il s’en est toujours sorti pour avoir un alibi irréfutable le situant
parfois à des milliers kilomètres des attentats qu’on voulait lui imputer.
C’est un
ancien Marines, spécialiste des explosifs. Il a été très valeureux en
Afghanistan dans la section « déminage » de sa compagnie. Vous le savez
peut-être, l’espérance de survie sur un théâtre d’opération y est parmi les
plus faibles des troupes engagées…
En
revanche, c’était un tireur très moyen, alors que « Caméléon » a
signé des assassinats par des tirs longues-distances assez spectaculaires,
parfois plus de 1.200 mètres…
– Je ne
connais pas d’arme aussi précise que ça à une telle distance.
– C’est
pour cette raison que c’est très spectaculaire. Ils sont donc au moins deux. Un
a été éliminé, il en reste un autre dans la nature.
Et nous
comptons bien lui mettre la main dessus. »
Encourageant !...
Ils se séparent juste pour faire quelques pas : d’autres
arrivent, qui vont encore les retarder, pour saluer Paul.
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