Dix-septième épisode.
« Et puis il y a eu une grosse
explosion. J'ai vu Padalovski s'envoler sous le souffle alors que j'étais
accroché à mon pied de biche improvisé et que la « plante » s'était enroulée
autour de ma cheville. J'ai vu disparaître Padalovski dans le nuage noir qui
avait tout envahi, mal retenu par la plante. Mais j'ai senti le choc dans la
jambe.
J'ai hurlé son nom, sans réponse.
Puis une deuxième explosion, dans
l'autre direction qui a failli m'arracher le pied et a ramené Padalovski encore
conscient accroché à la plante, celle-ci, accrochée à ma cheville, se déroulant
sur des dizaines de mètre, jusque-hors de ma vue.
La porte s'est brutalement ouverte,
mais sur rien ! J'ai été happé par le vide. Je suis tombé. Infiniment tombé,
dans le noir absolu, comme si je flottais ! Sûr que j'allai me fracasser contre
les parois d'un instant à l'autre.
Au premier choc un peu brutal,
j'imagine, j'ai dû perdre connaissance, pour me réveiller à l'hôpital à
New-York, entravé, en sueur, hurlant encore le nom de Padalovski !
Ils m'ont pris pour un dingue, m'ont
bourré de calmants, et j'ai tout oublié, abruti de morphine !
J'étais revenu et je ne le savais pas
encore. »
Récit magnifique, bien entendu.
D'autant mieux qu'il a été réécrit par
mes soins à de nombreuses reprises, pour finir par se stabiliser dans la forme
que vous pouvez lire actuellement. La forme originelle dans laquelle il a été
téléchargé sur mon Pod[1] un soir de décembre 2112, quelques semaines plus tôt.
Comme il est dit ci-avant, Pierre
Lierreux s'est remis difficilement de son accident. Officiellement, le câble de
l'ascenseur de sa tour s'est rompu et la cabine a chuté au fond de son puits.
Quelques mètres, même pas une dizaine.
Ne pouvant guère travailler, il rentre
se soigner en Europe où il recommence une de ses vies nouvelles, d'abord dans
l'enseignement du droit comparé, dans diverses universités d'Europe, puis en
faisant vivre son cabinet d'avocat d'assurance. Et puis la vie a repris. Ses
affaires également.
Mais c'est déjà une autre histoire.
Ses souvenirs sont revenus par bribes.
Tous, il les a notés : un vrai puzzle !
Il raconte à plusieurs reprises,
qu'instinctivement pourtant, dans bien des aspects de sa vie, il a souvent eu
le sentiment bizarre de revivre la situation du moment.
Pour certains, c'est une pathologie de
dédoublement de la personnalité. Pour d'autres, il y a des explications
métaphysiques.
Pour lui, c'est un guide : il savait ce
qu'il devait faire, ce qu'il allait faire. Il prenait son temps pour fixer sa
décision et les « souvenirs » affluaient pour le guider, comme le lui avait dit
en le plaignant le Père Francis du couvent de Corbara.
C'est comme cela que bien plus tard, il
est devenu le patron incontesté d'un des plus formidables empires financiers de
son époque.
Et un jour, il a organisé sa succession
pour se « consacrer à vieillir ».
Et ce n'est que peu d'années avant
notre première rencontre qu'il a donc « son cauchemar ».
Là encore, avec l'idée vague de l'avoir
déjà vécu.
Il se retrouve, en pleine nuit, au
milieu de nulle part. Un homme se tient sur ses gardes, en tenue de combat,
faiblement éclairé par la présence d'un autre être humain, flottant autour de
lui et une forme indéterminée qui se tenait dans le clair-obscur à quelques
distances.
- « Et toi qui es-tu ? » interrogea
abruptement le militaire à son adresse.
- Patrick Cortinco !
- Qui ?
- Patrick Cortinco.
- Et tu fais quoi ici ? Tu sers sur
quel vaisseau ? Pourquoi n'as-tu pas ta tenue de combat ?
- Parce que je ne me bats pas ! Je
viens à toi pour te dire une chose : « pas les Krabitz » ! » dit-il d'entrée,
de but en blanc, comme instinctivement, comme d'un mot de passe, d'un
sauf-conduit.
- « Sale race ! Ils nous ont niqué tout
un groupe de scientifiques et je viens en représailles !
- Ça on s'en tape ! Il n'y avait qu'à
pas venir jusque-là ! Leur planète est invivable pour nous !
- T'es un espion ou encore une de ses
foutaises de diablerie de l'autre ! »
L'autre, c'était la personne à l'aspect
humain et au visage lumineux, planant doucement sur son aire, à quelques mètres
de distance.
- « L'autre, comme dit l'Amiral
Landditsy, c'est Michel. Bonjour Patrick.
- Michel ? Michel comment ?
- Michel. C'est tout. »
Et s'adressant à l'amiral :
- « Je l'avoue, c'est moi qui l'ai fait
venir. Mais à la demande d'Edgorkloonyx.
- Merci d'être venu, Patrick » fit la
créature poly-forme de l'autre côté de l'amiral Landdistsy, dans son
clair-obscur à elle.
- « Ça alors ! » fait Patrick, « mais
je vous connais, vous ! »
C'est incontestablement cette plante
bizarre du type de celles vues une première fois sur « Paradise bis » puis une
seconde fois au pied de l'ascenseur de « paradise », bien des années plus tôt !
« Et là, Christina, les souvenirs se
sont remis dans l'ordre en un clin d'œil, rajoutant à mon angoisse du moment !
C'était « Ma » plante ! Celle sans laquelle je n'aurai pas pu survivre à la
poussière noire. Celle sans laquelle je ne serai pas là à raconter ce message
dicté par Pery et Padalovoski, que j'avais refoulés si loin et depuis si
longtemps dans mon inconscient ! »
- « Un espion, c'est bien ce que je
pensais ! Toi Patrick, tu bouges encore d'un poil et je t'explose avec ce joujou-là
!
- Eh minute l'amiral ! Je ne suis pas
venu jusqu'ici pour me faire traiter de la sorte ! », répond Pierre.
En fait, je pétochais un maximum à en
avoir une envie urgente de faire pipi sur moi, mais je me suis retenu : c'est
qu'il avait l'air vraiment très menaçant, l'amiral !
- « Moi non plus ! Et cette suspension
de séance dans la bataille que nous allons gagner, ne me dit rien qui vaille !
De toute façon, j'écraserai cette flotte de vauriens et je vais rendre cette
planète tellement inhabitable que plus rien ne pourra y repousser! Et sûrement
pas cette vermine chlorophylle de Krabitz !
- Un Krabitz ? » C'était donc ça...
m'étonnai-je. Le point d'orgue ! Et
j'avais touché juste dès la première seconde de cette situation
invraisemblable.
Les choses se mettaient en place. L'heure
du pacte oublié avait sonné. Les dires enfouis de Pery et de Padalovski
prenaient enfin un sens, une consistance urgente.
- Oui ! » fit la plante. « Oui, on se
connaît. Mais je croyais que tu t'appelais Pierre », dit-elle à l'adresse de
Cortinco.
- « Taisez-vous ou je nous dézingue
tous ! » hurla l'amiral qui commençait à perdre ses nerfs.
Un grand silence, chargé de grenades
explosives puissantes planantes telles une menace, s'en suivit.
Tout le monde pouvait se mouvoir sans
difficulté, comme en flottant, mais pas l'amiral, qui semblait être cloué au
sol par on ne sait quel sortilège.
- « Bien, on reprend ! » commence alors
l'amiral. « Je suis en mission pour faire régner l'ordre. Michel, tu veux m'en
empêcher. Je ne sais pas comment tu as fait, mais tu as figé l'espace/temps de
ma flotte. Je ne sais pas combien de temps cela peut durer. »
Pendant qu'il soliloquait, on avait
l'impression qu'il réfléchissait tout haut.
- « De deux choses l'une. Où il ne se
passe rien et il n'y a pas de bataille tant que nous sommes coincés ici. Mais
il semble qu'il ne se passe rien ailleurs non plus. Ou je nous fais exploser
sur le champ et au moins le déroulé du temps reprendra ! La bataille sera
livrée et cette vermine de Krabitz sera rayée des espèces vivantes : mes
officiers savent ce qu'ils ont à faire et pourquoi ils sont là.
- Tu as tout compris, Amiral »
intervint Michel, qui semblait être doté de grandes ailes dans le dos. « Je
vais même te dire. Moi, je ne peux pas être atteint par tes armes. Je peux décider
de suspendre le déroulé de cette bataille ici ou ailleurs. Je ne suis pas de
ton monde, pas de ton continuum d'espace/temps, comme tu dis. Paradoxalement,
j'ai donc tout mon temps mais pas toi ! Il faut que tu prennes une décision.
Tu m'as demandé tout à l'heure de te
dire ce que tu devais faire. Je te l'ai dit : arrêter tout de suite cette
bataille qui ne doit pas avoir lieu.
Ch. Caré-Lebel
[1] NDA pour les lecteurs du début du
21ème siècle : écran tactile de la taille d'un livre de poche qui regroupe
plusieurs fonctions telles ceux d'un visiophone, d'un PC, d'un GPS, d'un MP3,
d'un bloc-notes, d'un dictaphone, d'une caméra vidéo, etc. selon l'usage que
l'on en fait sur le moment.
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