Deuxième épisode.
Je repars donc perplexe dans mon bureau
et décide de composer le numéro de visiophone laissé par « my chief ».
Une blonde apparaît aussitôt. Je me
présente et explique l'objet de mon appel.
« Mais absolument Mademoiselle Lebel.
Le « signore » Patrick vous attend demain pour le café. »
Elle était forte celle-là ! Je voulais
juste lui parler, à ce Cortinco, voir de quoi il avait l'air. Je n'avais pas
encore décidé d'y aller et sûrement pas arrêté du moment !
« Votre passage est d'ailleurs retenu
sur le vol sur la navette[1] de 7 heures AM, heure locale en vous conseillant
de prendre une bonne nuit de repos et un petit déjeuner copieux dans la navette
: vous arriverez à Marseille vers une heure PM, heure locale et vous serez
prise en charge par notre chauffeur. Autrement dit, vous aurez sauté un repas »
finit-elle en gloussant bêtement !
Voilà qui promettait : depuis une
heure, ma sphère de liberté se rétrécissait ignominieusement sans que je n'aie
eu la moindre occasion de réagir !
Peut-être était-ce mieux ainsi, au
moins pour en finir au plus vite.
Je filais donc chez moi préparer
quelques affaires de « routeur » et avant d'aller me coucher et je n'ai pas
résisté à tracer ces quelques lignes rapidement.
En fait, je les ai reprises dans la
navette. Et je les ai complétées à ce moment-là, profitant des 50 minutes de
vol pour poursuivre mes recherches sur les moteurs informatiques avec le seul
terme « Cortinco ».
En fait, en retirant « Patrick », on
avait accès à des milliers de pages web retraçant l'histoire d'une famille
sanguinolente dont les origines remontaient au Xème siècle, voire avant si on
donnait quelque crédit à un auteur inconnu qui fait un rapprochement osé avec
un Missi Dominici du même nom sous Charlemagne...
Mais aucun intérêt : vraisemblablement
sans aucun rapport avec l'homme que j'allai rencontrer dans quelques heures.
Les voyages en navette vous mettent
toujours l'estomac dans les talons : les 10 premières minutes qui suivent le
décollage vous font encaisser 2 G d'accélération jusqu'au-delà de la
stratosphère. Puis c'est un vol en apesanteur, quand le pilote va tout droit,
où l'on a le temps de manger léger sur les longs parcours et où l'on peut
admirer le lever du soleil à l'allure folle d'un film en accéléré (quand on va
vers l'est. Dans le sens inverse, il se couche plus vite que nature et on
s'engouffre dans la nuit quand on part dans l'après-midi !).
Au retour dans l'atmosphère, il y a un
gros quart d'heure pénible où la décélération va croissante jusqu'à atteindre
les basses couches de l'atmosphère.
On a beau être retourné de façon à être
maintenu par le dossier du siège-baquet dans le sens de la trajectoire, il faut
souvent fournir des efforts pour ne pas régurgiter le contenu de l'estomac.
Puis on entend le sifflement des
moteurs sans turbine et c'est l'atterrissage en vol plané guidé par les robots
du bord en relation avec ceux des installations aéroportuaires.
À Marseille, il faisait frais mais
beau. Le soleil au zénith mais bas compte tenu de la saison. J'ai été
accueillie sur le tarmac par un monsieur portant une pancarte à mon nom.
Poli, il m'a juste demandée si mon
voyage a été agréable, si j'avais des bagages et m'a invitée dans son
autoplan[2] en m'indiquant que nous serions arrivés à destination en moins de
20 minutes, me précisant que, la météo étant bonne, nous ne serions pas trop
secoués.
Nous nous sommes dirigés en pilote
automatique vers l'Est.
Un moment, j'ai cru que nous allions en
Italie, mais à ma question quant à notre destination, mon pilote s'est contenté
de me montrer la route sur l'écran GPS qui fixait notre arrivée dans une zone
de la Corse, située au sud de Calvi et au nord de Cargèse, juste sur la côte,
sans autres explications.
Mon pilote n'étant pas très loquace, je
ne l'ai plus importuné : de toute façon, dans quelques minutes, j'étais
arrivée.
Nous nous sommes posés sur une
plateforme d'autoplan, accrochée à une montagne, magnifique de rochers rouges
et de végétation clairsemée de vert de gris, derrière un sémaphore construit en
contrebas, face au couchant.
La première chose qui m'a frappé, c'est
l'odeur. Un mélange inconnu mais fort. Doucereux mais envoûtant ! Le Maquis
Corse : J'en avais déjà entendu parler.
À part les touffes de végétation dans
cet univers minéral rouge et ocre, la couleur dominante était le bleu profond
de la mer qui se confondait au loin avec le bleu plus clair du ciel.
Des bleus de toutes les nuances, dans
tous leurs états, dans toutes leurs couleurs.
Peut-être un petit coin de paradis,
sans aucune habitation visible, sauf, au loin, de-ci de-là, quelques toits
cachés par des arbres de haute futaie ?
Un homme grand, en complet sombre de
bonne coupe, maigre, cheveu blanc, barbe courte et moustache de la même
couleur, taillée courte, carrure... carrée, à la Charlton Heston, le nez en
avant des gens qui n'ont pas bu que du lait, s'avançait vers moi, le pas
hésitant, sorti de nulle part.
Derrière lui, deux femmes, l'une
poussant un fauteuil d'infirme, l'autre, en tenue stricte mais courte, laissant
apparaître ses mèches blondes sagement coiffées et quelques rondeurs bien
placées, tenait un dossier sous le bras : J'ai reconnu aussitôt mon
interlocutrice de la veille.
- « Chère Madame » fit la voix très
profonde au timbre puissant de baryton du Monsieur qui avait dû être
impressionnant dans le temps de sa splendeur avec son allure « classe », pour
avoir encore de beaux restes et des yeux bleus délavés des vieillards, « je
suis ravi de faire enfin votre connaissance. Avez-vous bien voyagé ?
- «Très bien, merci. Christina Caré.
- Patrick Cortinco. Pour rendre utile
et agréable votre séjour ici, parmi nous.
- Ravie tout autant ! Ainsi, je sers la
main de mon grand patron ?
- Oui ! Enfin ! Pas vraiment. Je suis
retiré des affaires depuis quelques temps. Je n'ai plus d'autres activités que
de regarder aller et venir les bateaux au large et mettre un peu d'ordre dans
mes affaires avant de faire le Grand Voyage.
- Et pourquoi devais-je vous
rencontrer, toutes affaires cessantes ?
- Venez avec moi. Je vais vous
expliquer. Mais avant tout, souhaitez-vous vous rafraîchir ? Prendre vos
quartiers ?
- Dois-je rester longtemps ?
- Autant de temps que vous le
souhaiterez. »
Sa voix était douce et ferme à la fois,
puissante. Impressionnant, le gaillard, vous dis-je !
Il m'a demandé si je ne voyais pas
d'inconvénient à ce qu'il s'asseye, m'expliquant que la tenue verticale lui
pesait depuis quelques années.
Même assis, poussé par la gouvernante
préposée à la chaise à roulette, j'étais à peine plus haute que lui malgré mes
talons.
En voilà encore un, que si il n'avait
pas eu l'âge d'être mon grand-père, avec ses manières courtoises et raffinées,
c'aurait été avec grand plaisir que je me serai laissée aller, juste après les
premiers refus polis que nécessitent la qualité de ses éventuelles avances.
Mais à ce jeu-là, je n'ai jamais été
une grande gagnante.
Ch. Caré-Lebel
[1] NDA pour les lecteurs du début du
21ème siècle : La « navette » est un avion suborbital hypersonique. La plupart
des modèles sont capables d'un tour du monde complet en 4 heures avec une
escale seulement.
[2] NDA pour les lecteurs du début du
21ème siècle : Un « autoplan » est un engin volant, subsonique, de la taille
d'une voiture, muni de 4 hélices pivotantes actionnées par une boîte à énergie
à couple : non polluant, rapide et d'une autonomie d'environ 3 heures, soit un
New-York/Chicago.
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