Seizième épisode.
« Oui des plantes, ma chère ! Vivantes,
mobiles, sans racine, polymorphes, multicolores, mais avec des feuilles,
minuscules et vibrantes. Des êtres vivants tout étonnés de me voir arriver par
les airs, venu de nulle part ! À peine posé sur ce que je croyais être une
plateforme déserte, je les ai vues s'écarter sur ma trajectoire finale, puis
former cercle autour de moi et bruisser de mille chatouillis provoqués par les
vibrations de leurs petites feuilles.
« Où suis-je ? » questionnai-je en
français. Grand silence ! Plus un bruissement. Et une voix douce me répond que
je n'avais sans doute rien à faire ici, mais que si j'avais besoin d'aide, on
pouvait peut-être me la fournir.
Une tranchée s'est alors ouverte vers
ce qui semblait être une porte toute petite et j'ai vu arriver une nouvelle
flopée de plantes, plus ou moins séparées les unes des autres, tel que ça
formait un mur ondoyant, se brisant ici ou là, se reformant l'instant d'après.
Je ne sais pas comment, mais on fit les
présentations. Des noms à coucher dehors avec un ticket de logement validé en
main : j'avais à faire à une assemblée d'individualités. Quelle que part,
c'était rassurant, parce que je pétochais sévère, sur le coup.
De l'eau pure ils avaient. De la
nourriture aussi, mais pas ingérable pour un estomac d'humain. C'était plutôt
ragoûtant, au fort goût de nitrate et de souffre, plus ou moins solide ou
malléable, visqueux même.
J'ai rapidement compris qu'ils étaient
eux aussi dans une sorte de « Paradise » bis, adapté à leur nature.
Nature qui supposait un milieu aqueux,
et une forte densité de monoxyde de carbone qui était un vrai poison pour mes
poumons.
Conscients du problème, je ne sais pas
trop qui, a pris l'initiative de me couvrir d'une bâche dans laquelle ils ont
ouvert un générateur d'oxygène.
On m'a expliqué que pour eux, il
s'agissait d'une drogue qui leur brûlait les feuilles et dont ils étaient
affriolants jusqu'à l'addiction !
Le délire !
En cet endroit, je suis resté jusqu'au
lever du jour, après avoir repris mes esprits à plusieurs reprises et fait une
dernière droite de hauteur aux étoiles encore visible dans l'aurore, pour
reprendre un cap par rapport au soleil rouge se levant. Pas facile avec les
nuées à fleur d'horizon.
Ils ont rechargé ma boite à énergie,
très sympa, plein d'émotion et de gentillesse, alors même que je reste persuadé
qu'ils avaient les moyens de me détruire en un clin d'œil si j'avais pu devenir
menaçant. Et Dieu sait si j'ai dû à plusieurs reprises contrôler ma propre peur
et l'envie de fuir par n'importe quel moyen : j'imagine que ce devait être
réciproque, la peur...
L'odeur, leur odeur, parfois devenait
insupportable. Les vieilles épouvantes ancestrales provoquées par les
fragrances de souffre et de décomposition biologique. Ils m'ont fait promettre
de revenir pour les emmener après que je leur eu expliqué d'où je venais et ce
que je cherchais. Et je me suis élancé.
À peu près dans la bonne direction. En
fait j'ai fait une montée directe, aidé de quelques ascendantes plus énergiques
que d'habitude, bien au-delà de l'altitude de ma propre plateforme, d'après le
mini baromètre que j'avais sur moi pour finir par retrouver mon « paradise » à
moi en contrebas qui scintillait au soleil de la méridienne.
Inutile de vous dire que quand j'ai
raconté cette aventure à Padalovski et Pery, puis à d'autres, ils étaient tous
complètement excités !
Pour le reste, nous avons bien entendu
cherché à localiser l'azimut de leur lotissement et tenter à plusieurs reprises
de les rejoindre. Mais sans succès.
« Faut vous dire que je suis, au moins
à ce moment-là, le seul être humain à avoir vu une forme d'intelligence
développée, au moins autant que celle de l'homme, qui ne soit pas humaine et
qui plus est, qui soit d'origine extra-terrestre sur ce foutu endroit !
Je dois encore l'être pour un bon bout
de temps, pense-je depuis. »
« Cette découverte comble de certitudes
Padalovski qui est maintenant sûr que nous sommes dans une vaste arche de Noé,
réservée aux seuls hommes. Une banque de sperme autonome, perdue aux confins de
l'espace/temps, comme il le supposait jusque-là.
Il a d'ailleurs réussi à regrouper
quelques « humains » autour de lui, pour que je raconte mes aventures et que
nous élaborions des plans d'évasion, en omettant de raconter le contenu des études
de Pery.
Nous nous retrouvions, soit chez lui,
soit chez l'un d'eux, soit au Club, soit dans la « room chess ». J'étais devenu
un phénomène.
Mais un phénomène qui annonçait aussi
la fin proche de toute cette affaire.
À plusieurs reprises, j'ai été
invectivé par quelques-uns plus ou moins au courant de rumeurs en ce sens, tout
de suite entravés par des personnes en uniforme ou de gentilles admiratrices...
Un monde policé avec le sourire : une
merveille !
Car par ailleurs, Padalovski devenait
inquiet. Les extinctions d'étoiles se faisaient de plus en plus importantes. Un
soir, il me montra un vaste quart d'horizon, à peu près un quart de journée
après le coucher du soleil, les heures n'avaient pas la même durée que sur
terre, qui, à part quelques fortes étoiles, était complètement noir.
« La fin des temps est proche »,
prévoyait-il.
Ce qui ne faisait que renforcer Pery
dans sa volonté de se tenir prêt à son départ le plus rapidement possible et le
faisait sombrer dans une mélancolie sans nom qu'il partageait volontiers comme
d'un fardeau avec quelques autres.
Et puis un jour, le deltaplane de Pery
a disparu avant le matin. Lui aussi. Le petit groupe d'amis de Padalovski
s'organise alors pour guetter l'ouverture de la porte d'ascenseur, se relayant
nuit et jour.
D'autres pour le repérer dans le ciel
si par hasard il revenait de « Paradise bis ».
Sans succès. Pery et sa facilité
merveilleuse de tout trouver « très drôle » avaient non seulement disparu, mais
n'avaient pas été remplacées. Signe qu'il était vivant.
Personne pour le remplacer, ce qui
voulait clairement dire, pour quelques érudits locaux, que sa prophétie allait
se réaliser. »
Pierre tente bien quelques vols de
reconnaissance dans l'espoir de repérer quelques traces de son passage. Les
nuages noyaient tout. Recherches vaines.
Jusqu'à ce qu'un matin, son hôtesse du
moment reste raide et froide.
« Il y avait de la poussière noire
partout venue de nulle part, jusque dans l'air qu'on respirait, au point qu'il
faille se protéger avec des linges les voies respiratoires.
Vu du balcon, le soleil rouge était
embrumé, pâle, ne réchauffant même pas l'air du matin. Et la densité du noir
augmentait à vue d'œil.
Je suis sorti en catastrophe pour
vérifier que Padalovski était encore chez lui. Tout était inerte, noirci par
cette sorte de suie collante et noire qui envahissait absolument tout,
jusqu'aux fibres des uniformes si blanc des cyborgs immobiles comme pétrifiés,
yeux clos.
« L'ascenseur ! » ai-je pensé quand je
me suis rendu compte que je pataugeais difficilement dans plus d'un mètre de
poussière noire. « Vite, L'ascenseur ! »
J'ai fait demi-tour, j'ai pu descendre
quelques niveaux, remarquant que plus ça allait, plus l'épaisseur de poussière
devenait compacte et réduisait la hauteur sous plafond, rendant encore plus
difficile mes mouvements.
Paniqué à l'idée que je n'allai pas y
arriver, j'ai rencontré deux humains, dénudés, tout pareillement affolés que
moi.
« Venez ! À l'ascenseur ! » Ils m'ont
pris pour un fou : je descends alors qu'ils vont vers le solarium. J'en ai même
traîné un par le bras qui s'est dégagé brutalement d'un direct du gauche à la
mâchoire !
Je suis tombé à plusieurs reprises,
étouffant sous la poussière noire mélangée à ma salive.
Et puis j'ai été véritablement happé
par une de ces plantes vertes qui m'avaient tellement fait peur quand j'avais
découvert « Paradise bis ». Elle était en boule et roulait à vive allure sur le
tapis de poussière, vers moi.
Elle m'a dépassée, je n'y voyais plus
grand-chose, et est sans doute revenue sur moi, m'a enveloppé et nous avons
roulé un bon moment ensemble avant qu'elle ne s'ouvre, quasiment inerte devant
la porte de l'ascenseur où Padalovski m'attendait, luttant comme un beau diable
pour ouvrir l'un des battants.
- « Vous en avez mis du temps !
- Je vous cherchais...
- C'est malin ! Comment on ouvre ce
machin-là ?
- Comme si je savais !
- Vous savez, puisque tout ce passe
comme nous l'a dit Pery !
- On va essayer avec cette barre. Il
n'y a pas de commande électrique ou manuelle à cette foutue porte.
- Vous m'emmenez au moins !
- Quelle question ! »
Ce n'était pas dit comme ça, nous
savions tous les deux, pour l'avoir lu dans nos yeux, que se faisant, on
prenait le risque d'un nouveau « paradoxe temporel ».
Mais quelle importance dans l'urgence
de la situation ? »
Ch. Caré-Lebel
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