Quatrième épisode.
Comment cela peut-il être possible ?
« Oh, mais c'est très simple ! »
poursuit-il, comme si il lisait dans mes pensées.
« Nous avons bien entendu fait des
recherches sur les signatures informatiques. Rien de très difficile. Pour
arriver à votre Pod[1], celui-là même qui est posé devant vous.
Ça n'existait pas en 2008, vous le
savez. Et le vôtre encore moins, pour avoir été fabriqué dans une de nos usines
il y a à peine deux ans, au Sri Lanka.
Comme vous le savez, les numéros IP
sont propres à chaque appareil et choisi arbitrairement et aléatoirement par un
robot qui l'attribue à la puce de votre machine, en mémoire morte.
Quand nous nous sommes mis à la
recherche de ce numéro, nous ne l'avons donc pas trouvé, justement pour n'être
pas encore attribué. Nous savions juste qu'il appartenait à la liste des « possibles
» attribués par l'autorité mondiale à une usine de puces que nous nous sommes
empressés de racheter.
Mais impossible de forcer leur robot
qui en avait reçu l'attribution.
Nous avions aussi votre nom et votre
profession. Car ces articles ont été décortiqués par les informaticiens de la
Fondation. Nous vous avions donc repérée assez facilement comme candidate
boursière à Oxford, bourse que vous avez obtenu grâce à la générosité de la
Fondation.
Idem pour Harvard.
Dans la foulée, nous avons pu récupérer
assez rapidement le contrôle de votre futur journal, le « News-World ».
Et avons laissé faire le temps ».
Pourquoi me raconte-t-il cette histoire
fantaisiste, pense-je sur le moment ? Mais comment et pour quelle raison ?
« Nous avons pu déterminer que notre
premier rendez-vous devait avoir lieu en ce décembre, c'est-à-dire bien des
années plus tard, à l'époque. Il était donc toujours temps de voir apparaître
le numéro de votre puce.
J'avoue que j'ai un peu forcé le destin
: nous avions d'abord décidé de laisser faire le hasard. Et puis finalement, le
numéro apparaissant il y a deux ans, nous avons monté votre Pod pour vous le
faire acheminer via votre mère.
Elle est joueuse et participe à divers
concours gratuits. Comme par magie, il se trouve que nous lui avons attribué un
billet gagnant et elle vous a offert ce Pod pour n'en avoir pas l'usage
elle-même.
Voilà pour l'histoire de votre machine
».
Cohérent avec ce que je savais de « ma
» machine.
« Et le miracle a eu lieu. Vous vous en
êtes servi pour vos articles et il est là devant nos yeux : c'est la deuxième
fois que je le vois ! Une première boucle des paradoxes temporels vient d'être
bouclée. »
C'était beaucoup pour une première fois
et pour mon cerveau à moi !
À ce moment-là, une foule de questions
se bouscule dans ma tête. Mais c'est encore lui qui continue à apporter des
réponses avant même que je ne formule une seule phrase.
« Comment faire pour publier un article
qui existe déjà dans le passé, sur cette plateforme-là ? Ça, c'est facile !
Il suffit de s'introduire sur la
plateforme avec l'identifiant, le code qui va avec et que naturellement nous
avons retrouvé, de cliquer de la sorte pour créer un article nouveau, de faire
un « copier/coller » dans la fenêtre qui s'ouvre sur cet onglet là (pendant
qu'il parlait, il m'en faisait démonstration sur son écran géant, jouant
rapidement du curseur), de choisir un titre.
Et... de corriger la date du jour,
comme ça, en remontant autant de fois que nécessaire pour arriver au 1er août
2008.
Attention, ce genre de manip n'est plus
possible avec les plateformes modernes ! Mais dans le temps, on était peu
regardant avec les procédures.
Car elles fonctionnaient en Web 1.9
puis 2.0 à compter de mars 2008, sans routine de cohérence temporelle. Ce qui
n'a plus été possible à partir de « Web 3.1 ».
Attention aussi, on ne peut guère
mettre plus de 6.000 caractères par page à cette époque-là. Pas aussi puissant
que de nos jours, mais nous n'avons pas voulu changer cette contrainte
technique, faute de quoi, nous aurions déréglé le continuum temporel du progrès
technique.
C'est pourquoi vous allez devoir
diviser votre travail en plusieurs articles, ce que vous faites en 21 morceaux,
jusqu'à ce que le titulaire rentre de ses vacances estivales.
Là où il est, pendant l'été, il
n'aurait pas d'accès à internet, pour une raison que j'ignore : en principe, il
pouvait techniquement y accéder. Mais avant de partir, il a laissé des pages
ouvertes pour y publier des photos de ses vacances de l'année précédente, jour
après jour, et quelques textes.
Donc, pas de « bug » : il a suffi
d'effacer ses photos et sans doute les commentaires qu'il y a laissé et d'y
placer vos articles.
Ce que l'on sait, c'est qu'il a
vraisemblablement dû être alerté par sa « petite sœur » dans les tous premiers
jours du mois d'août et ce qu'il nomme « le gardien ». C'est ce qu'il dit dès
son retour. Même s'il ne peut pas empêcher ce piratage.
Il rentre début septembre, en marquant
sa surprise et de d'affirmer sa décision de ne pas effacer ces articles qui ne
sont pas de lui.
De toute façon, il ne peut pas, puisque
c'est nous qui détenons les archives, et dès effacement, elles reviennent,
puisque nous passons forcément après lui... dans le temps et sa chronologie
habituelle et normative.
Alors il fait comme tout le monde à
l'époque et les prend pour un roman de science-fiction dont il n'est pas
l'auteur et s'inquiète tout juste d'un manifeste piratage, puis oublie.
Et puis, de votre propre chef, vous
même allez continuer, comme d'un miracle, mais bien ultérieurement.
Je vous prie de m'excuser » dit-il
alors en se levant péniblement. « Je suis dans l'obligation urgente de vous
laisser découvrir vos propres écrits « encore dans le porte-plume », toute
seule, comme une grande.
Je suis hélas contraint de vous laisser
quelques minutes : une impérieuse sollicitation de quelque organe à apaiser,
qui n'en peut plus de survivre !
Veuillez m'excuser ! »
Patrick Cortinco finit par arriver à
s'arracher avec grande difficulté de son siège, exactement au moment où la
gouvernante préposée au fauteuil roulant entrait à sa rencontre dans la pièce :
Je peux zapper à mon aise sur ce blog ancien, presque une antiquité, oublié de
tous.
Avec mes 1.000 questions insatisfaites
: Pourquoi publier des « mémoires » antidatées ?
À quoi cela peut-il bien servir ?
Ch. Caré-Lebel
[1] NDA pour les lecteurs du début du
21ème siècle : écran tactile de la taille d'un livre de poche qui regroupe
plusieurs fonctions telles ceux d'un visiophone, d'un PC, d'un GPS, d'un MP3,
d'un bloc-notes, d'un dictaphone, d'une caméra vidéo, etc. selon l'usage que
l'on en fait sur le moment.
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