Onzième épisode.
«
C'était votre premier contact avec cet homme, celui de T cinquante ? »
interrompe-je mon hôte.
« - Absolument ! Mais je ne savais pas
encore qui il était. Simplement qu'il venait de mon futur et semblait me
connaître. Inutile de vous dire que j'étais particulièrement troublé par cette
rencontre. Et la suite de la soirée a été pénible : pas par la forme et son
contenu habituel, même pour mes visiteuses noctambules, mais pour mon mental !
Un fruit avant de passer au salon. À
moins que vous m'autorisiez à fumer mon cigarillo quotidien sur la terrasse. Il
va y faire frais, mais vous êtes la bienvenue. »
J'ai pris une clémentine, un vêtement,
et nous avons franchi ensemble la porte vitrée, laissant mon hôte profiter de
son cigare à l'odeur forte.
« Je ne fume pas à l'intérieur : ça
empesterait au petit matin ! Et je déteste l'odeur. Mais je n'ai pas pu
renoncer à ce petit plaisir. Un vieux garçon, chère Madame ! On ne se refait
plus, à mon âge. »
Nous avons donc continué à papoter sur
la terrasse, la mer d'un noir d'encre à nos pieds, quelques dizaines de mètres
plus bas, le ciel zébré par l'éclat du phare plus haut à gauche.
Et il reprit son récit.
Ce n'est que quelques jours plus tard
que Pierre Lierreux retrouve Pery. Ils se cherchaient mutuellement.
- « On va prendre quelques coups de
chaud à la lumière de notre beau soleil rouge ? Au solarium ?
- Comme vous voudrez ! »
Et d'éconduire une ravissante brune à
forte poitrine du meilleur effet : une de perdue, dix de retrouvées... surtout
ici !
- « Alors ? Ce test ADN ? Je ne suis
porteur d'aucune maladie génétiquement modifiée, j'espère ?
- Amusant ! Non, pas que je sache. Il
nous a permis de vous identifier comme un humanoïde certifié né d'une femme.
C'est quel que peu rare, par ici.
- Personnellement, je n'en doutais pas
trop, même si je peux vous avouer que je n'ai plus aucun souvenir de ce moment-là
!
- C'est bien naturel. Tant qu'un «
petit d'homme » ne peut pas dire « je », il n'imprime aucun souvenir. Et il lui
faut au bas mot 24 mois pour dépasser le stade du singe, même savant ! Voire un
peu plus pour la plupart d'entre nous. Vous m'avez dit vous appeler Lierreux.
Seriez-vous avocat ?
- Stagiaire ! Absolument. Je partais à
une audience à New-York quand je me suis retrouvé ici après un voyage infernal
dans une cabine d'ascenseur folle.
- Racontez-moi ! »
Et Patrick Cortinco de faire la
narration détaillée de son arrivée et d'une partie de sa vie antérieure.
- « Je vais vous expliquer » finit par
conclure Pery. « En fait, ma thèse porte sur les premiers temps de la «
Fondation ».
- C'est quoi, décidément, cette
fondation ?
- Une grosse entreprise supranationale
créée à votre époque qui a pris une lourde suprématie en matière de conquête
spatiale dès le XXIIième siècle. C'est l'époque où elle devient incontournable.
Mais il a fallu beaucoup de génie de votre part et de la part de celle de vos
successeurs pour y parvenir.
- De ma part ?
- Oui ! De votre part. Je connais les
grandes lignes de votre avenir, parce que c'est un avenir collectif de
l'humanité. Je me suis beaucoup aidé de vos biographes, et la plus étonnante
aura été sans aucun doute possible Caré-Lebel.
- Connais pas !
- Forcément, en 2035, elle n'est pas
née. Mais vous la rencontrerez plus tard, un ou deux ans avant votre mort.
- Vous délirez, mon ami !
- Pas du tout ! Craché juré. C'est de
l'Histoire, tout ça. Et avec un grand « H » pour moi, mais pas encore pour
vous. Et vous imaginez mon trouble, l'autre fois, d'être en face de mon sujet
de thèse, en chair et en os ! C'est un peu comme si un pape ce serait retrouvé
devant Jésus lui-même, ou qu'un bouddhiste soit en face de Bouddha !
- J'avoue que j'ai du mal... Je suis
plutôt dans la position du type à qui un quelconque de ses descendants qui lui
apporte les numéros du loto qui fera la fortune de la famille !
- C'est un peu ça ! Nous ouvrons,
malgré nous, une boucle du temps.
- Une boucle du temps ? Rien que ça !
- Absolument !
- Je sais bien que tout ici est
bizarre, mais n'auriez-vous pas abusé de quelques substances qui travaillent le
neurone ? La moquette ? Les rideaux, par exemple ?
- Non rien de tout ça. Et je vous avoue
que je ne suis pas très doué pour pouvoir exposer des concepts abstraits à mes
contemporains. Paladovski le fera bien mieux que moi !
- Padalovski ! Enfin ! Quand le vois-je
?
- Dès que vous serez prêt à affronter
votre futur. Car pensez bien que votre arrivée ici, pour nous, est un grand
espoir.
- Ah bon ? En êtes-vous si sûr ?
- Mais absolument : nous sommes
désormais sûrs que notre séjour ici prendra fin, tôt ou tard. Qui plus est,
pour avoir lu les extraits de cette Caré-Lebel, je sais à peu près comment cela
va se passer.
- Ah oui ?
- Pas tous les détails, naturellement,
ce n'était que des synthèses. Mais ce dont nous sommes sûrs maintenant, c'est
que vous, vous sortez et pour accomplir ce que la vie va nous réserver, à vous
d'abord et à personne d'autre, et au reste de l'humanité ensuite, jusqu'à au
moins y compris le moment où j'entre, malgré mes notes déplorables, à la « Fondation
» avec mission de faire une thèse sur ses origines ! Manifestement pas l'effet
du hasard, à mes yeux et depuis désormais. Quant à moi, je risque d'être le
seul, avec vous, à rentrer d'où je viens, si votre biographe dit juste !
- Vous voulez dire que nous sommes
victimes de quelques divinités qui se jouent de nos destins pour nous réunir
tous ici, enfin vous et moi a minima...
- Et refermer une boucle du temps. Un
paradoxe temporel ! C'est un peu ça !
- C'est absolument ridicule !
- Pas que je sache : il y en a assez
peu semble-t-il. Trois ou quatre pas plus, et les premiers sont justement liés
à vous.
- Je vous assure, je vous aime bien.
Mais franchement, vous vous rendez compte que vous nous faites retomber dans le
Moyen-Âge obscurantiste ou à la plus haute antiquité, quand Socrate n'avait
même pas encore eu son délire de la grotte ?
- Vous vous croyez vraiment au
Moyen-âge, ici ? Environné d'une technologie qui nous dépasse tous les deux ?
- Parfois, je me pose la question. Nous
sommes dans un « ailleurs », mais lequel ? Et à quelles règles obéit-il ? Pour
le moment c'est un grand mystère. Je comptais sur Padalovski pour m'éclairer un
peu, mais s'il est aussi timbré que vous avec vos divinités trans-temporelles,
je redoute le pire.
- Vous avez raison : il est pire que
nous deux réunis !
- Alors allons-y ! Je sens que ça va
décoiffer.
- Non pas tout de suite. Il faut
auparavant honorer quelques donzelles de votre choix. On se retrouve à la porte
de votre appartement à l'aube.
- Vous me faites rigoler ! Et si je
n'ai pas envie d'honorer qui que ce soit ?
- Faites-le, Paladovski vous dira
pourquoi c'est nécessaire.
- Vous avez une sœur ou une cousine à
me présenter ? Une préférence affichée ?
- Pas spécialement, mais ces deux
là-bas pourraient faire l'affaire. Vous prenez la brune ou la blonde ? » fit-il
en désignant deux splendides créatures qui déambulaient plus loin d'un pas
nonchalant.
Ch. Caré-Lebel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire