Neuvième épisode.
Pierre Lierreux continua son récit à
table et encore après, avant d'aller se coucher. Le lendemain, j'avais
naturellement parcouru mes notes, préparé des questions, sauté d'un sujet à
l'autre et pour avoir quelques précisions ici ou là, avant de reprendre la
navette du retour.
J'ai voulu reprendre ses dires de façon
chronologique, les retranscrire à la première personne du singulier, comme
d'une expérience singulière et personnelle, comme je les ai reçus en pleine
tête moi-même pour mieux rendre l'effet incroyable que cela a pu faire naître
dans ma conscience, contre toute logique élémentaire : une boucle temporelle,
un paradoxe temporel, même dans la vie d'une journaliste, ce n'est pas
évidemment pas tous les jours que cela vous arrive !
Ce sont les premiers billets.
Pendant la nuit locale, bien entendu,
je fais fonctionner mes réseaux d'informateurs, à eux de confirmer quelques
points et de me rassasier d'informations sur « International Space Fondation »,
dans tous ses aspects, sur Pierre Lierreux.
J'ai pratiqué l'expérience du blog
anti-daté : désolé pour « mes » lecteurs de 2008, mais il vous faudra attendre
décembre 2112 pour en avoir la certitude visuelle irréfutable.
Vous devrez vous contenter de ma parole
et de ma bonne foi en attendant : ça marche !
Et je suis sûre que vous en ferez
vous-mêmes l'expérience, dès votre époque.
Et puis je décide de raconter la suite
de cette histoire, rentrant alors dans ce jeu stupide d'écrire ce qui est déjà
écrit.
D'abord, cet homme-là croustille de
mille détails et anecdotes. Beaucoup n'ont rien à faire dans cet exposé, pour
avoir un caractère licencieux parfois... des plus crus, mais presque toujours «
poète », presque « fleur bleu » : un grand romantique, ce Monsieur Lierreux !
Non pas qu'il ait un langage grossier,
loin de là, mais ses expériences érotiques n'apportent strictement rien à notre
rencontre et son interview.
J'en ferai peut-être un roman, à
publier beaucoup plus tard : « L'homme aux 1.000 femmes », peut-être ?
Même ce chiffre effarant pour une
puritaine comme moi semble déjà trop petit !
Nous verrons bien.
Nous poursuivons donc son récit à table
:
Sur « Paradise », il fait très vite un
tour des installations nocturnes. Pistes de danse, casinos, boîtes de nuit,
fumeries d'opium, théâtres et cinémas multiplexes à la demande. Le site lui
semble énorme et je vous passe les détails.
Pour finir par rentrer, le premier
soir, dans ses appartements, accroché au bras une dame qu'il décrit comme une
jolie « bimbo » toute émoustillée à l'idée d'être « la première » pour lui, ici
!
Là encore, je vous passe les détails.
Le lendemain, il se réveille en pleine
forme et poursuit sa visite des lieux. Fait quelques brasses dans le bassin
d'une des piscines de l'établissement. Il y fait des rencontres une nouvelle
fois sensuelles et rentre pour le déjeuner sans avoir pu avoir accès aux
parties réservées au personnel, à l'intendance, à la sécurité, à la direction,
ce qui le laisse quel que peu déçu, entêté qu'il est déjà à vouloir « renter ».
C'est impossible, lui fait-on
comprendre.
Au déjeuner, il est attablé avec une
autre troupe de joyeux drilles, toujours avec ce même phénomène de langage
devenant commun comme par magie à la première parole prononcée : cette fois-là,
il s'essaye au français et tous se mettent à parler et comprendre le français.
Ils finissent leur repas par
philosopher et les plus « neufs » dans l'ordre des époques de naissances de
raconter aux plus anciens, l'histoire telle que les uns et les autres la
connaissent.
- « Mais enfin, Messieurs, tout ce que
vous dites est passionnant, mais plus vous en racontez sur notre avenir
collectif, moins nous avons de chance de renter !
- Rentrer ? Mais pourquoi faire! Nous
sommes traités comme des coqs en pâte ici, avec beaucoup d'égards et ces
demoiselles sont particulièrement accueillantes.
- Accueillantes, accueillantes » fit un
autre, « il n'empêche qu'elles ne sont jamais les mêmes. Une fois « consommées
», on ne les revoit plus.
- Oui ! Voilà qui est d'ailleurs bien
étrange. Pas moyen de « vivre une belle histoire ».
- C'est tout à fait vérifiable pour mes
mignons : pas moyen d'avoir une relation suivie » dit un quatrième.
- « Et puis, Messieurs, nous sommes
tous jeunes ici ! Ne vieillit-on donc jamais ici ? Vous êtes là depuis combien
de temps, les uns et les autres ?
- Pour ma part je ne compte plus :
quelques années, me semble-t-il. »
Et chacun d'annoncer des périodes
différentes, parfois longues.
- « Pierre! Vous avez parfaitement
raison. Seulement deux décennies sont ici représentées, même si nous venons
chacun d'une époque différente. Pourtant il me semble avoir déjà vu quelques
personnes paraissant nettement plus âgées. Mais quand était-ce ?
- Ah oui, Eriikj ! » fit un second. « Vous
voulez parler de ce vieux fou ! Comment s'appelait-il déjà ? Roman ? Roman
quelque chose, je ne me souviens plus.
- Roman Padalovski ? Mais il est
toujours parmi nous avec quelques autres. On ne les voit plus parce qu'ils ne
participent plus à nos réunions communes. Ils se sont enfermés dans leurs
propres cabines ! »
Et tout le monde d'en rire aux éclats.
- « On en voit un de temps en temps à
la table à roulette, le soir. Quand il est là, il fait systématiquement sauter
la banque ! Un jeune : quel intérêt ? L'argent n'a aucune valeur ici, puisque
nous disposons de tout ce dont on a envie dès que l'envie nous en prend.
- Oui tout ! Tenez, mon cher Pierre,
vous auriez besoin d'un home cinéma en 3D, plutôt que de partager les émotions
avec autrui, il vous suffit d'en faire la demande au desk du concierge ou de
téléphoner. Ils servent même des alcools rares avec des noms imprononçables que
vous trouverez sur le catalogue, si vous en faites la demande. Du catalogue,
naturellement ! »
Et une nouvelle fois, tous de rire de
ce mot d'esprit : frustrant pense Pierre. Il ne sait pas encore.
- « Pas seulement des alcools. L'autre
jour, j'ai tapoté sur le catalogue quelques noms de substances hallucinogènes :
il y en a des quantités phénoménales. Et aucune addiction, ni aucun effet
néfaste ultérieur ! Un vrai miracle de la science. D'ailleurs, je n'ai pas
terminé l'essai de toutes !
- Comme si vous aviez besoin de ça, mon
ami ! » dit un énième. « Que demander de plus ici ? Tout est conçu pour que
nous n'ayons pas à nous ennuyer, mais à avoir plaisir à rester ! Alors pourquoi
vouloir partir ?
- Pour éviter de se faire jeter un jour
ou l'autre, peut-être ? » répond alors Lierreux.
- Pour quelle raison se « faire jeter »
? Tant que nous donnons à nos hôtes ce qu'ils attendent de nous, ça peut durer
indéfiniment.
- Et qu'attendent-ils ? »
Nouvel éclat de rire général !
- « Notre joie de vivre ! »
Naturellement, ces réponses-là n'ont
pas satisfait Pierre. Sa seule occupation, pendant les jours qui ont suivi
était de se laisser séduire par un maximum de femmes apparaissant esseulées,
toutes plus sensationnelles les unes que les autres à ses dires.
Tout en cherchant à en savoir plus,
plus ou moins discrètement, sur son environnement.
Il occupe ses soirées à la recherche de
ce « sauteur de banque », finit par se faire livrer ses repas dans sa chambre,
accompagnée de quelques personnes de sexe féminin, une par une ou plusieurs le
même soir.
Se laissant griser avec délices dans la
dépravation condamnée par toutes les morales humaines et bien terrestres.
Jusqu'au jour où il arrive à croiser le
« sauteur de banque », après l'avoir loupé à plusieurs reprises.
- « Je m'appelle Pierre Lierreux.
- Enchanté. Mais vous n'êtes pas mon
genre et j'ai tout ce qu'il faut chez moi pour satisfaire à tous mes désirs.
- Ne vous méprenez pas : j'en suis
certain ! Je cherche un dénommé Roman Padalovski. Savez-vous où je peux le
trouver ? »
Un moment de silence.
- « Vous jouez aux échecs ?... Vous le
trouverez peut-être à une table d'échec, quand il aura envie de sortir de chez
lui pour une partie. Je ne peux pas vous en dire plus.
- Merci ! »
Ch. Caré-Lebel
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