Dix-neuvième épisode.
- « Je fais mon travail. Ma raison
d'être. Je veille à l'équilibre de la prairie.
- Et en quoi on perturbe ton équilibre,
le mage ? » fit l'amiral sur le même ton incisif. « Jusque-là on a plutôt fait
le ménage sur ton pré en arrachant les mauvaises herbes.
- Jusque-là, oui. Sache, humain, que tu
es une création de mes maîtres. Quand ils t'ont créé, leur jardin était menacé
par les « non vivants », les « sans âmes ». Comme pour nous, le déroulé de ton
temps, le fil de l'eau de ton ruisseau, n'a pas d'effet, pas de prise sur nous
et les maîtres ont créé des espèces capables de désherber.
Les Krabitz sont de ceux-là.
Vous les Humains, vous ne pouvez rien
contre les « sans âme ». Par contre vous avez été créés pour pouvoir faire tout
sur toutes les autres espèces. Suffisamment belliqueux pour pouvoir tout
balayer sur votre route, justement pour ouvrir la voie aux Krabitz, qui n'ont
pas vos talents et leur assurer l'intendance en quelque sorte.
- Tu comprends quelque chose à son
charabia, à celui-là, Cortinco ?
- J'aimerai bien savoir en quoi nous
sommes capables de « désherber », comme vous dites, puisque nous sommes des
herbes ? » la ramène la touffe de feuille ! »
Surréaliste !
- « Non ! Rien et vous Amiral ? » fait
Patrick.
- Attends, ne compliques pas tout,
Edgor » fit Michel à l'adresse du Krabitz. « Tu sais, nous avons fait les
terriens très intelligents, mais il y a des limites à tout. Trop, et ils nous
auraient bien trouvé le moyen de nous virer de notre pré sans pouvoir pour
autant empêcher les « sans âme » de les faire disparaître à leur tour, et c'est
toute l'œuvre du Créateur qui aurait disparu.
- Mais vous avez bien les moyens de les
suspendre !
- Oui, mais nous les avons fait
belliqueux et agressifs. Ils aiment se battre, s'entretuer, détruire, casser.
C'est dans leur nature. Ils sont dangereux mais nécessaires. Même si on savait
qu'ils arriveraient jusqu'à vous, c'était une nécessité, ils n'ont fait de tout
le reste qu'une bouchée de pain, ou presque, pour asservir bien au-delà de leur
propre galaxie.
Je te le dis, comme d'une nécessité !
C'est d'ailleurs pour ça qu'ils vivent
si peu longtemps... Sans ça, ils seraient même capables d'aller chercher
querelles aux potagers des vallées voisines !
Mais ce n'est pas le propos. Des pans
entiers de la Création disparaissent, menaçant jusqu'à l'existence du Créateur
si on laisse faire les « sans âme ». Il fallait bien qu'ils éclosent quelque
part à l'abri de la menace pour mieux mûrir, à nous de doser leur maturité,
pour qu'ils puissent aller partout pour rencontrer enfin les « sans âme » que
vous allez détruire, vous les Krabitz.
- Mais à quoi donc ça sert, Michel,
puisque tu dis que seuls les Karbitz sont capables de combattre les « sans âme
» ? » demande Patrick.
- « Et c'est quoi les « sans âme » ? »
rajoute Landditsy.
- « Ouais, moi j'aurai fait les Krabitz
au moins autant intelligent et belliqueux que les humains et le tour aurait été
joué ! » conclut Patrick.
- « Vraiment !... » soupira Michel. «
Les Krabitz n'aurait pas pu être assez intelligent et belliqueux pour parvenir
jusqu'aux « sans âme » à temps, et l'œuvre du Tout aurait fini par disparaître.
Ni les uns ni les autres ne peuvent y parvenir sans l'aide de l'autre ou de
l'un.
Vous les humains, on vous a fait assez
doués pour parvenir à maîtriser le voyage sur une vaste étendue des eaux de
votre rivière, alors même que nous avons été obligés de raccourcir votre
existence à peu de chose pour éviter de vous laisser tout détruire.
Nous avons éteints d'autres espèces sur
votre planète d'origine, parfaitement pacifiques et fortes goûteuses pour vous
faire de la place.
Nous avons été obligés d'envoyer
plusieurs émissaires au fil de votre développement pour vous calmer, tellement
vous étiez dangereux pour vous-mêmes, vous menaçant plusieurs fois d'extinction
mutuelle.
Tout ça pour que vous puissiez partager
un peu du reste et rencontriez les Krabitz qui mûrissaient à l'abri de leur
côté, pour que vous puissiez les conduire sur les territoires des « sans vie »,
des « sans âme », pour mieux contenir ces derniers aux confins de nos vallées.
Vous n'allez pas vous détruire dès
votre première rencontre ?
Et je suis contraint de suspendre le
déroulé de votre espace-temps tant que vous n'aurez pas compris ça !
- Allez savoir !
- Je le sais ! Puisque moi je peux
aller partout, voir et observer tout ce que je veux, y compris ce que vous
appelez l'avenir. Et puis ma tâche est claire : je préserve le jardin et le
fais fructifier. Un point c'est tout !
- Bon et les « sans âme » ou « sans vie
», c'est quoi cette invention ? » reprit l'Amiral.
- « C'est une gangrène. Un jour, il y a
très longtemps, la matière inerte, dans un coin de l'univers du Créateur, s'est
refroidie tellement qu'elle s'effrita. Manque d'énergie. C'était un autre univers,
qui a disparu depuis. C'est d'ailleurs pour cela que le Créateur ne fait plus
que des univers fermés, mais ça le lasse, ou des Univers plats.
Le problème des Univers plats, qui est
celui dans lequel vous évoluez, est qu'effectivement, il est des zones très
circonscrites, dans laquelle la matière inerte s'effrite quand même.
Et là, dans mon jardin, nous n'avons
pas pris la précaution de nettoyer cette portion là dès l'origine pour pouvoir
expérimenter la solution harmonieuse du Créateur, les Krabitz.
Nous avons voulu tester cette autre
méthode, voir si elle marche ici même pour l'implanter dans des univers
ouverts, à la plus grande joie du Créateur.
Seuls les Krabitz sont capables, sur
cet univers, d'étouffer, de fixer, de figer les « sans âme ».
Vous avez été créés pour ça » fit-il à
l'adresse Edgorkloonyx.
- Comment ? » demande le concerné.
- Parce que votre métabolisme se
nourrit de la matière inerte. Tout simplement. La rendant alors différente,
vivante par métabolisation. Ne vous en faites pas, c'est prévu et vous avez été
pouponnés jusque-là uniquement dans cette perspective.
- Bon, très bien, mais qu'est-ce qu'on
fout là, nous ? » invectiva Landditsy.
- « Vous n'allez pas détruire les
Karbitz, mais vous en servir pour arrêter la gangrène qui menace et que vous ne
pouvez pas affronter, de toute façon.
- Moi, je ne comprends pas pourquoi les
« sans âme » sont une menace. » interrogea Patrick.
- « Parce qu'ils recouvrent tout et
tuent la vie photovoltaïque et biologique. Si nous laissons envahir notre
univers par ça, il n'y aura plus que des micro-organismes se nourrissant de
nitrates, de souffre chaud ou de méthane gelé pour nous nourrir à notre tour et
nos maîtres eux-mêmes ! On ne peut pas laisser faire.
- Y'a qu'à demander au Créateur de revoir
sa formule !
- Parce que tu crois qu'en t'adressant
à ton saint patron, il va te donner les chiffres du loto, toi ?
- Je ne sais pas, je ne l'ai jamais
fait.
- Bref, t'es dans la merde comme nous,
alors ! » renchérit l'amiral Landditsy.
- « Écoutez, je ne suis pas dans la
merde, comme tu dis. Je suis dans la position de vous dire que vous ne touchez
pas aux Krabitz. Point ! C'est quand même pas si compliqué !
- Euh... mais ils sont faits de quoi,
les « sans âme » ? » réclame le Krabtiz.
- « Et pourquoi vous les laissez faire,
si ça bouffe tout ? Si ce n'est pas bon pour vous ? » demande Landditsy.
- « Comment ça se reproduit, ces trucs-là
? » interroge Patrick.
- « Non, ce n'est pas bon : il n'y a
pas d'âme et nous ne nous nourrissons que d'âmes. Ça ne se reproduit pas. Ça
s'effrite, ça s'agglomère et ça échange des électrons à l'approche d'une source
d'énergie. À partir de là, ça mange les étoiles et les planètes en en puisant
l'énergie et ça se disperse pour aller recommencer ailleurs.
- Bordel ! La matière noire ! » fis-je.
« Et ça a l'aspect d'une poussière noire ?
- Exactement ! » répondit Michel.
- « Je connais en effet. Et si nous
nous sommes rencontrés quelque part, Edgor machin et moi, maintenant il doit
pouvoir se rappeler dans quelles conditions !
- Oui ! Absolument ! Dans un nuage de
poussière noire ! Mais jamais je n'ai pensé que ça pouvait se manger.
- Mais vous racontez quoi, tous les
deux ? » questionna Landditsy.
- Que le monde dans lequel nous nous
sommes déjà croisés, Edgor et moi, il finissait, envahi de poussière noire.
J'étais aussi avec une sorte de savant, issu vraisemblablement d'un autre
avenir de l'humanité, qui regardait les étoiles autour de nous dans l'espoir
d'apercevoir un vaisseau de la flotte des terriens, de la légion et voyait
s'éteindre les étoiles tous les soirs, pour un bon quart du ciel, sans
comprendre comment. »
L'amiral s'esclaffe alors à gorge
déployée.
- « Je sais ! Cette histoire est dans
tous les manuels top secret des chefs de bords. On a même des ordres !
- Bé applique-les amiral !
- Des bobards, t'ai-je déjà dit, comme
les histoires d'antan sur la traversée de la mer rouge par les hébreux, ou les
douze travaux d'hercule ! Tu me fais rire !
- Applique tes ordres. Ils ont des
raisons d'être : la preuve, puisqu'on est en plein de dedans !
- Arrête Cortinco ! D'abord, je ne les
ai jamais lus dans le détail, ensuite rien ne me dit que tu n'es pas tout
simplement un sortilège de cet empaffé qui nous gêne sur le moment. Mais je
vais trouver la solution : quitte à nous saborder, je ne vais pas rester
indéfiniment immobile et coincé à me creuser la cervelle pour rien... »
Deuxième opportunité gâchée !
Ch. Caré-Lebel
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