Dix-huitième épisode.
- « Tu m'as demandé de t'expliquer
pourquoi. Je t'ai répondu parce que les Krabitz sont tes alliés.
Tu m'as demandé de faire venir un
Krabitz ici pour définir un accord de paix, un pacte durable de non-agression.
Tu ne l'as pas entendu.
Tu m'as demandé de te faire venir un
responsable de la légion. Il est là et tu ne l'écoutes même pas !
Il se trouve que c'est aussi le seul
humain qui connaît un peu les Karbitz, mais pas dans le contexte de guerre et
d'affrontement que tu entretiens.
Que veux-tu faire ? M'écouter ou
remplir ta mission ? »
L'heure semblait grave. C'était
palpable. D'autant plus qu'en parlant d'un émissaire de la légion, qui plus est
un responsable, et en me désignant à cet effet avec ce qui ressemblait à une
main, j'ai quand même eu du mal à le croire, sur le moment.
- « Euh... Je peux en placer une ?
- Qu'as-tu à dire ?
- J'avoue qu'il y a peut-être une
erreur : je ne suis pas le responsable d'un militaire quelconque. Moi, je suis
juste un terrien qui dormait. Qui a peur de vivre un cauchemar, voudrait bien
se réveiller et qui a une forte envie de faire pipi !
- Excuses-nous Patrick » fit Michel...
et l'envie d'uriner disparu sur le champ. « Nous avons besoin de toi. Les
supérieurs et responsables « politiques » de l'Amiral ne sont pas disponibles
et ne savent pas ce que toi tu sais !
- Et... sans vouloir vous contrarier...
je sais quoi au juste, Michel ?
- « Pas les Krabitz ». Tu as été sauvé
des « non vivants » par l'un d'entre eux. Il est d'ailleurs ici pour en témoigner.
- Ah bon ? Mais je ne connais pas
vraiment les Krabitz ! Même si Edgorkloonyx machin chose dit me connaître.
- Tu ne me reconnais pas ? » fait alors
la plante verte dans le clair-obscur.
- Bin... pour tout te dire, c'est un
peu comme pour les chinois, pour moi, ils se ressemblent tous !
- Les chinois ?... Et l'épisode de
l'ascenseur ?
- Ah oui ! Ça je me souviens bien
maintenant, et je confirme. Mais si c'est toi, comment t'en es-tu d'ailleurs
sorti ?
- Le même ascenseur m'a ramené à mon
époque à moi, dans mon vaisseau à moi. C'est encore presque tout neuf, pour moi
!
- Euh... C'est quoi cette affaire
d'ascenseur ? » intervint alors l'Amiral.
- Un vieux souvenir commun qui refait
surface, semble-t-il ».
Et je lui raconte mon histoire,
celle-là même que je vous ai relatée tout au long de nos entretiens, celle
d'une époque où je m'appelai Pierre Lierreux.
- « Pierre Lierreux ? Le Fondateur ?
- Si vous parlez de la « Space
Fondation », sur ma terre d'origine, oui Amiral !
- Ce n'est pas possible ! Je suis réputé
être un de tes descendants et ta légende est si vieille ! Ce n'est pas possible
! Pas à moi !
- Pas à toi quoi, « fillot » ? »
L'amiral semblait sonné. Médusé.
Tétanisé. Le cerveau figé.
Puis il reprit ses esprits de
commandant de flotte et brisa notre silence.
« Il circule cette légende du «
fondateur », dans le milieu très fermé des officiers supérieurs de la Légion,
et cela depuis des siècles et des siècles. On dit qu'il refera une apparition
bien après sa mort à l'un d'entre eux. Qui le rencontrera.
Avec ordre de désobéir aux ordres
officiels et de se laisser guider par son avis.
Je n'ai jamais cru à cette légende,
même si elle est indispensable à connaître depuis des lustres pour devenir
officier dans notre corps.
Et c'est sur moi que ça tombe !
C'est à peine croyable ! »
Il s'est tu. Puis le naturel reprit le
dessus.
- « Michel de misère, n'est-ce pas
encore un de tes tours ? Tu racontes n'importe quoi depuis le début » s'emporte
l'Amiral ! « Il y a bien un moment où ton sortilège de suspension du temps et
d'apparitions miraculeuses vont s'épuiser, à moins que je ne décide d'abréger
la séance en nous faisant péter ma micro-charge ! Je n'ai qu'un geste à faire !
- N'en fais rien ! De toute façon je
t‘en empêcherai. Et ça ne réglera rien. Je serai aussi obligé d'effacer la
flotte de la légion !
- Effacer ? » demanda Patrick.
- « Patrick, c'est très simple pour moi
» répondit Michel. « Mais je ne dois pas le faire. Nous ne sommes pas là pour
détruire la vie, mais au contraire la préserver. Faudrait arriver à le faire
comprendre à ton amiral Landditsy », dit-il en s'adressant à moi ! »
Là, ça devenait impossible à gérer.
Personne n'osa plus la ramener durant un court moment.
- « Amiral, il me semble que nous
soyons les deux seuls humains de ce cercle. Michel dit disposer de pouvoirs
surnaturels que je ne comprends pas très bien, ce qui l'exclut du cercle des
homos sapiens même s'il en a vaguement l'apparence.
Vous êtes, me semble-t-il, armé
jusqu'aux dents d'une technologie dont je ne saisis pas tous les ressorts et le
bout de feuillage là-bas dit me connaître et sait faire appel à mon vécu,
devenu, là encore semble-t-il, une sorte de légende dans vos cultures. Peut-on
faire un break et discuter tous les deux en aparté, que j'essaye de comprendre
ce qui se passe ici !
- Non ! » fit la boule d'herbe. « Je
veux en faire partie aussi ! Après tout, c'est moi qui ai suggérer à Michel de
te faire venir !
- Euh... T'es humain, toi là-bas ?
- Non ! Je suis Krabitz...
- Et tu dis me connaître, oui je sais !
Nous nous sommes rencontrés à quelle université au juste ? Et les portes des
chiottes étaient rouges ou bleues ? »
Là, l'amiral éclate de rire ! Vite
réprimé. Il s'est détendu. Et il s'est très vite re-cantonné dans son rôle
d'Amiral.
J'avais loupé la première phase de ce
cauchemar, pensai-je immédiatement.
- « Que veux-tu me raconter, le civil ?
Qui es-tu en définitive ?
- Bin Patrick Cortinco.
- Dit aussi Pierre Lierreux... » affirma
Michel.
- « La ferme, toi ! Lierreux ou
Cortinco ?
- Les deux, Amiral.
- Si c'est vrai, tu es mort depuis
belle lurette ! Tu ne peux être qu'un ectoplasme, tout au plus !
- Euh non, pas encore. Je pionçai dans
mon paddock quand je me suis retrouvé ici, l'esprit pas très clair. Peut-être
l'abus de Cognac ! Mais d'habitude ça ne me fait pas cet effet-là.
- Un terrien alors ! Venu de quelle
planète ?
- Bé... euh... de la Terre, voyons.
- Et tu fais quoi sur Terre ? Tu es
venu comment ?
- Comment, ça je ne sais pas puisque je
dormais. Je suis à la retraite, mais encore active. Jusque-là je gérais la «
International Space Compagny » que j'ai transformée en « International Space
Fondation » avant de refiler le flambeau !
- La « Space Fondation » ! Rien que ça
! C'est quoi ce sortilège ! C'était il y a des centaines d'années. Tu ne peux
donc pas être vivant ou celui que tu dis être !
- Ah bé, désolé, mais c'est comme ça !
Faut peut-être demander une explication à Michel. Il a l'air d'en savoir plus
que moi sur le sujet.
- Oui, Patrick. J'en sais plus que toi
sur le sujet. Vois-tu, je suis un peu le gardien de la Vie dans mon monde. Mon
monde, c'est quelque chose que tu ne peux pas connaître. Pour prendre une
image, imagine que tu es un poisson dans une rivière. Tu vas, tu viens, te
laisse porter par le courant : c'est ton univers à toi. Moi, je suis le berger
qui peut faire la même chose, mais pas seulement dans la rivière. Je gère aussi
la prairie autour de ton ruisseau. J'ai des pâturages, des animaux à garder, à
soigner.
Tout un univers complètement différent
du tien auquel tu n'as pas accès, par la force des choses, puisque tu ne peux
pas sortir de ta rivière. Je suis un berger et je cultive mes terres pour faire
pousser la vie dont mes maîtres se nourrissent.
- Qui sont tes maîtres ?
- Des oiseaux peut-être ? Pour pouvoir
aller en des endroits auxquels je n'ai moi-même pas accès... Ce que tu appelles
des divinités. Qui elles-mêmes nourrissent de vie d'autres divinités et ainsi
de suite jusqu'au créateur de Tout !
- Des morfales qui se gavent de leur
élevage que nous serions ?
- C'est un peu ça ! De leur âme. Les
plus pures étant les meilleures.
- Toutes les âmes ?
- Toutes.
- Mais alors, qu'est-ce que tu viens
faire dans notre marécage, la divinité bergère ? » fis-je sur le ton de
l'effronterie.
Ch. Caré-Lebel
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