Cinquième épisode.
Pendant son absence, je parcoure avec
assiduité, avidité et vélocité « mes » pages publiées au début du siècle
précédent !
J'y reconnais un peu mon style, mais
vaguement seulement. Pendant que ma machine télécharge ces textes, je reste
quand même scotchée sur le premier article. C'était à peu de chose près ce que
j'avais noté sur ma machine la veille et ce matin dans la navette : une
relation directe, comme d'un témoignage in vivo, écrit à la première personne,
alors que par métier, j'écris toujours à la troisième personne.
Mais en français, et pas en anglais !
Étonnant ! Faramineux !
Comment avais-je pu écrire ces lignes
qui existent déjà depuis des décennies ?
Vérifier les faits, c'est une seconde
nature dans mon métier de journaliste !
N'étais-je pas en train de me faire
bluffer par un quelconque manipulateur ?
Le deuxième post (2/21) était conforme
avec ce que j'avais ressenti et vécu. Presque mot pour mot, sans les petits
détails saugrenus qui vous reviennent à l'esprit : tout est juste, mais
manifestement édulcoré.
Par exemple la statue en bronze : Je ne
disais pas ce qui m'avait surprise et attiré mon regard au premier coup d'œil,
à savoir la nudité du sujet et son sexe tendu sur l'aine tel un grand serpent
qui cherche à s'enfuir vers le soleil !
Puis le troisième texte (3/21) : Non
seulement l'expression de mon doute, là sur le champ, c'était tout à fait ça,
mais tout autant, l'exemple du bronze et le retour de mon hôte.
Pour arriver aux lignes du « 5/21 »
(ces lignes ci) !
Pour la première fois de ma vie, je
savais ce qui allait se passer dans les minutes qui allaient suivre, ce qui
allait être dit, les informations qui allaient être échangées.
J'allai pouvoir me faire une idée bien
plus réaliste !
En lisant ces lignes, je sens vraiment
l'effervescence monter en moi : c'est exactement tout ce à quoi je pense, à peu
près dans les meilleurs termes choisis et vécus !
Et puis je continue : l'Avenir
allait-il se formaliser, prendre corps, rejoindre le passé ? En passant par la
case « présent » !
Ou bien allait-il déraper, là
immédiatement, dès le retour de Cortinco, pour prendre une tournure
radicalement différente ?
Et si je décidais de prendre mes jambes
à mon cou ou de sauter dans le vide, par derrière la piscine, qu'allait-il
devenir ?
Et si je filais une gifle retentissante
à mon interlocuteur, que se passerait-il qui n'est pourtant pas écrit et ne le
saura peut-être jamais ?
C'était dément : en même temps que je
lisais ces lignes, je pensais les idées exprimées.
Et puis les choses étaient décrites
différemment : je ne sauterai pas par-dessus la balustrade et mon hôte
reviendrait et continuerait son exposé, sa prostate soulagée.
En rigolant très fort.
Il va me révéler son nom, sa vie et son
roman à lui : j'en suis déjà toute excitée !
Quand il s'assit un air moqueur sur le
canapé qui me faisait de nouveau face, je savais qu'il allait dire : « Ma
prostate a beaucoup souffert de voir passer tant et tant de liquides divers !
Convaincue ? »
Soufflée ! C'était même déjà marqué...
« À quoi sert-il de vivre le présent
comme des marionnettes d'une histoire dont on connaît le déroulé, les tenants
et les aboutissants ? » me demande-t-il le moment suivant, exactement comme je
l'avais lu quelques instants plus tôt.
« Et si je changeais l'histoire, en ne
faisant pas ou ne disant pas ce qui est déjà marqué, que se passerait-il ? »
...
« Eh bien jeune fille, nous n'en
saurons jamais rien, car nous n'allons pas le faire, malgré la tentation forte
qui vous a traversé l'esprit : j'ai l'avantage sur vous d'avoir tout lu de ce
que vous écrierez sur moi, ce jour et tous les autres jours, en utilisant le
blog d'infreequentable ! Et il y en a beaucoup. Vous n'avez pas eu le temps
d'en faire la lecture complète : Moi si ! »
« Une autre tasse de café ? »
Stupéfiant !
Sidérant !
« Bien ! » reprit-il. « En définitive
vous n'écrierez pas tout ce que vous allez apprendre ni aujourd'hui ni plus
tard, en revenant à plusieurs reprises, en fouillant dans le disque dur de mes
archives ou en enquêtant ici et ailleurs.
Vous en ferez des romans, des pièces de
théâtre, sans rapports les uns avec les autres, mais en vous inspirant
largement des faits que j'ai vécus.
Pour tout vous dire, vous ferez ces
recherches mais ne mettrez en ligne absolument rien avant que je ne meure.
Pourquoi et comment je sais cela ? »
Décidemment, cette manie de répondre à
mes questions avant que je ne les formule, au moment où elles me viennent en
tête, pour être agaçante, donne toutefois corps à son récit (qui sera le mien
plus tard, semble-t-il : je n'ai pas encore décidé d'entrer dans le « jeu »,
trop cartésienne ou trop « journaliste » que je suis).
« Pourquoi ? Parce qu'en découvrant ces
archives, naturellement j'ai pris l'immédiate décision de bloquer le bug
informatique qui a permis leur diffusion dès 2008. Les archives de plus d'un an
sont systématiquement bloquées depuis lors. On peut toujours corriger telle ou
telle page, tant que la prescription n'est pas tombée. Après les internautes ne
peuvent plus les corriger.
C'est qu'il se trouve que j'ai moi-même
fait l'expérience, avant, de modifier des « signatures » sur le blog d'infreequentable
sur ses propres posts de décembre 2006 à fin 2007 : il ne s'est aperçu de rien
!
Enfin si, mais en janvier 2008, au
moment de répondre à un îlien qui lui en voulait de rapporter un incident dont
il avait été témoin à l'été 2007. Un autre siècle !...
Vous vérifierez : C. P-E, c'est pour
Cortinco Piétra, le nom de ma mère, Eleratta le nom sous lequel je suis connu
ici.
Eleratta, ça veut dire « lierre » en
langue Corse et le créateur de ce que tout le monde nomme « fondation » ou «
Space fondation », n'est autre qu'un néologisme franco-anglais, pour être
Pierre Lierreux. »
Voilà un nom dont j'avais entendu
parler ici ou là. Pierre Lierreux ! Bien entendu, le fameux avocat, l'homme
d'affaires aux mille vies, l'ex gouverneur de cette province, celui qui avait
fait scandale il y a encore quelques décennies pour avoir écumé la vie nocturne
sur toute la planète !
Certains l'avaient surnommé le «
pornocrate milliardaire » pour ses nombreuses frasques, d'autres l'avait voué
aux gémonies divines pour sa vie de libertin assidu et scandaleux !
LE Pierre Lierreux de légende, qui
avait bâti une empire financier parmi les plus puissants était assis en face de
moi et me racontait un roman, celui de sa vie, celui de son premier paradoxe
temporel !
« Naturellement, nous avons fait
cogiter nos meilleurs informaticiens sur la question avant de régler le
problème. Il s'agit ni plus ni moins d'un bug, d'une absence de routine
informatique qui vérifie la cohérence temporelle. Elle manquait sur la
plateforme originelle d'Over-blog. Elle a été rajoutée depuis sur les versions
suivantes.
Vous ne pouvez plus interférer avec le
passé : si on s'apercevait que c'était encore possible, je ne vous laisse pas
imaginer la bombe atomique que cela représente !
N'importe qui pourrait raconter une
histoire arrivée à son époque postérieure en en avertissant ses ancêtres
antérieurs, bien à l'avance, modifiant ainsi le cours de l'Histoire à tout bout
de champ !
Depuis « le voyageur imprudent », « la
machine à remonter dans le temps », on sait quelles monstruosités cela peut
faire apparaître ! Pas question que nous nous permettions ce genre de choses.
Par contre, dans notre monde à nous,
celui que nous vivons à l'instant présent, disons T zéro, ces pages existent
pourtant bel et bien.
Nous avons donc pris la décision de
permettre, dès mon décès annoncé et à chaque fois que vous le désirerez, de
mettre entre parenthèse la routine de blocage, pour que vous puissiez mettre en
ligne vos articles ».
Comique, va !
Ch. Caré-Lebel
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