Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une fiction,
une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de l’imaginaire de
son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Jusqu’à ce qu’elle participe à un salon de l’art photographique dans la
capitale, envoyée presque de force par son agence qui lui a dégoté deux
rendez-vous « d’artiste » de renom sur place avec mission de les
interviewer et d’en faire un « 600 mots ». L’art moderne réuni sous
les hospices d’un « événement » quelconque, sans grand intérêt, ce
n’est pas vraiment sa tasse de thé.
Alexis reste insensible.
D’autant qu’on y croise une faune plus habituée aux soleils nocturnes de
la ville qu’aux merveilles des lumières de l’aube naissante.
Sont présents en cette fin d’après-midi quelques « artistes » mis
à l’honneur qui vous parleraient durant des heures et des heures de leurs
« créations » argentiques (ou retouchées avec Photoshop), de leurs heures
de labeur, de leurs « traits de génie » forcément indiscutables, donnant
là des interprétations sur leur « moi-existentiel-profond » qu’ils
s’imaginent probablement après-coup et qui sont également probablement sans
intérêt véritable autre que d’être le centre de leur monde à eux…
Le « nombril des autres », même ceux des génies, ça lui passe
largement au-dessus de la tête : elle a déjà assez à faire avec le sien et
sa solitude affective.
Mais elle fait le boulot, couvrant son carnet de notes griffonnées qu’elle
est la seule à pouvoir déchiffrer après-coup.
Est-ce aussi une occasion de trouver « un bon parti » assez
friqué pour lui adoucir son train de vie ?
Son horoscope matinal l’avait annoncé…
Sauf que ça doit être un trait commun des « génies » et des
« friqués » : il y a là une forte densité d’homos rassemblés qui
se jouent la comédie de la séduction sans talent, en pense-t-elle après un rapide
tour d’horizon.
Il faut dire qu’il y en a qui font ça très bien, sachant focaliser sur eux
tous les regards rien qu’en « apparaissant » : il y aurait
plusieurs livres à écrire sur le sujet !
Et dans le lot, par hasard, elle croise « Charlotte » de la
« CIA » (Charlotte Investigations Agency, pas la centrale d’espions étatsunienne,
mais ça doit être fait exprès comme pour faire préciser le nom…) qui, un peu
pompette et accompagnée d’une sorte de grande jument dénuée de charisme et qui expose
deux clichés. Là « rondelette » en profite pour préciser qu’elle se
fait fort de retrouver n’importe qui, n’importe où, même le masque de fer…
Hors sujet, la prétentieuse !
« Moi, je cherche ma mère. »
Qui ça ? L’élu écologiste ?
Facile et pas drôle…
« Elle est morte et je n’ai
aucune photo d’elle. »
Son père doit en avoir…
« Je ne connais pas mon père… »
Pas de trace.
« Ah, voilà qui est
intéressant… Donnez-moi votre numéro de portable. Et si je vous retrouve l’un
ou l’autre, feriez-vous un « papier » sur nous, par hasard, dans
votre canard ? »
Camille ne sait pas bien si c’est possible, mais comme il lui semble
improbable que cette dinde soit capable de quoi que ce soit, d’autant qu’elle
ne lui demande aucun nom, même pas le sien, elle accepte.
Et elle repart dans sa forêt, ne sachant pas comment écrire un papier « intelligible »
de six cents mots sur ce salon-là…
Tout juste peut-elle s’inspirer des nombreux flyers et « communiqués
de presse » des agences de communications qui entourent l’éphémère
événement-exposition, plus ses quelques notes.
Mais pour être originale, ça ne va pas être facile.
Ce n’est que la semaine suivante, alors qu’elle ne pensait plus à ce bref
épisode, accaparée par d’autres sujets, que son passé lui saute à la figure.
« Mademoiselle Alexis
Dubois ? Charlotte Maltorne de la CIA. Vous vous souvenez, nous nous
sommes rencontrées il y a cinq jours de ça à l’occasion d’un vernissage où mon
associée exposait deux clichés… »
Oui elle se souvient… La petite-boulotte dont le nez bouge de haut en pas
quand elle parle et la grande efflanquée, décharnée à faire peur…
« Je me permets de vous appeler
car nous avons retrouvé quelques traces de votre mère et même peut-être celle
de votre père biologique, même s’il reste un doute. »
Pardon ?
En si peu de temps ?
Et une photo ?
« Et des photos d’identité, permis
de conduire, passeport et copie de carte de presse. »
Pas croyable !…
Comment a-t-elle fait ?
« Venez dans nos locaux
d’Issy-les-Moulineaux, disons dans… la semaine prochaine, vers 10 heures, je
vous expliquerai. Vous vous souvenez de votre promesse ? »
Laquelle déjà…
« Un petit papier sur nous et
nos activités à proposer à votre rédaction. Pour cela, il faut que je vous
explique comment on travaille pour la sécurité de nos clients. Un peu de
publicité, ça ne fait de mal à personne, n’est-ce pas ! »
finit-elle en riant.
Et elle lui donne une adresse rue Guynemer, sur les terrains des anciennes
usines Latécoère et autres diverses compagnies, désormais recouverts de bureaux
de standing.
Un rendez-vous qui n’aura pas lieu.
La semaine suivante, Alexis est accueillie dans un bureau clair et en
étage, au mobilier des plus succincts par « DD » (pour « Disque-Dur »),
une sorte de boule de suif mal attifée, des rondeurs exagérément proéminentes
un peu partout, affublée, derrière de deux montgolfières, devant de deux
ballons de basket surmontant un énorme ballon de rugby qui se développe en bibendum
Michelin autour de la taille.
Un phénomène visuel.
D’autant que pour rendre plus comique l’ensemble, comme d’une caricature
de la « Vénus hottentote » – plus connue sous le nom de Saartjie Baartman,
de son vrai nom Sawtche – le crâne est en forme de poire, de la taille d’un
ballon de handball que mange une paire de narines volumineuses, surmontées de
globes oculaires de la même taille approximative et s’ouvrant sur une bouche
démesurée ornée de larges et pulpeuses lèvres rouge-sang, habitée de dents
d’une blancheur éclatante : plus blanc que blanc, tu ne fais pas !
Et, comme d’un couronnement perpétuel, elle est coiffée d’un gros chignon
de cheveux crépus noir-anthracite en forme d’ananas retenu par un foulard
rose du meilleur effet : c’en est presque comique !
« Asseyez-vous. La patronne est
manifestement en retard. Et je n’arrive pas à la joindre sur son portable. Je
lui laisse un message. »
L’accent est typique « titi-parisien »…
Bien-bien.
Elle a peut-être laissé un dossier pour Camille.
« Naturellement. Je peux vous
le montrer en attendant. »
En attendant quoi ?
Manifestement Charlotte lui aura posé un lapin.
Elle accepte le café type « jus de chaussette » proposé par la
boule de suif et s’installe dans le fauteuil du bureau lui faisant face.
Pour parcourir le « fameux dossier ».
Copie de carte de presse, de passeport, de permis de conduire : et c’est
la grosse surprise de sa vie !
Telle qu’Alexis pense d’abord qu’on se moque d’elle.
La dame représentée comme Camille Dubois, sa mère, est défigurée par un
bec de lièvre mal reformé… Une horreur !
Le nez est exagérément épaté, la lèvre supérieure exagérément étirée !
Ce n’est pas possible d’être ainsi autant défigurée…
Ça ne peut pas être sa mère, sa grand-mère lui aurait expliqué d’abord,
parlé de ça pour expliquer cette absence de portrait de sa fille…
Or, elle ne l’avait jamais fait.
C’est pourtant bien là sa mère : les papiers d’identité en attestent,
alors on comprend mieux pourquoi il n’y avait dans ses affaires aucun portrait
de face de Camille, hors ceux pris de loin.
En revanche, les traits correspondent.
Voilà un « secret de famille », bien bénin, qui est enfin
dévoilé !
Mais qui n’explique pas tout.
Elle parcourt la biographie succincte, des dix dernières années de
Camille, réunie par « Charlotte » : ça correspond à ce qu’Alexis
savait de ses trente années de sa vie sur ce globe.
Un destin gâché par une nuit de pluie abondante et un poteau électrique
planté au bord d’une route.
En atteste le rapport de gendarmerie et celui des pompiers locaux
intervenus en « premier secours » dont Alexis peut lire les
copies : morte sur le coup, ceinture de sécurité probablement mal bouclée…
Ou pas du tout.
Elle aura fini par se défigurer totalement contre le volant de sa voiture !
Comment la « CIA » – pas l’homonyme états-unien, mais la petite
agence d’investigation de « Charlotte » – avait-elle pu réunir si
facilement et si rapidement tous ces documents ?
Quelle était leur authenticité ?
Un journaliste, ça vérifie ses sources : une habitude, une seconde
nature, même.
« Vous êtes sûre qu’elle va
venir à notre rendez-vous, votre patronne ? »
La boule de suif lève le regard de son écran et clavier. Elle regarde
l’horloge murale.
« Vous avez raison de
m’inquiéter… Il y a quelque chose de pas normal. J’appelle. »
Le premier numéro aboutit avec obstination sur la boîte vocale de
l’appareil récepteur.
« Je vais essayer celui de son
associée… Elles sont rentrées hier soir de Moscou… Et le décalage horaire n’est
pas si impressionnant que ça pour une telle « panne d’oreiller ». Il
doit y avoir un contretemps. »
L’associée, Alexis l’avait déjà croisée : c’est probablement la grande
efflanquée …
Même punition après plusieurs essais.
« Je ne comprends pas… À cette
heure-ci, l’une ou l’autre aurait déjà dû m’appeler depuis longtemps pour
m’engueuler ou me coller une corvée à faire en urgence… »
Un ange passe…
« Je vais essayer autre chose… »
et elle se ressaisit du combiné téléphonique.
Là, manifestement on décroche : « Bonjour Nathalie. Votre père est là … ? »
Probablement que non.
« Bien. Charlotte n’y est pas
non plus, j’imagine… »
De toute façon, il n’était pas prévu qu’ils se rencontrent.
« Ah… Oui, je comprends. Et
est-ce que par hasard vous pourriez la géolocaliser, elle ou Aurélie… J’ai son
rendez-vous qui poireaute ici depuis un moment, et je n’arrive à joindre ni
l’une ni l’autre. Je voudrais savoir si elles sont en route ou non ? »
Géolocaliser s’interroge Alexis ?
Elles sont équipées de puces émettrices sous la peau, ou quoi ?
L’appel ne dure pas : « Merci
pour le dérangement. »
« Désolée Madame »
fait-elle à Alexis une fois le téléphone raccroché. « Il semble qu’elles se soient volatilisées ».
Comment sait-elle ça ?
« Oh, moi je ne sais pas. Mais
notre entreprise a un accord avec une autre que je viens d’appeler, qui est
capable, avec ses capteurs, de positionner en temps réel tous les téléphones
portables qui circulent en ville… »
Réflexe de journaliste : quelle entreprise ? Privée ou
publique ?
« Privée, strictement privée.
Il s’agit de la CISA située à Kremlin-Bicêtre. »
Et… elle peut prendre contact avec des responsables sur place ?
« Ça, je ne sais pas… Dans quel
but ? »
Mais elle aussi cherche Madame Maltorne…
Et pour quelle raison ?
« Nous avions rendez-vous, Je
devais faire un « papier » sur votre entreprise, et j’aimerai bien
comprendre comment à partir de rien, elle a pu réunir autant d’informations sur
ma mère… »
Oh ça, c’est simple ! La secrétaire peut lui donner un « dossier
de presse ».
Un « dossier de presse » bien mal fagoté, qui tient en quelques
feuillets, mais c’est un début.
« Vous avez dû lui donner votre
numéro de portable ou « borner » en même temps qu’elle sur un même
relai de smartphone, ce qui a permis de vous identifier… »
Et puis ?
« Bé… je ne sais pas tout naturellement,
mais avec les logiciels de la CISA, il est tout-à-fait possible de relier
entre-elles des personnes qui pourraient « faire menace » en un lieu
déterminé. C’est notre savoir-faire à nous : on participe ainsi à
identifier les menaces qui pèsent sur nos clients quand ils se déplacent en
France. Elles appellent ça la sphère de sécurité. »
Intéressant. Et ?
« Bé, je ne sais pas, mais avec
des logiciels de reconnaissance faciale, il est assez facile de relier un
numéro fiché avec un portrait, donc une identité. Et à partir de là, elle a dû
lancer les robots butineurs sur vous puis étendre la recherche sur vos ascendants.
Très facile avec les logiciels d’intelligence artificielle de la CISA… »
Il faut qu’elle les rencontre, ceux-là : ça fera un papier formidable !
S’il est accepté par son agence…
« Essayez ce numéro et demandez
Nathalie. C’est la responsable sur le site, ma correspondante. Ou son père,
l’amiral Morte de l’argenterie, je crois… »
Un amiral ?
Une entreprise publique ou privée dans laquelle il « pantoufle » ?
Le numéro de téléphone ne sert à rien avec les bottins inversés. Même
l’adresse de la boîte n’est pas connue dans les fichiers du journal. En
revanche, il y a « une brève » concernant la CISA : Charlotte
Investigation Security Agency.
Que des Charlottes dans ce milieu-là !
Qui retrace la création d’un logiciel expert nommé « BBR », il y
a quelques années de ça.
Il paraît même qu’il serait capable de prévoir des attentats terroristes,
puisqu’il a été conçu pour ça[1].
Étonnant, si c’était vrai !
Mais ça pourrait expliquer le nombre impressionnant d’attentats déjoués annoncé
par les autorités du pays, depuis quelques mois…
Et au registre K-bis, on retrouve assez aisément l’adresse de son siège
social, justement au Kremlin-Bicêtre, déjà cité dans la conversation avec
« DD » !
Ce sont eux qu’il faut qu’elle rencontre…
Il n’y a plus qu’à se rendre sur place et demander à voir la fameuse
Nathalie. Là, sans prévenir pour éviter d’avoir à essuyer un refus, même poli.
Ce sera pour le surlendemain.
Alex s’enfonce dans une affaire qui la dépasse et ne le sait pas encore, ce
jour-là, mais c’est pour elle le commencement d’une nouvelle vie…
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