Il y a un an de ça,
La Cour d’Appel Administrative rendait un arrêt
démêlant le bon grain de l’ivraie d’un avocat exerçant son activité en EURL.
Pour les profanes et autres béotiens de la chose
juridique, une EURL est une Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée.
L’intérêt de la chose consiste à limiter la responsabilité de l’associé unique
quant à un éventuel passif emportant cessation des paiements et faillite.
C’est assez limité, car le gérant-associé unique reste
responsable de ses fautes personnelles de gestion et il ne peut pas se
défausser sur des « décisions collectives » ineptes qui auraient
conduit à la déconfiture de sa société.
Ceci dit, une EURL reste une « fiction »
légale (comme beaucoup de sociétés) d’autant plus qu’il n’y a qu’un associé ce
qui limite « l’affectio societatis »
entre soi et soi-même…
Passons, le souci n’est pas là.
L’inconvénient reste dans la fiscalité applicable :
C’est celle du gérant majoritaire de la SARL (forcément, il est tout seul) et l’empêche
d’accéder au statut de salarié (petit « paradis-fiscal » en soi, et globalement
un « enfer social coûteux »…), mais un accès sur option et au régime fiscal
des sociétés de capitaux (avec double imposition : Une fois à l’impôt sur
les sociétés (IS) et une autre fois au titre des RCM (Revenus de Capitaux Mobiliers)
à l’IR (Impôt sur le revenu) au moment de la distribution d’un éventuel
dividende.
Là, l’intérêt reste dans la possibilité de « retenir »
des bénéfices à solder afin « d’optimiser » les effets du barème progressif
de l’IR au fil du temps, même si ça ne « marche plus » pour les
appels de cotisations sociales (suite à divers « abus » de quelques
dentistes soi-disant bien conseillés).
Personnellement, je considère qu’il y a plus simple,
mais bon, il y en a qui y trouve encore leur intérêt.
Je vous la fais courte…
« CAA de MARSEILLE
N° 15MA00769
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre - formation à 3 : M.
BEDIER, président, - Mme PAIX, président ; M. Mathieu SAUVEPLANE, premier
conseiller, rapporteur, M. MAURY, rapporteur public, FERRANDI-ACQUAVIVA, avocat.
Lecture du jeudi 13 octobre 2016
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C… a demandé au tribunal administratif de Marseille
de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu
auxquelles il a été assujetti au titre des années 2008 et 2009 et des pénalités
correspondantes.
Par un jugement n° 1302482 du 16 décembre 2014, le
tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 février 2015 et un
mémoire enregistré le 17 juillet 2015, M. C…, représenté par Me B…, demande à
la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 décembre 2014 du
tribunal administratif de Marseille ;
2°) de prononcer la décharge demandée.
Il soutient que :
- l’irrégularité entachant la vérification de
comptabilité de l’EURL Patrick C… du fait des atteintes portées par l’administration
fiscale au secret professionnel entraîne l’illégalité de son imposition
personnelle ;
- le principe d’indépendance des procédures doit être
écarté ;
- les dépenses de prothèse dentaire que la société a
accepté de prendre pour partie en charges constituent un supplément de
rémunération relevant de l'article 62 du code général des impôts déductible de
l’impôt sur les sociétés en raison de leur lien étroit avec sa profession d’avocat
et ont été engagées pour la conservation de son revenu au sens de l’article 13
du code général des impôts ;
- il peut se prévaloir de la documentation
administrative BOI-BNC-Base 40-10, n° 50 ;
- les avances sans intérêt qui lui ont été consenties
par la société trouvent leur contrepartie dans la possibilité pour celle-ci d’exercer
son activité du fait de son inscription personnelle à l’ordre des avocats. »
Vous aurez tout de suite noté que l’affaire du dentier
a été au cœur de mon intérêt immédiat. Je n’en suis pas encore doté, mais ça
peut venir…
Tout pareillement, j’avais un « cousin » Conseiller
d’État (fiscaliste émérite), sourd comme un pot – heureusement que les
procédures sont écrites… – qui m’avait demandé s’il pouvait déduire les frais
de son « appareillage » (qu’il débranchait quand les gens qui l’entouraient
l’ennuyaient : Ambiance dans les délibérés…).
Et j’avais moi-même découvert qu’en tant que Prof’ de
fac, j’avais un droit à déduction d’un costume par an !
Précis, mais je ne sais toujours pas pour mes pompes…
Et je lui avais répondu par l’affirmative, mais étant
lui et moi des « salariés », ça rentrait à l’époque dans l’abattement
de 10 % pour frais, sauf à passer, sur option et avec justificatifs, au régime
de la déduction des frais réels : Aucun intérêt…
En revanche, pour un avocat au BNC (Bénéfices Non Commerciaux
– la « cédule fourre-tout » où sont aussi agrégés les ressources des
péripatéticiennes), ça avait un intérêt immédiat (au même titre que la
collection d’abonnements aux revues juridiques diverses et variées).
« Par un mémoire en défense enregistré le 23 juin 2015,
le ministre chargé du budget conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C… ne sont
pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de
certaines professions judiciaires et juridiques ;
- le code pénal ;
- le code général des impôts et le livre des procédures
fiscales ;
- le code de justice administrative.
Après avoir
entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sauveplane,
- et les conclusions de M. Maury, rapporteur public.
1. Considérant que M. C…, qui exerce la profession
d'avocat dans le cadre de l'EURL Cabinet PatrickC…, qui a opté pour son
imposition à l’impôt sur les sociétés, relève appel du jugement du 16 décembre
2014 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande
tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu
auxquelles il a été assujetti au titre des années 2008 et 2009 à la suite d’un
examen contradictoire d’ensemble de sa situation fiscale personnelle ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Considérant, en premier lieu, que l’administration
a taxé entre les mains de M. C… les sommes réintégrées dans le bénéfice de l’EURL
Cabinet PatrickC…, qu’elle a regardées comme des revenus distribués sur le
fondement du 1° du 1. de l’article 109 du code général des impôts ; que, dès
lors, les irrégularités susceptibles d’avoir entaché la vérification de
comptabilité de cette société sont sans incidence sur les impositions de M. C…
; »
Dont acte : Le gars a opté pour l’IS. Les revenus
tirés de son activité entre donc dans la « cédule » de l’article 62
du CGI, mais la boîte paye l’IS au passage et selon une comptabilité dite « commerciale »,
aux « engagements » et non pas aux « encaissements » typique
des BNC.
Une formule comme une autre d’optimisation à
double-tranchant : Perso, je préfère « ne pas encaisser » tout
de suite, même si je facture en temps et en heure (pour la déductibilité rapide
chez mon client…).
« 3. Considérant, en second lieu (…)
Sur le bien-fondé des impositions :
7. Considérant qu’aux termes de l’article 109 du code
général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1°
Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au
capital (…) " ; »
Un « truc »
sur lequel il faudrait que je revienne à l’occasion d’un arrêt sur le sujet,
parce que vous ne le savez pas, mais les conséquences sont énormes : Par
exemple, quand une charge n’est pas réputée « déductible » et qu’elle
a été « décaissée », bé elle est considérée comme d’une « distribution »
imposable chez un bénéficiaire à identifier et à aller taxer…
Si, si !
Pas de
problème quand il y a eu une facture, c’est déjà compté par ailleurs. Mais vous
faites quoi du suramortissement retoqué pour une machine qui tourne en 3 x 8 ?
« En ce
qui concerne les frais de prothèse dentaire :
8. Considérant qu’aux termes du 1. de l'article 13 du
code général des impôts : " Le bénéfice ou revenu imposable est constitué
par l’excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en
nature, sur les dépenses effectuées en vue de l’acquisition et de la
conservation du revenu " et qu’aux termes de l’article 62 du code général
des impôts : " Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et
toutes autres rémunérations sont soumis à l’impôt sur le revenu au nom de leurs
bénéficiaires s’ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l’impôt sur
les sociétés par application de l'article 211, même si les résultats de l’exercice
social sont déficitaires, lorsqu’ils sont alloués : aux gérants majoritaires
des sociétés à responsabilité limitée n’ayant pas opté pour le régime fiscal
des sociétés de personnes (…) " ;
9. Considérant, en premier lieu, que l’administration
a réintégré dans les bases imposables de l'impôt sur les sociétés de l'EURL
Cabinet Patrick C… de l'année 2008, au motif qu’il s'agissait d’une dépense
étrangère à l’exploitation de la société, une somme de 9.000 euros
comptabilisée en compte 625 " frais de réception " correspondant en
fait à la fraction d’une facture d’un montant de 29.330 euros relative à des frais
de chirurgie dentaire que M. C… indique avoir été contraint d’exposer pour
l'exercice de sa profession ; que cette somme, imposée entre les mains de M. C…
dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, n’a pas le caractère d’un
traitement, d’un remboursement forfaitaire de frais ou d’une rémunération au
sens de l'article 62 du code général des impôts ; que M. C…, qui admet au
surplus que la somme de 9.000 euros n’a pas été ajoutée à sa rémunération, n’est
fondé à soutenir ni que ces dépenses de prothèse dentaire constitueraient un
élément de sa rémunération en raison de son lien étroit avec ses fonctions d’avocat,
imposable sur le fondement de l'article 62 du code général des impôts et
simultanément déductible des résultats de la société ni qu’elles auraient été
engagées pour la conservation de son revenu au sens de l'article 13 du code
général des impôts ; »
Vous avez pigé ? Le « baveux », il
déduit d’un côté et se considère comme « non-imposable » de l’autre
côté.
Ce qui est normal pour des frais, mais à condition d’en
réunir les conditions :
« 10. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de
l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé
à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement
poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le
redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que
l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à
l'époque, formellement admise par l'administration. Lorsque le redevable a
appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait
connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas
rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun
rehaussement en soutenant une interprétation différente (…) " ;
11. Considérant que la documentation administrative
référencée " BOI-BNC-Base 40-10 n° 50 " ne fait référence qu’aux
dépenses d’appareillage et de prothèse exposées par les titulaires de
traitements et salaires, de bénéfices non commerciaux, de bénéfices industriels
et commerciaux ou de bénéfices agricoles ; qu’en l’espèce, M. C... n’est pas
titulaire de revenus relevant de ces catégories et, par suite, n’est pas fondé
à se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures
fiscales, de cette interprétation administrative ; »
(…)
Ah le kon : C’est un avocat et il ne sait même
pas lire !
Notez que moi non plus (j’ai été à l’ékole pue-blique,
je ne peux donc pas savoir), mais je ne suis pas avocat…
Et au passage, une « petite-leçon » de droit
appliqué sur la portée de l’Art. L 80 A du LPF.
Si le fisc possède une arme absolue dans la procédure
de l’article L 64 du LPF contre les contribuables (requalification des « abus
de droit » à portée purement fiscale), le contribuable peut se défendre de
façon absolue avec le « L 80 A » (l’opposabilité de la « doctrine
fiscale » de l’administration à elle-même).
Comme vous le constatez : Une portée limitée tout
de même…
« 14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède
que M. C... n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement
attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C… est
rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… C… et
au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle
fiscal Sud-Est. »
Autrement dit, confirmation que l’administration
fiscale considère que les frais de maladie constituent des dépenses
personnelles non déductibles des bénéfices non commerciaux (et autres).
Mais rappelons que les frais de prothèses dentaires ou
auditives peuvent être considérés comme des dépenses professionnelles que lorsque
le titulaire de bénéfices non commerciaux exerce des fonctions effectives
exigeant un contact direct et permanent avec le public. Ces frais peuvent alors
être déduits à hauteur de 50 % de leur montant. Le port de l’appareil ou de la
prothèse devant cependant être indispensable pour remédier à un grave handicap
qui, s’il n’était pas corrigé, empêcherait l’exercice normal de l’activité
professionnelle.
Cette « tolérance » (autre nom des
nombreuses « niches-fiscales ») s’applique pour la fraction des frais
non-prise en charge par la Sécurité sociale, une mutuelle ou tout autre organisme
de prévoyance.
Et attention, les juges ont rappelé que la « tolérance »
ne bénéficie qu’aux titulaires de bénéfices non commerciaux, de bénéfices
industriels et commerciaux, de bénéfices agricoles ou de traitements et
salaires. Des catégories de revenus dont ne relevait pas le quidam puisqu’il est au « 62 ».
Conclusion : Il n’y a pas que des avantages à se
mettre sous le régime fiscal de l’article 62. À moins d’accepter de plaider
édenté quand on est avocat.
Question subsidiaire : Est-ce que ça marche aussi
pour mes binocles ?
Je n’ai jamais posé la question, puisque je ne sais
pas lire…
Logique.
Bonne fin de journée à toutes et tous !
I3
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