C’était la semaine dernière.
« Mon Boss à moi » venait visiter un de ses
« bons clients », francophone et francophile, résident belge de la
Sérénissime qui fait des centres commerciaux en Bulgarie (et par ailleurs) et qui
avait décidé de passer la semaine sainte et ses festivités religieuses dans sa
ville d’attache.
On est allé au « Quadri », Piazza San Marco
(cher, très cher même, une patate et demi de franc gaulois à 4 en comptant les
Spritz et le cognac, mais disposant d’une cave … phénoménale !).
En prenant toutefois quelques risques, puisqu’avec les
grandes marées, quand je me promenais à travers l’univers en avion (dont aucun
n’est tombé quand j’étais à bord…), la ville était congelée et une alerte
d’Aqua-Alta avec vent du sud contrarié par celui du nord a apporté quelques
flocons de neige…
Un épisode climatique des plus classiques en cette
saison, paraît-il, au moins depuis deux ans déjà.
C’est le client qui invitait (hein, alors
pourquoi se gêner ?) : Il voulait absolument faire ma connaissance avant
que je ne parte sur Paris pour Pâques, me faire découvrir une des meilleures
tables de la ville et me présenter sa « contrôleuse de gestion » en
chef (une fille insipide en forme de sac-à-main, mais avec un joli sourire)
avec qui je suis censé travailler dans ses affaires de production
cinématographique…
Oui, parce qu’en plus que de blanchir son pognon dans
des affaires parfaitement légales, il fait dans le « cinéma de
charme », autrement dit dans du porno.
Que ça doit rapporter encore plus que les centres
commerciaux et qu’il faut bien glisser des enveloppes en roupie – de l’euro
classique depuis le début de l’année au lieu et place du Lev – là où il faut
pour faire avancer ses dossiers.
Moi et le cinoche…, même porno, à part les James Bond
et la guerre des étoiles, je n’en connais que ses subventions effrénées en
« Gauloisie-fiscale » au nom de « l’exception culturelle »,
ses SOFICA ahurissantes, son régime des intermittents du spectacle « hors
normes »… enfin passons : Il y a aussi la taxe sur les productions,
les profits et sur la distribution de films porno… justement !
Lui, en revanche, il trouve cela assez lucratif pour y
investir une partie de sa fortune et y faire encore quelques « jolis
coups ».
J’étais en charge de le séduire, c’était la consigne
reçue de « mon boss à moi », quitte à l’étonner, comme parfois je sais
faire.
Surtout, ne rien lui vendre : C’est lui qui
demande à acheter !
Et pour l’heure, il n’achète même plus de billets
bulgares…
Que la conversation déboule d’abord sur l’aspect
fiscal des choses, que je connais un peu quand ça concerne la « Gauloisie-exceptionnelle ».
Tout en découvrant, qu’en Italie, ils ne sont pas mal
non plus…
Pour en venir aux hommes, par le biais du régime des
droits d’auteur, semble-t-il un peu moins favorable que dans la péninsule (ce
que je demande à vérifier…), pour en finir par les acteurs et … le droit du
travail en général, le pendant du droit « au » travail inscrit
dans le préambule de la constitution, la IVème !
Là, il ne faut pas me taquiner trop longtemps où je
peux devenir iconoclaste.
Et il a été servi…
Pour moi, si le salariat était parfaitement adapté aux
usines du dernier millénaire, comme on a changé de millénaire, il est désormais
un agonisant qui ne le sait pas encore, atteint du sida irrémédiable qu’il
ignore avoir chopé.
« Qu’on y
songe. Il y a seulement trois formes de contrat de travail et une trentaine
d’exceptions. Le CDI, l’intérim et le CDD. »
Le CDD et l’intérim sont très encadrés et le premier
bascule une fois sur deux, si l’on n’y prend pas garde, en CDI.
« Or, le
CDI, c’est le saint-graal du salarié et de ses représentants syndicaux, comme
dans la fonction publique, le modèle à décliner, c’est la norme incontournable ! »
Pour être plus précis, d’un point de vue juridique,
c’est un contrat de louage d’ouvrage, moyennant trois critères : Une
rémunération (forfaitaire ou à la pièce, mais forfaitaire tout de même et avec
des minimas), des tâches à accomplir et un lien de subordination.
Quand il n’y a plus de tâches à accomplir, de travail
à exécuter, le salarié peut même « prendre acte » d’une rupture aux
torts exclusifs de l’employeur, et sans la procédure « normale »,
donc avec les indemnités maximums qui vont avec.
Le fonctionnaire, lui, il continue de
« fonctionner » : Il n’y a pas de licenciement économique
possible. Ce n’est pas prévu et au pire, il est reclassé. Au mieux, il est en
disponibilité en attente d’affectation.
Quant au lien de subordination, c’est une mise à
disposition du salarié, dans le cadre d’un horaire, d’un lieu et d’une
organisation du travail collectif (motif de pénibilité à retenir dans la
nouvelle législation sur le « compte de pénibilité »).
Enfin la rémunération, elle n’est jamais ce qui est
convenu : Il faut décompter les charges salariales, mais rajouter, les
congés-payés, les charges patronales, les impôts et taxes dus par l’employeur
sur les salaires versés, et finalement l’éventualité d’une rupture du contrat
de travail aux torts de l’employeur…
Ce qui fait cher au bout du bout !
« Qu’on
compte bien, sur 100 de base, le salarié coûte entre 140 et 160 qui sont des
rémunérations « différées » à rajouter à la rémunération directe. Sur
celle-ci, il ne touche que 80, va payer 8 de TVA au plus bas et 4 à 5 d’impôt
sur le revenu. Ce qui est acheté 160 finalement ne rapporte que 64 à 65 au
mieux au prolo ! Comment voulez-vous que tout le monde soit contant après
un pareil déluge ? »
Pire, pour alléger la sauce, « François
III » a inventé le CICE, le Crédit d’Impôt Compétitivité pour l'Emploi.
« Une
grande rigolade ! On demande aux entreprises d’investir pour l’emploi,
moyennant une ristourne de ses charges sociales sur ses impôts calculée sur les
investissements qu’il réalisera.
Vous
voyez un peu le niveau de schizophrénie atteint par l’énarchie de mon pays :
Je te ristourne de l’IS si tu achètes des robots qui vont faire le boulot de tes
prolos déqualifiés – justement ceux qu’on retrouve essentiellement dans les CDD
et l’intérim – pour conserver de l’emploi ! »
Fabuleux !
Comment veut-on créer des emplois avec une pareille
« mécanique » ?
On paye des meks inutiles à surveiller des machines,
qui ne font jamais grève, qui peuvent tourner 24 heures sur 24 et 365 jours par
an, en se tournant les pouces et on veut être « plus productif ».
« Je vous
le dis, on tue le contrat de travail ! »
J’en avais bien d’autres à lui sortir, mais la tirade
lui a coupé le souffle et la répartie.
« Salarié
kleenex contre salarié zappeur », conclue-je, « transformant le « marché du
boulot » en vaste jachère sur laquelle poussent tous les extrémismes. »
De l’autisme pur et dur…
C’est comme ça qu’on détruit de l’emploi et gonfle les
rangs des chômeurs.
Et pas un mot sur, l'évolution jurisprudentielle désastreuse en cours, les délocalisations que le « bon
client » de mon « boss à moi » pratique avec assiduité, qui ne
sont jamais qu’un détour possible pour se sortir de la nasse des normes en tous
genres, y compris du droit du travail…
Les gouvernants, leurs opposants, les partenaires
sociaux d’hier débattent encore de la meilleure façon de relancer l’emploi.
Mais le travail change sans qu’ils ne s’en aperçoivent, restant sur leurs
« anciens logiciels de pensée ».
Et le monde du travail, il change en profondeur sous nos yeux, qu’il faut
être trisomique pour ne pas s’en rendre compte.
Et il va encore changer dans les années qui viennent
comme jamais depuis la dernière révolution industrielle.
Encourager l’emploi sans voir ce bouleversement à
venir et actuel, c’est un peu comme fabriquer une robe de fillette en oubliant
que la fillette est devenue entre-temps une ado en pleine croissance pour
reprendre l’expression bien vue d’un éditorialiste gaulois.
(Plus récent que mon propos de ce jour-là).
Si nous sommes condamnés au travail, celui-ci a pris
différentes formes au cours du temps : Le travail indépendant de toute
éternité, puis l’esclavage, le servage, le fermage, l’artisanat, le métayage…
et le salariat.
À l’aube de la révolution industrielle c’est le
salariat qui commence à s’imposer.
Et ce n’est pas par hasard : Il répond parfaitement
aux exigences de la production industrielle des maîtres des forges, qui devient
dominante dans la première moitié du XXème siècle.
Des ouvriers payés pour effectuer des tâches
répétitives et stupides, définies (avec la sacro-sainte fiche de poste) avec une rémunération et une durée
fixées au préalable, dans un lieu donné et pas un autre.
Ce qui, au passage, facilitait l’organisation des
grèves lancées par les marxistes qui n’ont vu que ça surfant sur l’aspect
abêtissant du boulot morcelé.
Combien de fois ai-je pu questionner le
prolo-au-boulot lui demandant pourquoi il faisait ça comme ça et pas autrement
et à quoi ça servait…
Parfois, il n’y avait personne derrière les
yeux : Je débarquais d’une autre planète !
Le travail s’inscrit alors dans « l’emploi », dont les
conditions s’améliorent au fil des gains de productivité et des luttes
sociales, ou … se dégradent lors des crises.
Sauf que la production, elle, elle a complétement
changé. Les process ne sont plus les mêmes, les machines non plus. La
proportion d’ouvriers dans la population active a chuté de moitié en un
demi-siècle, tombant à moins de 20 %.
L’industrie fait à peine plus du dixième de l’activité
globale…
La production matérielle et les tâches répétitives
sont de plus en plus souvent confiées à des machines et des robots.
Les entreprises ne fonctionnent plus du tout de la
même manière : Leurs frontières sont mouvantes, elles sollicitent davantage des
ressources extérieures avec les technologies de l’information, elles forment
des équipes au gré de leurs projets pour quelques jours ou quelques mois, elles
n’ont plus besoin d’avoir tous leurs employés sur place.
C’est le contrat de mission, le télétravail, toutes
ces innovations qui maintiennent un « lien de subordination » allégé
contre une rémunération variable et parfois aléatoire quant à sa durabilité.
C’est même typique du contrat d’intermittent du
spectacle et de son régime traitement du chômage en faillite depuis des
décennies…
Mon pays (celui que j’aime tant…) compte dix fois plus
de salariés que d’indépendants (24 millions, dont bientôt 6 de fonctionnaires
et déjà au moins 6 millions de chômeurs contre 2,6 millions d'indépendants).
Et encore, on vient de tuer le régime de
l’auto-entrepreneur de façon durable, puisque même à l’UMP, ils n’en veulent
plus, tellement l’hémorragie des cotisations sociales est néfaste à la fois aux
élus-syndicaux et à d’autres cotisants comme les artisans et leur RSI.
Un salarié sur trois n’est pas en CDI, le contrat
typique de l’ère industrielle.
Un salarié sur deux travaille parfois le samedi.
On va ouvrir le dimanche dans les zones dites à
« intérêt culturel national ».
Je ne sais même pas si on compte les curés dedans, les
pompiers, les militaires, les flics, l’aviation civile, les cheminots,
traminaux et autres transporteurs, voire les intermittents du spectacle entre autres.
Plus de 2 millions d’hommes et de femmes exercent
plusieurs activités (salarié et non salarié, multi-employeurs, etc.).
À en croire les chiffres publiés récemment par « Lyne-sait-tout »,
le nombre d’indépendants a progressé l’an dernier tandis que le nombre de
salariés a diminué.
Aux États-Unis, un actif sur quatre n’est pas salarié…
Même pas semainier (ni plus journalier) puisque c’est encore une
particularité Gauloise que d’être mensualisé : Le prolo fait l’avance de
son boulot pendant 30 jours, pendant 12 mois pour son 13ème mois
conventionnel, le temps que l’employeur vende et encaisse sa production…
Là encore, c’est fabuleux : Tout le monde vit à
crédit sans le dire.
Dire qu'à mon premier boulot, j'étais payé trois mois plus tard : Double paye pendant 3 mois quand je suis parti !
Et on ne cause même pas des fonctionnaires en
fonction, qui endettent leur pays et les générations futures dès le mois
d’octobre tous les ans, après avoir racketté tout le monde jusqu’à fin juillet,
en première et totale exclusivité…
Cette montée (ou plutôt cette remontée) du travail
indépendant est souvent présenté comme un choix par défaut, voire un terrifiant
« recul social ».
« Les chômeurs
n’ont qu’à créer leur emploi », avait lancé le Premier ministre « Raie-Mont-Bar-Biturique »
en 1978, celui qui voyait le bout du tunnel avant ça !
Alors que beaucoup d’hommes et de femmes aspirent à
travailler autrement.
Un sur deux aimerait travailler à la maison.
Les deux tiers des salariés à temps partiel disent
l’avoir choisi.
Et beaucoup de ceux qui ont quitté le salariat
affirment qu’ils n’y reviendraient pour rien au monde, même s’ils comptent
souvent davantage leurs sous et moins leurs heures…
Une formidable mutation du travail soulève bien sûr
des myriades de questions : D’abord, il y a les abus qu’il faut contenir.
Ensuite, il y a les difficultés des peu-qualifiés à
s’organiser dans ce monde nouveau, à prendre en main leur destinée et le stress
généré par une instabilité professionnelle bien plus grande.
À l’échelle collective, toutes les protections sociales
sont fondées sur le postulat d’une population employée à temps plein dans le
même cadre fixé jusqu’au divorce, la maladie, la retraite ou le décès.
Mais le passage du privé au public, ou du salariat au
travail indépendant, est par exemple sanctionné par une retraite sérieusement
amputée.
Se pose aussi la capacité des entreprises et de leurs
dirigeants à passer réellement au management par projet, à susciter la loyauté
chez leurs salariés, à basculer d’une exigence de moyens (présence sur place) à
une exigence de résultats (tâche réellement accomplie), à exprimer leur
reconnaissance du travail restitué.
Il y a enfin un formidable défi pour les politiques,
qui devront adapter le cadre légal et réglementaire au travail de demain, et
avant encore, réformer leur « logiciel »
de pensée.
Alors non, je ne suis pas très optimiste quant à la
lutte contre le chômage, ni et par voie de conséquence, aux grands défis de la
productivité et encore moins à la sortie de crise qu’on veut bien nous servir comme
je l’ai rapporté encore hier : Un grand mensonge d’incompétence
maladive !
Pour qu’on puisse y croire, il faudrait commencer par
un État qui se remette en question, dans son fonctionnement, ses coûts et ses
missions, au lieu d’en vouloir toujours plus que la peau des os de ses citoyens
pour compenser, payer et entretenir sa mauvaise graisse.
On en est encore très loin, n’est-ce pas…
Le meketon, il a essayé de me moucher : « Mais … mais, vous êtes pourtant bien le
salarié de votre patron ? »
Je lui dois mes compétences putatives. « Je lui dois une loyauté totale et pour
l’heure l’exclusivité de mes activités, jour et nuit s’il le faut. Mais le jour
où il dékonne, je fais autre chose. Parce que lui aussi doit me faire
confiance. En bref, le lien de subordination est particulièrement lâche et
surtout réciproque. Et ça nous convient à tous les deux. »
Même si je sais déjà que ça durera moins que les
contributions directes.
Je ne lui ai pas dit, mais en plus, il ne garde pas
tous les gains que je fais pour lui : Il a déjà eu l’occasion de m’en
restituer une partie.
Ça, j’aime bien…
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