Ma Môman aurait eu une « belle vie »…
C’est ce qu’elle en a affirmé sur son lit d’hôpital à ma
« petite-sœur » au crépuscule de son passage sur cette planète.
Je n’en suis pas si sûr, parce que… parce que…
Elle a eu plusieurs vies : Petite-fille sous les bombes des alliés,
elle a passé une partie de l’occupation en province, à Angers, suivant en cela
son père, directeur à la Caisse des dépôts qui délocalisait là.
Revenue sur la kapitale occupée, elle y a noué des amitiés solides :
elles étaient encore là, parfois impotentes, à ses obsèques.
Pas toutes, certaines ne pouvant pas vraiment se déplacer…
Au jeu du « qui partira la dernière », elle a perdu…
Une vie de jeune fille, brillante, docteur en droit (et elles n’étaient
pas nombreuses à cette époque-là), en la faculté où elle a rencontré mon père.
Elle voulait enseigner l’espagnol et, pianiste, intégrer une formation
symphonique.
Sur le tard, elle aura assouvi sa passion pour le chant lyrique en
intégrant une chorale de renom en qualité de soprano.
Grand-cœur, elle parlait de la misère humaine sans la savoir : Je
l’ai engagée à entrer dans une des associations de « Mon gardien »
pour aider et se frotter à plus pauvres analphabètes des « zones »
qu’elle-même.
Elle revenait avec des boîtes de chocolat offertes par « ses
déshérités » parigots…
Étonnée elle-même par l’immense humanité de tous ces
« laissés-pour-compte ».
Entre-temps, elle aura fait des enfants et « mère au foyer ».
Si mon « papa-à-moâ » était lui aussi « un brillant »,
elle aura eu à supporter sa belle-famille.
Cette insupportable famille faite de rancœurs perpétuelles, de jalouseries
et de mesquineries : Des gens qui ne savent toujours pas sourire et en
sont odieux par simple bêtise inhumaine.
C’est terrible, même entre eux ils se déchirent !
Mon « hideuse famille »…
Orpheline de père peu après ma naissance, elle est devenue orpheline de
mère après avoir été veuve.
Sa troisième vie aura alors été meublée par une rencontre lumineuse qui
aura duré trois décennies.
Elle aura alors joui de sa qualité de grand-mère : Son meilleur
moment.
Son meilleur rôle aussi.
C’est là qu’on l’a vu grandir.
S’affiner, s’affirmer, s’embellir, s’épaissir l’âme.
De très belles années que les nichées de ma « petite-sœur » et
la mienne auront pu grandement apprécier.
Tant mieux.
Tant mieux.
Ils auront grandi dans l’amour et la tendresse.
Ils en ont encore les yeux qui brillent derrière leurs larmes.
Et puis sa quatrième vie…
À la fois trop longue et si courte.
Je la taxais d’hypochondriaque, toujours à se plaindre du moindre signal
alarmant qu’envoyait son corps : Avec elle tout était
« épouvantable ».
Pénible.
Pour elle d’abord avec sa maladie d’Horton : On ne pouvait même plus
la toucher à l’occasion de « ses crises ».
Très pénible.
Mais elle a surmonté à coup de cortisone.
« Épouvantable », un mot que je ne supportais plus à la longue.
Jusqu’à ce que ça arrive pour de bon…
Un poisson indigeste, elle est revenue en urgence de
« Corsica-Bella-Tchi-Tchi » couleur « jaune-citron » sous
son bronzage estival.
Direction les urgences.
Canal biliaire bouché.
Et là, j’ai vu ma mère pleurer sur son sort pour la première et seule fois,
à froid : Par la même occasion, ils lui avaient détecter un crabe du
pancréas insécable.
« Je vais mourir d’un cancer… Tu te rends compte ! »
Mais non voyons, ce n’est pas possible : « On vit très bien
sans pancréas. »
Très bien, je ne crois pas, mais quelques années de plus, sans aucun
doute.
Il faut dire que le « professeur » de ce service de gastro qui
allait lui poser sa prothèse biliaire en urgence au cœur de l’été, a été
particulièrement brutal : « C’est très douloureux ! »
aura-t-il rajouté comme pour mieux la « casser ».
Mourir, encore, mais souffrir…
Presque trois ans de douleurs intenses…
Première chimio, l’autre « professeur », surnommé le
« réjoui de la crèche », car avec lui tout se passe au mieux.
C’est vrai que la tumeur n’aura plus progressé et qu’on pouvait se
permettre d’être très optimiste.
En apparence, parce que lui savait qu’on n’en guérit jamais.
Car 4 cm de cellules tumorales placées dans la boîte à tuyaux
particulièrement vascularisé à cet endroit, c’est effectivement inopérable sans
grands risques d’hémorragie interne incontrôlable et ce sont des risques
invraisemblables de métastases.
Deuxième chimio, plus lourde et difficile : Le crabe est vidé de
toute activité, mais il reste là. Il n’essaime pas, il compresse ses faibles
organes qui ont du mal à faire leur office.
Elle en profite pour faire des projets à « très court terme ».
On ne sait pas d’une semaine à une autre dans quel état elle va être.
Avant que ce ne soit du jour au lendemain…
Elle réussit quand même à faire des voyages. Nice, le Portugal, le Rhin et
encore d’autres.
Noël l’année dernière, la prothèse du canal biliaire se bouche. Une
séquence horrible où nous envisageons une seconde fois les urgences un 25
décembre.
Comme la première fois, on avait été bien reçu… et qu’une fois allongée,
elle va tout d’un coup mieux, elle rentre chez elle au soir sans avoir rien
mangé.
Mais avec un sourire lumineux aux lèvres.
Son dernier Noël avec toute « sa nichée » autour d’elle.
On peut dire qu’à partir de ce jour-là, elle ne mange plus, vomit ce
qu’elle avale, même ses médicaments.
Tout juste un peu de bière (sans alcool) permet de l’hydrater.
Il faut rester avec elle à la faire parler, la faire rire, la faire philosopher,
pour qu’elle oublie ses douleurs et que ses quelques aliments ingérés commencent
à être métabolisés.
Et quand ils transitent, de toute façon, elle se vide en diarrhées.
Tout le but du jeu c’est de gérer sa douleur. Elle est parfois tellement
forte qu’elle ne peut pas dormir.
« Épouvantable » en dit-elle…
Or, entre le Tramadole et la Codéine, elle a vu tous ses « potes de
chimio » partir les uns derrière les autres : De ces molécules
tueuses, elle n’en veut pas.
Idem pour les somnifères : Les molécules proposées t’emportent toutes
tôt ou tard comme un légume.
Elle, elle veut se battre.
Reste la morphine.
Sauf que la morphine, c’est très réglementé, c’est du « lourd »,
la pharmacienne n’a pas de stock et ça donne des hallucinations.
Elle passe des nuits entières à se battre contre ses
« gorgones » qui se précipitent sur elle dès qu’elle est assommée.
Et puis ça se dégrade : Le foie est empoisonné par les chimios, il
fait des kystes qu’il faut drainer, plusieurs fois à l’hôpital et en urgence entre
sa seconde et sa troisième chimio.
Déboucher aussi sa prothèse biliaire : Ça ne tient pas plus de deux
ans, ces trucs-là !
L’équipe médicale fait des merveilles, n’hésite pas à prendre des risques,
fait des actes coûtatifs en pagaille, sans compter malgré son âge avancé.
Pire, à la troisième chimio (il y a huit protocoles au total, mais on sait
que seulement les deux premiers donnent parfois des résultats, les autres,
c’est très aléatoire), il faut à nouveau l’opérer et même lui réduire des
varices à l’œsophage !
Puisque tout se dégrade…
Une horreur…
Non pas le geste lui-même, mais le personnel d’aide-soignant, qui, compte
tenu de son grand-âge la traite comme du bétail.
Pire même.
Absolument lamentable.
Elle n’a eu qu’une seule séance de la quatrième molécule.
Elle a morflé mais voulait honorer un ami Corse qui faisait le déplacement
sur la kapitale pour la voir une dernière fois.
Le lendemain, elle était KO au fond de son lit, 40 de fièvre.
J’ai évité une énième fois les urgences, elle a fait sa valise et elle l’a
posée dans le service du « réjoui ».
Le foie était complètement détruit. Deux kystes à drainer.
Ils l’ont fait.
Ils l’ont maintenu sous perfusion.
Elle était consciente, parlait, riait, plaisantait avec le personnel et
nous-mêmes : J’étais disponible, j’ai passé mes après-midis avec elle à la
regarder dormir ou à se plaindre, quand je ne déboulais en matinée sur un coup
de fil.
Nous avions un code depuis l’été : Je téléphonais à 9 heures. Parfois
on parlait, pas longtemps, parfois elle me rappelait plus tard, soit qu’elle
était en soin, soit qu’elle dormait et je passais des nouvelles à ma
petite-sœur par textos. Si à 10 h 30 elle n’avait pas appelé, je galopais
jusqu’à sa chambre.
Vous ne l’avez jamais su…
Et on se rassurait.
Dans l’après-midi, je filais alimenter son chat et je repartais pour
l’hôpital.
Et puis la fin : Une aide-soignante la laisse toute la nuit se
massacrer les jambes coincées dans les barrières latérales du lit.
Elle n’était déjà pas bien grosse, mais elle s’est vidée de son sang dans
lequel elle baignait au petit-matin…
Il en restait encore par terre quand je suis passé en urgence, une fois de
plus…
Là, elle savait malgré les perfusions de plasma et les doses d’EPO (merci
au passage à ses sportifs « « chargés » sur qui ont été réalisés
les « tests » du pot-belge…)
Elle voulait être « en ordre », elle a fait venir un prêtre et
on l’a transporté dans un hôpital de soins palliatifs, les infirmières de tout
le service lui faisant une haie d’honneur dans les couloirs pour honorer
« la grande dame ».
La médecine curative était arrivée au bout de ce qu’elle savait faire.
Une patiente (quel mot…) de plus qui venait incrémenter les statistiques
oncologiques du « réjoui ».
Merci à lui, infiniment merci : Elle n’était pas dupe et il le
savait, mais il a joué le jeu en lui fournissant l’espoir nécessaire et les
soins indispensables pour qu’elle y croit encore, le plus longtemps possible.
Une médecine vraiment humaine.
Même si ça ne plaisait pas trop aux subordonnés de son équipe : Rien
à foutre, c’est lui le patron, c’est lui qui décide !
Pas comme l’autre salope qui l’accueille en « fin de vie ».
« Ma Môman » était persuadée qu’elle remarcherait, qu’il lui
suffisait de s’alimenter un peu, de se poser dans un fauteuil, de faire
quelques exercices, assistée par un kiné aux « petits-soins »,
qu’elle devait se nourrir pour être « aidée » parvenir à remarcher et
que j’allais lui faire visiter les jardins de l’hôpital.
Et cette pouffiasse, au nom du « lien de confiance » à établir
entre un médecin et son patient, elle lui a craché qu’elle ne remarcherait plus
jamais et que pour nous, ses enfants, elle pouvait nous prescrire des soins
psychiatriques…
Enkul… va !
« Mais c’est quoi cette nazie ? » me demande ma
« petite-sœur »
« Quel lien de confiance à établir avec une mourante ? À quoi
va-t-il servir ? »
Autre moment fort alors que ma Môman était shootée à haute dose de
morphine : « Je ne prescris jamais sans le consentement de mes
patients ! »
Pardon ?
Quel consentement quand elle n’est déjà plus consciente que par
épisode toujours plus courts ?
« Ne jouons pas sur les mots : J’informe ! »
Mais c’est quoi cette pouffiasse-là ?
Autre soupçon : « C’est quoi ce produit en intraveineuse que
vous lui rajoutez ? » fis-je à l’infirmière qui obéit à sa toubib
« nazie », une après-midi.
« Oh, c’est… c’est pour le ventre… L’aider à digérer. »
Elle n’a rien dans le ventre à digérer…
« Ils la font partir, c’est sûr » me fait ma
« petite-sœur » qui assiste à la scène. « Ne dis rien. C’est
mieux pour elle ! »…
Celle-là, elle a dû faire des konneries tellement énormes dans le passé
que plus personne n’en veut dans son service, c’est certain !
Même si elle reste le médecin de référence du comité d’éthique du
« bidule ».
Intouchable…
Si je vis assez longtemps, j’arriverai à devenir administrateur de cette
fondation-là.
Et nous en recauserons de ce statut « d’intouchable ».
Le lendemain vendredi, je lui tenais la main. Elle avait les yeux clos, la
bouche entrouverte, respirant déjà difficilement : « Ventile
maman, ventile ! »
Alors j’ai lu sur ses lèvres « Mon gros bébé ».
D’abord, je ne suis pas gros : J’ai été peut-être un peu enrobé dans
le passé. Et j’ai beaucoup maigri depuis.
Et puis je ne suis plus un bébé.
Sauf peut-être encore pour « ma Môman »…
« Je suis là, maman. Dors, repose-toi, tu en as besoin et ça va
aller mieux, tu vas voir. »
Elle a pincé ma main posée entre ses doigts pour me répondre.
Et puis plus rien.
À jamais plus rien.
La machine a trahi l’esprit le surlendemain.
L’esprit est parti.
Et nous on patauge dans les préparatoires des obsèques.
Ma « petite-sœur » est shootée pour ne pas s’effondrer.
Ma « Môman » avait tout préparé, jusqu’aux musiques qui doivent
l’accompagner, la robe et le collier qu’elle voulait porter dans son cercueil.
Elle avait même prévu une « assurance-obsèques ».
C’est bien, sauf que ça ne suffit pas, c’est évident et qu’il faut
s’occuper de tout en espérant ne rien avoir oublié pour que « ça se
passe » au mieux.
Et ça commence par « qui a-t-on oublié de prévenir » ?
Six téléphones n’y suffisent qu’à peine, je vous assure… et c’est une
assurance gratuite, celle-là !
Sans compter les konneries dans le texte des annonces dans la
presse : invraisemblable d’amateurisme.
Mais c’est fait.
Visite au curé de sa paroisse, le déroulé souhaité de la cérémonie, le
chèque (gros) pour payer le chantre et l’organiste, les chœurs et les « menus
frais ».
Et « l’ignoble famille » qui nous harcèle : Elle ne veut
pas de leur présence, nous le savons.
Elle en a trop sur le cœur.
Ma sœur et moâ jouons aux autistes.
Ça ne suffit pas : Ils s’annoncent quand même.
« On ne peut pas laisser faire ça : Elle serait encore
capable de déboulonner son cercueil pour aller leur foutre des baffes sur
la gueule ! »
Ou faire tomber des pierres sur leurs tronches…
On bâtit des plans sur la comète pour les virer au dernier moment.
Puis finalement, c’est mon neveu qui prend sur lui de les appeler et de
leur interdire l’église et le cimetière sur un ton qui ne suppose aucune
contradiction.
Ma Mère reçoit ensuite ses amis pour un pot en son souvenir : Je me
sens capable de les jeter sur le trottoir manu-militari, mais pas à
l’église ni au cimetière.
Faire barrage, d’accord, mais je serai loin de la porte.
Ces « kuls-bénis » d’hypocrite trouvent « cruelle »
une telle interdiction !
Comment se fait-il qu’on puisse être aussi kon que ça après avoir été
tellement cruels envers elle tout au long de leur vie ?
C’est incompréhensible.
C’est justement à ça qu’on reconnaît les kons : ils osent vraiment
tout !
Sans limite…
Ils ne méritent que notre auguste mépris, rien de plus : Ils auront
été le « côté obscure », le côté néfaste, de la « belle
vie » de ma Môman.
On reparlera des mêmes un peu plus tard : J’ai la dent dure, plus
dure que celle de « ma Môman » et je sais que les meilleurs plats se
dégustent à froid, venus de nulle part.
Car ils se sont manifestés par une gerbe : Je ne sais même pas
laquelle tellement il y en a…
On s’en est aperçu plus tard.
Vous savez quoi, ma « Môman-à-moâ », elle n’était pas contente :
Alors qu’il faisait « soleil glacial », elle aura réussi à lever une micro-bourrasque
au-dessus du cimetière et à ouvrir un épisode intense de grêle quand nous
dispersions vers le lieu où elle nous recevait.
Pas seulement un, mais deux, un autre au moment de la dispersion finale,
comme pour nous retenir encore.
Et comme je me suis avancé sous le déluge, elle a même réussi à claquer un
éclair qui est heureusement tombé sur un paratonnerre situé à proximité
immédiate.
Impressionnante…
Pour l’heure, elle est partie vers une « belle mort » rejoindre
ses cousins (corses) adorés, ses cousines tout autant adorées, dont l’une l’aura
précédée de seulement 72 heures, ses parents, mon père, entourées de ses « chères
amies » d’enfance.
Le reste viendra bien assez tôt, quand l’opportunité se présentera.
Car les obsèques se sont déroulées « comme convenu ». Les gosses
nous font chialer avec leurs hommages à leur grand-mère. Et le curé a encore
été capable de la ramener après-coup pour tirer la couverture à lui.
Il était dans son rôle.
Elle est sortie de l’église sur les notes de Hayden et au cimetière, une jeune
soprano aura interprété a cappella un autre air, magnifique (je ne sais
plus lequel) qui lui aura ouvert la voie des anges.
Merci à toutes et tous !
I3
J'en pleure encore...
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