La responsabilité du transporteur cas perte
marchandise ?
Une marchandise « sensible » (et onéreuse)
est prise en charge par un transporteur habilité dans un véhicule à « température
dirigée ».
Par manque de bol, le frigo dékonne et gèle une partie
du chargement.
Les assurances indemnisent mais se retournent contre
le transporteur (et son assurance).
Première leçon de droit : Quelle loi s’applique, la
loi nouvelle ou celle du contrat antérieur ?
Deuxième leçon de droit : Jusqu’où va la
responsabilité du transporteur dans ces déboires ?
Cour de cassation – Chambre commerciale
Audience publique du mercredi 25 septembre 2019
N° de pourvoi : 18-12265
M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de
président), président
Me Le Prado, SCP Ortscheidt, avocat(s)
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt
suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 20 mai 2008, la
société Novartis pharma a conclu avec la société TSE, devenue TSE express
médical, un contrat type pour le transport de marchandises périssables sous
température dirigée pour les valeurs de + 2 degrés et + 8 degrés ; que le 6
février 2012, des colis de produits pharmaceutiques ont été confiés au
transport à la société TSE express médical ; qu’une partie des colis a été
exposée à des températures négatives lors du transport ; que la société
Novartis pharma a été indemnisée par son assureur, la société Covea Fleet ; que
cette dernière, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD
assurances mutuelles et MMA IARD, a exercé une action subrogatoire à l’encontre
de la société TSE express médical ; que la société AXA est intervenue
volontairement à l’instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés MMA IARD assurances mutuelles
et MMA IARD font grief à l’arrêt de rejeter leur demande tendant à voir
condamner conjointement les sociétés TSE express médical et AXA, ou l’une à
défaut de l’autre, à leur payer la somme de 1.064.508,23 euros alors, selon le
moyen :
1°/ que les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et
MMA IARD faisaient valoir qu’elles étaient subrogées dans les droits de la
société Novartis, cocontractante de la société TSE express, et invoquaient la
faute contractuelle de cette dernière résultant de la méconnaissance des
stipulations contractuelles relatives au transport des marchandises sous
température dirigée ; que la société TSE express n’a pas prétendu, devant la
cour, que la faute qui lui est reprochée aurait été de nature
extracontractuelle ; qu’en considérant, pour débouter les sociétés MMA IARD
assurances mutuelles et MMA IARD de leurs demandes visant à dire que la société
TSE express devait être privée des limitations de responsabilité, que « par
nature la faute extracontractuelle échappe au principe de non-rétroactivité de
la loi applicable aux contrats », la cour d’appel a modifié l’objet du litige,
en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur un
moyen relevé d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter
leurs observations ; qu’en soulevant d’office le moyen tiré de ce que « par
nature la faute extracontractuelle échappe au principe de non-rétroactivité de
la loi applicable aux contrats », sans inviter les parties à présenter leurs
observations, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile
;
3°/ que l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance
est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions
de l’assuré, la subrogation opérant transmission de la créance de l’assuré à l’assureur
sans modification ; qu’en déboutant les sociétés MMA IARD assurances mutuelles
et MMA IARD de leurs demandes visant à dire que la société TSE express devait
être privée des limitations de responsabilité, motif pris que par nature, la
faute extracontractuelle échappe au principe de la non-rétroactivité de la loi
applicable aux contrats, quand il résulte de ses propres constatations que les
sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD étaient subrogées dans les
droits de la société Novartis et que l’avarie à l’origine du litige résultait
de la méconnaissance d’une obligation contractuelle, la cour d’appel a violé
les articles L. 121-12 du code des assurances et 1250 du code civil, dans sa
version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ que la lettre de voiture ne constitue pas une
condition de formation du contrat de transport mais seulement un instrument de
preuve de cette convention ; qu’en considérant que la prise en charge de la
marchandise aurait été contractuellement convenue le 6 février 2012, date de la
lettre de voiture qui formerait le contrat de transport, les juges du fond ont
violé l’article L. 132-8 du code de commerce ;
5°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas
d’effet rétroactif ; qu’en appliquant l'article L. 133-8 du code de commerce,
dans sa version issue de la loi n° 2009-1503 du 10 décembre 2009, après avoir
constaté que le contrat en cause avait été conclu en 2008, les juges du fond
ont violé le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle posé par l’article
2 du code civil ;
Mais attendu que l’article L. 133-8 du code de
commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009,
entrée en vigueur le 10 décembre suivant, est applicable à tous les contrats de
transport conclus postérieurement, l’auraient-il été en exécution d’un
contrat-cadre antérieur ; que la cour d’appel a relevé que l’opération de
transport avait été réalisée le 6 février 2012 et que l’avarie était survenue
dans la nuit du 6 au 7, ce dont il résulte que seule la faute inexcusable du
transporteur était équipollente au dol ; que par ces motifs de pur droit,
suggérés par la défense, substitués à ceux critiqués, tirés de la qualification
extracontractuelle de la faute de la société TSE express médical, la décision
se trouve justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Et sur le second moyen :
Attendu que les sociétés MMA IARD assurances mutuelles
et MMA IARD font le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que la faute inexcusable du transporteur est une
faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son
acceptation téméraire sans raison valable ; qu’en écartant la faute inexcusable
du transporteur, en l’état de constatations dont il résulte que ce dernier
connaissait la nature de la marchandise transportée et la nécessité de la
maintenir à une température de 2 à 8 degrés et qu’ayant constaté une anomalie à
propos de la température du compartiment, il a délibérément redémarré le groupe
de réfrigération, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de
ses propres constatations, a violé l’article L. 133-8 du code de commerce, dans
sa version issue de la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 ;
2°/ qu’en considérant, d’une part, qu’un problème
aurait été identifié sur le dispositif frigorifique du véhicule, au niveau d’électro
vannes qui ne se refermaient pas, et d’autre part qu’aucun problème technique n’aurait
été identifié, la cour d’appel a entaché sa décision d’une contradiction de
motifs, en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la faute inexcusable du transporteur est une
faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son
acceptation téméraire sans raison valable ; qu’en rejetant le moyen tiré de ce
que si le sinistre était dû à une défaillance technique, le transporteur avait
commis une faute inexcusable en utilisant un véhicule qui avait fait l’objet de
plusieurs interventions, donc inadéquat pour transporter des marchandises
sensibles et de grande valeur, après avoir retenu que le sinistre trouvait son
origine dans un dysfonctionnement du groupe frigorifique, la cour d’appel, qui
n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article
L. 133-8 du code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2009-1503 du 8
décembre 2009 ;
Mais attendu, en premier lieu, que l’article L. 133-8
du code de commerce définit la faute inexcusable comme une faute délibérée
impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation
téméraire sans raison valable ; que l’arrêt retient que le véhicule de
transport était constitué de trois compartiments dont les températures étaient
préréglées, sans qu’il fût démontré que le chauffeur avait pris l’initiative ou
pu modifier ces températures, ni que cette demande lui avait été prescrite lors
de la procédure d’urgence ; qu’il ajoute qu’après avoir relevé l’anomalie des
températures dans le compartiment frigorifique, réglé à 5 degrés, renfermant
les marchandises, le chauffeur avait arrêté une première fois le véhicule et
appelé en urgence son employeur qui lui avait indiqué de redémarrer le groupe
de réfrigération, puis qu’ayant relevé une nouvelle chute des températures en
dessous de zéro degré, le chauffeur avait, de nouveau, consulté en urgence son
employeur, qui lui avait prescrit de stopper le groupe de réfrigération, ce qu’il
avait déclaré aussi avoir fait ; que l’arrêt relève encore que le véhicule
avait été mis en circulation la première fois le 24 septembre 2010, moins de deux
ans avant la survenance du sinistre, qu’il avait fait l’objet d’une attestation
de conformité sanitaire et que les interventions sur le dispositif frigorifique
attestaient de la précaution que le transporteur avait prise pour respecter la
destination de son véhicule ; que de ces constatations et appréciations, la
cour d’appel a pu déduire que le transporteur n’avait pas commis de faute
inexcusable ;
Et attendu, en second lieu, que le moyen, pris en sa
deuxième branche, dénonce une contradiction, non pas entre les motifs de l’arrêt,
mais entre les motifs de celui-ci et ceux du jugement que la cour d’appel n’a
pas adoptés ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et
MMA IARD aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette
leur demande et les condamne à payer aux sociétés TSE express médical et AXA
Corporate Solutions la somme globale de 3.000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre
commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son
audience publique du vingt-cinq septembre deux mille dix-neuf.
Conclusions : En cas de perte ou de dommage subi
par la marchandise transportée, le transporteur n’est tenu d’indemniser intégralement
son client que s’il a commis une faute inexcusable.
Un classique.
Car les contrats de transport contiennent généralement
une clause qui plafonne la responsabilité du transporteur en cas de perte ou de
vol de la marchandise. Et à défaut d’une telle clause, c’est le contrat type
applicable aux transports routiers de marchandises qui s’applique et qui
limite, lui aussi, la responsabilité du transporteur.
Ce n’est que si le transporteur a commis « une
faute inexcusable » que son client peut obtenir la réparation intégrale de
son préjudice.
Et la faute inexcusable est définie par la loi comme «
la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage
et son acceptation téméraire sans raison valable ».
Même une simple négligence du transporteur n’est pas constitutive
d’une faute inexcusable.
Dans notre espèce, le transporteur avait été chargé d’acheminer
des produits pharmaceutiques périssables à une température qui devait être
obligatoirement comprise entre + 2° et + 8°. Mais pendant le transport, une
partie de ces produits avait été exposée à une température négative en raison
d’un dysfonctionnement du système frigorifique.
Le transporteur avait alors indemnisé le laboratoire
d’une partie seulement du préjudice car le contrat prévoyait une limitation de
responsabilité.
Le laboratoire, plus précisément son assureur qui
avait en justice contre le transporteur, avait estimé que cette clause
limitative de responsabilité n’avait pas à s’appliquer car le transporteur
avait, selon lui, commis une faute inexcusable. Mais les juges n’ont pas été de
cet avis. En effet, ils ont constaté :
– D’une part, que le véhicule de transport était
constitué de trois compartiments dont les températures étaient préréglées, le
chauffeur n’ayant pas pris l’initiative ou pu modifier ces températures et une
telle demande ne lui ayant pas été faite ;
– D’autre part, qu’après avoir relevé l’anomalie des
températures renfermant les produits dans le compartiment frigorifique réglé à
+ 5°, le chauffeur avait arrêté une première fois le véhicule et appelé en
urgence son employeur, lequel lui avait indiqué de redémarrer le groupe de
réfrigération, puis, ayant relevé une nouvelle chute des températures en
dessous de zéro degré, le chauffeur avait, à nouveau, consulté en urgence son
employeur qui lui avait prescrit, cette fois, de stopper le groupe de réfrigération,
ce qu’il avait déclaré avoir fait ;
– Et enfin, que le véhicule avait été mis en
circulation la première fois moins de deux ans avant la survenance du sinistre,
qu’il avait fait l’objet d’une attestation de conformité sanitaire et que les
interventions sur le dispositif frigorifique attestaient de la précaution que
le transporteur avait prise pour respecter la destination de son véhicule.
Donc pas de « faute délibérée qui implique la
conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans
raison valable. »
Quant à la loi applicable, c’est bien celle qui court
au moment de la survenance du litige.
Question d’unicité du corpus légal (et d’ordre
public), bien entendu.
Ça me rappelle qu’un jour de grand-froid du siècle dernier
(tout un mois de janvier sans le moindre nuage : On ne parlait pas encore
de « réchauffement »), j’étais intervenu à deux reprises en me les gelant
sur les quais d’un entrepôt.
La première fois quand je vois un chauffeur de camion avec
un chalumeau à la main en train de dégeler le carter de ses freins…
Le dingue.
Et une autre fois où un second chauffeur sortait des
palettes de flotte en verre-perdu pour charger à quai : On entendait les
bouteilles « craquer ».
Je lui ai fait rentrer sa marchandise avant de perdre
la palette et elle a fondu dans l’entrepôt !
Normalement, on nettoie au racloir, mais un autre
dingue était arrivé avec un aspirateur ménager et une rallonge pour vider la
flotte des puisards engorgés…
Il y en a vraiment qui ne savent pas comment mourir.
Bonne journée à toutes et à tous !
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