Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une
fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de
l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Un mardi matin, blafard malgré la lumière du printemps. Cimetière parisien
de Gentilly, coincé entre le périphérique sud, encore saturé à cette heure-là,
la rue Sainte-Hélène, la préfourrière et le stade Charléty, du nom d’un recteur
de l’académie de Paris de l’entre-deux-guerres, qui dresse ses gradins vers le
ciel gris et chargé de bruine…
C’est là que Michel Jazy y battra le record du monde sur 2.000 mètres, en
1962.
En 1968, « le Charléty » fait de nouveau l’actualité le 27 mai,
où se tient un gigantesque meeting de l’Union nationale des étudiants de
France, l’un des événements marquants de mai 68, qui réunit 40.000 personnes en
la présence de Pierre Mendès France s’imaginant bien pouvoir récupérer le
mouvement étudiant…
À part ces détails et la muraille de HLM bâtie entre le boulevard
Kellermann et l’avenue Caffieri qui font face aux « beaux » hôtels et
immeubles de bureaux de la rue du Val de Marne à Gentilly même, il n’y a rien
que le cimetière et son silence tout relatif contrastant avec la rumeur du périphérique,
ses bruits de moteurs ronflant dans le tournant.
Même pas un marchand de fleur ni la moindre enseigne de marbrier !
Alexis est accompagnée de trois personnes pour porter en terre sa
grand-mère, Dominique Dubois, née Desherbes, dite « triple D » dans
sa banlieue et de son vivant dans les encore chauds souvenirs qui accompagnent avec
tristesse sa dépouille, ce jour-là.
Une personne dont tout le monde dit dans son quartier que c’était une
« brave femme », gentille, toujours prête à rendre service, rapporte
l’une de ses trois voisines présentes ce jour-là.
Une « bonne voisine » en somme, qui laisse aussi un « bon
souvenir »…
Son cercueil coiffera pour une longue éternité celui de la fille de cette
dernière, Camille, qui surmonte celui du père de cette dernière, Claude.
Il reste une place qu’occupera à son tour « Alex », un jour
qu’elle espère lointain, la seule femme de la troisième génération…
C’est là que, cette dernière remarque lui fait toucher du doigt ce qui ne
l’avait jusqu’alors jamais effleuré l’esprit : tous les prénoms de cette
« courte famille » son ambivalent, « non-genré ». Claude,
Dominique, Camille et même Alexis, le sien, se portent aussi bien au masculin
qu’au féminin.
Même si le sien n’est finalement plus courant que dans le monde
anglo-saxon et pas ailleurs.
Car « Alex », le surnom par lequel tout le monde l’appelle dans
son entourage, est une rousse tirant sur l’auburn avec l’âge, aux cheveux
retenus par un petit chignon qui laisse échapper quelques mèches rebelles,
portant des lunettes à monture… rouge.
Une femme grande et élancée malgré ses allures de garçon manqué.
La charpente osseuse est conséquente, mais ce sont surtout ses séances de
musculation qui la rendent un peu « hommasse ».
De toute façon, elle n’a jamais pris soin de son apparence physique, elle
n’a jamais porté de jupe ni de robe et quand elle s’habille
« moulant », ce n’est pas sa poitrine insignifiante qui font se
tourner les têtes, mais son large sourire illuminé.
Tout-à-l’heure, quand la pierre tombale sera de nouveau scellée, elle
repartira chez elle, accueillir le camion des déménageurs qui ont vidé la
petite maison qu’occupait sa grand-mère et où Alexis aura grandi en l’absence
de sa mère qu’elle n’a pas connue. Très peu de photo de sa mère et même de son
grand-père d’ailleurs, mais des cartons pleins entiers de souvenirs qui meublaient
la grande armoire entre le linge de maison et les vêtements de Dominique, les
étagères de la cave et les chaussures, et se partageaient le bahut breton avec
la vaisselle, celle des dimanches. Il aurait fallu qu’elle fasse le tri
« avant » plutôt qu’après ce déménagement : ça aurait coûté
moins cher (et aurait peut-être fait quelques heureux… Car on ne croule pas sous
la richesse dans sa banlieue : les jours sans pain sont plus nombreux que
ceux d’abondante pitance).
Chez elle, elle aura tout le temps nécessaire pour trier, brûler, ou
conserver les souvenirs de toute une vie.
C’est aussi un peu la sienne …
Alexis habite Milly-la-Forêt, un peu plus au sud que Dannemois et le
moulin de Claude François, « l’illustre voisin » en périphérie de la
forêt de de Fontainebleau.
Loin de chez sa grand-mère…
Encore plus loin aujourd’hui.
Ce matin-là, elle reste seule avec son chagrin.
Seule et désemparée.
Très triste.
Mais cette tristesse ne sera rien à comparer de celle qui s’annonce, quand
dans l’après-midi les déménageurs auront posé les cartons et meubles de sa
grand-mère chez elle.
C’est grand chez Alexis, une maison d’architecte, probablement bâtie avec
des « matériaux tombés du camion » et quelques dessous de table…
Qu’elle a pu acheter à son copain du moment pour trois fois rien tellement
lui-même était poursuivi par ses créanciers, avant qu’il ne disparaisse dans la
nature et de sa vie…
Mais c’était limite.
Deux bâtiments de plain-pied entourés d’arbres. L’un aménagé en duplex
avec une mezzanine, haute de 4,5 mètres sous ferme où elle avait aménagé une
salle de musculation et un mur d’escalade pour y recevoir des adeptes de la
varappe en forêt voisine qui logent en principe dans le bâtiment secondaire,
tout équipé, pour se reposer et se décrasser, sa seconde source de revenu.
Dans les faits, Alexis est journaliste.
Plutôt « pigiste ». Elle est payée « à la ligne » sur
des thèmes imposés par son agence de presse.
Il parait qu’elle a du talent… comme sa mère Camile Dubois.
Mais même le talent, ça ne paye pas, loin de là !
Dans les semaines qui suivent, entre deux piges et la réception de ses
visiteurs « varappeurs », elle brûle les meubles de sa grand-mère
dans le fond du jardin ou sa grande cheminée, ceux qui sont vraiment trop
moches avec le temps et ses affronts pour être devenus totalement invendables,
récupère ce qui reste d’encore « acceptable », trie les souvenirs de
sa grand-mère et lave ses vêtements en vue de les donner à la Croix-Rouge du
canton, ou au Restaurant du cœur le plus proche.
La mère d’Alexis, Camille Dubois… Il n’y a aucun portrait d’elle où on la
voit dans le détail de ses traits et de face.
De profil et de loin, elle a une silhouette longiligne, plutôt flateuse.
C’est très curieux et même très quelque peu intrigant.
Au fil de la semaine, Alex a le temps de faire le tour des coupures de
journaux religieusement conservées par sa grand-mère.
Et ainsi reconstituer, un peu, la carrière de sa mère.
Effectivement, pigiste comme elle, mais diplômée de lettres modernes et
concours général des lycées en version latine, école de journalisme, piges pour
quelques quotidiens nationaux et de province, puis le concours de l’AFP.
1988, elle est nommée correspondante de l’agence à Ryad. 1990 elle est
adjointe de l’antenne de l’agence à Koweït-city où elle acquiert la notoriété
qui la fera propulser à Washington comme attachée culturelle de l’AFP pendant
quelques semaines…
En 1991, elle rentre en France pour donner naissance à Alexis. Et elle
disparaît tragiquement dans un accident de voiture sur une flaque d’eau après
un départ en aquaplaning sans jamais avoir pu en faire ni plus ni mieux, pas
même de rentrer à Washington.
Le dossier « Guerre du Koweït » est le dossier le plus
fourni : Camille aura été celle qui a révélé au monde l’invasion du pays
par la division blindée « Hammourabi » de Saddam Hussein qui aura
réduit un État souverain en simple 19ème province en moins de 48
heures[1] !
Quelle chance pour une journaliste, sans vouloir être cynique …
Dans ce qui ressemble à un journal intime de l’époque, perdu parmi
d’autres, tous griffonnés de notes et de croquis, un examen particulier de ceux
de 1990/91, période approximative de la conception d’Alex, signalent plusieurs
noms, des photographes d’agence (un anglais, un koweïtien, un français, un
italien et un journaliste américain) parmi beaucoup d’autres, dont ceux de ses
collègues et relations à Koweït-city dans les personnels de l’ambassade, les
officiers militaires et officiels, les visiteurs de ce micro-État véritable
éponge à pétrole.
Hélas, rien ne suppose quelques relations intimes particulières…
Le père d’Alex n’est pas mentionné, même dans ses courriers à sa mère.
Dans l’idéal, il faudrait retrouver tous ces gens-là pour qu’ils puissent
lui parler de sa mère.
Mais à quoi bon ? C’était il y a plus d’un quart de siècle, les
mémoires se seront estompées.
Camille avait alors 30 ans. Ses supérieurs devaient désormais être tous à
la retraite quand ils n’ont pas été emportés par la vie.
Même si c’est son métier que d’éplucher les archives, qu’en
ressortirait-il ?
Peut-être une photo de sa mère : celle qu’elle cherche.
Mettre un visage sur un prénom.
De sa grand-mère, elle en détient désormais plein, ainsi que d’elle, de tous
les âges. Beaucoup moins de son grand-père, ici en uniforme, beau comme un
guerrier, là au volant d’une 2CV ou encore en maillot de bain sur une plage
normande ou bretonne.
De sa mère et de son père, elle n’en a aucune !
Comme si la génération avait été effacée, inexistante, seulement
virtuelle.
Curieux, tout de même…
Alexis reprend ses activités habituelles, dormant seule la plupart du
temps, entourée de ses chats.
Jusqu’à ce que…
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