Un blog est enfin assimilé à un espace de
contributions personnelles
Considérant
qu’il sera rappelé à titre liminaire que l’action publique n’est plus en cause
et qu’il revient à la cour de statuer sur l’action civile et donc de déterminer
si les faits diffamatoires et injurieux
visés par la poursuite sont constitutifs d’une faute ouvrant droit à réparation
à la partie civile ;
Considérant,
en premier lieu, que la matérialité des propos poursuivis n’apparaît pas
pouvoir être contestée par la défense dès lors que, comme l’a retenu le
tribunal, à l’exception du deuxième propos poursuivi comme injurieux qui ne
résulte que d’une capture d’écran versée aux débats par la partie civile, la
présence des autres passages sur le site internet visés par la prévention
résulte soit du constat d’huissier soit des constatations effectuées par les policiers au cours de la procédure d’instruction soit des propres déclarations de Madame R. ;
Considérant que la partie civile conteste que le blog
dont Madame R. a reconnu qu’elle l’avait créé et dont le tribunal a retenu
qu’elle en était le directeur de publication, puisse être considéré comme un «
espace de contributions personnelles identifié comme tel » en faisant valoir
qu’il est organisé selon un format classique, c’est-à-dire que des articles
sont publiés à l’issue desquels il est possible de rédiger un commentaire, et
que le principe même de l’existence d’un mot de passe que Madame R. a reconnu
détenir et transmettre aux personnes de son choix démontre qu’il ne s’agit pas
d’un espace collaboratif totalement libre d’accès ; que ce fait lui interdirait
donc de bénéficier des dispositions de l’aliéna 5 de l’article 93-3 ; qu’en
tout état de cause, il résulte de ses propres déclarations qu’elle-même a
affirmé avoir relu et même « validé »
les articles avant publication et ce avant que cette modération « a
priori » ne devienne systématique ; qu’ayant donc eu nécessairement connaissance
des messages litigieux, elle n’a pas procédé à leur prompt retrait puisque les
services d’enquête en constataient encore la présence le 18 décembre 2013, soit
six mois après la plainte ;
Considérant
toutefois qu’il résulte des circonstances dans lesquelles le blog « 100 femmes
» a été créé et des conditions dans lesquelles il a fonctionné, qu’il a été
ouvert, ainsi qu’il résulte de la page d’accueil, dans le but de recueillir des
témoignages de la part, notamment, d’anciens
franchisés, salarié ou
fournisseurs, susceptibles d’être concernés par l’échec commercial du réseau
Ethnicia ; que si Madame R. a reconnu être à l’origine de la création de ce
blog, il ne résulte néanmoins ni de ses déclarations, ni de la procédure, que
l’accès à ce blog participatif ait été limité, à sa convenance, en ne
communiquant les identifiants ou mots de passe qu’aux personnes de son choix et
non pas à toute personne susceptible de donner librement son propre éclairage
sur les événements ayant abouti à la liquidation judiciaire des diverses entreprises
et aux licenciements de salariés, toute liberté étant également donnée aux
internautes pour livrer leurs commentaires ; que c’est donc juste titre que le
tribunal a estimé que le blog dont Madame R. était le directeur de publication
pouvait être qualifié d’« espace de contributions personnelles identifié comme
tel » et que les dispositions de l’alinéa 5 de l’article 93-3 de la loi du 29
juillet 1982 lui étaient applicables ;
Considérant
que Madame R. a certes admis avoir relu
des articles avant leur publication pour corriger les fautes d’orthographe et
de syntaxe et que s’agissant des commentaires
il avait été nécessaire à partir du mois d’octobre 2013 (D 300, 301) de
procéder à un changement de politique de modération, modération qui était devenue à compter de
cette date « a priori » ; qu’il n’en résulte pas que Madame R. du fait du
contrôle tout à fait occasionnel et purement formel exercé avant octobre 2013
sur certains articles, contrôle qui ne saurait s’assimiler à un contrôle
systématique a priori, pouvait avoir connaissance des messages incriminés ou
des commentaires qui ont été publiés entre le 24 avril 2013 et 11 juin 2013, et
ce avant leur mise en ligne ; que l’envoi d’un courrier le 3 mai 2013 par
Madame S. mettant en demeure Madame R. de supprimer dans son
intégralité le blog ne saurait être
considérée comme une demande de retrait tel que le prévoit l’article 93-3 précité, étant observée qu’à l’exception du
premier propos publié le 24 avril 2013, les autres messages poursuivis ont été
mis en ligne postérieurement ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a
estimé que Madame R. ne pouvait être déclarée responsable des propos poursuivis
comme diffamatoires rédigés par une dénommée D et par Mme B. et des propos poursuivis comme injurieux
publiés par un dénommé « Eric » ;
Considérant,
en revanche, que Madame R. a reconnu être l’auteur du troisième propos visé par
la plainte comme caractérisant le délit d’injure et dont les termes sont les
suivants : « Y a-t-il un pilote dans l’avion en feu d’Ethnicia/Mme S. » ; que toutefois, ces propos qui signifient,
ainsi que Madame R. l’a expliqué, que la société dont la partie civile était la gérante, se
trouvait en difficulté malgré l’abandon des franchisés censés être à l’origine
des difficultés, outre qu’ils visent plutôt la société que la partie civile, ne
contiennent en tout état de cause qu’une critique de la gestion de cette dernière, et ne
revêtent nullement un caractère injurieux ;
Considérant
que la partie civile sera en conséquence déboutée de ses demandes formées à
l’encontre de Madame R., le jugement étant confirmé en ce sens ;
Considérant
que Mme B. a reconnu être l’auteur, d’une part, des propos qui figurent
ci-après en caractères gras et s’insèrent dans le paragraphe suivant :
« voilà, ce fut la fin du salon de Lille, elle
promet d’y ouvrir un autre prochainement ! Malgré le fait que le propriétaire
du local va perdre plus de 50.000 € de loyers impayés, malgré le fait qu’elle
ne paye pas les salaires c’est donc que les AGS c’est-à-dire l’État qui allons
payer cette dette, et nous ne parlons pas des fournisseurs … » ;
Considérant
que la partie civile fait valoir que ces propos sont, contrairement à ce qu’a
estimé le tribunal, diffamatoires dans la mesure où ils portent atteinte à
l’honneur à la considération de la partie civile, chef d’entreprise, qui se
trouvait alors en période de difficulté économique mais se battait pour
maintenir l’intégrité de sa société et des salariés ;
Considérant
que ces propos, en ce qu’ils visent certes à souligner la gestion quelque peu
aventureuse et excessivement optimiste de la partie civile, au regard de la
situation financière de sa société, présentée comme désespérée par Madame B.,
n’imputent néanmoins pas à la partie civile de faits de gestion pénalement ou
moralement répréhensibles, ainsi que le tribunal l’a estimé ;
Considérant
que le deuxième et dernier passage imputé à Madame B. est le suivant :
« un bras de fer s’est installé HS accusait
sans preuves ni fondements les filles de vol, qu’elles coiffaient des membres
de leur famille, qu’elles refusaient les clients. Le tout avec des menaces, ce
qui a conduit certains membres du personnel a déposé une main courante contre
HS ! »
Considérant
qu’il n’est pas contesté que ces propos contiennent des faits précis de nature
à porter atteinte à l’honneur à la considération de la partie civile, dans la
mesure où lui sont imputés des faits susceptibles de justifier de poursuites
pénales et, en tout état de cause, un comportement qui ne peut être admis de la
part d’un employeur, à savoir d’accuser sans fondement ses employés de vol ou
de les menacer ;
Considérant
que la partie civile fait valoir que le bénéfice de la bonne foi ne saurait
être accordé à Madame B. en raison de sa forte implication personnelle, qui
permettrait de caractériser son animosité personnelle envers la partie civile,
l’échec du projet « 100 femmes » faisant que Madame B. nourrissait à l’égard de
la concluante un fort ressentiment l’ayant conduit à s’exprimer avec
malveillance ;
Considérant
toutefois que l’animosité personnelle faisant obstacle au bénéfice de la bonne
foi implique que l’auteur des propos diffamatoires les ait tenus pour des
motifs personnels, étrangers au sujet abordé et qui, de ce fait, étant demeurés
inconnus du lecteur, ne permettent pas à ce dernier de prendre le recul
nécessaire en tenant compte éventuellement de l’implication personnelle de
l’auteur des propos dans les faits qu’il rapporte ;
Considérant
qu’en l’espèce, les propos s’insérant dans une chronique visant à relater
l’expérience de Madame B., en tant que franchisée et à exposer sa version des
faits en précisant les causes qui, selon elle, seraient à l’origine de l’échec
tant du réseau de franchise que de son point de vente, l’internaute comprend
nécessairement qu’il s’agit d’une relation empreinte de subjectivité, du fait
de l’implication personnelle de l’auteur des propos, sans que pour autant ces
propos procèdent d’une intention malveillante ;
Considérant,
par ailleurs, que la défense ne conteste pas que le but poursuivi, à savoir
d’exposer sa version des faits et de rétablir un équilibre face à la prise de
parole médiatique de la partie civile, était légitime, que les termes
employés ne peuvent être qualifiés
d’outranciers et qu’enfin Madame B. disposait d’éléments suffisants pour
évoquer les faits litigieux ainsi
qu’elle en a justifié en produisant le témoignage de plusieurs anciennes
salariées ; que le jugement sera donc
également confirmé en ce qu’il a accordé
le bénéfice d’une bonne foi à Madame B. et débouté Madame S. de ses demandes ;
Considérant
que l’exercice du droit d’appel n’apparaît pas en l’espèce pouvoir caractériser
l’usage abusif d’une voie de recours par la partie civile ; que Mme R. et Mme
B. seront donc également déboutées de leurs demandes au titre de l’article 472
du code de procédure pénale ;
DÉCISION
LA COUR,
Statuant
publiquement, contradictoirement, après délibéré,
Reçoit l’appel
interjeté par Mme S., partie civile, Statuant dans les limites de l’appel,
Confirme le
jugement en ses dispositions civiles,
Y ajoutant,
Déboute Mme R.
et Mme B. de leurs demandes au titre de l’article 472 du code de procédure pénale.
La Cour :
Sophie Portier (président), Pierre Dillange, Pascale Woirhaye (conseillers),
Maria Ibnou touzi tazi (greffier)
Avocats : Me
Rodolphe Perrier, Me Romain Darrière, Me Vinciane De Sigy, Maître Thibault De
Montbrial
Avocat général
: Me Nathalie Savi
Ainsi, pour la cour d’appel de Paris, un blog
participatif peut bénéficier du régime de responsabilité allégée applicable aux
espaces de contributions personnelles prévu à l’alinéa 5 de l’article 93-3 de
la loi du 29 juillet 1982.
L’arrêt ci-dessus reproduit, confirme le jugement
correctionnel du 18 février 2016.
Le TGI de Paris avait considéré que la responsable
éditoriale d’un blog, comportant des zones de commentaire, n’avait pas pu
exercer un contrôle a priori sur les
propos diffamatoires et injurieux postés par des auteurs, auxquels elle avait
communiqué ses logins et mots de passe.
Comme elle n’avait reçu aucune notification de retrait
des propos en cause, le tribunal avait estimé qu’elle n’avait pas eu
connaissance des messages avant leur mise en ligne.
Sa responsabilité en tant que directrice de la
publication ne pouvait donc pas être engagée.
Qu’on se le dise, recommande vivement de rester prudent dans vos dires et commentaires.
Et la cour de préciser que la une mise en demeure de
supprimer la totalité du blog ne pouvait pas être considérée comme une demande
de retrait, tel que le prévoit la loi.
Dès lors, qu’un blog avait été créé pour permettre à
des femmes ayant appartenu à un réseau franchisés de salons de beauté de
témoigner de leurs expériences et de faire valoir leurs points de vue sur les
causes d’échec de ce réseau, de manière à ne pas laisser la parole à sa seule
créatrice, très présente dans les médias, même si cette dernière n’a pas
apprécié les propos tenus et elle a porté plainte avec constitution de partie
civile n’est pas suffisamment fautif.
Toutefois, une information judiciaire a été ouverte et
l’instruction a permis d’identifier la directrice de la publication du blog et
une auteure des propos.
Elles ont cependant été relaxées par le TGI de Paris, ou l’art de faire perdre leur temps aux magistrats !
La première n’a pas pu voir sa responsabilité pénale
engagée en raison de son absence de contrôle préalable à la mise en ligne des
messages. Et la seconde a bénéficié de l’exception de bonne foi.
Les juges avaient estimé que si les textes avaient un
caractère diffamatoire, l’auteure avait néanmoins témoigné de son expérience,
sans malveillance ni outrance, et elle avait disposé d’une base factuelle
suffisante.
Jugement a été confirmé en appel.
La cour a de plus précisé que la modération purement
formelle, se limitant à corriger les fautes d’orthographes et de syntaxe « ne saurait s’assimiler à un contrôle
systématique a priori, pouvant avoir connaissance des messages incriminés ou
des commentaires ».
J’adore : Si un ou une volontaire pouvait me
faire cet honneur et corriger les miennes…
Au moins me les indiquer.
Un arrêt qui m’avait interpelé quand il était sorti,
mais comme mes samedis étaient occupés jusque-là par « Laudato si… »,
le roman en ligne à terminer, je n’avais pas pu vous en faire une relation
immédiate.
Omission réparée ce jour !
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