Mme et MM. D. / Banque de France
Un arrêt rigolo, dans la mesure où on n’imagine pas
vraiment toutes les conséquences d’un « décès-anticipé » au sein des
familles :
Deux ayants droit d’une personne décédée le 2 août
2012 avaient demandé à son employeur, la Banque de France, de leur communiquer
le relevé des appels téléphoniques passés par la défunte entre le 1er
juillet et le 31 juillet 2012, depuis sa ligne professionnelle, afin de
connaître le nombre et la durée des échanges qu’elle avait eus avec le corps
médical avant son décès.
Suite au refus de la Banque de France, ils avaient
porté plainte auprès de la Cnil.
La présidente de l’autorité de contrôle n’a pas donné
suite à leur demande.
Sa décision a fait l’objet d’un recours pour excès de
pouvoir devant le Conseil d’État, sans succès.
Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 1310919/6-2 du 9 décembre 2014,
enregistré le 16 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État,
la 2ème chambre de la 6ème section du tribunal
administratif de Paris a transmis au Conseil d’État, en application de
l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce
tribunal par Mme B... D... et MM. C...et A...D....
Par cette requête et un mémoire en réplique,
enregistrés au greffe du tribunal administratif de Paris les 29 juillet 2013 et
12 février 2014 et par un nouveau mémoire, enregistré le 18 juin 2015 au
secrétariat du contentieux du Conseil d’État, Mme et MM. D...demandent au
Conseil d’État :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision de la
présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)
du 29 mai 2013 rejetant leur demande d’accès au relevé des appels téléphoniques
passés depuis sa ligne professionnelle par Mme E...D...entre le 1er et
le 31 juillet 2012 ;
2°) d’ordonner la transmission du relevé des appels
téléphoniques en litige ;
3°) de mettre à la charge de la CNIL la somme de 3.000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
• la convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales ;
• la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
• le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
• le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,
• les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur
public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les
conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de Mme et MM.D... ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que
Mme et MM. D...sont les ayants droit de Mme E...D..., décédée le 2 août 2012 ;
que, sur le fondement de l’article 39 de la loi du 6 janvier 1978, ils ont
demandé à la Banque de France, dernier employeur de Mme E...D..., la
communication du relevé des appels téléphonique passés par la défunte entre le
1er et le 31 juillet 2012 depuis sa ligne professionnelle, dans le
but de déterminer le nombre et la durée des échanges qu’elle avait eus avec le
corps médical avant son décès ; qu’après le refus de la Banque de France, ils
ont déposé une plainte le 1er février 2013 auprès de la CNIL ;
qu’ils demandent l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 mai
2013 par laquelle la présidente de la CNIL n’a pas donné suite à leur demande ;
2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes du
dernier alinéa de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 relative à
l’informatique, aux fichiers et aux libertés : « La personne concernée par un traitement de données à caractère
personnel est celle à laquelle se rapportent les données qui font l’objet du
traitement. » ; qu’aux termes de l’article 39 de cette même loi : « I. Toute personne physique justifiant de son
identité a le droit d’interroger le responsable d’un traitement de données à
caractère personnel en vue d’obtenir : / (...) 4° La communication, sous une forme accessible, des données à caractère
personnel qui la concernent (...) » ; qu’il résulte de ces
dispositions qu’elles ne prévoient la communication des données à caractère
personnel qu’à la personne concernée par ces données ; qu’il suit de là que
c’est à bon droit que la présidente de la CNIL, qui avait reçu délégation pour
prendre la décision attaquée, a confirmé le refus opposé par la Banque de
France à Mme et MMD..., qui ne pouvaient, en leur seule qualité d’ayants droit,
être regardés comme des « personnes
concernées » ;
3. Considérant, en second lieu, que le moyen tiré de
ce que la décision attaquée méconnaîtrait les stipulations de l’article 2 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
relatives au droit à la vie ne peut qu’être écarté, dès lors qu’il ne saurait
être déduit de ces stipulations un droit, pour les ayants droit d’un défunt, à
la communication des données à caractère personnel concernant ce dernier ;
4. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède
que la requête de Mme et MM. D...doit être rejetée, y compris leurs conclusions
aux fins d’injonction et les conclusions qu’ils présentent au titre des
dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECISION
Article 1er : La requête de Mme et MM.
D...est rejetée.
Article 2 : La précision décision sera notifiée à Mme
B...D...et MM. C...et A...D..., et à la Commission nationale de l’informatique
et des libertés.
Le Conseil : Vincent Villette (rapporteur), Edouard
Crépey (rapporteur public)
Avocats : SCP Boré, Salve de Bruneton
Désormais, il est acquis que l’ayant droit d’une
personne décédée ne peut pas être considéré comme la personne concernée, au
sens de la loi Informatique et libertés.
Il est pourtant son héritier manifeste…
Et paye même des droits pour succéder à la fois de l’actif
et du passif, des droits et des dus, du de
cujus.
La cour suprême administrative rappelle que seules les personnes
concernées peuvent obtenir communication de leurs données personnelles. Selon
l’article 2 de la loi, la personne concernée par un traitement est celle à
laquelle se rapportent les données.
Que je me demande bien à quoi cela servirait, pour une
personne, de demander le listing de ses propres appels téléphoniques du mois…
En revanche, les héritiers, je peux comprendre.
Les données personnelles, pour en vérifier la
pertinence, l’aspect « non-dolosif » faite par un tiers, d’accord, c’est
même le cœur des motivations de la loi visée au profit des « personnes
concernées ».
Mais le relevé des appels…
Alors que les flics, quand ils obtiennent l’accord d’un
juge peuvent se le permettre, et même sans juge dans le cadre de l’état-d’urgence.
Là, je ne comprends plus très bien, notamment si l’ensemble
cache une misère sanitaire et médicale dont on ne connaîtra rien dans cette
affaire.
À mon sens, il ne reste plus aux « héritiers »
qui doutent de « quelque-chose » à déposer une plainte contre X et se
constituer partie-civile pour mobiliser un juge d’instruction qui mènera une
enquête s’il juge les éléments entourant ce décès (ou pour toute autre raison)
suffisamment suspect.
Mais reconnaissons que le Conseil d’État en reste à
ses devoirs, c’est-à-dire à interpréter la loi telle qu’elle s’applique, dans
le sens de la volonté du législateur, à n’en pas douter.
En conclusion pratique, vous pouvez donc désormais et utilement user
de votre téléphone professionnel pour organiser vos « cinq à sept »
en toute quiétude : Personne ne pourra en vérifier l’existence !
Dans une certaine mesure, c’est plutôt rassurant,
finalement…
Pas mal comme requête, effectivement. Mais est-ce qu'on peut encore considérer un recours comme abusif de nos jours, légalement ou réglementairement parlant? Car c'était quand même limite comme recours, surtout qu'il n'y a aucun moyen original d'évoqué.
RépondreSupprimerTa question a des solutions relativement bien balisées (et que nous avons déjà abordées sur "l'autre blog") que je ne vais pas te résumer ici.
SupprimerL'excès de pouvoir n'est effectivement pas forcément la bonne procédure, puisqu'il faut qu'il y ait une décision "positive" d'une autorité légitime qui dépasse son cadre de compétence défini par la loi ou sn règlement.
Or, là, on est dans un vide, puisque ce n'est pas prévu avec la CNIL qui ne répond pas et classe.
Une carence de la loi : Elle aurait répondu, même pas la négative, là, la solution aurait été probablement différente.
Ce qui manque, c'est l'application du principe "silence de l'administration vaut acceptation".
Ce n'est pas prévu et dans notre hypothèse, on ne voit pas par quelle voie de droit la BdF aurait été obligée de fournir le renseignement demandé.
Donc, donc... décision de la cour de cass parfaitement logique !
Ceci dit, personnellement, j'aurai argué d'un "intérêt des familles" pour faire ouvrir une instruction demandant une expertise à un juge d'instruction, avec constitution de partie civile, si j'avais soupçonné l'existence d'une carence ou d'une erreur médicale (ou de n'importe quel autre délit).
Mais pas les parties et je ne sais pas pourquoi...
Bien à toi !
I-Cube