Mariage
et noces
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Rien à dire, quand les anglais se marient, ils savent faire la noce.
Paul, toujours matinal, mais là pour la simple raison qu’il s’est réveillé
sur la moquette, qui reste inconfortable, une vague couverture tirée sur lui,
se heurte à « Shirley », assoupie dans le couloir, le long de la porte de la
chambre, celle-là même que Paul a éconduite hier soir malgré ses jolies taches
de rousseur.
Têtue la jeunette ! Elle espérait quoi au juste ?
Il lui remonte son manteau sur les épaules et va se faire un petit jogging
habituel après avoir bu un café infecte au bar et une orange pressée : c’est
bon pour le moral !
Quand il rentre, c’est pour découvrir les trois femmes ensemble au bar en
train de « bruncher ». Il s’agit maintenant de s’équiper pour une cérémonie
religieuse, en grand apparat lui affirme-t-on.
Et les deux dames de l’hôtel, chacune, apparemment ravie d’être à l’un des
bras de Paul qui a revêtu pour l’occasion ses galons tout neuf, déambule vers
l’église « catho » de ce pays d’anglicans où une masse compacte de « fidèles »
attend d’accueillir les « promis ».
Pas mal d’uniformes, quelques tenues de soirée un peu déplacées sous le
soleil à son zénith, Paul fait la connaissance de Sir Philips, Lord McShiant,
qui pousse un fauteuil roulant, lui le vieillard, où trône sa petite fille, Lady Margaret, toute
aussi blonde que la mariée, Miss Birgit, mais en nettement plus mince… Un vrai
plat d’os, limite anorexique, toute souriante.
Cérémonie bizarre, sans Eucharistie, où l’on chante et psalmodie en chœur,
où la bible et les évangiles sont lues et commentées à plusieurs reprises, le
tout en anglais, c’est-à-dire à la limite du compréhensible, pour finir sur le
gazon de devant l’église, pour la photo, assommés par le son des cloches lancées
à toute volée.
Seule note rigolote dans l’ambiance joyeuse, la Rolls noire et grise qui
attend les mariés, le chauffeur en livrée sur le trottoir, un plateau à la main
avec deux flûtes et du champagne qui s’évente sous la chaleur.
Naturellement, le plateau est bousculé à plusieurs reprises dans la cohue,
et imperturbable, le chauffeur ouvre la malle de la voiture, en ressort deux
autres flutes qu’il remplit aux deux-tiers de Mumm cordon rouge !
Boire du Mumm qui n’est pas à température « frappée », encore une idée
d’anglais, pense Paul pour lui-même !
Et tout ce beau monde de repartir à pince vers la maison de la mariée,
pour un repas, « so british ».
Pas tout-à-fait immangeable, mais pas loin. Curieux en fin de compte.
Il fait chaud et une fois encore, les tonneaux se vident jusqu’au soir.
Entre-temps, Paul accoste quand même Sir Philips qui siège au côté de
Milady Margaret.
Les présentations faites, et très rapidement, c’est lui qui s’enquiert de
la suite.
Et dans un français impeccable, pour que le voisinage ne comprenne pas le
fond de leur conversation.
« Ma petite-fille m’a dit son
intention de nous ramener tous, y compris Lady Joan et vous-même à Glasgow
demain matin. Vous m’en voyez ravi ! »
Étonnant, non ?
Sait-il pourquoi Paul fait ce voyage ?
« Well ! J’imagine que la jeunesse
doit aussi exulter. Mais je suppose que votre détour, si vous l’acceptez, non
seulement fera honneur à notre maison, mais qu’il n’est pas tout-à-fait
désintéressé. »
Comme ces choses-là sont si joliment dites…
« Je sais que vous êtes chargé de
passer jeter un œil sur mon laboratoire de « Shiant island ». Mes « honorables correspondants » me
l’ont affirmé. Même si je n’ai pas bien compris pourquoi on y déléguait un
continental, français de surcroît.
Enfin passons, je n’ai rien à cacher et
l’occasion fait le larron : nous y serons demain dimanche soir, au plus tard.
J’espère seulement que vous êtes assez qualifié pour comprendre les choses
autrement que ces ignares des services secrets de mon pays.
Car je suppose que l’épouse de mon
regretté ami, Lord Thornner, veut aussi un « œil neuf » autour des activités
industrielles que pilote ma petite-fille Catherin. »
Et le voilà qui explique un peu d’histoire de sa famille pendant de
longues minutes.
Paul sait écouter en restant très attentif : ça évite d’avoir à dire des
choses embarrassantes ou de passer pour un idiot.
Ce que note, plusieurs poignées de dizaines de minutes plus tard, son
interlocuteur par un : « Vous ne me
paraissez pas très ennuyé par les radotages d’un vieux monsieur. Dois-je savoir
quelque chose que vous ne me dites pas ? »
Absolument rien qu’il ne sache déjà.
« Je vous explique, sir Philips.
Lady Thornner essaye de comprendre pourquoi ses investissements dans vos
sociétés ne rapportent aucun dividende. Ce n’est pas qu’elle soit femme vénale,
mais elle gère des fortunes de gens qui souhaitent des rentes. Et son métier
est de leur proposer des choix judicieux. »
Il sait cela.
« Votre gouvernement, lui s’inquiète
de votre sécurité qui pourraient être en danger si des groupes terroristes
entendaient parler de vos travaux. »
Et qu’en devinent-ils exactement ?
« Eux, je ne sais pas, mais moi j’ai
compris que mettez au point une « Z-Machine » similaire à celles des
laboratoires Sandia aux USA. »
Pas seulement, répond le vieillard.
« D’abord j’ai travaillé sur les
moteurs magnétiques asymétriques. Je vous montrerai. Il s’agit de disposer des
aimants en néodyme sur un axe en rotation et de laisser faire la gravité
naturelle de la planète. Il suffit juste de donner quelques impulsions
électriques au bon moment, ce que savent parfaitement faire des mécanismes
simples et peu gourmands en énergie. Ça fonctionne assez bien. Même si on se
heurte à un problème de puissance finale. Ce n’est jamais que du bricolage.
»
Le principe du moteur Minato, Paul en a déjà entendu parler. Mais ce n’est
qu’une forme, assez astucieuse, de restitution d’énergie, via le magnétisme
hyperpuissant du néodyme : il faut beaucoup d’énergie pour fabriquer des
aimants assez durables. « Ils finissent par
s’épuiser. Il n’y a aucune source inattendue d’énergie positive dans ce type de
dispositif ! », affirme-t-il.
« Ensuite, je suis passé à la fusion
nucléaire. Ça fonctionne aussi assez bien. Même si on se heurte à un problème
de miniaturisation. »
Révélation à en couper le souffle… si c’était vrai.
« La machine en elle-même, ce n’est
pas vraiment un problème. Le vrai problème c’est le stockage d’un énorme
courant électrique induit, à très haute tension et avec un ampérage très
volumineux, pour un usage en continue. Lady Margaret, ma deuxième petite-fille
travaille ainsi sur des condensateurs assez puissants et moi sur la
miniaturisation, avec pour objectif de trouver une alternative exploitable
industriellement aux moteurs thermiques habituels. »
Ah ?
Paul en a la bouche bée, le son silencieux, la corde vocale tétanisée.
« Parce que, parce que… ça marche ?
»
Et pourquoi ça ne marcherait pas ? « Les
américains font ça depuis 5 ans et se heurtent aux mêmes problèmes. Imaginez un
peu quand on parviendra à le résoudre, non seulement on mettra à la casse
toutes les centrales électriques, nucléaires, au fioul ou au charbon, qui
seront alors utilisés comme des matières premières et non plus comme sources
d’énergie, mais en plus on pourra mettre ça dans nos voitures, cars et camions.
Et peut-être même dans nos avions ! », s’enflamme-t-il.
« En fait, c’est juste une question
de condensateur, ou de batterie. Celles-ci sont exclues compte tenu de leur
capacité de charge, sauf peut-être sur une centrale terrestre ou un navire. Et
encore ! Reste les condensateurs, qui sont peut-être moins puissants rapportés
à leur masse, mais reste la solution pour emmagasiner autant d’énergie d’un
seul coup.
Ma petite-fille vous expliquera ses
travaux, si elle le veut bien. Je vous préviens, elle a parfois des caprices
étonnants : il vous faudra en passer par ce qu’elle veut si vous voulez savoir. »
Encore un avertissement ?
Et Paul, pour rester discret, d’expliquer son but réel. « En ce qui me concerne, je dirige une usine qui
fait dans la poudre et les explosifs. La poudre, le broyage, les mélanges, on
sait faire depuis trois générations. Ce qui nous amène lentement mais sûrement
aux céramiques. Et donc, les marchés de leurs usages potentiels. »
Le quasi-nonagénaire écoute tranquillement, à son tour.
« L’un d’entre eux est une possible
application quant aux céramiques réfractaires qui doivent peut-être permettre
de s’affranchir du « mur de la chaleur » propre aux vitesses hypersoniques. Et
je me demandais si vos ateliers n’avaient pas une solution toute simple que
l’US-Air-Force utilise peut-être déjà au titre de la furtivité avec ses avions
F 116 et B2, alors que les français le font pour leurs frégates navales, à
savoir les effets de la MHD. »
Sir Philips reste un moment silencieux… Et Paul poursuit.
« Nos équations montrent qu’avec un
traitement de surface adéquat, que peut-être vos ateliers savent faire, et en
poussant la puissance rendue du dispositif, on doit pouvoir s’affranchir des
effets de frottements de l’air sur un avion rapide… »
Mais si l’air ambiant n’a plus de prise sur l’appareil, l’avion ne peut
plus voler : il tombe, affirme alors l’ancien officier de la Navy.
« Certes, mais il s’agit juste de
protéger les parties chaudes au-delà des propriétés réfractaires de nos
céramiques. Nous testerons en condition réelle d’ici à la fin de l’été nos
céramiques autour de 1.500 °C… »
Et ça fait combien en Fahrenheit, s’entend-il demander ?
La colle !… Il aurait pu demander en Mach, là Paul savait.
Plus de 2.700° ?
« Les américains font mieux avec
leur navette qui encaisse 1.650 ° C autour de 69/68 km d’altitude avec un
vitesse de l’ordre de Mach 22,5 à 21,8 à ce moment-là de leur retour dans
l’atmosphère. »
Précis le bonhomme ! Mais pourquoi parle-t-il en Celsius alors qu’il
venait de poser une question en Fahrenheit ? Paul ne comprend pas immédiatement
qu’il change d’échelle.
Mais il sait que les tuiles qui revêtent la navette sur sa partie
inférieure et sur les bords d’attaque des nez et ailes sont optimisées pour des
températures de 2.000° C.
« Vous devriez y arriver ! »
conclut-il.
Et de finir par dire que de la MHD, ce n’est peut-être pas la solution.
« Dans notre usine, on fait aussi
des RFID. Donc techniquement, on doit pouvoir revêtir d’un film protecteur MHD
vos engins. Et à pas cher. Mais ces films se déchireraient sous la pression
efforts mécaniques dans l’atmosphère. Pas sûr que ce soit la bonne solution.
»
Il faut tenter le calcul…
C’est alors que Lady Joan se rapproche au bras de « Shirley la tâche de
rousseur au nez », elle aussi de la fête.
« Peut-on vous emprunter l’officer
Paul ? »
Non !
Réponse sèche et définitive.
« Excuse-me. Dear Paul, j’ai besoin
de savoir si vous accepteriez, en retour, de me rendre quelque menu service ?
»
Tout dépend duquel : Pas question de se laisser passer la bague au doigt,
même si Lady Catherin fait bien partie du club fermé des « femmes fontaines » :
il sait depuis hier soir.
Une chose qui mettrait un terme définitif à sa relation « privilégiée »
avec au moins l’une d’entre-elles-deux…
Sir Philips explique alors à Paul qu’il participe à divers comités
scientifiques et que dans l’un d’entre eux, vu le grand âge avancé de ses
membres, il s’agit de préparer la relève.
Paul se dit honorer, mais de quoi s’agit-il ?
« De science du vivant. Ce n’est
peut-être pas votre domaine de prédilection. Je me suis laissé dire que vous
préfériez l’étude du sort des… « vivantes » (en français dans le texte), n’est-il pas ? »
L’humour britannique…
Plus exactement d’un Institut qui travaille depuis plus d’un quart de
siècle sur les greffes d’organe. L’Institut Risle.
« Un de vos compatriotes très en
pointe sur ces techniques. Pour tout vous dire, je suis moi-même greffé d’un
rein et je ne m’en porte pas trop mal, même si le seul que je possède n’est pas
à moi et que la prise de médicaments antirejet n’est pas une contrainte des
plus confortables. Je fais partie de son comité stratégique depuis de très
nombreuses années. Pas une occupation très prenante, mais néanmoins très
intéressante.
Et j’ai eu la malencontreuse idée de
dire à mes collègues que nous devions initier des jeunes, hors des milieux
médicaux comme moi, aux intérêts de l’Institut.
Est-ce que cela vous tenterez ? »
Il ne va quand même pas dire non d’emblée à celui dont on lui a demandé
d’entrer dans son cercle d’intimes.
« Je n’oblige à rien, mais à
l’occasion d’un déplacement outre-Atlantique, j’aimerai bien vous présenter au
professeur Risle. Un type très attachant et brillant. Qui lui aussi ce fait
vieux. »
Et pour en rajouter une couche, l’air canaille, il lâche : « Il a une fille, de l’âge de Lady Joan, avec
qui, je suis sûr, que vous vous entendrez à merveille ! »
Si c’est pour la bonne cause, comment refuser, n’est-ce pas ?
« Pourquoi pas un sort enviable pour
l’une de vos deux petites-filles ? »
Parce que l’une est lourdement handicapée, travaille déjà plus ou moins pour la fondation avec ses prothèses « intelligentes » et que les deux sont harassées
par leurs tâches respectives.
Était-ce une façon de dire que Paul se la coulait douce ?
L’après-midi se poursuit très logiquement par la soirée, l’atmosphère
encore plus éméchée que la veille et, tellement il fait chaud sous la tente,
personne ne désire vraiment en rabattre les pans latéraux.
Arrivée l’heure du couvre-feu, Paul suggère aux jeunes d’aller préparer une
« soupe à l’oignon » propre aux nuits nuptiales sur le continent.
Mais ça n’emballe personne : la faute aux éventuelles poursuites
judiciaires pour tapage nocturne…
C’aurait pourtant pu être une bonne façon de se débarrasser de Shirley.
Qu’il retrouve hélas sur le chemin du retour, accompagnant, enfin, soutenant
Lady Catherin, le bibi de travers, la robe « débraillée », tâchée des boues du
gazon piétiné de la garden-party, légèrement… non ! Complétement pompette…
Lady Joan, qui reste avoir plus de tenue, suggère de prendre la tangente…
à l’anglaise et de filer par derrière pour rentrer à l’hôtel, en vue de
s’enfermer seuls toute la nuit restante.
(Aparté n°3).
Ce qui n’empêchera nullement Paul de retrouver « Shirley la tâche de
rousseur » au pied de leur porte, endormie comme la veille, au moment du jogging
matinal !
Une têtue à peine dégrossie, cette gamine-là…
Elle restera sur le tarmac de l’aéroport, avec ses désirs et promesses,
quelques heures plus tard.
Paul profite des quatre-vingt-dix minutes de trajet et de l’état « avachi
» de la plupart des passagers du vol privé vers Glasgow, pour lier conversation
avec Lady Margaret.
Une jeune fille sympathique, timide, et sobre, elle.
Elle explique un peu sa vie, son accident de cheval, son fauteuil et ses
occupations.
Paul lui parle de son métier, son parcours d’aviateur de marine et sa
recherche sur les « surfaçages » boostés au MHD.
Tout autant dubitative que le grand-père, la veille, sur cette question.
Comment passer assez de courant en ampérage tout du long des parties
chaudes d’un avion ou d’un missile ?
Pourtant les américains le font bien avec leurs avions furtifs.
« Peut-être, mais pas au point de
créer une ionisation telle qu’elle repousserait les molécules d’air par
électromagnétisme. Surtout à grande vitesse ! Ça brasse beaucoup, même en atmosphère
ténue, suppose-je ? »
S’il est tout seul à y croire, alors autant abandonner l’idée ?
« Ça « brasse » en effet. Et
l’objectif est de créer une couche d'air ionisé autour des parties chaudes, repoussée par
effet électromagnétique de façon à n’avoir aux points de contact qu’une
température allégée de 1.500 degrés Celsius seulement, ce que devrait pouvoir
encaisser mes céramiques.
Ainsi, les parties métalliques de
l’avion ne dépasseraient même pas le zéro à haute altitude, et on se débarrasse
d’un coup des effets d’allongement de la structure et des problèmes de surpoids
dans sa conception, pour encaisser de fortes contraintes mécaniques à l’avancement
! »
Ingénieux, mais pas forcément réalisable.
« Il faut que ma sœur vous montre ce
qu’on sait faire en matière d’impression de circuits imprimés. Vous verrez que
nos « films » de support peuvent être assez fins et discrets pour faire des
RFID en grande quantité, mais je reste convaincue qu’ils ne pourront pas
résister à l’effort d’arrachement dans le cas d’un vol hypersonique, même à
très haute altitude. Dans le vide, oui, pas de problème. Mais quel intérêt sauf
à vouloir disparaître des écrans radars ! »
Décidément, se dit Paul… Personne pour prendre le relais. Et pour changer
de sujet de conversation, il dit :
« Bien, je verrais. Mais je me suis
laissé dire qu’il fallait, pour entrer dans votre laboratoire, en passer par
vos nombreux caprices. Est-ce vrai ? »
Là, elle éclate de rire, franc et sonnant comme d’une clarinette.
« Vous savez, on dit beaucoup de
choses sur mon compte qui ne sont que pures médisances générées par mon état de
paralytique. Et c’est vrai que j’ai des exigences dans « mes » locaux.
Notamment qu’on ne touche à rien et qu’on ne me questionne pas sur mes travaux
quand j’y travaille. Pour le reste, ma foi, je n’ai de sensations qu’au-dessus
du nombril, ce qui me laisse que les sens du goût et de l’odorat pour
satisfaire tous mes autres soi-disant « caprices ». Un peu du toucher, mais
juste avec le buste et les mains. C’est dire si je suis nécessairement peu
exigeante ! »
Et la voilà qui se met à parler de la nature de ses travaux.
« Au début, je souhaitais surtout me
fabriquer des jambes mécaniques, contrôlées par ordinateur. J’en ai plusieurs
paires, mais le problème du contrôle automatique, de l’équilibre, des
corrections d’allure ou de position, m’ont amenée peu à peu à m’intéresser à ce
qu’on appelle pompeusement l’intelligence artificielle.
Plus exactement à des prises de
décisions automatiques sous l’effet d’inputs variables et en grand nombre. »
Du pilotage automatique ? La mathématique appliquée avait fait d’énormes
progrès en quelques années avec la mise au point des premières arborescences
décisionnelles, les aides à la décision, etc.
« Je connais tout ça ! »
fait-elle. « Le problème c’est que nous
avons plusieurs dizaines de muscles de nature différente pour chaque jambe,
plus ceux du bassin à coordonner. La plupart sont indispensables, y compris
ceux des orteils et qu’à part quelques-uns aucun n’est unique à gérer, ni quant
à leur disposition, ni quant à leur nombre. Marcher, courir, s’asseoir,
s’allonger, se relever, se pencher, demande donc la maîtrise parfaite du
déroulement de la séquence de leur activité de façon totalement synchrone.
Quand il s’agit de muscles longs qui ne
travaillent qu’en effort de traction, l’algorithme du traitement des
informations est très complexe et je n’arrive pas encore à épargner tout le
temps une chute au sujet.
Mais je travaille aussi sur des «
muscles » artificiels réversibles, traction et compression. Une forme de
simplification.
Je ne sais pas si Grand-père vous a
parlé de l’Institut Risle. C’est un chirurgien de votre pays qui a mis en place
une organisation internationale autour des greffes d’organes. Mes travaux
viennent en complément pour les cas où la greffe de membres de ses patients
n’est pas possible pour des raisons d’histocompatibilité.
J’ai encore beaucoup de travail à
fournir sur ce sujet avant de parvenir à faire des prothèses vraiment
intelligentes. Alors évidemment, quand on m’interrompt en pleine cogitation ou
programmation pour des peccadilles, je suis hélas sujet à des réactions qu’on
peut prendre pour des exigences malheureuses et du mauvais caractère.
C’est tout. »
C’est tout ?
« Il m’a en effet parlé de
l’Institut. Il voudrait que je fasse partie de son comité stratégique, ou
quelque chose comme ça. Les sciences du vivant, ce n’est pas trop mon domaine
d’excellence, je ne sais pas si je pourrais y apporter quelque chose. Qu’en
pensez-vous Milady ? »
Que ça ne peut pas faire de mal, ni aux uns, ni aux autres.
« D’autant que je ne sais pas ce que
Grand-père y fait, à part voyager une ou deux fois l’année pour leurs réunions.
Je sais simplement qu’il a été lui-même un patient de l’équipe française quand
il a s’agit de lui greffer un rein. »
Par ailleurs, elle se fait l’expression d’un doute : « Cet Institut, c’est très bien ! Il a sauvé
la vie de mon Grand-père et je les en remercie. Mais il y a des choses,
parfois, un peu bizarres, que je ne comprends pas forcément. »
Quoi, elle n’en dira pas plus pour changer de sujet de conversation.
Et de reprendre mot pour mot une expression entendue la veille : « Mais ça vous ira très bien : je crois que
vous êtes homme à vous intéresser plus particulièrement au monde des « vivantes
» (toujours en français dans le texte). »
Scié, le Paul !
De quoi parle-t-elle ?
Et de rajouter, presque comme un défi : « Et en qualité de handicapée repoussante, c’est vrai que j’ai des
exigences très particulières. Seront-elles à la hauteur d’un « french-stallion
» ? »
N’y a-t-il pas à redouter le pire, se demande Paul sur
le moment ?
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