Pentecôte 2010 : Soirée
de « fiançailles » de Matthew et Birgit
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Norwich, Willow Lane
C’est une promesse qu’il avait consentie quelques semaines plus tôt à Lady
Joan [1], qui avait lourdement insisté pour être sûre de n’avoir pas à essuyer
le moindre refus !
« Viens avec ton uniforme d’apparat
et tes décorations, si tu en as ! » s’est-elle contentée de rajouter, un
peu mystérieuse.
Paul de Bréveuil part donc un peu plus tôt depuis l’usine d’Aubenas, en
moto d’abord, en hydravion ensuite, jusqu’à « London city airport » où le
chauffeur en livrée et la Rolls de Milady l’attendent en fin d’après-midi du
vendredi 21.
La route qui les emmène jusqu’à la capitale du Norfolk est curieusement
faite pour un continental :
1. Ces gens-là persistent à conduire à l’envers, sur des autoroutes larges
et bien tracées exemptes de tout péage, mais bourrées de radars automatiques
pratiquement invisibles, qui enregistrent le passage des véhicules et mesure le
temps mis entre deux points où la distance est connue, et sanctionnent
impitoyablement tout dépassement de la vitesse autorisée limitée à… 113 Km/h !
2. Ils ne comptent pas les heures comme tout le monde non plus, se
résignant à avoir une heure de décalage horaire d’avec le continent.
3. Ils ne comptent pas non plus dans la même monnaie. Les livres et autres
pence ont toujours cours outre-manche ! Idem pour les distances qui sont
affichées en yards et en miles… britannique qui n’a rien à voir avec le «
nautique ».
4. Ils parlent tous un anglais incompréhensible, de celui qu’on n’entend
jamais dans les écoles françaises ni ailleurs, d’ailleurs. En revanche, pas de
problème pour comprendre leur anglais écrit…
5. À part autour de Londres, on se retrouve immanquablement en milieu
totalement « rural », presqu’au milieu de nulle part.
Il y a pourtant des villes réputées tout autour du parcours qui mène à
Norwich, telle que Cambridge, Ipswicht, Colchester, en traversant l’Essex et le
Suffolk, mais rien à l’horizon, pas même un clocher d’église à se mettre sur le
fond de la rétine !
Un vrai paysage de campagne verdoyante sous la lumière du soleil tardif,
car en plus, il fait beau.
Pas un seul nuage de tout le week-end.
6. Et puis les belles autoroutes, dès qu’on pénètre dans le Norfolk, se
réduisent d’un coup en chemins deux fois une voie, sans explication appropriée.
La route a beau être droite, impossible de dépasser le trafic de camions
et arrêt obligatoire autour des nombreux ronds-points qui parsèment le
parcours.
Car attention, priorité à droite dans les ronds-points !
Et intérêt à suivre la signalisation horizontale pour se retrouver, au
dernier rond-point avant l’arrivée qui en a même un feu rouge (tricolore, qui
passe à l’orange avant de passer au vert), sur la bonne file. Sans ça, c’est le
coup de klaxon assuré et de la tôle froissée, quasi-immanquablement !
Pendant le parcours, Lady Joan a les yeux qui pétillent sur la banquette
arrière : elle retrouve « son » étalon du moment, son « french lover », et
c’est l’occasion de « faire le point » de leurs excellentes relations
réciproques.
Paul lui raconte son voyage à Kaboul du mois de mars où le Président
américain lui-même lui a remis la médaille de la liberté.
« Ça m’en fait deux ! Et toutes les
deux américaines et aucune de mon propre pays ! On va finir par croire que je
suis un agent américain », s’amuse-t-il.
Et de lui raconter que la première, c’était il y a quelques années.
Mais de préciser qu’il n’avait jamais su si c’était seulement pour ses
exploits afghans, ou si c’est aussi et avant tout pour d’autres exploits, en
qualité de civil, au large des côtes de Floride, un jour de grand vent où il
s’était porté au secours des passagers d’un avion de ligne qui avait été forcé
d’amerrir en catastrophe, faute de carburant.
« Tu vas finir espion de notre très
gracieuse Majesté ! », fait-elle une nouvelle fois un tantinet mystérieuse.
Et d’expliquer les circonstances de leur arrivée dans la capitale du Norfolk, pour ce week-end.
« Premier point, ne t’offusque
surtout pas de mes compatriotes du Norfolk. Je sais que les anglais, déjà pour
un frenchy, c’est un peu une civilisation d’extra-terrestres, mais dans le
Norfolk, ils se prétendent encore plus anglais que les anglais ! »
Ça promet, se dit Paul pour lui-même.
« Deuxième point : C’est toi qui
m’en a déjà parlé à Paris, en fin d’année dernière. Lady Catherin marie son fils
unique, Matthew, demain. Ce soir ils se fiancent. Avec une fille du cru. Nous
allons à leurs noces. Et c’est l’occasion pour toi de rentrer dans les bons
coups de ma copine. »
Il se rappelle effectivement de l’existence d’un « club » évoqué
précédemment. Mais dont elle n’a pas voulu en dire plus.
« Elle est prévenue et je te
souhaite d’être à la hauteur de la situation comme tu sais l’être. Parce que ce
soir, nous dormons dans le même hôtel qu’elle.
Demain on marie son fils. Dimanche,
tout le monde se remet des agapes.
Ah ! Couvre-feu obligatoire à minuit
heure locale : ça ne devrait pas être trop dur pour des lèves-tôt comme toi.
Les « fiestas », c’est comme ça qu’on
dit dans ton pays je crois, chez les écossais ça dure trois jours et trois
nuits.
Et le marié est écossais, donc mariage
avec tout le toutim, les kilts, les uniformes – et il y en aura des étoilés –
et les cornemuses.
Et surtout, de quoi boire pour tout le
week-end.
Chez la mariée, ils sont catholiques.
Donc mariage avec des cloches et à l’église. Ne sois pas surpris, la mariée est
enceinte jusqu’aux dents, au dernier degré, que peut-être elle peut très bien
accoucher sur l’autel… on ne sait jamais. »
Voilà qui en rajoute aux promesses de dépaysement, si elle se marie en
blanc, pense Paul !
L’objectif assigné par Lady Joan est de passer visiter l’usine de whisky
écossais, dimanche ou lundi où, toute Lady Thornner qu’elle est, elle y a
quelques intérêts en gestion.
« Eh ! Mais je dois être rentré
mardi matin, moi ! Pas question de faire la moindre dégustation ! »
Il est prévu qu’ils soient de retour à Londres lundi soir au plus tard. « Sans ça je te garde jusqu’au lendemain à
l’aube : tu seras en France mardi à la reprise matinale ! Juré. »
Pourquoi discuter au juste ?
« Troisième point, pendant que tu
recevais tes breloques américaines, j’ai été contactée par les services de
sécurité de sa Gracieuse Majesté. Le SIS. Ils souhaitent en savoir un peu plus
sur les activités de Sir Philips McShiant, le grand-père de Lady Catherin,
l’arrière-grand-père du marié. Et je leur ai parlé de toi, parce que moi, je ne
suis pas au fait des techniques d’espionnage ni des activités militaires, tout
juste un peu de la finance… »
Moi, non plus, rétorque Paul. « Je
suis un militaire démissionnaire, pas un espion ! »
C’est un « métier » qui réclame des compétences qu’il n’a pas.
Et puis, depuis quand la fabrication de whisky, même écossais, est réputée
une activité portant atteinte à la sécurité de la Couronne ?
Sur les routes, peut-être, mais quand même pas au point de mobiliser le
contre-espionnage local.
« Ce n’est pas tant la distillerie
qui pose problème, quoiqu’à mon avis, elle aurait besoin du petit coup de pouce
d’un industriel comme toi pour doper, sinon son chiffre d’affaires, au moins
les résultats et dividendes à verser aux actionnaires.
Lady Catherin travaille aussi pour la
défense nationale. Comme j’ai su que tu le faisais en Ardèche pour ton pays.
Pas sur les mêmes choses. Sa boîte fait
du surfaçage élaboré et imprime dans un autre atelier des circuits
électroniques. Deux activités distinctes, mais qui requièrent parfois les mêmes
technologies.
D’après mes renseignements, ils doivent
passer des contrats de fourniture avec l’armée, mais le tout est suspendu à un
avis à donner, non pas sur le personnel des usines et leurs compétences sises
en Écosse, mais sur le grand-père. »
Ouh là ! Encore un « truc » compliqué, se dit Paul, mirant les formes
aguichantes de sa belle partenaire.
« Il fait quoi
le grand-père pour intriguer ainsi les services de sécurité de ton pays ? Et
puis tiens-toi sage et remet ta jupe comme il faut, sans ça ton chauffeur va
encore assister à un viol consenti. »
Elle en rougit presque de plaisir. Dans la bouche d’un gentleman, c’est
tellement incongru de faire enfin savoir de cette façon aussi directe les
effets que sa présence génère depuis le départ jusque dans le cerveau reptilien
de son voisin, qu’elle le prend instantanément pour un compliment : il s’est
retenu jusque-là, alors qu’effectivement, il a du mal à dissimuler la bosse
formée dans le haut de son pantalon depuis la première minute de leur
rencontre, tout à l’heure. Et comme elle sait ce qu’il y a dedans, elle en sent
elle-même les effets dans son intimité.
Elle est finalement ravie de l’effet qu’elle lui provoque : c’est un de
ses grands plaisirs secrets de femme que de pouvoir, par sa seule présence, «
anéantir » toute volonté raisonnable chez un homme, tout ce grand squelette et
cette masse de muscles, tendus uniquement vers son plaisir de femme !
Un vrai ravissement.
« Sois sérieux, s’il te plaît : tu
n’es pas à ce que je dis ! Et pas ici : on va encore en mettre partout. »
« On » est un con, se dit Paul. Après tout, c’est elle qui est la « femme
fontaine » à inonder en tous sens quand elle orgasme !
« C’est important et justifiera
qu’on puisse passer quelques moments ensemble, plus souvent, si tu le veux bien
! »
Paul a presque honte de son propos tellement déplacé…
C’est sorti comme ça, d’un coup, pensant aux chaudes heures passées
ensemble depuis qui la connaît.
Mais ce qui est dit est dit !
Tant pis si ses propres mâles pulsions grivoises et lubriques ont tendance
à vouloir prendre le dessus, dans l’immédiat.
« Sir Philips, je te l’ai dit il y a
quelques mois est un vieil ami de feu Sir Arthur, mon mari. Ils ont servi
ensemble dans la Navy pendant la dernière guerre. »
Paul a déjà entendu ça. Devaient avoir la vingtaine, à l’époque, puisqu’il
avait déjà enregistré que Sir Philips est un presque nona, ou octogénaire
avancé, au moins.
Il se souvient qu’elle avait alors évoqué le décès du fils et de la bru,
ou du gendre et de la fille, il ne sait plus, et trois petits-enfants restés à
charge. Sir Henry, un ethnologue gay, qui ne se manifeste que pour encaisser
ses rentes ; Lady Margaret, paralysée dans un fauteuil à roulette à la suite
d’une mauvaise chute de cheval, qui fait dans la robotique et l’Intelligence
artificielle.
Mais il ne savait pas, jusque-là, que Lady Catherin avait déjà eu un fils
à marier… qui engrosse la première venue sans prendre les précautions
habituelles : pas grand-chose dans la tête, ce garçon-là, ou totalement
fou-amoureux !
Il s’agira, à l’occasion, de vérifier s’il a bon goût en matière de
femmes…
« Ce qui intrigue tout le monde, ce
ne sont pas les activités de Lady Margaret, puisque globalement elle se ballade
entre ses laboratoires de l’Université de Glasgow, de l’usine de circuits
électroniques sise à proximité et le château familial de l’île de Shiant, dans
le « Minch », le canal d’eau de mer qui sépare l’Écosse et les îles Hébrides.
Ce sont celles de Sir Philips. »
Que fait-il de si intrigant ?
« Il se promène partout dans le
monde. Achète du matériel de haute technologie. Participe à des congrès sur la
physique fondamentale, sur l’astrophysique, fait partie de conseil
d’administration de divers instituts, écoles et autres, parfois de prestige.
J’ai cru comprendre que si c’est un
savant dont les avis sont écoutés, c’est plutôt un électron-libre dont personne
ne voit trop à quoi servent toutes ses dépenses qu’il fait supporter aux usines
de Lady Catherin, et qu’il se fait livrer directement au château. »
Bé… il suffit de lui retirer le chéquier, non ?
« C’est un peu plus compliqué que
ça. Ma copine n’a pas toujours la possibilité de refuser : elle impute ses dépenses
sur ses parts dans les affaires, en lui faisant céder ses actions au fil du
temps.
Et c’est moi qui rachète parfois. »
Paul comprend un peu mieux le souci de cette « actionnaire » qui monte en
puissance sans savoir pourquoi ni combien ça lui rapportera quand elle sera
majoritaire de « l’incorporated » qui chapeaute tout ça.
« Et que suis-je censé faire ? Je le
soumets à la question en inventant des charades ou avec mon matériel de torture
? »
Lady Joan rit aux éclats, joyeusement.
« Il sera vraisemblablement présent
au mariage de son unique petit-fils. Tu lies d’amitié si c’est possible. De
toute façon, Lady Catherin nous emmène à Glasgow au plus tôt dimanche pour te
faire visiter ses installations. Ton œil d’ingénieur devrait quand même apprendre
des choses.
Officiellement, tu viens juste pour
causer de surfaçage.
Mais je voudrais que tu me dises ce que
tu penses de son usine.
Officieusement, si on peut poursuivre à
Shiant Island, ce serait parfait. »
Et c’est elle qui fait un rapport aux services de sécurité de son pays ?
« Pas seulement. Parmi les invités
de demain, ou de ce soir, il y a évidemment tout le gratin. Tu seras abordé par
un officier de sa Majesté. Normalement accompagné par le Consul de France ou un
adjoint, mais je ne suis pas sûre qu’il fasse le déplacement depuis London, 21
Cromwell road - Londres SW7 2 EN, pour ta gouverne.
De façon à ce qu’il n’y ait pas de ...
comment dites-vous, en France ? De Lézard ? »
Encore un truc vraiment compliqué, il en est certain maintenant.
« C’est drôle ce que tu racontes… Il
n’y a même pas deux mois, un directeur de la CIA me remettait le couvert sur le
sujet. Il devait faire faire passer la consigne par ma hiérarchie « occulte ».
Et je n’ai rien vu venir.
Ne serais-tu pas en train de me manipuler,
sublime jeune fille ? »
Que va-t-il chercher ? Des poux dans sa tonsure !
Il peut refuser, si ça l’amuse. Mais ils n’auraient alors plus vraiment
d’occasion de se rencontrer.
« Tu mélanges tout ! On peut se voir
à titre privé, voire même à titre professionnel, si l’envie t’en prend ou si
l’occasion se présente.
Mais imagine que ce que je vais voir ne
m’impressionne guère, où n’a aucun intérêt, on fait quoi ? On ne se revoit plus
? »
Qu’il est bête… Elle a envie.
Envie aussi de marier l’utile à l’agréable, et ça tombe bien, puisqu’ils
vont à un mariage.
Et de se rendre utile en même temps que de rendre utile Paul à ses propres
intérêts.
Ils sont logés dans une jolie bâtisse arborée dans « Wagon and Horse Lane
» à moins de 10 minutes à pieds du lieu de la réception où ils sont attendus
pour le dîner, chez les parents de la mariée : la « fiesta » d’enterrement des
vies de célibataires des « futurs ». Mais avant d’y aller, une petite douche s’impose et c’est l’occasion d’un
chaud « hors-d’œuvre » qui les soulage tous les deux.
(Aparté n° 1)
La « fiesta » ? Une autre vaste demeure, sur deux étages, avec un jardin
où a été dressée une tente pour recevoir les plus de 200 personnes assises qui
sont censées participer à ce « pince-fesse » guindé.
Deux buffets sont dressés de part et d’autre de ce vaste espace couvert,
mais dont les parois sont ouvertes, tellement il fait chaud, et une piste de
danse est installée au fond.
C’est soirée d’enterrement des vies de célibataire des « promis », mais
aussi et surtout l’occasion des présentations des familles et amis des uns et
des autres.
Où les des deux futurs époux paraissent bien jeunes, finalement.
Elle, elle est magnifique de « ronde blonditude », dans un robe superbe de
couleur dorée, qui dissimule tant bien que mal qu’effectivement elle est
enceinte « au dernier degré », les yeux pétillants de joie et de bonheur.
Un vaste décolleté dorsal qui dévoile ses tatouages…
Beaucoup de jeunes sont tatoués, de vraies œuvres d’art parfois très
élaborées : une mode nationale, ou un hobby local ?
Lui, un grand garçon efflanqué en kilt à dominante verte et piercing à
l’oreille, pas mal de sa personne, l’air un peu triste, las, ou débordé.
Encore un couple qui aura du mal à tenir dans le temps, s’il n’y avait le
ciment de l’enfant à venir. Mais vu l’état de grossesse, c’est sans doute une
fille. Et si la promise ne sait faire que des filles, y’aura un problème quand
il voudra élever un garçon… un jour ou l’autre.
Enfin, ce n’est pas vraiment le problème de Paul. Déjà qu’à titre
personnel, il a dû mal à s’astreindre à la monogamie, discipline dont il ne
voit toujours pas l’intérêt et qui semble au-dessus de ses forces.
Mais en plus, il ne voit pas non plus l’intérêt de se reproduire dans
l’immédiat, vu le monde tel qu’il est et tel qu’il est en train de devenir, que
s’en est presque criminel, de son point de vue, de faire naître autant de
futures victimes de la barbarie d’autrui, il ne va donc pas en plus se poser
des questions existentielles si d’autres tentent l’aventure, n’est-ce pas ?
Des tonneaux sont en perce sur deux tables opposées : on s’y sert le whisky à la tirette, le verre sous le robinet. Y’a de quoi boire pour trois jours et trois nuits, effectivement.
En revanche, question glaçons, il commet presque un impair que d’en
demander.
Ça se boit à température locale et ambiante, chez les locaux.
Lady Joan cherche du regard quelques connaissances mais se tourne et se
retourne désespérément à la recherche de son amie, Lady Catherin, alors qu’elle
tourne le regard de tous les mâles présents chez qui elle réveille les
instincts lubriques les plus primaires au premier coup d’œil.
Naturellement qu’elle est abordée par divers couples, de tous âges, en
tenue « cool », qui se présentent mutuellement.
Paul ne retient pas tous les noms de tous ceux qui ont souvent les cheveux
grisonnant. Mais ne manque pas de quelques compliments systématiques à leur
dame, qui chacune roucoule à leur tour.
La jeunesse s’éclate en se déhanchant au son des cornemuses de l’orchestre
: les écossais sont de l’autre côté.
Et ils servent du café chaud dans leur whisky. « Ça c’est intéressant ! » dit Paul à sa cavalière qui s’accroche à
son bras pour ne pas être noyée.
Chacun aura compris qu’un français, même au bras d’une sublime blonde
anglaise, ça n’a de souci que de picoler : tout le monde sait ça dans ce
coin-là de la perfide Albion.
Pourtant, Paul n’abuse jamais et reste sobre durant des mois, s’il le
faut.
Finalement, Lady Joan se fait aborder par la mère du marié.
Une brunasse sans saveur, avec une sorte d’O-Cedar frisé sur la tête,
surmonté d’un bibi affreux qui ressemble à un chou-fleur écrasé, le tout de
couleurs pastelles « jaune-pipi », exhibant sa carcasse dans une robe moulante
satinée rose fluo d’un assez mauvais goût, même local.
C’est d’ailleurs le thème dominant de la soirée, semble-t-il : les robes
ou jupes satinées, moulantes et aux couleurs pastelles. Mais de toutes les
couleurs, et unies.
Bizarre : y’a dû avoir une promotion, ou un gros surplus tombé du camion,
se dit Paul.
Et voilà que je t’étreins comme de la bonne pâte à pain dans son pétrin !
« Ah ouiiii ! C’est donc vous dont
me parle Joan sans arrêt. Ravie de vous rencontrer enfin. Appelez-moi Cat !
» fait Lady Catherin en se jetant au cou de Paul comme s’ils avaient élevé les
cochons ensemble depuis une éternité.
« Il faut absolument qu’on se voit.
J’ai des tas de choses à vous montrer ! »
Vu comment elle est habillée, y’a plus grand-chose à montrer. Mais bon,
Paul sait depuis la longue conversation en voiture du début de soirée, qu’il
s’agit d’être fin diplomate et de lui laisser lui montrer au-delà de
l’essentiel.
« Mais là, je suis absolument
débordée : il y a tant de choses à régler avant demain matin ! »
On peut imaginer, en effet.
« On se voit ce soir à l’hôtel,
après le couvre-feu ! »
Cette idée de couvre-feu : la guerre est terminée depuis près de 65 ans,
non ?
Enfin peu importe. Il s’agit de se restaurer, de se désaltérer et Lady
Joan a une envie folle de danser au son des « cornemuses-rock ».
Erreur, erreur.
Sur la piste de danse, ils sont vite séparés par quelques opportuns et
opportunes.
Et Lady Joan, tout à sa joie de défouler son joli corps, se laisse emporter
par une succession de cavaliers enflammés qui se l’arrachent à tour de rôle.
Un coup à finir en bagarre : on peut comprendre que les autorités locales
exigent un couvre-feu, finalement…
« Capitaine de frégate Paul de
Bréveuil ? » La voix est virile, surgissant dans son dos, et le français
impeccable dans cet univers anglophone.
Il s’agit de l’attaché consulaire venu de Londres, qui s’empresse de lui
présenter Mister Gordon Westonsmith – sans doute un « pseudo » – officer des
services de sécurité de sa Majesté.
Il n’a même pas fini de faire les civilités qu’il s’excuse.
« Il m’est impératif de rentrer à
Londres ce soir. Je suis désolé. J’ai juste à vous dire que Mister Westonsmith
est habilité à vous parler ce soir. Mais qu’il s’agira de nous tenir informer
de vos démarches dès votre retour à Paris. C’est convenu ainsi. »
Curieuse façon de faire.
Gordon est un homme d’allure athlétique, la quarantaine, et porte un petit
bouc grisonnant au menton. Il propose de s’éclipser discrètement en un endroit
un peu éloigné du tonitruant orchestre.
« Chaude soirée ! », fait-il. « Je suis ravi de faire connaissance de
l’illustrissime « Charlotte ». Le meilleur agent allié, d’après nos
correspondants communs. »
Il parle de qui, là ? Charles Almont, le nouveau directeur Europe de la
CIA ?
Europe sauf Grande-Bretagne, s’était-il fait tenu au courant…
« Agent de fortune et de hasard,
seulement. »
L’autre n’en a cure. S’il comprend bien tout ce qu’on a bien voulu lui
dire de ses ordres à lui, il est l’agent de liaison d’avec ses services, tant
que Paul sera sur le sol britannique.
« Vous avez pris contact avec Lady
Catherin. Faites donc tout ce qu’elle exige. Notre objectif reste son
grand-père. »
Tout, vraiment tout ? Paul n’ose pas poser la question…
Mais qu’ont-ils tous à lui reprocher, au vieil homme qu’il n’a pas encore
aperçu, et pour cause, il n’arrive que demain ?
« Nous voulons confirmation qu’il
construit bien des machines de Marx dans les caves de son château de « Shiant
Island ». En soi, ce n’est pas bien grave, c’est ce qu’il en fait qui pourrait
nous inquiéter. Et donc nous intéresse. »
Ah bé en voilà une idée intéressante, là, pense Paul ! Si ça se met aussi
à chapeauter du ciboulot chez les royaux sujets de sa très gracieuse Majesté,
on n’est pas sorti de l’auberge, pense-t-il !
« Mais dites donc, vous n’avez pas
les moyens d’aller lui poser la question vous-mêmes ? »
C’est plus compliqué qu’il n’y paraît. « C’est un membre de la chambre des Lords. Notre chambre haute. Un pair
du royaume. Une très vieille famille écossaise, en plus. Nous avons des lois à
respecter. Même et surtout en la circonstance. »
En revanche, se faire inviter pour mâter le matériel ne viole aucune loi
du royaume.
[1] Voir « Opération Juliette-Siéra » Chapitre XXXI, aux éditions I-Cube.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire