Un
petit arrêt loin d’être inintéressant…
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM
DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi
sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 mai et 2 août 2013 au
secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés pour M. A...B...,
demeurant ... ; M. B...demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler
l'arrêt n° 12PA00134 du 1er mars 2013 par lequel la cour
administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du
jugement n° 0918267 du 10 novembre 2011 du tribunal administratif de Paris
rejetant sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le
revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2005 et 2006, ainsi
que des majorations correspondantes ;
2°) réglant
l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme
de 3.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
;
Vu les autres
pièces du dossier ;
Vu le code
général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de
commerce ;
Vu la loi n°
90-1258 du 31 décembre 1990 ;
Vu le code de
justice administrative ;
Après avoir
entendu en séance publique :
- le rapport
de M. Frédéric Béreyziat, maître des requêtes,
- les
conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole
ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié,
avocat de M. B...;
1. Considérant
qu'il ressort des pièces du dossier que la société d'exercice libéral à
responsabilité limitée (SELARL) dénommée JC Associés, dont M. A...B...détient
la moitié des parts et est le co-gérant, a fait l'objet d'une vérification de
comptabilité ; qu'à l'issue de ces opérations de contrôle, l'administration
fiscale a rectifié les bases d'imposition de M. B...à l'impôt sur le revenu au
titre des années 2005 et 2006, en y intégrant des honoraires de résultat que la
société avait inscrits, en tant que charges à payer à M. B..., dans la
comptabilité afférente aux exercices sociaux clos au cours de ces deux années
mais que leur bénéficiaire avait déclarés dans ses bases d'imposition au titre
des années 2006 et 2007 ; que les impositions litigieuses procèdent, en droits
et majorations, de cette rectification ;
2. Considérant, d'une part, qu'il résulte des
dispositions combinées des articles 12, 13 et 83 du code général des impôts que
les sommes à retenir, au titre d'une année déterminée, pour l'assiette de
l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires sont celles
qui sont mises à la disposition du contribuable, soit par voie de paiement soit
par voie d'inscription à un compte courant ou un compte de charges à payer
ouvert dans les écritures de la société qui l'emploie, dès lors, dans ces deux
derniers cas, que le créancier de la somme est un dirigeant de la société ayant
déterminé la décision d'inscrire dans les comptes sociaux la somme qui lui est
due et que le retrait effectif de la somme au plus tard le 31 décembre de
l'année d'imposition n'est pas rendu impossible, en fait ou en droit, par des
circonstances telles que, notamment, la situation de trésorerie de la société,
les circonstances matérielles du retrait ou les modalités de détermination du
montant exact de la somme susceptible d'être retirée ;
3. Considérant, d'autre part, qu'en vertu des
dispositions combinées de l'article L. 223-18 du code de commerce et du titre Ier
de la loi du 31 décembre 1990 relative notamment à l'exercice sous forme de
sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou
réglementaire ou dont le titre est protégé, la rémunération du gérant d'une
SELARL doit, avant tout versement à son profit, être déterminée soit par les
statuts soit par une décision de la collectivité des associés ; qu'ainsi, en
l'absence d'une telle stipulation ou d'une telle décision, le retrait de fonds
par ce gérant au titre de sa rémunération est impossible en droit, alors même
que les sommes en cause figureraient comme charges à payer dans les comptes de la
société ;
4. Considérant
qu'il résulte de ce qui précède que la cour ne pouvait, sans commettre d'erreur
de droit, juger sans incidence sur le bien-fondé des impositions litigieuses la
circonstance qu'à la date de clôture des exercices 2005 et 2006 de la SELARL, l'assemblée
générale des actionnaires de cette dernière n'avait pas encore formellement
approuvé les comptes sociaux ni, par voie de conséquence, le principe du
versement à M. B...des rémunérations exceptionnelles en cause ; que,
contrairement à ce que soutient le ministre en défense, la circonstance que
l'assemblée générale de la SELARL versant la rémunération litigieuse fût, en
l'espèce, seulement composée du cogérant bénéficiaire de cette rémunération et
de son associé ne permettait pas de présumer de l'approbation des comptes
sociaux ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du
pourvoi, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris doit être annulé ;
5. Considérant
qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au
fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice
administrative ;
6. Considérant
qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que M. B...ne peut être regardé comme
ayant eu la disposition, au plus tard les 31 décembre des années 2005 et 2006,
des honoraires de résultat inscrits, en tant que charges à payer, dans les
comptes de la SELARL JC Associés afférents aux exercices clos au cours de ces
deux années ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres
moyens de sa requête d'appel, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que,
par son jugement du 10 novembre 2011, le tribunal administratif de Paris a
rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'imposition et
majorations procédant de la réintégration de ces honoraires dans ses bases
d'imposition à l'impôt sur le revenu au titre de ces deux années ;
7. Considérant
qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État
une somme de 5 000 euros à verser à M.B..., sur le fondement des dispositions
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre de l'ensemble
des frais exposés par l'intéressé tant devant le Conseil d'Etat que devant les
juges du fond ;
D E C I D E :
---------------
Article 1er
: L'arrêt du 1er mars 2013 de la cour administrative d'appel de
Paris est annulé.
Article 2 : Le
jugement du 10 novembre 2011 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : M.
B...est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu
auxquelles il a été assujetti au titre des années 2005 et 2006, ainsi que des
majorations correspondantes.
Article 4 : L'État
versera à M. B...la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La
présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre des finances et des
comptes publics.
Premier
point :
Le sieur B… demande 3.000 euros au titre de la compensation de ses frais de
procédures (avocat, mémoires, courriers, réclamations et tout ça…) et il en
obtient 5.000 !
Voilà qui est assez peu commun et pour tout vous dire,
puisqu’il ne s’agit pas d’un arrêt de principe (de par la forme et la
procédure), c’est que les juges en ont eu marre de devoir faire une leçon de
droit à l’Administration fiscale (qu’ils servent aussi, hein), pour en décider « ultra petita ».
Donc j’ai lu.
Deuxième
point :
Toujours sans être un arrêt de principe, les juges finalement vont au-delà de la
loi en rajoutant un point de détail… logique, même si ça n’avait pas été dit
jusque-là.
Car la loi dit : « pour l'assiette de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des
traitements et salaires (les sommes à retenir) sont celles qui sont mises à la disposition du contribuable, soit par
voie de paiement soit par voie d'inscription à un compte courant ou un compte
de charges à payer ouvert dans les écritures de la société qui l'emploie ».
Ce qui est le cas dans cette affaire et l’inspecteur-redresseur
applique strictement la loi…
La jurisprudence rajoute d’une façon générale que « la somme (…) n'est pas rendue (imposable),
en fait ou en droit, par des circonstances telles que, notamment, la situation
de trésorerie de la société, les circonstances matérielles du retrait ou les
modalités de détermination du montant exact de la somme susceptible d'être
retirée. »
Logique là aussi : Quand on ne peut pas, on ne
peut décidément pas.
Nul n’est tenu par la force majeure (soudaine,
imprévisible et irrésistible en dit la Cour de Cassation de chez les « civilistes »).
Globalement, le schéma est le suivant : Tout ce
qui est « déductible » dans une comptabilité d’engagement, doit être
imposable par ailleurs, même en cas d’imposition aux encaissements.
Peu importe que la dite somme ait été ou non
réellement encaissée.
Pas fou le fisc : Je veux bien déduire, mais à condition
que ce soit imposé par ailleurs.
Ou alors, je ne déduis pas, parce que le risque (ou la
quotité) à décaisser n’est pas suffisamment précis.
Sans ça, c’est de l’évasion fiscale pour des assiettes
qui deviennent provisoirement « virtuelles », hors du temps à l’occasion
des « opérations de césure d’exercices », et il ne faut pas dékonner
avec l’impôt des « Gaulois ».
Parce que bien sûr, il y a quantité de schémas qui
jouent sur les deux façons que le fisc à de déterminer une assiette imposable,
entre une comptabilité d’encaissements/décaissements et une comptabilité d’engagements
(réservée aux contribuables soumis au BIC et aux sociétés de type commercial,
soumise ou non à l’IS).
Et au milieu, des « vapeurs fiscales »
éthérées…
Pensez bien que j’ai passé toute une partie de ma
carrière de fiscaliste à traquer ce « genre de choses » pour mieux « optimiser »
l’impôt en toute légalité, même si ce n’est qu’un report d’imposition.
Mais pas seulement : Par exemple, dans deux comptabilités
d’engagements, on minore l’assiette imposable en « exagérant » les
sommes dues à ses clients, via des accords commerciaux.
Que c’en est du « millimétré ».
Bien sûr, chez le client, on minore le « à
encaisser » au titre de l’exercice clos, en ne comptant que ce qui a
réellement été encaissé jusqu’au 15 mars de l’année suivante.
Hein, tant qu’on ne l’a pas touché, on ne sait pas si
on va le toucher ou si ça va s’imputer sur l’exercice courant au titre de « nouveaux
accords commerciaux » annuels.
J’en connais un, comme ça, que j’ai failli « rendre
chèvre » à ce petit-jeu-là !
D’ailleurs, je reprends le personnage dans « Mains
invisibles », tellement il était caricatural (http://flibustier20260.blogspot.fr/2014/07/chapitre-vi.html) !
Eh bien là, le Conseil d’État nous invente une
nouvelle « niche-légale » qu’on imaginait même plus : « l'assemblée générale des actionnaires (de
la société versante) n'avait pas encore
formellement approuvé les comptes sociaux ni, par voie de conséquence, le
principe du versement à M. B... des rémunérations exceptionnelles en cause » !
Du caviar…
Et pour bien dire que c’est du beluga et pas autre
chose, de rajouter que « la
circonstance que l'assemblée générale de la SELARL versant la rémunération
litigieuse fût, en l'espèce, seulement composée du cogérant bénéficiaire de
cette rémunération et de son associé ne permettait pas de présumer de
l'approbation des comptes sociaux ».
Pan dans le naseau et vous passerez par la caisse pour
y verser 5.000 euros !
J’adore !
Mais, mais, mais, dernier
point, et pas le moins inintéressant, c’est une preuve de plus que la
théorie de « l’autonomie du droit fiscal » (qui s’oppose ou veut compléter
celle du « réalisme du droit fiscal »), n’est rien d’autre qu’une pitrerie
pour imberbe béotien de juriste !
Un « bon fiscaliste », bien né de chez nous,
sait que la Loi est une.
Unique et ne se contredit jamais.
Qu’il n’y a donc aucune branche, « mineure »
ou « autonome » du droit !
Et là, pour tous les animaux et autres pétoncles du
neurone qui se mêlent de commenter n’importe quoi en agrégeant des décisions n’importe
comment, c’est une pierre irréfutable de plus à l’édifice de l’étendue de
leur propre ignorance : Pour fonder sa décision, le Conseil d’État s’appuie
en effet sur « l'article L. 223-18
du code de … commerce » !
Mais si, c’est marqué comme ça dans le texte,
vérifiez, SVP.
Bon, moi je savais déjà pour avoir été « éduqué »
à la fiscalité et convaincu de la position tellement de « bon-sens »,
par mon pape-à-moi, feu Maurice Cozian.
La fiscalité, c’est le summum du droit positif :
On peut tout faire avec les lois (ou presque), mais la fiscalité tranche :
Combien ça coûte !
Et après, on choisit le moindre coût quitte à « inventer »
parfois la « mécanique » pour tomber dans la bonne case !
Que même là, pour la « consultation », ça
vaut bien 5.000 euros, même si c’est vous qui payez au passage.
Mais peu importe : Il vaut mieux s’en réjouir que
d’en pleurer.
Et comme les bonnes choses se partagent, bé je vous en
fais un « petit-post ».
Mais n’orgasmez quand même pas pour si peu :
Usage réservé seulement aux QI supérieur à 2 (je suis dedans : Ouf) !
Et, ils ne semblent pas être trop nombreux à l’atteindre
dans l’administration fiscale.
Les 2.000 euros « ultra petita », c’est pour faire savoir au Directeur des
services qu’il devrait apprendre à ses agents à faire leur boulot correctement
au lieu de venir déranger ces Messieurs les Conseillers d’État à l’heure de la
sieste !
Merci d’être passé !
Et bonne journée.
I3
Hé bien, on revient au commentaire d'arrêt à ce que je vois. Ce qui tombe bien, car tes analyses en la matière sont toujours intéressantes. Vlad
RépondreSupprimerBé oui, c'est comme ça en passant...
RépondreSupprimerMais aussi parce que j'ai un nouveau lecteur que la fiscalité intéresserait... Yannick avec qui je converse par courriel !
Alors c'était l'occasion d'aborder un concept complexe de façon aisée pour lui montrer que rien n'est inaccessible au béotien, à condition de réfléchir une seconde ou deux !
Merci d'être passé, Vlad : C'était bien ta Saint-Valentin au moins ?...
Parce qu'à 23 h 10, perso, je faisais autre chose que de bloguer : Je n'avais pas terminé ma "besogne" à "émois" !
Arf !
I-Cube