REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE
CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen
unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l’article 9
de la convention de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble l’article L.
1132-1 du code du travail ;
Attendu, selon
l’arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée par la RATP le 25 septembre 2006 en
qualité de stagiaire, au sens du statut du personnel, pour exercer une mission
de quatre mois au sein de la cellule contrôle de la mesure, puis à compter du 5
février 2007 en tant qu’animateur agent mobile au sein d’une unité opérationnelle
du département ; qu’elle a été admise dans le cadre permanent de la RATP ; que,
le 5 septembre 2007, elle a été convoquée pour la prestation de serment devant
le président du tribunal de grande instance de Paris ; que, le 28 septembre
2007, lors de la prestation de serment, elle a proposé une formule de serment
différente, conformément à sa religion chrétienne ; que le président du
tribunal de grande instance a refusé cette formule et a fait acter que la
salariée avait refusé de prêter serment ; qu’elle a été licenciée pour faute
grave le 12 novembre 2007 aux motifs qu’elle n'avait pas obtenu son
assermentation devant le tribunal ;
Attendu que,
pour dire le licenciement pour faute grave justifié, l’arrêt retient que l’employeur
n’avait pas à entrer dans le débat de savoir si la formule que proposait la
salariée en remplacement de celle qu’entendait lui imposer le juge pour
recevoir son assermentation aurait dû, au regard d’une certaine jurisprudence
européenne ou des principes généraux du droit, être acceptée par celui-ci, ou
si elle contenait ou non toute la substance du serment prévu par la loi, qu’il
n’avait pas l’obligation de reprogrammer la salariée à une autre cérémonie d’assermentation
pour que celle-ci, qui n’avait manifesté aucune volonté de revenir sur sa position
selon procès-verbal de l’entretien préalable, soit en mesure de convaincre l’autorité
judiciaire que le juge avait commis une erreur de droit en n’acceptant pas la
formule qu’elle lui proposait aux lieu et place des termes du serment demandé ;
Qu’en statuant
ainsi, alors qu’il résulte de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la
police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au
sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les
formes en usage dans leur religion ; qu’il s’ensuit que la salariée n’avait
commis aucune faute en proposant une telle formule et que le licenciement
prononcé en raison des convictions religieuses de la salariée était nul, la
cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
:
CASSE ET
ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 janvier 2015, entre les
parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les
parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait
droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la
RATP aux dépens ;
Vu l’article
700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3.000 euros à
la SCP Boulloche à charge pour cette dernière de renoncer à percevoir l’indemnité
prévue par l’État ;
Dit que sur
les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt
sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et
jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en
son audience publique du premier février deux mille dix-sept.
Et toc, 41
Pass-Navigo mensuel à la charge de la RATP, autrement dit de vous pour une
ânerie d’autistes.
En proposant
de prêter serment dans les formes en usage dans sa religion, au lieu de dire «
Je le jure », un salarié ne commet aucune faute.
C’est vrai que
chez les papistes, on ne jure pas (m’a enseigné ma Grand-mère).
Mais jusque-là,
je n’avais jamais su s’il s’agissait de « sermenter » ou d’envoyer
des jurons dans les airs…
Maintenant, je
sais : D’où l’intérêt de cet arrêt !
En attendant,
le licenciement pour non assermentation est désormais considérer comme nul car
prononcé en raison de ses convictions religieuses.
Ça va être
chouette si les « agent assermentés » refusent de prêter serment de
docilité aveugle à leur autorité…
En effet, l’exercice
de certaines fonctions, notamment dans des entreprises assurant une mission de
service public, est subordonné à une prestation de serment. Il en va en
particulier, pour les agents de contrôle de la RATP.
Ainsi, avant
d’être « titularisés », ceux-ci doivent prêter serment devant le président du
tribunal de grande instance de leur domicile, en application de l’article 23 de
la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer.
Vous ne
connaissez pas, c’était une époque antérieure extraordinaire : 10 jours auparavant,
le 5 juillet, Victor Hugo et Léonie Biard sont surpris en flagrant délit d’adultère
dans un hôtel du passage Saint-Roch.
Pair de
France, Victor Hugo ne pouvait être arrêté (déjà l’immunité qui vire à l’impunité)
mais, Léonie, elle est emmenée à la prison Saint-Lazare.
Le 11, Auguste
Biard retire sa plainte contre Victor Hugo (à la sollicitation de
Louis-Philippe, le roi régnant du moment) et le 14 août le tribunal de la Seine
prononce la séparation de corps et de biens entre les époux Biard…
Mais c’est une
autre histoire qui n’a rien à voir.
Ce qui nous
occupe ici, c’est que pour la première fois – il fallait le noter – la chambre
sociale de la Cour de cassation se prononce sur la légitimité du licenciement
d’une salariée fondé sur son refus de prêter serment pour des motifs religieux.
En l’espèce
l’intéressée avait refusé de dire « Je le jure » comme le lui demandait le
Président du TGI de Paris car elle estimait que sa foi chrétienne le lui
interdisait. Elle a proposé, à la place, une formule de promesse solennelle
conforme à ses convictions.
N’ayant pas
accepté cette proposition, le magistrat – pour le moins sectaire – a fait acter
le refus de prestation de serment et la salariée a été licenciée pour faute
grave au motif qu’elle n’avait pas obtenu son assermentation.
Ce qui en
droit se justifie.
Notez que le
médecin du travail aurait pu la déclarée inapte pour cause religieuse :
Son contrat de travail aurait été atteint de nullité, faute de trouver un objet
conforme.
Mais, contestant
la légitimité de cette mesure, la salariée est déboutée par les juges du fond
qui estiment qu’aucune faute ne pouvait être reprochée à l’employeur. Il faut
dire qu’il tire les conséquences d’une décision judiciaire du même juge du fond…
Pour conforter
cette décision judiciaire, la cour d’appel relève notamment que ce dernier n’avait
pas à entrer dans le débat de savoir si la formule proposée par la salariée
était valable et devait être acceptée par le magistrat et qu’il n’avait pas l’obligation
de reprogrammer une autre cérémonie d’assermentation.
C’est cette
décision qui est censurée par la Cour de cassation. Celle-ci juge le
licenciement discriminatoire car reposant sur des convictions religieuses.
Hein, on est
laïc ou on ne l’est pas !
Ce faisant,
elle admet que, pour les fidèles de la religion chrétienne, les termes « je le
jure » peuvent avoir une connotation religieuse.
Et pour en
juger ainsi, la chambre sociale retient que la loi précitée ne précise pas la
formule du serment de sorte qu’une autre formule aurait pu être acceptée en
remplacement. Mais pas n’importe laquelle. Il faut que ce soit celle en usage
dans la religion de l’intéressé.
Notons que
c’est justement ce qu’admet déjà la CJUE pour la prestation de serment de ses
agents en proposant deux formules, l’une commençant par « Je le jure », l’autre
par « Je promets solennellement ».
Reste la
question de savoir si la solution aurait été la même si la loi de 1845 avait
expressément visé les termes « Je le jure ».
À noter par
ailleurs que la solution retenue par la chambre sociale est identique à celle
dégagée depuis longtemps par la chambre criminelle de la Cour de cassation à
propos de la prestation de serment des témoins, en application de l’article 331
du Code de procédure pénale (par exemple, Cass. crim. 6-5-1987 n° 86-95.871 ;
Cass. crim. 6-12-2000 n° 00-82.623).
En attendant, le
licenciement de la salariée prononcé en raison de ses convictions religieuses
en méconnaissance de l’article L.1132-1 du Code du travail et de l’article 9 de
la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme visés par l’arrêt, est nul.
L’employeur
avait-il d’autres choix que celui de licencier ? Sans doute aurait-il pu
représenter l’intéressée à une autre prestation de serment, en produisant le
cas échéant une consultation juridique sur les exigences du droit en la
matière. Il aurait pu aussi la reclasser dans un autre poste pour lequel aucune
assermentation n’est exigée.
Mais cette
dernière solution ne pourrait-elle pas non plus être considérée comme
discriminatoire ?
D’où une
situation pour le moins difficile que l’employeur risque, au cas particulier,
de devoir affronter à nouveau, la salariée pouvant, compte tenu de la nullité
de son licenciement, demander sa réintégration dans l’entreprise, même dix ans
plus tard.
Avec
naturellement rattrapage des salaires qui lui auraient été dus : Il n’y a
pas de travail sans salaire, mais manifestement, il peut y avoir salaire sans
travail effectif !
Et avec un peu
de bol, arrivée en fin de carrière, il faudra lui reconstituer « sa
carrière » comme si elle n’avait jamais été « discriminée » avec
les rattrapages à en espérer.
Que du bonheur
en perspective…
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