Chapitre trentième-deuxième
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est
qu’un roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout
droit de l’imaginaire de son auteur.
Toute
ressemblance avec des personnages, des lieux, des actions, des situations ayant
existé ou existant par ailleurs dans la voie lactée (et autres galaxies), y
compris sur la planète Terre, y est donc purement, totalement et parfaitement
fortuite !
La conversation roule en anglais… fluently – alors que Paul se fait
presque l’effet d’un illettré des Carpates –, et les trois convives semblent
tous se comprendre. Paul est un peu absent pour penser à autre chose, sachant
que son séjour va être court par la force des choses, alors que Huyck fait un
exposé de l’architecture de la base de données « BBR » et l’usage
qu’on compte en faire avec le logiciel « BBR 2.0 ».
« Parce qu’il existe une
version 1.0 ? »
Oui, mais elle a été vendue aux américains. Et à l’annonce du montant
obtenu, le gars en bave par inadvertance et surprise sur son pull (une autre
spécialité locale)… les yeux tout-brillants.
« C’est pour ça qu’on a besoin
d’un peu de monde pour coder la version suivante. »
Justement, il a ça en magasin, paraît-il.
Et Paul, tout en sachant déjà que l’affaire ne se fera pas avec ce
gars-là, de préciser : « Oui,
mais là, on veut que les gars ne se connaissent pas. Pas question que quiconque
fasse une synthèse. Il n’y a que Huyck et moi qui feront les logiciels de
liaison entre les modules. »
Ah, là ça va être difficile : « Tout le monde connaît tout le monde ici. Surtout dans notre
micro-univers des pisseurs de lignes. »
C’est pourtant simple pour Huyck : « Il y aura quelques 12.000 à 12.500 modules, peut-être deux fois plus à
sortir à partir de la même base de données. Vous pourriez en faire quelques milliers,
les plus complexes et leurs sous-ensembles, par exemple. »
Et d’expliquer que pour être en conformité avec les lois du pays, ils
n’ont qu’une base nominative qui est une copie des fichiers de l’état-civil
réactualisé toutes les semaines.
« Ce fichier-là est déclaré et
contrôlable. En revanche, les autres, qui ne sont pas nominatifs et font juste
l’objet d’une déclaration d’existence. C’est pour cette raison qu’on a aussi
besoin d’un second site de stockage et d’exploitation au cas où notre
législation se durcirait. »
Eux non pas ce souci-là… Pas encore.
Kristbjörn, en bon ingénieur, fait dans l’ordre. Évidemment, les programmes
et logiciels d’extraction n’ont aucune existence déclarée, hors ceux qui font
des classements et les « inputs ».
Quels types « d’input » ?
« Tout chose qui est
répertoriée. Les maisons, les terrains, les voitures, les motos, les armes, les
téléphones, les robots, les machines, les cafetières, les cartes à puce, les Pass-Navigo
comme la carte de sécurité-sociale ou les cartes de paiements, les objets
connectés et je ne sais quoi encore… Ça existe déjà et on réactualise également
les jours pairs ouvrables. Notre rôle, c’est de localiser tous ces objets en
traçant leur « trafic » sur les réseaux et en les
« situant » géographiquement au jour le jour. Jusque-là, rien
d’intrusif ni de prohibé. En revanche, quand on est « missionné » ou
que notre logiciel fait apparaître des « anomalies », des choses peu
courantes, comme un déplacement inattendu ou « hors-habitude »
référencée, des connexions réputées suspectes, il faut que l’on soit capable
d’en refaire l’historique ex-post et éventuellement d’y recoller un nom. »
Vous faites ça comment ?
« Tout « objet » a un
numéro identifiant propre au logiciel « BBR ». C’est la data de
référence. Il suffit de faire une requête et le système va butiner la data.
Dans le « 2.0 », on va
juste se contenter de « cerner » des lieux. L’objectif c’est de cartographier
tout ce qui se promène, ou non d’ailleurs, autour d’une cible à protéger. Qui
elle-même va bouger. On repère « ce qui n’existe pas » en ôtant tout
ce qui existe et en gardant ce qui apparaît nuisible ou suspect. Ça va nous
permettre d’adapter la protection de notre cible en fonction des menaces en
temps réel. »
« Je vois » se
contente de répondre « KK ». « Il n’y a pas plus simple ? »
Si, naturellement. « Mais
l’avantage du système, c’est que c’est automatique, rapide et fiable. On doit
être capable de repérer même ce qu’on appelle un « zombie », celui
qui n’a pas d’existence dans l’une ou l’autre de nos bases de données. »
Budget ?
« Avant de parler de ça, il
nous faudrait un serveur de sauvegarde avec un accès très haut-débit et
sécurisé. » Le second point.
Ça, ils savent faire. « Si vous
voulez, demain, je vous emmène dans notre Datacenter up-to-date et
hyper-sécurisé. On y héberge déjà des sauvegardes IBM, de la NASA, de plusieurs
dizaines de banques, notamment de compensation, des serveurs de Telegram et
j’en passe. Mêmes les chinois, des météorologues et des géophysiciens viennent
la visiter. C’est dans le nord à cinq heures de voiture. »
Accessible par la mer ? « J’ai
mon hydravion à l’aéroport », propose Paul sans y croire.
Euh, là, dans un pays où il fait nuit 20 heures par jour, quand on ne
connaît pas et pour peu que la météo ne soit pas de la partie… c’est risqué.
« Notre Datacenter est situé
sur un socle sédimentaire, pas très loin de la mer, il est vrai, mais la côte
est très escarpée et il vaut mieux y aller en hélicoptère avec un pilote qui
connaît le coin. Demain, ça vous dit ? »
Une visite qu’ils ne feront pas, Paul le sait déjà.
Car il sait aussi que l’ami d’Huyck aura préparé une « soirée »
pour ses visiteurs européens, excellent alibi pour s’échapper d’une fête
familiale à laquelle il ne tient pas trop participer : la belle-famille,
ici comme ailleurs…
Depuis que Paul s’en est rendu compte, il n’a qu’une envie c’est de rentrer
rapidement jusqu’à Londres, ce qui ne lui sera pas difficile, même s’il veut
rester encore un peu pour confirmer ce qu’il sait déjà.
Effectivement Huyck veut bien « sortir », s’amuser pour ne pas
terminer la soirée tout seul dans son lit.
« Vous ne devriez pas, les
jeunes. Ça va vous attirer un maximum d’emmerdements. Enfin… J’ai été ravi de
faire ta connaissance, Kristbjörn ! »
L’autre en reste un peu interloqué mais oublie vite le « nuage qui
passe » tellement son copain Huyck est enthousiaste sur le programme à
suivre qu’il lui expose.
De toute façon, le hollandais va passer plus de temps qu’il n’avait prévu
à l’origine, dans ce pays aux fabuleuses aurores boréales (quand il y en a),
l’autre « incontournable » du pays (avec les baleines quand elles se
montrent), d’autant que la déviation du pôle magnétique par rapport au pôle
géographique est largement décalé et facilite l’observation desdites aurores.
Car en plus, cet axe bouge tous les jours de façon infinitésimale :
La variation est actuellement d’une déclinaison de 0,13° W avec une dérive
annuelle de + 0,14° E par an. Et jusqu’avant l’an 2000, le pôle Nord magnétique
se dirigeait, lentement mais sûrement, vers Montréal. Depuis, il va plutôt vers
Greenwich, en Angleterre et son intensité diminue encore fortement, chutant 8 à
10 fois en-dessous de la norme.
Même que les scientifiques s’alarment : on sait que le champ
magnétique terrestre s’inverse tous les 200 à 300.000 ans et qu’il ne l’a pas
fait depuis 780.000 ans. Or, en cas d’inversion des pôles magnétiques, la terre
ne disposera plus de son champ magnétique protecteur pendant environ 200 ans ce
qui rendra la planète et tout ce qui vit dessus, extrêmement vulnérable aux
tempêtes solaires et aux rayonnements cosmiques.
Or, la rapidité avec laquelle les changements ont lieu actuellement à de
quoi en surprendre plus d’un.
La soirée se termine pour Paul après avoir ingurgité un peu de vodka dans
un bar sans ses compagnons, pour noyer sa tristesse et se fabriquer des alibis
utiles pour le lendemain, alors que les deux autres larrons en foire poursuivront
leur tournées des « Grands-Ducs » : Huyck se voit bien terminer
sa soirée au bras d’une péripatéticienne locale, du moment que c’est aux frais
du boss. D’autant que, prévoyant, Kristbjörn avait prévu le coup : la
prostitution étant interdite en Islande où ils poursuivent les clients, le
principe est de faire appel à des péripatéticiennes danoises, norvégiennes ou
hollandaises avec paiement sécurisé en amont par PayPal. Les filles débarquent
« entre copines » pour trois ou quatre jours, prestations déjà
payées, valident l’heure et le lieu de rendez-vous par courriel, s’installent
dans un hôtel pour « faire touriste » et repartent ensuite.
Et Kristbjörn avait retenu trois demoiselles depuis Amsterdam pour ses
invités qu’ils comptaient bien honorer de la sorte, tout en se réservant une
« chevauchée fantastique » pour son usage personnel.
Ça ne se passera pas comme ça, puisque Paul se désiste…
Et Huyck se retrouvera avec une de ses compatriotes,
« grosse-blonde-décolorée-cendrée » avec qui il finira la nuit
(interminable dans ce pays sans soleil) tout à la joie de parler sa langue
natale.
Kristbjörn Kirkjubæ connaît les lieux de perdition de sa ville comme le
fond de sa poche, et en fait les honneurs à sa petite troupe, tout émoustillé
par la perspective d’un contrat de plusieurs millions de dollars et une nuit
« en trio », une de ses spécialités, remplaçant au pied levé le
français.
Les jeux de hasard, les spectacles de strip-tease, la prostitution et
bientôt la pornographie sur internet (les débats sont en cours) sont (ou
seront) interdits en Islande. Depuis 2009 une loi interdit tout achat d’acte
sexuel. Pas la vente, non, l’achat ! Les personnes prostituées, elles, ne
sont jamais poursuivies. Des mesures pour faciliter leur accompagnement social
ont été mises en place pour les résidentes, telle qu’une aide au logement et
une assistance juridique. Les autres, les « touristes-du-sexe » sont
gentiment remis dans leur avion… En revanche, le fait d’obtenir « un acte sexuel contre de l'argent » est
puni d’une peine d’un à quatre ans d’emprisonnement. On y pénalise le client et
on fait la chasse aux souteneurs.
L’Islande a également banni les clubs de strip-tease, faisant la chasse
aux lieux de prostitution moins « visibles
». Pas de chiffres, mais en 2010, l’agence des Nations unies pour les réfugiés
(UNHCR) a salué une loi qui devrait permettre de « combattre le trafic d’êtres humains. »
La « combine » classique consiste pour « ces dames » à
se regrouper « entre copines » et à venir passer une petite-semaine
touristique depuis la Hollande, l’Angleterre, de Pologne ou d’autres
pays-nordiques, une fois par trimestre. Et de repartir rapidement quelques
trois à cinq nuitées tarifées au prix fort plus tard.
Les paiements et RDV se font en général sur Internet-crypté et à
l’étranger… imparable et le client n’est pas inquiété.
Les rencontres de « hasard » sont donc monnaie courante en ses
lieux de débauche restés discrets… Et deux « bataves » qui parlent
leur « langage-natif » (là, même les indics de la police n’y
comprennent rien) n’est en rien suspect !
Alors que le problème de Kristbjörn est un peu plus complexe : au
lieu de se rendre à son rendez-vous programmé avec une seule, il se contraint à
ramasser « sa copine » destinée à Paul et à ramener les deux filles
chez lui en voiture. Pas très discret, mais comme il espère ne pas être filoché,
pas de problème puisque de toute façon, son épouse est à l’anniversaire de la
nièce, au sud de la ville : un trio, il adore ça, d’autant qu’il a
« un plan » pas contrariant et qu’elles pourront repartir en taxi ou
en bus au milieu de la nuit vers leurs hôtels respectifs.
Le lendemain, c’est la police qui frappe à la porte : Kristbjörn Kirkjubæ
a été retrouvé nu et entravé, chez lui dans l’appartement situé au-dessus de
ses locaux professionnels, totalement et salement assassiné.
Avec émasculation et éventration partielle !
L’horreur bien dégueulasse avec beaucoup de sang frais en train de finir
de coaguler qui va remuer un peu le landernau local, quand la presse titra sur
cet odieux crime : c’est chose tellement rare !
Les autorités auront vite fait le rapprochement avec ses visiteurs du soir
et la tournée des « popotes » de Huyck.
Paul est entendu après s’être douché et habillé sous la surveillance de
deux gars à la mine patibulaire : qu’il n’oublie surtout pas ses
différents passeports, les « bons », les seuls qu’il avait emmené
depuis son escapade en Hongrie. Le français, l’américain, le britannique et
celui du Vatican, celui qui aura le plus d’effet sur les officiers de police.
Il faut dire que les armoiries de Saint-Pierre ne sont pas très courantes
sous ces latitudes huguenotes…
Il fait sa déposition pour confirmer celle de Huyck a priori lui aussi sur la liste des suspects, qui sera retenu plus
longuement pour les besoins de l’enquête.
« Je te vous envoie mes
enquêtrices pour le soutenir. Il n’y est pour rien. Voyez plutôt dans
l’entourage de Monsieur Kirkjubæ. »
L’entourage professionnel ou privé ?
« Contrairement aux apparences,
je veux dire… les traces de violence gratuite, c’est un crime de femmes. Il y a
donc des deux » répond Paul, énigmatique.
Non, invraisemblable : même à plusieurs, ce gars-là aurait pu se
débattre et il n’y a pas de traces de lutte sur les lieux du crime, juste du
désordre.
Et puis comment sait-il ces détails ?
« Vous n’êtes pas très discrets
en présence d’un témoin. Moi, je te vous aurai prévenus. J’ai déjà eu à traiter
dans un passé lointain ce genre de crime. Deux adolescentes salement
dévergondées et particulièrement chargées, avaient abusé d’un jeune-homme de la
sorte. »
Carine et Claudine qu’il avait recroisées à Washington quand il a s’agit de
faire sauter DLK le banquier des pauvres pour le compte du président Krasosky [1].
« Une affaire classée :
leur père s’était dénoncé pour leur éviter la prison. Elles vivent à Washington
et lui s’est suicidé dans sa cellule au moment où on allait le démasquer.
Si vous le souhaitez, je te vous envoie
la fille avec lequel j’enquêtais à cette époque-là sur ce cas-là. Elle te vous
racontera tout. Et elle sera accompagnée de mon CEO, l’amiral
Morthe-de-l’Argentière qui connaît très bien Huyck, mon associé. »
À condition qu’ils le libèrent rapidement, pour qu’il puisse passer les
coups de fils nécessaires.
Ce n’est pas de la compétence du commandant du poste : un juge doit
l’y autoriser avant cela. Il y a eu mort d’homme, ce qui reste extrêmement rare
dans ce pays.
(1) Cf. « Au nom du père – tome II »,
chapitre XVIII (http://flibustier20260.blogspot.fr/2015/11/au-nom-du-pere-chapitre-xviii-tome-ii.html),
chapitre XXXIII (http://flibustier20260.blogspot.fr/2015/12/au-nom-du-pere-chapitre-xxxiii-tome-ii.html)
publié aux éditions I3 et « Carine & Claudine » à
paraître aux éditions I3
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