Chapitre trentième-neuvième
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est
qu’un roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout
droit de l’imaginaire de son auteur.
Toute
ressemblance avec des personnages, des lieux, des actions, des situations ayant
existé ou existant par ailleurs dans la voie lactée (et autres galaxies), y
compris sur la planète Terre, y est donc purement, totalement et parfaitement
fortuite !
Les flics ne se poseront pas plus de questions que ça : les preuves
accumulées (les talons des chaussures, les « trous » dans l’emploi du
temps de Kára au moment du meurtre, ses explications hésitantes, voire
« oiseuses », les contradictions, mineures certes, dans ses
dépositions successives et enfin l’enfermement et son suicide) ne font plus
l’ombre d’un doute quant à la culpabilité de la jeune-fille.
La presse relèvera qu’en plus elle était enceinte de la victime, lui-même
marié par ailleurs, n’envisageant pas le divorce, ne serait-ce que pour des
raisons de business bien compris, le mobile était tout trouvé pour un
assassinat suivi d’un suicide de pénitence et de contrition…
Ce qui choque l’opinion publique sur place ce sont deux choses :
qu’un type connu de tous, chef d’entreprise respecté, dont on savait qu’il
aimait bien les parties « sado-maso » avec des étrangères, quand
l’occasion se présentait – il ne s’en cachait pas à ses quelques amis et
fréquentations – ait pu également et en plus abuser de son personnel féminin.
Dans ce pays-là, ça ne se fait pas !
Et la seconde, c’est qu’on puisse être laissée en prison, qui a pour tâche
de veiller à la bonne santé physique et mentale des personnes constituant la
quarantaine de prisonniers sous responsabilité en vue d’être jugés, en état de
choc-dépressif jusqu’à se suicider (ce qui n’est déjà pas naturel pour être
extrêmement rare en prison et affligeant, même si le taux de suicide reste très
élevé pour cause de nuitée trop longue sous ces latitudes en hiver et trop
courte en été dans le pays) sans que l’administration n’apporte ni aide ni
assistance, ça relève forcément du scandale…
Ça en deviendrait presqu’une polémique politique, dont quelques-uns
appellent à renforcer les mesures de sécurité des détenus si peu nombreux sur
cette île.
« Mais enfin, puisqu’on vous
dit que ce ne sont pas ses chaussures ! Vous pourriez au moins vérifier la
taille ! » s’enflamme Noeline en anglais.
Ce sont ses chaussures puisqu’on les a retrouvées dans sa penderie. Et
puis comment l’étrangère saurait-elle mieux que quiconque que ce ne sont pas
ses chaussures ? Elle n’était pas là quand elles ont été saisies, pas là
quand les traces de sang ont été analysées, pas là quand Kára a été interrogée,
pas là quand elle savait puis ne savait plus si c’était ou non ses chaussures,
ni quand, interrogée, elle variait quant à son emploi du temps le soir du
meurtre.
« Mais vous ne saviez pas non
plus qu’elle était enceinte ni de qui, ni même elle-même. Alors que notre boss,
le « prince de l’église » des papistes le savait déjà depuis le
départ ! »
Un hasard…
« Une « déduction
fulgurante » vous avait-on affirmé. »
Effectivement, le directeur de la sécurité se souvenait de cet étonnant
épisode-là…
« Remarquez, mesdames, je pense
que vous poursuivez un objectif qui n’est pas le mien et reste caché. »
Et lequel donc ?
« Ce n’est pas de la
fulgurance, mais c’est une évidence. On sait additionner un plus un même sous
nos latitudes extrêmes figurez-vous. Alors je vous explique et vous n’y revenez
plus. »
Les deux femmes sont toutes-ouïes.
« Votre patron et son associé
le hollandais débarque pour faire un deal avec un de nos compatriotes.
Jusque-là, pas de problème. Pour une raison qu’on ne connaît pas encore, notre
concitoyen ne marche pas dans la combine : peut-être juste une question de
prix ou de contrepartie. Votre boss, le « prince de
l’église catholique » se met à l’abri dans le cadre d’un plan
« B » de repli et pousse son associé à le mettre dans une position
inconfortable en préjugeant de ses côtés… « déviants ».
Celui-ci se laisse piéger. L’associé
hollandais se met lui-même « hors de soupçon » avec une de ses
propres compatriotes mais l’un ou l’autre retourne la situation en éliminant
notre patron d’entreprise pour n’avoir à discuter qu’avec son épouse,
l’héritière. Je ne sais pas comment il a fait, mais la veuve se laisse
amadouer, probablement mue par la peur, encaisse les fonds lâchés et disparaît
du pays morte de peur. Le tout retombe sur une coupable idéale, le temps de
laisser le nouveau deal se nouer et vous venez à la rescousse, et en nombre, un
amiral à la retraite, vous-même et une pseudo-enquêtrice notoirement respectable
pour faire libérer l’associé hollandais et lui laisser le loisir de finir de
boucler la reprise de l’entreprise orpheline.
C’est ça ?
Et maintenant, vous venez compléter le
tableau, parce que l’épouse a vendu quelque chose qui ne lui appartenait pas
encore, avec de l’argent qui devait normalement désintéresser les créanciers de
l’entreprise rachetée.
Je me trompe ? »
Mais où est-ce qu’il va chercher tout ça, le directeur de la sécurité ?
« Nous croyions que vous aviez mis
hors de cause le dénommé Huyck Maartje. Et de toute façon, ça n’expliquerait
pas cette histoire de chaussure prétendue pas à la bonne taille. »
Pas difficile : « Vous
êtes tous des spécialistes du renseignement et de l’enquête. Vous n’êtes pas
venus en Islande sans quelques biscuits et des plans à tiroir. Le soir du
meurtre, vos patrons étaient deux à pouvoir se déplacer chez les uns et les
autres, avec quelques zones d’ombre. On peut très bien imaginer que votre « Charlie »,
au lieu de dormir, aille chiper les chaussures de l’une pour les imprégner du
sang d’un autre et les replacer chez Miss Kára Lyngheiður ou inversement, par
exemple. »
Complètement aberrant à réaliser dans une ville et un pays qu’on ne
connaît pas.
Et il faudrait le démontrer et le prouver, en plus…
« Quant à votre rôle, ce
pourrait être d’embrouiller nos recherches, oh bien malgré vous peut-être, j’en
conviens volontiers, mais surtout d’orienter nos recherches vers l’épouse qui a
probablement escroqué votre hollandais en vue de lui faire rendre gorge. »
Ah… vu comme ça, on peut comprendre les réticences du péquenaud
islandais : c’est assez fin comme
mobile et tordu à souhait comme explication…
« Monsieur le directeur de la
sureté, vous le savez et nous le savons : vous avez totalement tort !
Vous avez laissé s’enfuir une vraie criminelle, laisser se suicider une
innocente, qui plus est, n’avez pas porté assistance à son fœtus, une forme
assez abominable d’avortement par négligence de l’autorité compétente, alors
que je crois savoir que c’est strictement interdit par vos lois, et tout ça en
toute connaissance de cause. Et je voudrai bien comprendre que vous en restiez
à cette version-là, si elle passe dans votre opinion publique. Ce serait un
scandale sans précédent si par hasard vous reconnaissiez vos torts dans cette
affaire. »
Et que la presse le presse de questions…
Le type en devient blême…
« Sortez de là, espèce de
chipies ! » fait-il soudainement dans un accès de rage-froide.
Bien entendu : « Nous ne
saurions rester dans un pays dont les autorités foulent au pied le droit des
femmes et ne saurons que conseiller à Monsieur Maartje de quitter ce pays au
plus tôt. Euh… pour des raisons bassement politiques qui ne nous regardent
pas ! »
Et Neoline fait signe à Delphine, qui n’a rien compris à la conversation
tenue en anglais, de sortir de là immédiatement.
Sitôt sur le trottoir, elle se fait expliquer pour en conclure par un
« abominable ! »
« Tu as eu raison, ma pote.
Mais c’est à condition d’imaginer que « la grosse » Charlotte ait eu
raison contre toute raison. »
Entre elle et « Charlie », de toute façon…
« Il faut en référer à
Gusgusse, l’amiral, notre boss ! »
Lui-même en tiendra au courant Huyck dans l’heure.
« Oui mais alors, on fait
quoi ? Il dit quoi le boss ! » questionne le batave à la
barbe fleurie.
Qu’il va devoir payer deux fois…
Charmante perspective. « Il
faut savoir Huyck. La boîte en vaut le coût ou il y a l’équivalent
ailleurs ? »
Il y a probablement l’équivalent ailleurs, et forcément moins cher que de
payer deux fois un prix même très honnête, parce que finalement, ça n’a pas été
très cher de désintéresser la veuve. « Mais
justement, j’ai déjà payé une fois. Et d’après ce que j’ai compris, je ne
reverrai jamais cet argent. »
Ce qui veut dire payer de toute façon deux fois. La rage à cause d’une salope
de brunasse décolorée. « Fríða, ma
pote sur place, qui est du pays insiste pour que je poursuive. Je viens de
visiter le Datacenter. Les équipes semblent compétentes. Je ne sais pas quoi
faire. Qu’en dit Paul ? »
Paul restera injoignable au moins pour la semaine.
« Vous le savez, parce que je
vous l’ai dit, vous allez payer deux fois. Essayez de reprendre les contrats,
les actifs avec les créances du passif pour faire face. De toute façon, même en
United-Kingdom ou en Nederland, les problèmes resteront les mêmes ou leurs
équivalents. »
Probablement, sauf pour ce qui est des meurtres : ce ne sont pas des
pays de barbares non plus. Et puis comme ça, ça permettra de faire valoir
l’honnêteté de la démarche, le bien-fondé de l’opinion de Paul et de garder un
œil que la progression de l’enquête de loin en loin.
Ainsi en sera-t-il fait.
« Mais j’aimerai bien en
échange, qu’on mette « BBR » sur la piste de cette pouffiasse et sur tout
ce marigot politique islandais. Ça évitera de prendre des coups. »
Ah ça, c’est lui le maître d’œuvre de la version « 2.0 » à
venir… Plus vite il la mettra en route, plus vite ce sera fait.
Il n’est pas beau le rôle de Gustave quand il s’agit de motiver ses
troupes ?
Paul voyage sur un vol régulier d’Air-France escorté de Shirley au nom des
services de sécurité de sa très gracieuse majesté. C’est tout juste s’ils ne se
menottent pas ensemble : la dernière fois qu’il avait pris cet avion-là
dans cette direction-là, il s’était retrouvé aux confins de l’univers, pas
encore connu, à faire « ouvreur de piste » pour des « touffes
d’herbe », les krabitz [1].
L’équipage est également « aux petits-soins » alors que
plusieurs équipes, de la CIA, du Mossad sont à bord ainsi que très discrètement
les hommes de Wilson KingWater, le sous-directeur du MI6 en charge du CGVO Sir
Paul, qui était au pied du registre d’embarquement et qui connaît tout son
monde. Même quand Paul ira pisser ou aura été invité dans le poste de pilotage,
tout ce petit-monde-là ne le lâchera pas du regard… des fois qu’il disparaisse
une nouvelle fois en plein vol : au moins, s’il recommence, on compte manifestement
savoir comment il s’y prend…
Comique mais assez pesant et même si ça reste discret.
Mais tout se passe bien. À JFK, il n’est pas lâché d’une semelle par les
autorités aéroportuaire, mieux que pire qu’un hyper-VIP, relayées par le FBI
quand ils vont rejoindre leur hôtel, le Marriott (qui reste une marotte de
Paul), situé dans Manhattan.
Le lendemain, ils finissent d’encaisser le jet-lag dans le vol vers
San-Francisco dans les mêmes conditions de sécurité, sauf qu’à l’arrivée, les
limousines sont affrétées par « Junior n° 5 », et celles en filature
par le FBI, le CBI et probablement le consulat israélien.
Direction la maison de feu « Junior n° 4 » tenue par la sublime Vanessa
toujours très « en forme » dans son veuvage, alors que les
« pistards » de protection restent aux portes de la propriété pour le
moins très « sécurisée »…
Harry Harrison n° 5 est du dîner où Paul expose dans ses grandes lignes le
projet d’anneau de lancement depuis l’archipel des Chagos au cœur de l’océan
indien, à quelques encablures de l’équateur en présence du couple Gates, venus
en voisin et à l’invitation de Junior, qui tient son engagement sur ce point-là.
« Le site du Milton
Institut ? »
Exactement : « Il convient
de laisser sur place une surveillance étroite des sous-sols. Mais de plus,
c’est la configuration géologique idéale pour une telle entreprise. »
Mais l’augmentation du niveau de la mer…
« Vous le savez mieux que moi,
jeune-homme. Les travaux du GIEC, c’est du pipeau. Quelques centimètres par
siècle, ce n’est pas la mer à boire, surtout quand on flotte. »
Ah voilà une idée intéressante : tout un monde de « flotteurs » !
Alfred Elton van Vogt l’avait imaginé, dans d’autres circonstances…
« Ça pourrait intéresser pas
mal d’investisseurs, savez-vous. Peut-être enfin une option disruptive avec les
solutions proposées jusque-là par Musk, Bezos, Branson et les autorités, c’est
absolument jouable ! »
Gates acquiesce d’un hochement de tête, armé de son éternel sourire
énigmatique.
Bien sûr, « mais pas tout de
suite. Dans le scénario, j’investi sur compte propre… »
… mais ça va coûter une fortune !
« … et je passe la main quand
ce sera au point. La fortune, vous savez, si ça ne sert à rien qu’à alimenter
la spéculation financière mondiale, ce n’est pas mon trip. Autant laisser des
outils viables derrière soi qui seront utiles à beaucoup plus de monde. Comprenez,
je suis en position de le faire, de plus, c’est dans l’air du temps et on en a
les moyens technologiques, alors pourquoi ne pas poser les premières
pierres ? »
Pour aller jusqu’où ?
« Vous savez… je me fais vieux.
J’ai eu l’occasion de piloter des prototypes pas croyables, ce qui était ma
passion d’adolescent, mon rêve de gamin. Et je vais encore en créer qui vont
faciliter l’accès à l’espace du plus grand nombre. J’ai voyagé au-delà de tout
ce que vous pourriez imaginer alors même que la croisière hauturière, ma seconde
passion, ne m’intéresse même plus depuis que j’ai goûté les délices des alizés
au mouillage. Ce que je vais mettre au point, ce sont des prototypes qui
s’autofinanceront avec l’idée de proposer quelques escales touristiques en
orbite basse. Les restes, aller au-delà, je le laisse à d’autres. J’en sais
assez comme ça. »
C’est quoi, le concept de séjour touristique en
« orbite basse » ?
(1) Cf. « Ultime
récit », sommaire (http://flibustier20260.blogspot.fr/2017/09/ultime-recit-chapitre-zero.html)
publié aux éditions I3
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