Chapitre trentième-cinquième
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est
qu’un roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout
droit de l’imaginaire de son auteur.
Toute
ressemblance avec des personnages, des lieux, des actions, des situations ayant
existé ou existant par ailleurs dans la voie lactée (et autres galaxies), y
compris sur la planète Terre, y est donc purement, totalement et parfaitement
fortuite !
Huyck n’en revient pas encore : venir jusqu’en Islande pour passer
une nuit au ballon, ce n’était décidément pas dans ses plans ! Il lui faut
d’abord retrouver sa dulcinée d’un soir, la « potelée » Fríða-la-blonde
avec qui il passera sa nuit suivante, à titre gratos…
Et rendez-vous est pris pour le lendemain suivant dans les locaux de
« KK » : il veut rencontrer le personnel pour pouvoir le jauger.
Ils auront été devancés par la flicaille du pays, qui passe au peigne fin
lesdits locaux et interroge tout le personnel.
La scène du meurtre, à l’étage, est toujours inaccessible pour être sous
scellés. Ce qui rend de mauvaise humeur l’épouse du décédé, Tryggv Vilfríður,
une blonde-cendrée, elle aussi (c’est assez courant dans ce pays-là), la trentaine,
souple et élancée, les yeux rougis d’être veuve avant l’heure, qui est obligée
de passer ses nuits chez sa sœur, comme lors de la nuit du crime, dans la
banlieue de Garðabær, une des municipalités du grand Reykjavik située au sud de
la ville.
Quoique, ce soir-là, c’était l’anniversaire de la fille de celle-ci, une
réunion familiale dans les faubourgs lointains de la ville, tel que tout le
monde avait bien trop bu pour rentrer en voiture. Fête familiale à laquelle Kristbjörn
s’était désisté pour honorer ses visiteurs européens.
Ce qui s’est terminé tragiquement pour lui.
Sa déposition cadre avec les témoignages de la plupart des autres invités
encore conscients en cette fin de soirée-là : quand ils se soûlent la
tronche et vont vomir sur les trottoirs, les islandais ne le font pas sans
démesure. De sacrés phénomènes de la nature, ces ersatz de viking !
Noeline profite de la situation pour jouer de ses charmes et savoir la
taille et la forme de la blessure mortelle reçue à la tempe auprès des
officiers de police.
« Grosse comme ça avec un bout
rond et un autre carré… Le légiste essaye de confirmer s’il a reçu ses
blessures et lesquelles, avant ou après son décès. Une sauvagerie »
fait le policier qui a le regard s’attardant sur les rondeurs de Noeline… qui
use aussi de son sourire le plus charmeur.
« Ça peut donc être très bien un
talon de chaussure ? »
Ils cherchent plutôt un objet contondant ou un marteau.
Une fois les pandores partis, Huyck réunit le personnel pour se présenter…
en anglais « fluently ». Il explique la raison de son voyage et les
grandes lignes du projet comme il avait pu le faire à leur patron la veille au
soir.
« Ok, sir. Sauf que là, c’est
avec Tryggv, son épouse, qu’il faut parler. Elle est non seulement associée,
mais c’est elle qui va hériter des parts du patron. Nous on est rien,
ici ! »
Qui ? La fille qui vient de partir ?
« Il y a bien le Datacenter qui
vaut un peu d’argent, vus les investissements qui y ont été consacrés. Mais
comme ce sont aussi autant de dettes, ce sont les banquiers qui vont décider.
Nous, on va se retrouver au chômage. Au moins pour un temps. »
Il paraît que ça n’existe pas en Islande, le chômage.
« Pas grave : je vous
embauche. Ça revient au même que de racheter la boîte ou d’y associer la veuve.
Ce que je veux, ce sont des bons pisseurs de ligne sous Unix qui sachent rester
discrets. Et nous n’avons pas forcément le temps de reconstituer une équipe
compétente. »
Justement, pas sûr qu’ils soient tous compétents : sous Java, encore…
Si quelqu’un veut bien le piloter jusque chez « la veuve », ça
peut s’arranger.
Ils seront deux sur les quatre à l’emmener.
Du coup le groupe « ADN » se retrouve seul avec les deux autres
plus les quatre filles qui composent le reste du personnel de feu Kirkjubæ et
de son épouse d’associée.
« Bé, on va compléter le
dossier des flics pour éclairer notre lanterne. Notre patron, qui a croisé le
vôtre le soir du meurtre, croit savoir qu’il s’agit d’un crime de femme. Et
nous on aimerait lui démontrer qu’il a tort » raconte Noeline avec son
meilleur anglais.
Un grand blanc. Les uns regardent les pointes de leurs chaussures,
d’autres le plafond ou le fjord, mais pour qui reste attentif, quelques visages
se tournent inopinément et subrepticement vers une brune, jeune, qui se tient à
l’écart et qui aussi les yeux rougis : Mademoiselle Kára Lyngheiður…
« Hvað ? » fait la
brunette qui sent « tout le poids du silence » lui tomber sur ses
épaules.
Ça se prononce un peu comme le « was » allemand, exactement
« voiase », qui veut dire, « quoi » ou « quel »
croient comprendre « les filles ».
S’en suit un échange en islandais (ou danois) auquel les filles du groupe
« ADN » ne comprennent strictement rien, comme d’une dispute telle
qu’elles ont pu en avoir une la veille au soir, où le ton monte, la cadence s’accélère
et là, ça se termine par ce qui ressemble à des injures et la miss Kára de
filer en claquant la porte de rage !
« On peut avoir une
explication ? » la ramène Neoline…
Qui reçoit pour toute réponse un « nothing » d’un des deux mecs qui en profite pour sortir accompagné
des trois autres filles qui ne se font pas prier pour aller boire un pot au bar
le plus proche, même si ce n’est pas encore l’heure.
Reste le plus âgé. Pjetur Ósvífur sort son meilleur français – enfin un
qui le parle ! – pour répondre brièvement aux questions des filles :
« Mesdames, le patron était un
coureur de jupons. C’est comme ça qu’on dit toujours à Paris ? Si elles
bossent avec nous, c’est qu’elles sont d’abord passées dans son lit. »
Ah bon ? Ça existe encore, ces pratiques dégoutantes et abjectes,
dans ce pays qui reste pourtant à la pointe mondiale des « droits de la
femme » depuis plusieurs années ?
Et l’épouse savait ça ?
« Probablement que non. Ou que
oui, après tout. Je n’en sais strictly
nothing. Par contre, je peux vous dire que la dernière à être
entrée à l’effectif, il y a un an ou un an et demi de ça, c’est justement Kára Lyngheiður, celle qui est partie en premier. »
Merde alors ! Une femme, une maîtresse, un harem et en plus il va
voir les putes dans le dos de toutes celles-là !
Voilà que Charlie et Charlotte auraient raison…
« Oh mais Monsieur aurait des
exigences particulières, ai-je pu comprendre. Ça peut finir par lasser et lui
aussi se lassait assez vite de ce que j’en sais. »
Quels types « d’exigences » ?
« Il aimait bien qu’on le
torture un peu. Pas violemment, mais tringler sur un bureau ou dans la
kitchenette, même talqué ou enduit d’huile ou de savon, ça allait cinq minutes.
Mais pour une soirée, il passait à la vitesse supérieure. »
Un partouzard aussi ?
« Ah ça je ne sais pas. Mais
regarder un autre homme tringler sa soubrette du moment, ça ne lui déplaisait
pas. Je sais ça, parce que l’une d’entre elle, qui n’est plus du personnel,
m’avait raconté avant d’aller voir ailleurs. »
« Bon, bé c’est simple, les
filles ! » finit par conclure Anaïs, une fois sur le trottoir.
« Si on en croit Charlotte, la
coupable, c’est la femme. C’est elle qui a un alibi. »
Sauf que, tout logique bue, elle devrait être écartée, puisqu’elle a
justement un alibi pour être chez sa sœur jusqu’à ce que les flics la récupère,
d’après ce qu’on a pu comprendre du déroulé de l’affaire.
« Pour moi, pas de doute :
c’est plutôt la gamine. Surtout si elle n’a aucun alibi crédible ».
Aux flics de vérifier ça : elles ne vont quand même pas faire leur
boulot.
« On peut peut-être les
informer, non ? »
Demain et après en avoir référé à leur CEO, Gustave.
Le temps de le joindre.
Paul aura entre-temps amerri à McShiant-Island et posé son appareil sur la petite plage
abordable où se situe également le débarcadère. De toute façon, c’est de là que
partent les deux chemins qui conduisent à la demeure centrale sise sur le
plateau ouvert aux vents. L’un est « carrossable » pour quelques
charriots attelés à des chevaux ou le tracteur et sa remorque, l’autre est un
sentier qui longe et grimpe le long de la falaise et mène aux grottes à
mi-hauteur. Paul en garde encore le souvenir d’une mise en bouche érotique à
l’occasion de son premier passage, mais ne sait plus bien s’il ne va pas s’y
perdre : il choisit le chemin carrossable pour rejoindre le
« castel » des McShiant.
Bon choix : le palefrenier, ayant entendu l’arrivée de l’hydravion, a
pris l’initiative de venir à sa rencontre avec la carriole, ce qui lui permet
de finir le parcours plus rapidement et sans effort.
« Lady Margaret sera ravie de
vous revoir, Milord… »
Sa sœur est à Glasgow, mais « si
vous me permettez de lui faire savoir que vous êtes dans nos murs, elle peut
être là ce soir. »
Non, pas la peine : « Annoncez-lui
plutôt que j’irai la saluer demain, en repartant. »
Doit-il comprendre que Paul passe la nuit sur l’île ?
« Probablement. En tout cas, je
compte me faire inviter à dîner… »
Une fois les « détails d’intendance » ainsi réglés, Paul a la
surprise de croiser Miss Margaret debout et sans béquille, marchant
normalement.
« Pas possible ? Tu as
réussi à te redonner des jambes ? Bravo, magnifique, splendide ! »
La petite-fille cadette de Lord McShiant avait fait une mauvaise chute de
cheval assez brutale dans sa jeunesse, ce qui lui avait sectionnée la colonne
vertébrale à hauteur du nombril la rendant définitivement paraplégique. Et
depuis qu’elle est coincée dans un fauteuil roulant, elle n’a eu de cesse de se
fabriquer des membres inférieurs artificiels…
« Je ne peux pas encore courir,
ni sauter. Quand je monte ou descend un escalier, il faut que je me cramponne
et quand je m’assied, m’allonge ou me lève, j’ai parfois besoin d’aide, mais
oui mon cher Paul, je peux me passer de mes cannes sans tomber n’importe
quand ! »
Miracle, miracle… de la technologie et de l’informatique.
« Eh oui ! Grâce à la
miniaturisation, j’ai pu installer une quarantaine de mini-moteurs électriques
« pas à pas » dans chacune de mes deux prothèses de jambe et quantité
de capteurs dans la ceinture abdominale qui va avec. Et voilà le
résultat ! »
Et la programmation qui va avec pilotée par deux bonnes douzaines de
capteur à chacune de ses pattes-folles.
« Fabuleux ! Je viens
justement pour ça, Mag. Et… tes robots. »
Paul veut des jambes neuves ou un cyborg ? Parce que les cyborgs de
sa conception sont remisés au placard des projets « pas aboutis ».
« Mais non, que tu es
bête ! »
Alors il est là pour acquitter la « Margaret-tax » ?
Margaret étant totalement insensible sous le nombril, jusqu’à en être
parfois incontinente, elle a une activité sexuelle particulièrement réduite.
Mais ça ne l’empêche pas d’avoir des fantasmes, loin de là. Son
« truc-à-elle », c’est de regarder jouir les mâles qui passent à sa
portée. Un sexe d’homme tendu qui éjacule sous ses caresses la met dans un état
quasi-hypnotique et extatique. Tel qu’il est difficile de ne pas la laisser
faire : elle appelle ça la « Margaret-tax » et du pasteur au
docteur en passant par le jardinier, le palefrenier et son cuisinier (elle a
hélas une vieille infirmière pour ses soins hebdomadaires), tous y passent à
tour de rôle au rythme de ses envies.
« Sois sérieuse. Je suis quasiment-marié,
j’ai des gamins et ta reine m’a fait pair du royaume depuis que nous nous
sommes vus la dernière fois… »
Félicitations, mais il n’empêche. « J’adore ta bite ! C’est un régal de douceur et ta femme n’en saura
jamais rien, rassure-toi ! Ce n’est pas moi qui pourrais jamais la
concurrencer, même pour une branlette espagnole… »
Crue, la gamine : elle n’a de toute façon pas les
« outils » pour ça…
« On verra. J’ai d’abord un
projet à te soumettre. »
Normalement, c’est l’inverse : on paye d’abord et on discute après.
« Je ne suis plus à ton goût ?
Mets donc un sac sur ta tête ! »
Paul poursuit assis, vautré plutôt, dans un des larges fauteuils du salon.
« Après dîner. Voilà ce qui
m’amène. J’ai besoin d’un talent comme le tien pour rattraper l’avance des
japonais justement sur tes cyborgs, ces robots humanoïdes qu’ils augmentent
d’intelligence-artificielle. »
Peut-être, mais ils font surtout des robots sexuels, pas vraiment dans le
robot ménager…
« Eh bien, c’est exactement ce
que je cherche à faire de mon côté. »
Allons bon ! « Tu n’as
qu’à leur en acheter sur étagère. Ta femme ne te suffit plus ? Et tu
refuses en plus de payer ma taxe ? Ce n’est pas croyable, ça ! »
Elle n’y est pas.
« Ce n’est pas pour moi, mais
pour mes futurs clients. Je compte armer quelques navires de croisière de luxe dans
les mois qui viennent qui proposeraient ces services à leur bord pour quelques
riches clients. »
N’importe quoi ! Quel intérêt ? « Et puis un cyborg complet et autonome, c’est plus de 570 muscles à
caser… » Soit deux fois plus de moteurs électriques si on veut se
passer de ressorts.
Mais comme c’est creux à l’intérieur pour quelques 50 à 60 litres de
volume, « ça doit être faisable »
insiste Paul.
« Non mais, hors la
programmation de l’IA elle-même, tu n’imagines même pas la complexité du
bidule ! »
C’est pour ça qu’il s’adresse à la spécialiste-méconnue…
« Tu exagères Paul. Je ne suis
pas « spécialiste ». Entre un membre ou deux et un corps complet,
c’est le jour et la nuit. »
D’autant que pour compliquer le problème, Paul a des exigences : « D’abord la taille. Trois ajustables à plus
ou moins 10 % chacun. Pareil pour les poitrines, les yeux, les lèvres. Trois
types de peau : indo-européen, métis-black, type hispanique et jaune-pâle
aux yeux bridés et les paupières qui ne font pas de rides quand elles se
ferment, avec quatre types de cheveux. Brun, blond, roux, noir et châtain. »
Oh, ça, avec des perruques naturelles, on peut même varier la longueur,
les faire friser ou les rendre raides. « Tu peux même imaginer des cheveux rouges, bleus, mauves ou verts ! »
fait-elle en rigolant.
Mais déjà, rien qu’avec des ossatures qui varient d’un prototype à un
autre, même à seulement plus ou moins 10 %, sans même parler des masses et
rondeurs, c’est déjà kafkaïen !
Et pour en faire quoi ? Un bordel flottant ?
« Ce n’est pas un peu dégradant pour
les femmes, tout ça, réduites à l’état d’objet-sexuel ? »
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